Avant les années 60, on allait travailler à pied, à vélo, en tram ou en train, pour la simple raison que la majorité des travailleurs n’avaient pas de voiture. C’était un produit de luxe réservé aux classes riches.De même pour les enfants à l'école, les courses dans les magasins de quartier etc.
Les lignes de vicinaux et de trains drainaient
les travailleurs, même venant de la campagne, vers les usines, les zones
industrielles ou les centre- ville. Tout était régi par la proximité des voies ferrées
– chemins de fer ou vicinaux auxquelles les entreprises étaient raccordées pour
acheminer les matières premières, expédier les produits finis et …amener la
« main d’œuvre » sur son lieu de travail.
UN RESEAU FERRE DENSE ET ETENDU
Huy et sa région en sont un bel exemple :
les noms des gares - la plupart fermées aujourd’hui - évoquent ce passé
industriel prestigieux et la proximité des usines, des écoles et autres
institutions.
Réseau des trains et vicnaux http://vinalmont.blogs.sudinfo.be/tag/vicinal+vinalmont |
Prenons l’exemple de la ligne 126 Statte – Ciney (dont HUY - Saint Hilaire était une gare)
Statte : moulins de Statte, ateliers
divers, sucrerie de Wanze.
-correspondances : ligne 125 Liège Namur
-correspondances avec le vicinal Statte, Vinalmont,
Villers le Bouillet, Waremme(470 sur la carte)
- Statte, Vinalmont, Huccorgne,
Burdinne.(572)
Saint Hilaire : fonderies Porta, Potstainiers,
multiples ateliers du quartier Batta, écoles rive gauche, (l’Agri , Saint
Quirin), caserne d’Aulne.
Huy Sud : établissements Thiry, ateliers quartier
Sainte Catherine, ateliers rue Chérave, papeteries Godin (Chinet)
Fleury : papeteries Godin.
Marchin : Tôleries Delloye.
Regissa : Tôleries Delloye.
Barse : carrières de la vallée du Hoyoux.
Modave : eaux de Modave, usine céramique
de Modave.
Clavier : correspondance avec le vicinal Clavier
- Val Saint Lambert (456)
Clavier - Comblain au Pont (457)
La
ligne 126, reliant donc Huy-Statte à Ciney fut ouverte en 1877 au trafic marchandises
et voyageurs et complétait le long du Hoyoux, le réseau de voies ferrées par des
liaisons avec la ligne Nord Belge de la vallée de la Meuse (Liège Namur), la ligne
Namur Arlon à Ciney, et via la ligne 127 le long de la Mehaigne (Huy Statte-
Landen) avec la liaison Liège – Bruxelles.
Bel exemple d »intermodalité » ( mot très dans le vent aujourd'hui)
Bel exemple d »intermodalité » ( mot très dans le vent aujourd'hui)
le vicinal à Statte (1) « Le chemin de fer du Hoyoux et du Condroz – La ligne 126 de Statte à Ciney-G. Henrard( capture d'écran de https://www.matele.be/ex-cathedra-la-ligne-126-entre-ciney-et-statte ) |
Aujourd'hui, 80% des déplacements
vers le lieu de travail se font en voiture ; l’aménagement du territoire,
entreprises, surfaces commerciales, lotissements d’habitations, a mis la
voiture individuelle au centre de la vie.
Ce modèle de société, fondé sur l’accélération
de la circulation des marchandises ( le just in time du camion) et la course au profit maximum immédiat pour
quelques méga-multinationales de l’automobile, de l’acier, du pétrole, du pneu et de
la finance, est à bout de souffle;
Il a creusé les injustices sociales : quel meilleur cadre que cette civilisation de l’automobile, en effet, pour imposer aux travailleurs, individualisés au maximum, toujours disponibles, 24h sur 24, 7 jours sur 7, grâce à leur voiture, leur imposer donc des statuts et sous - statuts dévalorisés : l’intérim, « l’auto- entreprenariat », les horaires éclatés, les heures supplémentaires, le travail du dimanche, en un mot la flexibilité et la précarité de l'emploi ?
C'est ainsi que la voiture individuelle a été à la fois, pour le plus grand nombre un outil de liberté et de découvertes et un instrument d'exploitation renforcée.
Il a creusé les injustices sociales : quel meilleur cadre que cette civilisation de l’automobile, en effet, pour imposer aux travailleurs, individualisés au maximum, toujours disponibles, 24h sur 24, 7 jours sur 7, grâce à leur voiture, leur imposer donc des statuts et sous - statuts dévalorisés : l’intérim, « l’auto- entreprenariat », les horaires éclatés, les heures supplémentaires, le travail du dimanche, en un mot la flexibilité et la précarité de l'emploi ?
C'est ainsi que la voiture individuelle a été à la fois, pour le plus grand nombre un outil de liberté et de découvertes et un instrument d'exploitation renforcée.
Ce modèle de
société conduit aussi droit dans le mur du point de vue de la protection de notre bien
commun le plus précieux, notre planète, avec l'émission massive de CO2, gaz à effet de serre.
AUBAGNE (FRANCE) 45ooo habitants: réseau de trams et bus gratuits |
HUY : BASSIN SIDERURGIQUE ET INDUSTRIEL
La gare Saint Hilaire, première halte de la
ligne 126 adorablement nichée au bord d’une petite place en cul de sac évoque à
elle seule toute l’histoire de Huy.
Ville de la Principauté de Liège, elle
présentait sous l’Ancien Régime, avant la Révolution Liégeoise, une
concentration particulièrement élevée de sites religieux, collégiale, églises,
monastères, abbayes ou refuges d’abbaye.
Rien que autour de Saint Hilaire, on relève
l’abbaye Saint Victor, le refuge de l’Abbaye d’Aulne, et la maison Batta,
ancien refuge de l’abbaye du Val saint Lambert.(aujourd'hui "à vendre")
« Ici, l’Eglise était tout, c’était la
vraie ville de l’évêque » avait écrit Jules Michelet
Cette présence juxtaposée du Huy de la classe
ouvrière et du Huy des abbés, abbesses, fils et filles à la fois de l’Eglise et
de la haute noblesse est caractéristique de la cité.
Le tableau est complet si on y ajoute dans les
beaux quartiers, les imposantes demeures, villas - châteaux, de la grande
bourgeoisie de la période industrielle, les Godin, Delloye, Dautrebande, Thiry,
Chainaye, qui vaudront à Huy son nom de « ville aux millionnaires »
Mais Huy
était surtout une agglomération de travailleurs, sidérurgistes, fondeurs,
métallurgistes, travailleurs du papier.
En
1891 la région hutoise comptait déjà près de 4000 ouvriers métallurgistes, la
plupart occupés dans les usines de la vallée du Hoyoux: 9 laminoirs, 3 forges,
2 fonderies, ateliers de poêlerie - serrurerie, de boulonnerie, et aussi des moulins
à farine, des scieries de bois, des scieries de pierre, de multiples tanneries
etc…
Entreprises
toutes alimentées en énergie par la force hydraulique de la rivière, au cours
rapide et
abondant, avec la caractéristique de ne jamais tarir, ni geler.
abondant, avec la caractéristique de ne jamais tarir, ni geler.
Cela
fait rêver, à l’époque des énergies renouvelables, non ?
De
même la pureté de l’eau du Hoyoux était nécessaire au traitement du papier à
Chinet et Fleury, aux papeteries Godin.
Ajoutons
- y les usines Thiry, avec ses travailleurs hautement spécialisés dans la
mécanique des machines à papier, puis des presses, des scies et des moteurs
diesel
La
proximité de la Meuse et l’ouverture des lignes de chemin de fer favorisaient
approvisionnement et expéditions par le rail et le fleuve.
Pendant
des siècles, mais surtout aux 19ème et première moitié du 20ème,
sur 5 kilomètres de rives,
des milliers d’ouvriers travaillaient dans plus de
40 usines ; une intense vie sociale et syndicale s’y était développée.
Rappelons
par exemple le combat des ouvriers carriers en 1902 (2) et celui des métallurgistes
en 1936 (3)
Les
lois du développement inégal , à la recherche du profit maximum immédiat
en ont fait à partir des années 60 un presque désert économique.
Seuls
rescapés aujourd’hui dans la vallée, de ce tsunami social, 60 travailleurs
d’Arcelor Mittal à Marchin, inquiets jour après jour pour leur avenir, se
demandant encore tout récemment en assemblée syndicale, à quelle sauce ils
allaient être mangés par la multinationale de l’acier.
Les
principaux quartiers industriels et donc ouvriers étaient les quartiers de la
rue de l’Industrie (devenue rue de l’Amérique) et Saint Hilaire, Statte, le quartier
Nord autour de la gare et le quartier Sainte Catherine.
Fleury (Marchin) 2019 Le filtre à eau des Usines Godin rénové en logement |
Les papeteries Godin occupaient aux portes de Huy
et Marchin , entre Sainte Catherine et Fleury , jusqu’à 3500 travailleurs en
1890, dont nombre de femmes qui venaient de tous les villages
avoisinants et qui avaient des conditions de travail et de salaire terribles.
(Si un employé gagnait 90 f /mois, un ouvrier à peu près pareil, 2,25 à
3fr/jour, les femmes, elles gagnaient à peine la moitié 1,25 à 1,5 fr/jour) En
hiver, par mauvais temps, elles ne pouvaient pas rentrer et logeaient chez
l'habitant dans des conditions d'hygiène et de salubrité terribles. » (4)
Avec 1200 travailleurs en 1918, elles allaient être définitivement
fermées en 1967 : 115 travailleurs perdaient leur emploi à Fleury.
SAINT HILAIRE : PORTA, LES
COOPERATIVES…
Le quartier de la rive gauche était éminemment
industriel.
En dessous de la gare saint Hilaire, la
fonderie Porta avait été fondée en 1868, notamment par un ingénieur Nicolas
Porta.
Spécialisée en fonte décorative et fonte
d’armement, la fonderie sera rachetée par Delloye -Mathieu en 1948.
Et à la fin des années 80, comme beaucoup de petites et grandes
industries wallonnes, elle subit en quelques années l’incessante valse funèbre des
ventes, rachats, faillites, reprises et rationalisations, préludes habituels,
sous le régime capitaliste, à la fermeture définitive. (Armco en 1988, Titaragh-
Delloye en 1993, Felon et Lange en 1999, GF Technologies en 2002 et faillite
avec fermeture définitive en 2004 ; les machines sont vendues et expédiées
à une société polonaise)
Aujourd’hui, le site des anciennes fonderies
Porta (Felon et Lange), dépollué est au centre d’un débat sur son affectation
future entre la Ville de Huy et les riverains du quartier Saint Hilaire.
https://www.lavenir.net/cnt/dmf20180124_01115536/huy-les-riverains-opposes-a-un-projet-mastodonte-sur-le-site-felon-lange |
C’était aussi le quartier des coopératives,
puisque c’est à la rue de l’Industrie (aujourd'hui rue de l’Amérique) que furent installés les
ateliers et magasins des « Prolétaires Hutois »
créés en 1892 par des ouvriers d'usine ; elle commença par vendre du café,
de la chicorée, et du sirop.
Livraisons des "Prolétaires Hutois" |
Ensuite, affiliée au POB,
la coopérative développa des activités de boulangerie, avec ateliers et bureaux
; elle fournissait (à hauteur de 3000kg par jour) ses magasins à Huy, des
succursales à Gives, Vinalmont, Nandrin et toutes les coopératives de la
région. Puis aussi des activités de boucherie. (si on se réfère aux vestiges d’inscription
toujours visibles sur les frontons)
LA FIN DES POTSTAINIERS HUTOIS ?
Un autre « fleuron »
de l’industrie hutoise -artisanale dans ce cas - et du savoir - faire de ses
travailleurs, condamné à mort par les « lois du marché », c’est le
travail de l’étain, avec les « Potstainiers Hutois »
« Lorsqu’on descend
la vallée du Hoyoux par la N641, route « romantique » pour
automobilistes et camionneurs, on trouve à l’entrée de la ville de Huy un grand
panneau où est inscrit en lettres capitales : « Huy, ville de l’étain »
"les Potstainiers Hutois" ,
comme l’explique le site web, "est une marque déposée par les « dignes
héritiers des orfèvres du Moyen-Âge, et ils présentent
un large choix de pièces traditionnelles en étain (…). Un savoir-faire reconnu
depuis le XIIème siècle dans le monde entier pour la qualité de son alliage
d’étain (94 %) ».
Dès le haut Moyen-Age, le
travail des métaux fut très en honneur dans la vallée mosane. Les marchands de
Huy se procuraient sur le marché de Londres, le minerai d’étain en provenance
des Cornouailles et de mythiques « Iles Cassitérides ».
Au début du XXe siècle, le travail de l’étain va connaître, au départ de la région hutoise, une seconde jeunesse. En 1925, s’ouvre un premier atelier et en 1949, les Potstainiers Hutois sont fondés avenue des Fossés. Y travailleront jusqu’à 150 ouvriers.
Faillite au décès, en 1993, de son
fondateur,Gaston Fallais , reprise avec rachat par la famille de commerçants Lacroix,
le « fleuron » connait les difficultés et l’abandon aux lois du
marché qui frappent les meilleures entreprises artisanales wallonnes. (par exemple
les cristalleries du Val Saint Lambert
plongées dans des faillites à répétition)
Le siège des POTSTAINIERS HUTOIS avenue des Fossés HUY |
« Malgré leur titre
de fournisseurs de la Cour de Belgique et leur renommée internationale, les
Étains des Potstainiers hutois traversent, depuis de nombreux mois maintenant,
une période difficile. Décision a été prise de mettre fin à leurs activités,
d’ici 2019. Leurs charges trop importantes et le manque de commandes ont eu
raison de l’entreprise familiale. » (6)
Remarquons par ailleurs
que les 60 travailleurs des fonderies d’aluminium industriel créées elles aussi
par la famille Fallais à Villers le Bouillet, sont eux aussi menacés dans leur
emploi en ce début 2019.
« LE
PONTON"
Terminons ce bref aperçu
des environs de Saint Hilaire, par un coup d’œil sur le Ponton, rue Saint Victor.
Il est, aujourd’hui,
rattaché à l’école d’Agriculture, "l’Agri", installée dans l’ancienne abbaye
Saint Victor, abbaye de moniales de l’ordre de Cluny., réquisitionnée par la nation et vendue, lors de la Révolution Française , comme tous les biens de l' Eglise.
Le Ponton était la maison
du pontonnier, le passeur d’eau.
Renseigné sur la carte
Ferraris, il transportait en barque les passagers soucieux de traverser entre Saint
Victor et Ahin rive droite.
Occasion, à partir de ce
clin d’œil historique, de rappeler qu’un fleuve, une rivière, une lagune est
aussi un outil de mobilité, de Paris à Londres, de Venise à Amsterdam; pas seulement pour les marchandises, mais aussi pour les particuliers.
La Moselle et le Rhin allemands
grouillent de bacs modernes qui transportent d’une rive à l’autre piétons et cyclistes,
et évitent ainsi nombre de longs déplacements en voiture.
Intéressantes dans ce sens sont les expériences de navettes fluviales à Liège, Huy et Namur.
"Connaître son passé pour construire l'avenir", cela ne doit il pas nous inspirer dans les défis sociaux, et environnementaux d'aujourd'hui?
(*) Blog à caractère historique , dédié au patrimoine ferroviaire et industriel de notre région hutoise, écrit à l’occasion de la prochaine visite à la gare Saint Hilaire de HUY du député fédéral Raoul Hedebouw (15/03/2019-19h)
Intéressantes dans ce sens sont les expériences de navettes fluviales à Liège, Huy et Namur.
"Connaître son passé pour construire l'avenir", cela ne doit il pas nous inspirer dans les défis sociaux, et environnementaux d'aujourd'hui?
Navette fluviale à Liège |
NOTES :
( (1) la ligne 126: voir https://www.matele.be/ex-cathedra-la-ligne-126-entre-ciney-et-statte
( (2) 1902
« Ce sont les ouvriers carriers de la vallée du Hoyoux et de la Mehaigne qui prirent l'initiative de la grève . En colonnes serrées , à plusieurs centaines, ils arrivèrent en ville pour entraîner dans le mouvement les travailleurs de la métallurgie et des autres établissements. Ils étaient tous armés d'un gourdin qu'ils portaient à l'épaule comme un fusil.
A cette époque,chez nous, c'étaient les carriers qui étaient à la pointe du combat...
(3) 1936
"Dans la région hutoise, la grève des
métallos fut générale.
J'accompagnais une colonne d'ouvriers allant
débaucher certaines usines qui continuaient le travail ; les usines
Preudhomme- Prion se mirent en grève. Chaussée des Forges, les ouvriers de chez
Thiry étaient déjà dans la rue.
Puis, ce fut l'arrivée aux Usines Godin aux Forges :
les portes étaient fermées, mais les ouvriers poussèrent sur la porte qui céda.
...On entra dans les ateliers (
après avoir éteint -dans une papeterie- cigarettes et pipes) et on
demanda aux ouvriers et ouvrières de cesser le travail ; chacun et chacune
abandonnèrent leur vêtement de travail...
Quand nous sommes sortis, les gendarmes à cheval,
étaient arrivés par le Pré de la Fontaine dans la cour de l'usine .Aucun
incident ne se produisit." Joseph Thonet
(4) ibid ROUGEs FLAMMEs "Sur les traces deJoseph Thonet" (1)
(5)"l'avenir" 25/04/2018 https://www.lavenir.net/cnt/dmf20180424_01161080/les-potstainiers-hutois-coulent-l-etain-depuis-1950
(6)"La Meuse" 22/06/2018 https://www.lameuse.be/226206/article/2018-05-02/huy-letain-des-potstainiers-cest-bientot-termine
(*) Blog à caractère historique , dédié au patrimoine ferroviaire et industriel de notre région hutoise, écrit à l’occasion de la prochaine visite à la gare Saint Hilaire de HUY du député fédéral Raoul Hedebouw (15/03/2019-19h)
Encore en beau texte de l'histoire régionale, prouvant une fois de plus qu'il ne faut pas compter sur les patrons pour préserver notre patrimoine industriel.
RépondreSupprimerAnnie