vendredi 18 mai 2018

MON LONG MAI 68 (1) - L'ALGERIE, LUMUMBA , LE VIETNAM, LE FOND DE L'AIR ETAIT ROUGE.


« Mon » mai 68 , a germé bien avant, tout au début des années 60.
C'est quand une dimension nouvelle a fait irruption dans mes réflexions d' ado  de 16 ans: elle a d'abord eu comme nom «  Algérie ».
A 16-17 ans , alors qu'étaient distribués à la maison les deux quotidiens auxquels étaient abonnés et mon père et ma mère, « Le Drapeau Rouge » pour l'un, « Le Soir » pour l'autre , j'achetais chaque semaine « L'Express » à la librairie, et j'y découvrais , à travers le bloc notes de François Mauriac , les dénonciations de la torture, à travers aussi les interdits de la censure et des saisies du journal, la Guerre d'Algérie.
Et puis, j'ai découvert Francis Janson et le manifeste des 121 pour le droit à l'insoumission , Henri Alleg et son livre sur la torture «  La Question », Jean Paul Sartre et sa revue « Les Temps Modernes » .
En rhéto, j'étais pour le FLN algérien.
Et je n'avais que sympathie (purement intellectuelle à l'époque) pour les combattants algériens et tous ces militants Français ou Belges, avocats, porteurs de valises, qui affrontaient de front le régime colonial : Pierre Legrève, le professeur Laperche, assassiné par un colis piègé à Liège , tous ceux des réseaux Janson.
Sans me douter que parmi eux et elles, il y avait , des camarades, qui comme Cécile Draps et Suzy Rosendor, seraient toujours là , 60 ans plus tard , fidèles au poste et surtout à leurs convictions, pour en témoigner.

A l'été 60 , ce sont les événements du Congo et en premier lieu ce discours de Lumumba le 30 juin 1960 ,devant le descendant de Léopold II médusé, magnifique et puissante profession de foi anticolonialiste, dont les phrases résonnent encore dans ma mémoire :
«Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions nègres... Nous avons connu que nos terres furent spoliées...  Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir .Nous avons connu... » (1)

30 juin 1960: PATRICE LUMUMBA, Premier Ministre du CONGO à la tribune


En 1961 , étudiant en première candi, j'ai en mémoire deux manif parties du Solbosch
l' une pour l'indépendance de l' Algérie contre les attentats de l'OAS, l'autre en solidarité avec Cuba au lendemain de la tentative d'agression par des mercemaires anticastristes entraînés par la CIA de Playa Gijon (La Baie des Cochons)
La lutte des peuples colonisés s'invitait , pressante , radicale, incontournable, à l'Université et n'allait pas la quitter tout au long de ces années 60.

« Rien à voir ! » direz vous .
Tout à voir, au contraire !
L' explosion des universités en 1968 dans toute l'Europe a bien sûr eu ses causes internes : l'accession aux études supérieures de larges couches d'enfants de la petite bourgeoisie , nés dans l'après guerre et la contradiction ( de classe) entre cette relative « démocratisation » de la population estudiantine avec ses besoins de liberté et de démocratie et le caractère « grand bourgeois » élitiste, mandarinal, autoritaire et anti démocratique   des autorités académiques liées par mille et un liens à la finance , au grand capital  et à l'establishment politique , surtout libéral, des partis au pouvoir.
Il n'empêche : la radicalité de Mai a parmi ses sources, incontestablement, le combat anti colonial et anti impérialiste des années 60, des peuples de la zone des tempêtes.
Combat radical, sans compromissions  feutrées  , loin des « compromis historiques » qui anesthésieront peu à peu la gauche européenne.
« Hasta la victoria siempre » était le message cubain. Il s'agissait là de « guerre populaire », de « pouvoir au bout du fusil » , de guerilla et de guerilleros , et aussi ne l'oublions jamais-, du massacre en 1965 de plus d'un million de communistes indonésiens suite au coup d'état militaire du général Suharto, appuyé par la CIA .
Il s'agissait aussi d' assassinats ciblés de dirigeants populaires prestigieux – Moumié et Ofana au Cameroun , Lumumba au Congo , Ben Barka à Paris , Aïdit en Indonésie, Che Guevara en Bolivie, Malcom X  et Martin Luther King aux States et tant d'autres ...

Mai 68 fut dans toute l'Europe un combat radical , non pas du fait d' idéologues maoïstes, anarchistes , guevaristes ou trotskistes, non pas du fait d'une sorte de tonnerre imprévisible et incongru dans le ciel bleu des golden sixties, non pas tant à cause d'une crise générationnelle et anti autoritaire de jeunes frustrés.
Mais bien aussi, surtout, du fait de la nature de la période historique, celle des luttes de libération nationale , période d'essor radical des forces révolutionnaires et progressistes à l'échelle mondiale.
Mai 68 fut radical, car le monde entier était largement radical.(2)



LA "ZONE  DES  TEMPETES"

Ce combat anti colonialiste ne s'imposait pas à nous , seulement par les textes ,les photos, ou les reportages que nous découvrions dans « Le Monde » ,dans « l' Huma » ou pour les plus assidus dans les revues « Partisans » « Révolution » , « Les Temps Modernes » ou aux toutes naissantes éditions Maspero.
Il s'imposait aussi à travers l'affrontement extrêmement radical, presque toujours violent , avec les groupes fascistes, d'extrême droite ,défenseurs jusqu'au boutistes de l'ordre colonial, toujours présents à l'Université.(3)
Il ne s'agissait plus seulement d'engagement intellectuel, mais bien ancré dans nos tripes de par les coups reçus venant ou des fascistes ou de la police.
Le MAC ( Mouvement d'Action Civique) se voulait défenseur de « l'Algérie française » et le relais de l'OAS (Organisation Armée Secrète) en Belgique ;
Et aussi le défenseur acharné de la colonisation au Congo et de sa prolongation sous la forme de la sécession du Katanga.
Le Premier ministre du Congo indépendant , Patrice Lumumba , était assassiné au Katanga ,le 17 janvier 1961 , information révélée au monde seulement le 13 février .
Des manifestations radicales ont lieu dans le monde entier jusque dans les couloirs des Nations Unies . Au Caire, l'ambassade belge est attaquée par des milliers d'étudiants égyptiens et africains.
Des manifestants d'extrême droite mobilisés notamment par le MAC s'attaquent eux, à l'ambassade de la République Arabe Unie (brève union de l'Egypte et de la Syrie) à Bruxelles, juste en face de l'Université.
Et le 16 février au soir ,  un commando d’extrême droite - les mêmes , qui avaient attaqué l'ambassade – ils diffusaient ouvertement un journal nommé « Réac » , tout un programme- assaillent le « Petit Bal Rouge » des Etudiants Communistes et interrompent la fête.
Parmi ce commando, aussi, des comitards bien marqués à droite, de cercles facultaires dont mon cercle , le CP (Cercle Polytechnique ): c'est ainsi qu'en été 1961, je découvrirai, par hasard, et avec stupéfaction, que ma fiche de membre du CP était notée d'une remarque au crayon : « dangereux coco ; à surveiller » J'avais pourtant été un bon « bleu », retrouvé ivre sur la voie publique par un chauffeur de taxi après le « pré baptême », comportement certes très mal vu par mon père , mais bien apprécié dans le monde des "poils guindailleurs"; j'avais aussi été bien « baptisé » suivant les bonnes traditions un brin moyenâgeuses de « l'énhaurme » CP ,  mon nom m'avait d'ailleurs valu d'échapper à la tonte !
Las! Bon "bleu" , il ne m'était pas pardonné d'être un "rouge".

Ce fut ma première confrontation avec l'extrême droite,...et avec la droite extrême.
La vigilance anti fasciste allait dés lors faire partie de notre vie de militant : quand le Comité Universitaire Anticolonialiste (CUAC), créé pour élargir et rassembler les forces - étudiants, enseignants solidaires du peuple algérien- recevait à la grande salle de la Cité Universitaire, Jacques Vergès , avocat du FLN, menacé de mort par l'OAS, nous patrouillions autour de la salle pour repérer tout mouvement suspect .
En février 1962, nous descendions en ville au lendemain de la manifestation à Paris du métro Charonne, où 8 manifestants avaient été tués par la police.(4)
Quelques jours plus tard, le 22 février nous manifestions à Saint Josse contre la tenue d'un meeting du MAC , pourtant interdit au préalable par la Ville de Bruxelles.
Et le 16 mars 1962 , à la veille de la signature , le 18 , des accords d' Evian entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République Algérienne, prélude à l'indépendance de l'Algérie, à la veille de la victoire donc , 6000 personnes se pressaient an centre Rogier – salle Léonard de Vinci – pour écouter Jean Paul Sartre dans une immense conférence organisée par le Comité pour la Paix en Algérie, le CUAC et le cercle du Libre Examen , présidée par Jacques Nagels – dirigeant militant des EC . Dans la salle,   Raoul Baligand , ancien commandant de l'Armée Belge des Partisans., assurait le service d'ordre.(5)
Signes de l'indissociable lien tout au long de ces années 60, entre la lutte pour la libération des peuples colonisés et la mobilisation antifasciste.
Signes aussi de l'indiscutable caractère de masse pris par la solidarité avec le peuple algérien.

Cet engagement aux côtés de Cuba , de l'Algérie ou du Congo de Lumumba devait aussi nous entraîner dans des discussions de fond , de type idéologique, sur le communisme.
Je me souviens en 1962 de ces discussions à la Cité Universitaire où nous nous posions la question  fondamentale : « comment se fait il que ce ne sont pas les partis communistes, qui en Algérie ou à Cuba sont à la tête de la lutte de libération »?
La plupart des Partis Communistes en Europe , dont le PCB, étaient surtout préoccupés, par la problématique de la guerre froide ,le risque de guerre nucléaire, l'opposition au réarmement allemand, la coexistence pacifique américano - soviétique et par toute les questions posées par la déstalinisation et l'annonce de l'instauration finale du communisme en Union Soviétique prévu pour 20 ans plus tard.
Nous avions eu un week - end de formation avec Ernest Burnelle, président du PC sur le XXIIème congrès du PCUS . En Avant , la revue des E C, organisait en ses colonnes, un débat « Spécial XXIIème congrès » sur ce sujet.

Mais inévitablement, l'intrusion de la « zone des tempêtes » dans notre engagement politique nous portait à la rencontre des thèses « chinoises », qui, dés 1962, étaient diffusées en français par « Pékin Information », au travers d'une dizaines d'articles d'un haut niveau, argumentés idéologiquement , qui allaient avoir une influence déterminante sur mes (nos) conceptions politiques.
Encore aujourd'hui, plus de 50 ans après, je pense en relisant l'un ou l'autre de ces textes comme « Les divergences entre le camarade Togliatti et nous », ou « Encore une fois sur les divergences... » que, pour l'essentiel , les thèses chinoises visaient juste, mettaient le doigt sur le courant droitier au sein du mouvement communiste, particulièrement en Europe, sur ce lent enfantement de l' « euro - communisme », qui allait,,quelques années plus tard, désagréger durablement la gauche révolutionnaire, à travers les positions du grand PC Italien de Palmiro Togliatti.
Toutes les grandes orientations idéologiques et stratégiques étaient abordées  et principalement la nature de l'impérialisme, la question de la guerre et de la paix et des armes nucléaires, les voies de passage au socialisme, la place des luttes de libération nationale.
« La population de ces régions d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine représente plus des deux tiers de la population du monde capitaliste. La montée constante de la marée révolutionnaire dans ces régions, la lutte entre les pays impérialistes, et entre les colonialistes et les néocolonialistes pour la possession de ces régions font ressortir avec force que là se trouve le point de convergence de toutes les contradictions du monde capitaliste, et l’on peut dire également que le foyer des contradictions mondiales est là. Ces régions constituent le maillon le plus faible de l’impérialisme, la source principale de la révolution mondiale actuelle qui bat en tempête. »(6)

Aux Etudiants Communistes, très majoritairement, nous nous retrouvions dans ces thèses chinoises, et tous les arguments des dirigeants du Parti, délégués à la cellule « Etudiants », qui se réunissait au 26 rue Saint Christophe, et regroupait une trentaine de membres, - et nous avions à faire à des dirigeants chevronnés, d'abord Jean Blume, puis Louis Van Geyt - ne pouvaient venir à bout de nos convictions si brillamment exposées par un Michel Graindorge, un Jacky Nagels, un Jacques Boutemy. (7)
C'est ainsi que je devins « pro chinois ».


1964 : MULELE, STANLEYVILLE , LE CONGO.

Première biographie de PIERRE MULELE
par LUDO MARTENS - fondateur du PTB
Le 24 novembre 1964, les parachutistes belge sautaient sur Stanleyville ,qui avait été proclamée , le 5 août 1964 capitale de la « République Populaire du Congo » , suite à sa libération par les « Simbas » (ainsi appelait on les résistants dits « mulelistes » de l'Armée Populaire de Libération du Congo, les rebelles)
En fait,dés juillet 1963, Pierre Mulele, compagnon de combat de Patrice Lumumba, et ancien ministre de l ' Education nationale de son gouvernement, avait formé dans la région du Kwilu, des cadres révolutionnaires ; et dans la nuit du 31/12 au 1/1/1964 , ils déclenchèrent la lutte armée, qui devait conduire en quelques semaines à la libération d'une grande partie de la région et à son extension à l'Est et au Nord du pays.

Le Conseil National de Libération du Congo (Léo), qui regroupait les forces politiques opposées à la mainmise sur le Congo par l 'alliance des colonialistes belges et des Américains avait proclamé le 3 octobre 1964 les objectifs de « restauration de la souveraineté des masses populaire, la reconquête de l'indépendance nationale, la restitution du patrimoine et des richesses nationales au peuple souverain et travailleur, la formation d'un gouvernement révolutionnaire, national et populaire »
Le 24 novembre fut une véritable opération de guerre, dans la plus pure tradition des guerres coloniales, camouflée comme il se doit en opération « humanitaire » pour sauver les « Européens pris en otages par des   rebelles sanguinaires ».
Et ce, en coordination avec les troupes gouvernementales de Mobutu, appuyées par des mercenaires au service de l'ancien ordre colonial, dont l'objectif était de reprendre Stanleyville d'abord, tout le Congo ensuite.
C'est Spaak, ministre des Affaires Etrangères et homme fort du Parti Socialiste, qui est à la manoeuvre, appuyé par le président américain Johnson.C'est  Moïse Tschombe, l'assassin de Lumumba,  marionnette commune pour un temps des Américains et des Belges , qui est "Premier ministre" du gouvernement de Léopoldville! 

Le jeudi 26 , tous les cercles politiques étudiants de gauche de l'ULB, (fait assez rare pour le souligner , et preuve que des accords sur des actions précises étaient possibles) se mobilisent et partent en cortège depuis le Solbosch vers la place Flagey, lieu de rassemblement d'une manifestation .
Manifestation courageuse tant le déferlement de propagande à la gloire des paras était puissant , et tant aussi la mobilisation d'extrême droite des nostalgiques du Congo de papa était forte.
La place Flagey était occupée par les fachos, hurlant « à mort les cocos… les cocos à Moscou » et déjà, ça se castagnait dur ! Des camarades étaient blessés. Il nous fallut nous replier ...
Mais ce n'était pas fini !
A quelques centaines peut être, mais, en janvier 1965, à l'issue d'un courageux meeting syndical CGSP Enseignement et Gazelco, nous manifestions quand même, en ville, contre l'intervention militaire au Congo. Certains scandaient : « Mulele, Mulele »
Et tenaces, nous organisions du 8 au 12 mars 1965, à la Cité Universitaire une « Semaine Congo », avec exposition, conférences et spectacle.
Et puis , quelle fierté de lire la rubrique Congo dans le journal « La Voix du Peuple », loin d'être pourtant une perfection journalistique, mais rare voix en Belgique , à soutenir Pierre Mulele et les combattants du Kwilu ; son rédac - chef, Arnold Hauwaert, allait aussi interviewer aux frontières du Tanganika, Laurent Kabila, alors dirigeant des maquis révolutionnaires du Front de l'Est, ceux là même auxquels Che Guevara – on l'apprendra plus tard - s'était joint.
Congo 1964- zones libérées
Quelle fierté le 17 janvier 1966, de rendre hommage, dans la salle Claridge à St Josse, à Patrice Lumumba, 5 ans après son assassinat, avec en prime un tour d'horizon par un révolutionnaire congolais, de la lutte de guérilla menée là bas sur les différents fronts.
Et un spectacle du Théâtre Populaire de Bruxelles , qui chantait une chanson de là bas: « Terre de mes ancêtres, Congo bien aimé, je courberai, oui je courberai, je courberai toujours devant toi ...»
Quelle émotion, fondée sans doute aussi sur tellement d'illusions, en voyant ces images de combattants dans la brousse, et ces cartes du « Congo libéré ».
Je nous vois encore faire barrage à la sortie pour aider à exfiltrer le camarade et empêcher son interpellation par les BSR ; je les vois, dans leur gabardine, courir en vain sur le trottoir, alors que les voitures s'égaillaient. Leur seul butin fut mon numéro de plaque, ce qui me valut une visite domiciliaire quelques semaine plus tard.

VIETNAM : « FNL VAINCRA »

Mais c'est la guerre révolutionnaire du peuple vietnamien qui allait éveiller la jeunesse du monde entier , la mobiliser, non plus seulement en mode « minorité agissante », mais bien par de larges mouvements et des manifestations massives.
Ce sera un des ferments des plus tenaces des mouvements de 67-68 -69 dans les écoles et les universités.
Le soutien sans réserve au FNL du Sud Vietnam matérialisé par « l'appel du 20 juillet » en 1964 est au départ un des points forts .
Cet appel avait été soutenu par de « grandes » signatures : Baron Allard, Camille Huysmans, le professeur Brien, Germaine Hannevart, le peintre Roger Somville, le sculpteur Frans Masereel, l'écrivain David Scheinert, Georges Dobbeleer ( dirigeant JGS) ,le syndicaliste Jacques Yerna etc.
Preuve qu'il était possible de rassembler largement sur le programme des Vietnamiens eux – mêmes:  « le respect des Accords de Genève du 20 juillet 1954, la cessation de l'agression US et le retrait de toutes les troupes américaines du Sud-Vietnam, la réalisation de l'indépendance, de la démocratie, de la paix et de la neutralité du Sud Vietnam, la réunification pacifique du Vietnam. » (8)

En Belgique, comme dans de très nombreux pays, et ,en premier lieu les Etats - Unis eux mêmes, le mouvement contre la guerre du Vietnam se développe . Beaucoup de gens sont choqués des images qu'ils voient à la télé : bombardements sur le Nord, napalm sur les villages du sud, défoliants sur les cultures et forêts.
Autre fait non négligeable dans l' évolution hostile à la guerre de l'opinion publique, les prises de position de la France et du président De Gaulle:
«  il n'y a, d'autre part, aucune chance pour que les peuples de l'Asie se soumettent à la loi de l'étranger venu de l'autre côté du Pacifique, quelles que puissent être ses intentions et si puissantes que soient ses armes."
La solidarité Vietnam deviendra peu à peu centrale , portée avant tout par le combat des Vietnamiens eux mêmes et par l'hostilité croissante dans la population à la sale guerre américaine.
Elle deviendra centrale dans les marches anti atomiques , par delà le manifeste officiel des organisations traditionnelles, dés celle du 28 mars 1965, qui se termina par une montée en masse jusqu'à l'ambassade US.
De plus en plus aussi, surtout dans la jeunesse, la simple exigence de paix évolue vers un soutien politique au programme des combattants vietnamiens, organisés dans le Front National de Libération du Sud Vietnam.(FNLSV).
Nous chantions leur hymne : « Libérons le sud , camarades » nous diffusions leur journal : « Le Courrier du Vietnam » ; célébrions leurs héros – Nguyen Van Troy  - fusillé à Saïgon en 1964; nous nous engagions à partir là bas- en « brigades internationales » - s'ils nous le demandaient.
Au mot d'ordre de « Paix au Vietnam » se substituait de plus en plus celui de « US Go Home » et « FNL vaincra »

J'ai inventorié, rien que pour le 1er semestre 1967, les manifestations, certaines minoritaires et radicales, visant directement les représentants de l'ambassade ou du gouvernement US ..
  • le 27 janvier 1967, à l'ULB, un auditoire plein à craquer - plus d' un millier d'étudiants- empêche Kaplan sous secrétaire d' Etat américain , invité par un Cercle du Libre Examen pusillanime de défendre sa politique. Le drapeau du FNL est brandi.
    Pendant une semaine nous avions mobilisé toute la communauté universitaire, à travers des discussions acharnées, où au « Kaplan ne parlera pas », nous était opposée la sacro - sainte liberté d'expression, dans la « maison du Libre Examen ».
    Les positions se clivaient entre une gauche radicale et les « libre exaministes » de gauche ou de droite, mais, le jour dit, le représentant US a dû s'esquiver, et la réponse classique est alors venue de l'extrême droite ( dont des étudiants sud vietnamiens pro - yankee) : mise à sac des locaux, autodafé des livres  et brochures  « communistes , passage à tabac de militants»
    Mais Kaplan n'avait pas parlé !

  • 27 janvier 1967: ULB   -  KAPLAN NE  PARLERA  PAS!

  • À Bruxelles, le 9 février, le secrétaire d'ambassade Floyd est conspué à l'occasion d'une conférence « contradictoire » place Rogier, organisée toujours par un coriace cercle du « Libre Examen ».A la tribune, pour dialoguer avec Foyd, une présence incongrue : Pierre Joye , renommé dirigeant du PC. La police intervient, et expulse les perturbateurs. J'en étais, faut-il le dire ?
  • A Haine Saint Pierre, un mardi soir de mars, le même Floyd se heurte à une manifestation de plus de 800 personnes mobilisés derrière le drapeau du FNL sud vietnamien. Ce « débat » organisé à l'initiative du CLEO socialiste ( Cercle local d'éducation ouvrière) devait opposer Floyd à Ernest Glinne (député PSB, réputé « de gauche ».)
    « En 1 heure de temps, la place de Haine Saint Pierre était noire de monde ; on devait être autour de 800 personnes, qui tapaient sur des casseroles pour se faire entendre.
    La place était bouclée par la police et des fourgons de gendarmerie.
    A l'intérieur de la salle, l'ambiance est chaude : quand Floyd est arrivé, il est couvert de huées et de cris. La police sort les matraques . Coups et résistance s'ensuivent, presse et TV avaient déjà depuis longtemps replié leur matériel, par peur de la casse !
    Le débat est annulé par le bourgmestre d' Haine Saint Pierre ! Floyd n'a pas parlé. » (9)
  • Le 9 avril , le vice président américain Humphrey lui même - Johnson étant le président- fut accueilli lors d'une cérémonie au Soldat Inconnu par des centaines de projectiles de tout genre (oeufs, tomates, oranges,farine, légumes pourris) 
  • les 6 et 13 mai, dans les magasins « l'Innovation », des jeunes militants des Comités d'Action distribuent des tracts , lancent des papillons et défilent dans le magasin, parmi les rayons, en tee shirt marqués « US GO HOME » « FNL vaincra ».  Ils protestent contre une « Quinzaine américaine » commerciale sponsorisée par l 'Ambassade. Le 22 mai un violent incendie embrasait le magasin faisant 235 victimes dont 67 membres du personnel. Une provocation policière visant à criminaliser les militants anti impérialistes ( perquisitions et arrestations ) s' effondra en quelques jours comme un château de cartes.(10)
ULB  : Exposition Vietnam des Etudiants Communistes ( pro chinois)
Toutes ces actions étaient des actions politiques , s'inscrivant dans un mouvement mondial d'opposition radicale à la guerre américaine au Vietnam.
Elles étaient radicales , et rompaient en effet, avec un certain consensus mou de dialogue bien poli et bien convenable avec les représentants américains.
Elles s'affrontaient, bien sûr, aux interventions policières, sans que jamais la violence ne fut de notre côté; à ma connaissance, aucun militant, en cette année 1967, ne fut poursuivi et condamné devant les tribunaux pour violence contre agent, ou pour tout autre acte de violence contre des personnes.
Par contre, nous  étions nombreux à avoir passé quelques heures à l' Amigo (commissariat central de Bruxelles) pour arrestation administrative.
Elles s'opposaient aussi, à l'époque, à l'atlantisme toujours présent au sein du Parti Socialiste Belge , et aussi à une certaine conception du « dialogue Est - Ouest », de la coexistence pacifique et de la priorité absolue aux négociations de certains dirigeants du Parti communiste.
Cette opposition radicale était sans doute marquée de notre côté par beaucoup de sectarisme, d'injures et d'anathèmes.
Mais , d'autre part, ces actions récoltaient encore et encore, l'adhésion des jeunes , dans les écoles, qui créaient des Comités d'Action Anti impérialistes de Jeunes., patronnés par l' APIP ( Action pour la Paix et l'Indépendance des Peuples) (11)
Personnellement, cet engagement militant aux côtés du Vietnam combattant , 50 ans après, je le revendique toujours et j'en suis toujours fier.
Ajoutons y, pour être complet et coller à l'actualité de 2018, les premières actions de solidarité avec le peuple palestinien et les premiers affrontements avec l'extrême droite ( toujours elle, sous diverses formes, et dans ce cas ci, l'extrême droite sioniste).
Lors de la guerre des 6 jours, en juin 1967, attaque israëlienne contre ses voisins arabes, lors d' un meeting à l'ULB, organisé en commun avec des étudiants arabes, lorsque le communiste R. Raindorf, rescapé d'Auschwitz, exhiba son numéro de déporté tatoué sur son bras , sous les cris et les insultes  de "traître",  chaises et projectiles divers lancés vers les orateurs traversèrent la grande salle de la Cité!

Dans la même période, de puissantes manifestations avaient lieu à Bruxelles , regroupant toutes les tendances de la solidarité avec le Vietnam, du pacifisme à l'anti - impérialisme:
le 4 mars et le 23 avril 1967, lors de la Marche anti- atomique ( et anti- impérialiste ) , rassemblant 20000 jeunes et moins jeunes .
La solidarité avec le Vietnam, et la rupture avec l'OTAN, qui s'installe cette année là à Evere et Casteau sont au centre des mots d'ordre de ce qui aura été une des marches les plus combatives, conclue par un meeting anti impérialiste autonome dans une salle de la Madeleine pleine.
Et c'est en mars 1968, au lendemain de l'offensive du Têt au Vietnam, qu'une de plus grandes manifestations ( 20000, 30000?) se déploie dans les rues de Bruxelles

2 MARS 1968: une des plus grandes manif VIETNAM :nous sommes montés à l'Ambasssade  US

"Le Soir" du 5 mars 1968 écrivait:
"Huit mille manifestants, selon la police, le double selon nous, vingt milles selon les organisateurs. Quel que soit le chiffre exact, la « Marche pour le Vietnam » qui a parcouru, samedi après-midi les artères centrales de Bruxelles est l’une des plus imposantes manifestations qu’ait vues notre capitale.
Deux heures de défilé interminable sur les boulevards Lemonnier et Adolphe Max. Des milliers de calicots, pancartes, affichettes, non seulement en français et en flamand mais aussi en espagnol, en allemand et grec.
Des centaines de drapeaux non seulement vietnamiens mais aussi portant le nom de lycées, athénées où des « comités-Vietnam » ont été constitués par les élèves. En tête du cortège, derrière les membres du Bureau et de la Commission politique du Comité national Vietnam, personnalités politiques ou autres représentants toutes les tendances de l’opinion, deux drapeaux belges tenus par d’anciens combattants.
Des ballons rouges portant l’inscription « Pax Vietnam », un extraordinaire «orchestre de gongs ».
Des milliers de femmes, d’hommes jeunes, moins jeunes, venus de tous les coins du pays marchant en silence ou bien criant des slogans, chantant, vendant des journaux, distribuant des tracts, mangeant des tartines ou des frites"

En fin de cortège le groupe de percussion marquait le tempo, et à la place de replier les calicots, nous avons continué par le Botanique jusqu'à l'ambassade.
La police a été complètement prise au dépourvu: ce dimanche là, j'ai vu des policiers prendre le tram pour rejoindre leurs collègues.
C'était 2 mois avant Mai 68, c'était déjà Mai 68 !

 A suivre MON LONG MAI (2) : LE CAMP DES TRAVAILLEURS

CALICOT  ROGER SOMVILLE - MAI 1968

NOTES 

2. Années 60 : pays et régions en lutte politique et armée contre l'impérialisme et les gouvernements à leur service : Cuba, Algérie, Congo( Léo), Angola, Mozambique, Guinée Bissau et Cap vert, Cameroun, Afrique du Sud , Vietnam, Laos, Birmanie, Bolivie, Perou, Brésil, Venezuela, Colombie , Guatemala, Rép. Dominicaine, Palestine, USA ( mvt des Noirs américains) ...et bien d'autres
3.Sur ces années à l'ULB voir José Gotovitch: Chronique des années ULB : Le Cercle des Etudiants communistes 1956-1961. Liber Amicorum Daniel Rochette Annales du Cercle d’Histoire, d’Archéologie et de Folklore du Comté de Jette et de la Région – a. s. b. l.
5.Jacky Nagels s'était engagé aux côtés du FLN algérien et avait été arrêté à la frontière française , transportant le journal clandestin  « Vérités pour » du réseau Janson. Et ce malgré l'interdiction de pareil engagement par le Parti Communiste, dont il était membre.
voir sur cet épisode "algérien" des EC  :José Gotovitch Chronique des années ULB...op cité 
6."Encore une fois sur les divergences entre le camarade Togliatti et nous" Hongqi" n° 3-4 1963 Editions en langues étrangères -Pékin- 1963
7. Jacky Nagels (1939-2014) était alors secrétaire politique des Etudiants Communistes de Bruxelles. Sous son impulsion, nous avions organisé en décembre 1962 une exposition à l'ULB: "La Chine, un pays qui n'existe pas" Il fut un des plus avisés critiques des positions "kroutchéviennes" dans la cellule Etudiants, se basant sur une solide formation marxiste. Il refusa néanmoins en juin 1963 de se rallier à la dissidence de Jacques Grippa .
Jacques Boutemy: avait rédigé, avec la cellule "Etudiants" des contre thèses sur la coexistence pacifique. Membre du Comité central du PC prochinois jusqu'en 1966. Victime rebelle d'une des vagues d'exclusion successives qui menèrent ce parti à sa désagrégation.
8. Appel du 20 juillet : APIP n°1 – 1ère année Mars 1965
9.Témoignage de Damire Deschreyer 2017
11.APIP "Action pour la Paix et l'Indépendance des Peuples" 1964-1968
Organisation fondée en mars 1965 , par des personnalités militant pour la paix, comme Antoine Allard, l'abbé Carette , Germaine Hannevart, Yvonne Jospa, Emile Cavenaille et des militants du Parti communiste pro chinois ( tendance Grippa.)
Active au départ surtout au niveau international dans des conférences internationales, ( Gensuikio pour l'interdiction des armes atomiques , conférence de Djakarta,) elle connaîtra un essor certain, avec les premières actions contre la présence de bases de l'OTAN en Belgique -Florennes 1965 , puis la solidarité avec le Vietnam.
Sous l'impulsion de sa secrétaire Jeanne Vervoort, elle se développa dans la jeunesse en impulsant dans les écoles et les quartiers des Comités d'action anti impérialistes .Très active dans la préparation des Marches anti atomiques;Sa désagrégation en 1967-1968 accompagnera la désagrégation du parti communiste pro chinois dirigé par Jacques Grippa.



mardi 1 mai 2018

GRANDES FIGURES DE CHEZ NOUS: ET , A LA SAINT SYLVESTRE 1943, LES PARTISANS ARMES LIBERERENT LA PRISON DE HUY

                                                                                                                                                                (photo , non de la PRISON de Huy, libérée le 31/12/1943, mais de la ronde des détenus, prisonniers des nazis  au FORT de Huy. Photo prise clandestinement et diffusée par "Solidarité", la Croix Rouge du Front Wallon. (Coll. IHOES Seraing)

(...)

SON FRERE, VICTOR THONET
« Dans sa cellule, Micheline Thonet pleurait la mort de son frère Victor, un partisan intrépide, chef du corps de Charleroi, capturé, évadé, entré dans la gloire à travers des sabotages et des exploits fabuleux, blessé dans une rencontre, conduit à Saint Gilles et à Breendonck, torturé , fusillé.
Micheline Thonet pleurait son beau-frère et sa belle-soeur, Marcel et Mariette Verstichel, déportés dans les lointains camps de concentration où la neige n'arrivait pas à couvrir décemment tous les cadavres.
Micheline Thonet pleurait l'absence de son père illégal depuis le 22 juin 1941, membre du Comité central du Parti Communiste, traqué sur toutes les routes de Belgique, inlassable militant qui organisait les forces clandestines dans des cités inconnues qu'obscurcissaient les fumées rouges des usines de la collaboration.(1)
SA   MAMAN :CELINIE LECHARLIER 
Micheline Thonet pleurait la solitude de sa mère, une femme du peuple douce et vaillante que rien n'avait pu abattre, ni les angoisses, ni un séjour au fort comme otage, ni le départ de son mari dans le maquis, ni l'héroïque sacrifice de son fils.
Micheline Thonet pleurait sa famille dispersée, sa liberté perdue. Elle mêlait ses sanglots aux larmes de la patrie outragée, des millions de mères endeuillées, de l'humanité meurtrie, des peuples blessés, des nations dévastées . Larmes de douleur et de colère. Larmes de mépris et d'horreur. Larmes d'espoir et de courage. Larmes qui exprimaient le présent, fécondaient l'avenir. Larmes des déchirements et des combats : sources mêmes de la victoire.
Un monde naissait dans les larmes.(...)

Clovis se leva et annonça : « Rendez vous demain à 5h30 au Phare. Amenez le plus d'hommes qu'il vous sera possible. Apportez toutes les armes disponibles. Bonne chance ! »
Robert rentra. Mauvaise journée, bonne soirée. Germaine remarqua le sourire en coin de son mari, mais elle l'interrogea en vain.
- »Réveille moi à 4 heures » demandait ce dernier.
La nuit passa sans incident.Des escadrilles volaient bas dans le ciel grondant.
Micheline Thonet rêvait d'une libération miraculeuse. Entre deux alertes aériennes, les projecteurs du Fort de Huy balayaient la cour où tournaient les rondes quotidiennes des prisonniers.
Dans les salles, des centaines d'otages, de résistants, de détenus français et belges luttaient contre les punaises et les mauvais rêves.
Le violoncelliste Caraël, secrétaire politique de la Fédération ,appréhendé à l'arrêt du vicinal, le jour même de son arrivée à Huy, pensait aux militants traînés dans la nuit nazie, cette nuit qu'il fallait soulever de cette Europe livrée aux barbares.(...)

Préparation la veille au café Piette  ; 1er rendez vous rue Neuve ; 2ème rendez vous  rue des Augustins; Objectif prison 6h30
A la boucherie, l'assemblée était nombreuse. Clovis était toujours absent, mais dix- neuf maquisards, la plupart mariés étaient descendus des collines de Hesbaye et du Condroz: François, Janssen, Ruisseau, Linsmeau, Muselle, Delizée, Burlet, Risko, Potty, Alexandre, Mossoux.
Entouré de cette troupe , comme un général de son état-major, Ali distribuait les missions. Les ordres étaient formels : autant que possible éviter les effusions de sang, les coups de feu.
Si quelqu'un n'était pas sûr de lui même, il pouvait se retirer. L'équipée était terriblement sérieuse. Personne n'était obligé d'y participer : c'était l'affaire de volontaires. Mot de passe : Ali.
On partit à la file indienne ; Le quartier où se dressait les hauts bâtiments des écoles d'enseignement moyen était désert.
Partout , le silence de la nuit et en poche, l'acier du revolver. D'instinct, les doigts se fermaient sur les crosses. L'un et l'autre, les partisans rasaient ces murs de pierre grise (...)

A quelque distance du Palais de Justice, qui écrase la prison de sa masse lourde de dignité, on se concerte au sujet de l'attaque imminente, Wolters partit sonner à la porte d'entrée ; C'était l'heure où il prenait son service.
Un geôlier, nommé Robert , domicilié à Oteppe, , devait selon les conventions ouvrir les battants de chêne . Au moment psychologique, Wolters sifflerait, allumerait une cigarette : signal de l'assaut à déclencher.
Effectivement, Wolters fit craquer une allumette. Il entendait s'approcher des pas, tomber des chaînes, grincer des verrous.Les partisans s'approchèrent sans bruit. Ils étaient un petit groupe perdu dans la nuit. Le coeur battait la charge et le sang se glaçait dans l'attente.
La porte tourna sur ses gonds. Malheur, un boche, clefs en main regardait Wolters stupéfait, pris de panique.

Plan de la prison griffoné par le surveillant WOLTERS publié dans
Nicolas Parent: "L'entité de Wanze durant la 2ème guerre mondiale"
La situation était grave : toute hésitation serait fatale, déterminerait l'échec de l'entreprise. Un partisan bondit à la gorge du fridolin et le terrassa. D'un élan, la brigade
pénétra dans le corridor, repoussa la grille, déferla dans la prison.
Les assaillants firent irruption dans le corps de garde allemand. Un bref vacarme, une courte bagarre s'ensuivit. Les nazis en pan de chemise ou en caleçon s'éveillaient en sursaut, se levaient en désordre. Ils furent maîtrisés sans peine. Un rouquin à tête de Prussien esquissant un geste de défense fut assommé à coups de crosse de pistolet. La crosse se brisa sur le crâne du bonhomme. La place était conquise.
Pas tout à fait. Un maquisard arrachait le fil du téléphone , un autre détruisit le dispositif d'alarme.
A l'étage deux copains s'approchaient de la chambre occupée par le seul fridolin qui ne fut pas encore capturé. On entendait remuer le boche qui s'inquiétant du charivari, ouvrit sa porte , pistolet au poing ; Déjà Mario lui avait saisi le poignet, et grâce à une torsion sans douceur faisait tomber l'arme.(...)
Il n' y avait pas de temps à perdre. Dans vingt minutes, la relève serait sur place.
Il fallait libérer les prisonniers, sans perdre une minute , et vider les lieux.
Des cellules, fusaient des cris de joie, des appels angoissés :
- »Ouvrez, je suis réfractaire. Ouvrez, je suis en danger de mort. Ouvrez, nous sommes des patriotes, les Boches veulent notre peau ; Ils nous fusilleront . De grâce, ouvrez, ouvrez, ouvrez ... »
Ali possédait le trousseau de clefs ; En principe, seuls les détenus politiques devaient être délivrés. Les criminels de droit commun, c'était dangereux de les jeter par dizaines sur la voie publique.Mais comment faire la discrimination? Derrière les portes verrouillées, tous les captifs criaient leur innocence, le grand péril qui les menaçait.
Les voix suppliaient, jubilaient, clamaient le bonheur, la surprise, la fraternité, chantaient la liberté toute proche.
Pouvait on la refuser à cet adolescent, qui frappait désespérément les parois de son cachot, à cette femme qui hurlait la peur d'être oubliée ? Ne laisser aucune de leurs victimes aux mains des nazis,là était l'essentiel. La police s'occuperait du reste. Elle avait des loisirs.
Chaque seconde exposait les partisans au massacre . Ali ouvrit toutes les cellules, ouvrit toute
grande la voie de la liberté à ces êtres écrasés par le destin, voué aux ignominies et aux supplices. Ils étaient toute une cohue à renaître à la vie, à délirer d'enthousiasme,à fêter les libérateurs.
Au bout du couloir, sous bonne escorte , les garde-chiourmes, bras levés, verts comme leur défroque, livides de peur et de honte .Ali enferma à double tour, au fond d'une cellule, cette racaille immonde et humiliée.
Sans plus de retard, on évacua la prison.
Un groupe se dirigea vers les Golettes, par la rue d'Italie, battit en retraite par les venelles à flanc de coteau, le long des prés et des venelles boisées.
Le second se rendit à Tihange, se dispersa au passage d'eau. Le troisième qui emportait les fusils des fridolins, monta les Crépalles, le chemin de la Sarte.
A vrai dire, ces gens armés jusqu'aux dents avaient l'air d'une bande de brigands partant en expédition.En tête, marchait Janssen, tout fier des encombrants trophées qu'il ramenait avec ses camarades.
Plaine de la Sarte, survint un boche galonné. Peut être revenait il d'avoir été coucher avec sa belle.Devant ces civils armés, il ne perdit point son sang froid. Il saisit son pistolet.
On n'avait pas le choix ; On l'abattit avec le seul regret de donner prétexte par cette exécution aux représailles des Kommandanturs furibondes .
L' hitlérien avait une bobine réjouie de bourgeois d'Outre Rhin.Il ne paraissait pas bien méchant et semblait appartenir à une excellente famille.
On trouva dans son porte feuille deux photos : le glorieux soudard près d'un arbre garni de pendus, le même guerrier distingué devant un mur au pied duquel gisaient les corps troués d'un lot de fusillés. (2)

Extraits de : André Glaude  ; « Brigades spéciales  - La libération de la prison de Huy » pp 154-161 Editions « Arc-en-ciel de Wallonie » 1947

J'ai retrouvé , il y a quelques jours ce petit livre du romancier André Glaude , lui même résistant dans le groupe d'entraide du Front de l'Indépendance de Huy Waremme , Solidarité, et rédacteur de son bulletin « L'Entr'aide ».
Il en avait dédicacé un exemplaire à mon père Arthur Tondeur , lui même rescapé de Breendonck et résistant de la presse clandestine.
Et heureuse surprise , j'y redécouvre le récit de la libération de la prison de Huy !
Dans son introduction, il précise bien : « Les récits des Brigades spéciales  sont véridiques. L'imagination de l'auteur n'est intervenue que dans le choix et l'agencement des épisodes relatés..»
Quel plus bel hommage  à ces courageux Partisans du Front de l'Indépendance que de relater ainsi dans les détails, comme si c'était un film, avec en plus le talent narratif de l'écrivain, cette action hors du commun.(1)


LA RESISTANTE MICHELINE THONET, SAUVEE DE LA MORT

Un-e des résistant-e-s emprisonné-e-s et sauvé-e-s de la mort est Micheline Thonet ,la fille de Joseph Thonet (1) connue aujourd'hui sous son nom de femme mariée, Micheline Bastianelli.
Elle a aujourd'hui 92 ans. 

Interviewée en 2010 par un journaliste de « L'Avenir », elle témoignait :
"C'est en mémoire de son frère Victor, fusillé en 1943, que Micheline Thonet est entrée dans la Résistance. Elle avait à peine 18 ans!
-- Le journaliste :Qu'est-ce qui vous a décidé, à votre tour, à entrer en résistance?
Micheline Thonet épouse  Bastianelli
Quand j'ai appris que mon frère Victor, avait été fusillé Ce n'était pas de la vengeance mais je voulais faire quelque chose en mémoire de mon frère. J'ai été contacté par Gustave Opitom, un facteur qui avait formé un groupe Front de l'Indépendance.
Notre Q.G. était installé au Continental, le café de mon oncle installé place du Tilleul à Huy. On m'a fait une fausse carte d'identité. J'avais à peine 18 ans. Mais je n'ai pas eu le temps de faire grand-chose car en novembre 1943, Gustave Opitom a été arrêté. Les Allemands ont pu alors remonter jusqu'à moi. Ils m'ont arrêté le 28 novembre à 5 h 30 du matin. Je suis restée 33 jours à la prison de Huy. Jusqu'à ce que les Résistants viennent me libérer.
Micheline Thonet, détenue alors depuis un mois, se souvient de ce matin-là. «Depuis 33 jours, j'étais nourrie de pain sec et de soupe infecte. J'étais avec une autre jeune fille prise en même temps que moi. Chacune isolée dans une cellule. Régulièrement, je subissais des séances d'interrogatoire. On me questionnait sur mon père pour savoir où il était.
Puis le 30 décembre, grâce à la complicité d'un gardien allemand qui me transmettait du courrier, j'ai reçu un message de ma mère. Elle disait : "l'accouchement de la cousine aura lieu le 31 au matin ". J'ai compris qu'il allait se passer quelque chose».
Bien avant le lever du jour, Micheline est donc habillée et prête à partir. 
«Le gardien allemand regarde par l'oeilleton et se demande pourquoi je suis déjà habillée. Quand il est entré dans la cellule on a entendu du bruit dans les escaliers et les Résistants ont fait irruption.»
La rapidité et l'audace du commando hutois prennent les Allemands de court. Les résistants libèrentleurs camarades et les deux jeunes filles. Dès la sortie de prison, le groupe se sépare et Micheline se retrouve livrée à elle-même.
«Je me suis cachée près du magasin Bouchat, dans l'entrebâillement d'une porte. Puis après un moment, je suis retournée chez ma soeur en face de la clinique. Le jour même, je suis partie à Marchin. J'utilisais les petits chemins de terre car il y avait des contrôles à la sortie de Huy» .
La jeune femme se fait décolorer les cheveux en blond et part ensuite à Liège. Mais repérée par les Allemands, elle devra prendre la fuite une ultime fois vers les Ardennes où elle attendra la Libération."(2)

L'Avenir 8/11/2010





UNE OPERATION DU FRONT DE L'INDEPENDANCE.

L'opération a été organisée sous la direction du Commandant JOSEPH PRUVOT (Roland)
1ère page du rapport PRUVOT du Front de l'Indépendance
commandant du corps 012 de Huy-Waremme-Andenne-Ciney de novembre 1943 à avril 1944.
« En novembre 1943, mon adjoint DELISEE me signala que la mère de notre ami Victor Thonet voudrait me voir au sujet de sa fille , Micheline , qui était à la prison de Huy. Elle voulait savoir si les Partisans ne pourraient faire une action pour la délivrer.
(...)Vu la détresse de notre camarade, mère d'un commandant des partisans, fusillé par les Allemands le 20 avril 1943, je pris sur moi la responsabilité de faire exécuter l'opération , malgré tous les dangers que cela comportait .
La brigade du commandant Ali fut contactée, vu qu'elle avait aussi des hommes en prison. Ali fut désigné comme commandant de l'opération » (...) (3)

C'est au café Piette à Statte ( coin de la rue Dubois et de la rue de la Gare ) que l'opération fut organisée par 5 responsables du Front de l'Indépendance: Alexandre Demoulin (Clovis) et Joseph Delisée (Robert ) du FI - Huy, Adolphe Ruisseau ( Alfred) du FI - Huccorgne,  Xavier François ( Ali) du FI- Villers le Temple et Edmond Wanzoul (Walter) du FI – Oteppe.
Les partisans bénéficiaient de la complicité de 3 surveillants de prison, anciens militaires affectés aux tâches de surveillance des détenus de droit commun en prison.
 (Alfred) faisait partie du commando
L'un d'eux avait fourni le plan de la prison, et allait se présenter à la porte « pour prendre son service » alors qu'un autre lui ouvrirait . Moment  choisi alors par le commando pour faire irruption dans la prison.
N'oublions pas non plus la complicité du passeur d'eau d' Ampsin, fondamentale lors de la retraite .
17 hommes en tout furent mobilisés en quelques heures , avec comme condition d'avoir plus de 30 ans, venant de Huy, Huccorgne, Moha , Vierset -Barse,  Villers le Temple, Seraing et même Nivelles. Tous du FI à ce moment là.Après le débarquement , cependant,  certains rallièrent l'Armée Secrète, mieux armée.


LOUIS MANNE (Willy)     
 (Mario) faisait partie du commando
Ceux du côté Mehaigne se retrouvent en 1er rendez vous au café « Le Phare » Rue Neuve ( aujourd'hui le « Rive Gauche ») puis passent le pont , gardé par des soldats allemands , et retrouvent les autres à la boucherie Oppitum, rue des Augustins (aujourd'hui, Patisserie Degard)
Edmond WANZOUL ( Walter)
 ( faisait partie du commando)



De là, par la rue Chapelle ils débouchent en face de leur objectif.

Jules Linsmeau (Mario) de Moha, par ailleurs raconte : « Le 30 décembre au soir, je rçus la visite de mon ami Adolphe Ruisseau, qui sortait d'une réunion où il avait été décidé d'une action contre la prison de HUY.
Le 1er, plusieurs prisonniers politiques devaient être dirigés vers Liège, probalement pour y être fusillés
Il n'attendit pas ma réponse et me déclara que, si j'acceptais, je devais me trouver au petit matin au café du Phare, rue Neuve » (4)

Opération d'éclat qui si elle a sauvé la vie de nombreux résistants a aussi donné de la force et de la détermination aux combattants de l'ombre , a renforcé la confiance de la population en la Résistance, capable de remporter des victoires ,  dans la perspective de l'insurrection nationale pour bouter hors  du pays l'occupant.
Mais hélas, plusieurs de ces courageux hommes de chez nous, seront arrêtés, certains dont le chef Ali , y laisseront leur vie.
Hommage leur soit ici rendu .

FORT  ET  PRISON DE HUY
Dès septembre 1940, le fort devint un camp de détention pour civils belges et étrangers et ensuite un bagne où séjournèrent plus de 7 000 opposants au régime de l'occupant, soit plus du double de détenus qu'à Breendonk. On y compte 1 240 français et de nombreuses autres nationalités. Il y eut également une centaine de femmes détenues dans le Fort. Les interrogatoires se passaient à la Kommandantur, dans le bâtiment actuellement occupé par l'Atelier Rock, quai Dautrebande. 
Les prisonniers réputés plus dangereux ou devant être soumis à un régime plus strict étaient enfermés à la prison de Huy, ce qui lui vaut aujourd'hui le nom de rue de la Résistance. 
Au Fort, on compte dix personnes qui y moururent de mauvais traitements et cinq y tombèrent sous les balles du peloton d'exécution.

FRONT  DE L' INDEPENDANCE  ET  PARTISANS  ARMES
Dans la région HUY WAREMME, comme dans la plupart des autres régions, la plus importante des organisations civiles de Résistance est le FRONT DE L' INDEPENDANCE.
En août 1941 avait été fondé à LIEGE, dans une taverne de la  rue des Guillemins, le « FRONT WALLON POUR LA LIBERATION DU PAYS » sur l'initiative de Théo Dejace, communiste représentant les intellectuels antifascistes, Jacques Thiriard pour les "anglophiles" et Eugene Duchesne de "Wallonie Libre" .(5)
Ils créent le journal « LA MEUSE » (aucune paternité avec le quotidien actuel) et appellent à Verviers, Huy, Visé, Arlon et Charleroi au regroupement des patriotes autour du Front Wallon.
Parallèlement, en mars 1942, est convoquée à Bruxelles une « Première Conférence Nationale du FRONT DE L'INDEPENDANCE », front créé initialement sur proposition du Parti Communiste et fondé par le docteur Marteaux, l'abbé Boland, et le journaliste Fernand Demany.
Le Front Wallon représenté à cette conférence, fusionnera en septembre 1942 avec ce qu'on nommera par ses initiales , le FI.
Le Front de l'Indépendance veut unir tous les patriotes, par-delà les clivages idéologiques, il mène campagne contre l’occupant, pour le châtiment des collaborateurs, pour la défense des libertés constitutionnelles et pour le soulèvement national.
Les Partisans Armés, groupes de lutte armée constitués d'abord comme bras armé  du Parti Communiste ,sur base notamment de combattants des Brigades Internationales, comme Raoul Baligand et Victor Thonet, deviendra sous le nom d 'Armée Belge des Partisans l'organisation militaire , sévèrement cloisonnée, du FI.
Elle a pour tâches de désorganiser les communications de l'ennemi, saboter la production qui le sert et mettre hors d'état de nuire les traîtres et collaborateurs.


NOTES
(2)André Glaude  ; « Brigades spéciales  - La libération de la prison de Huy » pp 154-161 Editions « Arc-en-ciel de Wallonie » 1947
(3)L'Avenir 8/11/2010
(5)Jean Jamart :  "La Résistance dans la région de HERON - WANZE" -  PAC HERON  1998
(6)"Sur la Résistance au fascisme 1940-1945 Le Front de l'Indépendance"
      Dans la région de Liège Ourthe Amblève IHOES 1993
(7) Plan publié dans
 Nicolas PARENT "L'entité de Wanze durant la 2ème guerre mondiale"Administration communale de Wanze sd  p73