vendredi 1 février 2019

FONS MOERENHOUT A 90 ANS : MOLENBEEK, LA CHINE ET…TOUTE « LA JEUNESSE DU MONDE » !


Manifestation anti-franquiste  Bruxelles 1964


25 JANVIER 2019 : mon camarade Fons Moerenhout a fêté ses 90 ans.
Que d’émotion et de chaleur, lors de la petite fête organisée entre amis en son honneur !
Et toute une vie de combat, d’engagement au service des travailleurs, défile, sur grand écran, devant nos yeux.
Un très beau documentaire, plein de vérité et de cœur, a en effet, été réalisé, avec tout son professionnalisme et son talent de réalisatrice, par Annie Thonon. (face  caméra d’ailleurs, Fons raconte plusieurs scènes évoquées ci – dessous) (1)
Né dans une famille de la classe ouvrière, Fons a traversé une grande partie du XXème siècle et traverse le début du XXIème, à travers toutes les difficultés, tous les retournements de l’histoire, avec, chevillées au corps ses convictions communistes.
« J’ai été fidèle à ce que mon père et mon grand’ père m’ont enseigné » dit- il avec émotion.
Personnellement, j’ai connu Fons dans les années 60, quand, de Cuba au Vietnam et en Chine, le fond de l’air était rouge, que nous voulions changer le monde, convaincus que c’était inéluctable et pour bientôt…
« Le communisme est la jeunesse du monde » avait dit Paul Vaillant Couturier (2) Cette phrase aujourd’hui, pourrait susciter les quolibets et sarcasmes de nos adversaires, voire l’incompréhension de nombreux amis.
Et pourtant…Fons est de ceux qui s’ils portent, administrativement sur leur carte d’identité ou, physiquement dans leur corps, le poids de leurs 80, 90 voire 100 années, sont toujours « la jeunesse du monde ».
« Demain, je vais à la manifestation climat, et jeudi, je vais voir les jeunes » dit- il en nous quittant.

  
« DONNE MOI LA VIANDE, C’EST POUR MOI CA »
Son père, ouvrier socialiste, comme l’était d’ailleurs son grand père, est devenu communiste en 1939, et a rejoint pendant la guerre 40-45, la résistance armée.
Il organisait des caches d'armes et leur transport dans de lourdes valises.
Fons se souvient d'un moment resté gravé dans sa mémoire : « il accompagnait son père et un camarade dans le tram pour un transport de valise. Quand un contrôle allemand a fait descendre tout le monde du tram, triant les hommes d'un côté, femmes et enfants de l'autre.
Fons, descendant côté enfants, s’est emparé de la valise super lourde, s’est retrouvé face à un soldat allemand, qui n’a pas fouillé, et ne sait pas expliquer comment il a su remonter sur le tram sans aide. ». (3)
Il a dû, dès la fin de la guerre, travailler, et n'a pas pu, dès lors, entamer d'études secondaires.
Il a d'abord travaillé chez un frigoriste.
Une scène lui a appris ce qu'était la lutte des classes : « Il accompagne un jour son patron chez un client boucher pour la réparation d'un frigo, et en face des 2 patrons, qui bavardent, il trouve la panne et répare.
Le boucher, pour le remercier lui offre un beau morceau de viande.
Mais une fois rentré à l'atelier, son patron lui dit : « donne- moi la viande, c'est pour moi ça »
Ce jour-là, qu'il n'a jamais oublié, il a compris, dans ses tripes, le vrai visage des patrons capitalistes. » (4)
Il s'est alors inscrit aux Jeunesses Populaires, qui sont devenues les Jeunesses Communistes.
Puis, en 1947, il travaille à la RTT (Régie des télégraphes et téléphones). Il y sera actif et militera dans les jeunesses syndicales FGTB. En regrettant que la direction du PC y ait liquidé le syndicat unique créé pendant la guerre.
En 1952, son père, militant du PC à Schaerbeek, décède, fort jeune.
En 1956, il termine 4 années de cours du soir aux Arts et Métiers, comme dessinateur industriel et est engagé en 1957 chez Siemens, chaussée de Charleroi, où il sera employé, derrière sa planche à dessin, jusqu'à son départ en 1963.
Il s’y présente sur les listes syndicales et est élu délégué au conseil d'entreprise.
C’est aussi à cette époque (1957) qu’il adhère au Parti communiste.


LA GREVE DE  60-61

Le 20 décembre 1960, éclate la  «  grève du million »
Fons, fait grève, presque tout seul, à Siemens, couvert par son syndicat, la Centrale des Métallurgistes.
 Il sera néanmoins, confronté aux recommandations  d'un membre du Bureau Politique du PC, de « ne pas jouer les petits soldats » et de reprendre le travail.

« Dès le 5 janvier (alors que la grève dans tout le pays est à son sommet et rassemble 1 million de travailleurs Ndlr) deux membres du Bureau Politique, couverts par lui, sous prétexte que les grévistes sont minoritaires dans certaines entreprises et services publics, conseillent à des camarades de rentrer, de ne pas jouer aux héros et aux petits soldats, de ne pas se faire scier. Ils créent ainsi le désarroi et le doute chez des camarades de certains secteurs (ONSS, Sabena, Ministères, Postes, notamment), et vont dans le sens de la pression des droitiers ». (5)
Un an plus tard d’ailleurs, en décembre 1961, le Bureau Politique du parti s’était opposé à une résolution de Congrès Fédéral de Bruxelles qui réaffirmait que « la position constante de la fédération Bruxelloise avait été de recommander aux communistes d’être des militants syndicaux exemplaires, à la pointe du combat » et «de  souligner l’importance du bloc gréviste, même minoritaire, dans le cadre d’une grève nationale » (6) 
Fons avait refusé de suivre cette directive ; et sa détermination à faire la grève jusqu’au bout lui vaudra les félicitations de la Centrale des métallos FGTB Brabant.
Déclaré gréviste dans son entreprise, il se consacre avec la section de Molenbeek à consolider la grève dans leur commune.
Il fait arrêter l’usine Contigea en bloquant la grille d'entrée. Le délégué n'a plus, quand il arrive qu'à distribuer les cartes de grève.
Autre scène de grève : les employés communaux de la voirie qui manifestent avec leurs camions. Machtens, le bourgmestre PSB, rapplique en voiture et ne peut que s'effacer devant la vibrante Internationale entonnée en commun par les communaux et les traminots.
Et Fons est emmené au commissariat... place de la Duchesse.

Au dépôt de trams de la rue d'Enghien, où il y avait une cellule du parti, les militants décident de ne s’en prendre ni aux jaunes qui conduisent les trams ni au matériel, mais de bloquer en coulant du béton dans les aiguillages. Mais, en fait, ce n'était pas nécessaire, tant la grève était totale !
Mais déjà, la ligne de la direction du parti, en contradiction avec l'engagement total de nombre de ses militants, était molle, tournée vers le parlement et à la traîne du Parti Socialiste, (notamment en proposant l’envoi de délégations ouvrières auprès des parlementaires de la majorité PSC – Libéraux).  «  Cela a été un frein au renforcement du parti, qui, à Molenbeek par exemple ne s'était pas renforcé significativement par l’adhésion de nombreux nouveaux membres ni pendant ni après le conflit ;  On a mal milité » dit aujourd'hui Fons. (7)


MOLENBEEK : PORTRAIT D’UNE SECTION DE BASE
Joseph Jacquemotte: meeting à Anderlecht
La section de Molenbeek, et le portrait de son secrétaire politique (1958-1963) peut nous servir de fil conducteur dans la connaissance de la base de la Fédération Bruxelloise du Parti Communiste dans les années 50-60.
Section traditionnellement ouvrière dans un quartier populaire de la banlieue bruxelloise, c'était jusqu'en 1927 (il déménagea alors à Uccle) la section de Joseph Jacquemotte, qui avait été élu conseiller communal en 1926.
C'est au coin de la chaussée de Gand et de la rue du Prado, que chaque semaine, le principal fondateur, en 1921, du parti communiste, Joseph Jacquemotte vendait le Drapeau Rouge, alors hebdomadaire.
La commune de Molenbeek abrite à cette époque nombre d’entreprises importantes : les Tramways Bruxellois à la rue d’Enghien, le siège central de Delhaize Frères, les sucreries Graeffe, l’usine de tabac Odon Warland (Boule Nationale) et last but not least, Contimeter, rue de Birmingham, qui deviendra Contigea, qui produit les chauffe-eau Bulex. (8)
En 1938, Edgar Lalmand (9) était à son tour élu au conseil communal- le PC y remportait 2 sièges.
En 1946, le PC, en plein essor après la victoire contre le nazisme, renforça sa présence au conseil communal de Molenbeek avec 4 conseillers dont Odile Berghmans (10), François De Wit (11) et Edgar Lalmand, conseiller sortant réélu, et par ailleurs secrétaire général du PC de 1943 à 1954.
Et comme l'ensemble du Parti Communiste, la section sera de façon durable imprégnée de la participation des siens à la Résistance.
Il suffit pour s'en convaincre de voir la proportion de résistants, prisonniers politiques ou ayant droits dans la liste des candidats aux élections communales du 12 octobre 1952.
En 1958, le PC, qui avait encore 2 conseillers communaux perdra sa représentation communale, et il faudra attendre 2012 et l'élection d'un conseiller PTB pour qu’une gauche marxiste reprenne pied électoralement à Molenbeek, et 2018, avec 7 élus, pour qu’elle s’y consolide.
En 1958, sur proposition de jeunes adhérents soucieux de dynamiser la section, Fons fut élu nouveau secrétaire politique de la section, succédant à François De Wit.
Il avait été soutenu, entre autres, par un vétéran Gustave Luyten, compagnon de Joseph Jacquemotte, qui a appris à Fons la vie du parti.
La section comptait début des années 60 autour de 80 membres en ordre de cotisation, dont une vingtaine était présente aux réunions.

La lecture de la collection du journal de la section « le Petit Molenbeekois » est très instructive sur ce qu’était l’activité d’une section de base du Parti Communiste autour des années 60.(12)
La section est dirigée par un comité de section, qui se partage les différentes responsabilités sous la direction du secrétaire politique : Action entreprises (Dépôt STIB, Contigea Birmingham, Tours et Taxis) ; vente de la presse (DR, DR Magazine) ; trésorerie (Fond de combat) ; Propagande ; Gestion du local (rue des Colonnes) et last but not least Education.
Ce comité se réunit toutes les semaines.
Retenons les principales activités :
  • ·       La section comportait plusieurs cellules de base Centre, Quartier Maritime, Duchesse, avec des réunions régulières (difficile cependant d’être parfois plus que 3 – 4 présents)     Une des lignes motrices de la section fut de lier le travail de cellule locale avec le travail vers l'entreprise. La cellule locale « Quartier Maritime- était en charge de soutenir la section d'entreprise « Douane »à Tours et Taxis       
  • ·       Pour étoffer le fond de combat, la section récolte des dons, revend   de la mitraille et des vieux papiers, organise une tombola, etc.
  •       Une activité importante est aussi la vente de la presse : tous les dimanche – parfois une « ventes- choc » avec une dizaine de militants. 
  •        La section tient aussi une permanence sociale tous les mardi – soir pour aider les gens qui ont des difficultés administratives (loyers, allocations familiales, mutuelle, impôts etc.)
        
  • ·       L’EDUCATION : c’est sans doute, l’activité la plus impressionnante, et la plus instructive
Vente hebdomadaire du Drapeau Rouge Magazine
       Elle est effectuée à travers des conférences (par exemple, meeting  « CONGO 62 »), des assemblées politiques (« La Renaissance du fascisme en Belgique » « A quand le socialisme en Belgique ?» ou encore « Avec qui réaliserons nous le socialisme en Belgique ? »)
Il y a aussi des cours d'éducation politique.
Des articles du « Petit Molenbeekois » (articles sur la « Démocratie », autre article sur   la « Dictature du prolétariat » ; article sur le conflit sino indien par J. Nagels en déc.1962.)
Il y a aussi une « Bibliothèque pour tous » (ouverte 1 soirée par semaine)
  • ·       La section organise aussi de grands meetings et la participation à la manifestation du 1er Mai.
  • ·       ACTIONS SPECIFIQUES : Le Petit Molenbeekoi cite plusieurs actions de la section en 1962 : tracts   contre l'augmentation des tarifs de tram, information  sur la renaissance de l'extrême droite (MAC Mouvement d'Action Civique), tract de voeux appelant à la responsabilité des sénateurs (dont le tout puissant bourgmestre PSB Machtens) dans la défense des intérêts des travailleurs, meeting de quartier contre le réarmement de l 'Allemagne)
·        55 ans plus tard, les témoins rapportent deux actions, sources de conflits avec la direction de la fédération bruxelloise du PC : 
« La section édite avec ses propres moyens au moment des événements en Algérie et en France, les attentats de l'OAS (début 1962) une affiche anti - OAS, L’affiche est collée dans tout Molenbeek, ce qui vaut une visite au local de la rue de la Colonne de la part du Commissaire de police. »
A propos de la guerre d'Algérie et de cette campagne d'affichage, il y avait un frein de la direction fédérale, qui y opposait la lutte pour la paix » (13)

« En octobre 1962, c'est la crise de Cuba ; la section de Molenbeek confectionne dans son local rue de la Colonne, 2 immenses affiches de 7- 8m /1,5m avec « US bas les pattes de Cuba » qui seront collées sur le viaduc et sur un pont de chemin de fer, toutes deux parfaitement visibles du grand nombre.
Dans les 4-5 jours, la direction de la fédé a convoqué une assemblée extraordinaire de la section pour leur « remonter les bretelles » et les critiquer comme ayant une position gauchiste et aventuriste, contraire à la ligne sur la paix du parti. » (14)  

Que retenir ?
On a là une section qui souhaite progresser dans l'implantation locale du parti tout en réfléchissant et débattant politiquement, l'éducation politique y ayant une place primordiale.
Sa structure se base sur une direction collective, avec un secrétaire politique mais aussi un comité de section partageant la direction de la section et la responsabilité individuelle.
Le point difficile, à améliorer, c'est la vie et le développement des cellules locales.
La priorité du point de vue de l’organisation est donnée à la liaison section locale- entreprise. Cela connaît des succès aux Douanes, en liaison avec la cellule « Maritime », un statut quo au dépôt de tram, et un point faible à Contigea – Bulex, où il n'y a pas de cellule du parti, malgré la présence très active des militants lors de la grève 60-61.
Education politique multiforme, priorité aux entreprises et direction collective, telles m’apparaissent les principales leçons à retenir de cette expérience.

LA RUPTURE DE 1963 : DEUX « PARTIS COMMUNISTES DE BELGIQUE »
Fons écrit :
« Depuis 1956, je n’étais plus d’accord avec la ligne du parti ; j’y suis resté…mon seul but était d’entraîner la section de Molenbeek sur de bonnes positions, dans une ligne marxiste – léniniste. Très rapidement, grâce aux explications des camarades du comité fédéral, j’ai su qu’il était de mon devoir de me joindre à eux.
Les évènements se sont précipités, notamment le conflit sino-indien, la crise de Cuba, et le Congrès d’Anvers ; puis le Congrès extraordinaire. Je crois pouvoir affirmer que j’ai participé se toutes mes forces à la mise en page de cette ligne politique, à laquelle j’aspirais depuis longtemps. Je l’ai défendue envers et contre tout » (15)

Les quelques années post grève 60-61 ont en effet été, pour nombre de militants communistes d’une intensité politique hors du commun ; pour Fons, militant ouvrier déjà aguerri, membre du Comité Fédéral bruxellois du parti ; pour moi aussi jeune membre des Etudiants communistes de l’ULB. Pour tous, cet épisode des années 60 nous marqua à vie.
Difficile de résumer en quelques lignes ce « grand débat » au sein du mouvement communiste international, qui, né au lendemain du XXème congrès du Parti Communiste de l’Union Soviétique en 1956, s’est développé au début des années 60 notamment par une large diffusion de textes et de déclarations, radicalement opposées entre les communistes chinois et soviétiques qui touchaient à tous les aspects de la ligne générale des partis communistes.
En Belgique, c’est un membre du Comité central et de la direction fédérale de Bruxelles du Parti, Jacques Grippa qui allait prendre la tête de la fronde.
Bruxelles 1945-1946 ? Raymond Dispy et Jacques Grippa
Jacques Grippa, qui avait adhéré au parti en 1931, en même temps qu’il créait à l’université de Liège un cercle d’étudiants matérialistes, était cadre national de longue date du Parti Communiste, membre de ses organes dirigeants à de nombreuses reprises.
Et surtout, il avait été, sous l’occupation nazie, membre du comité central clandestin, membre de la direction du Front de l’Indépendance, et chef d’état- major de l’Armée Belge des Partisans, jusqu’à son arrestation par la Gestapo lors de la grande rafle de juillet 1943, qui décima la direction du Parti Communiste.
Torturé à Breendonk, il avait refusé de parler, et ce malgré – mais il ne révèlera publiquement que bien plus tard ce « secret du parti » - les injonctions à parler de 4 membres du Bureau Politique, eux aussi incarcérés.
 C’est avec cette « aura » qu’il lança le débat en février 1962 par un article de 2 pleines pages 1/2 du « Drapeau Rouge » critique radicale de la ligne politique appliquée par le Bureau Politique, aussi bien
Drapeau Rouge 22 février 1962
en Belgique qu'au niveau international : attitude par rapport au PSB, ligne suivie pendant la grande grève du million de 1960-1961, événements du Congo de 1960, problèmes de la paix et de la guerre, quel soutien aux luttes de libération nationale et en particulier, l’Algérie et Cuba.
A ce document, répondit une longue « mise au point du Bureau Politique »
Le débat était lancé, mais n'allait pas être un dîner de gala :
En novembre 1962, Grippa était exclu du Comité central, et le bureau fédéral de Bruxelles, centre de la rébellion « pro chinoise », était dissous et mis sous la tutelle du Bureau Politique.
La polémique regagna d'intensité avec la préparation du XIVème congrès du Parti Communiste, convoqué à Anvers pour le week - end de Paques 1963 (13,14 et 15 avril) : projet de thèses, projet de nouveaux statuts, rapport d'activité du Comité central, furent mis en discussion dans l'ensemble du parti à partir de janvier 1963, et une nouvelle tribune de discussion ouverte dans le quotidien « Le Drapeau Rouge ».
Dans beaucoup de cellules et de sections de la Fédération bruxelloise, la 2ème du parti en nombre, le débat de fond, en préparation du congrès, fut intense.
La section de Molenbeek et son comité, dirigés par Fons Moerenhout, se positionna par ses actions, certaines résolutions et des articles dans le bulletin, majoritairement, chaque fois sur la ligne du côté « marxiste- léniniste » prochinois, malgré la pression de deux inamovibles membres du Bureau Fédéral présents à chaque réunion.
Le Bureau Politique, dirigé par Ernest Burnelle, voulut apporter à ce débat une conclusion radicale, en entamant 3 jours avant le congrès une procédure d'exclusion des rangs du parti de Jacques Grippa et de 3 de ses camarades bruxellois.  Leur exclusion fut votée par le Congrès, sans qu'ils aient eu la moindre possibilité de s'y exprimer.
Le 10 mai 1963, les minoritaires décident de convoquer – respectant les condition statutaires - un congrès fédéral extraordinaire, qui se réunira les 21/22/23 juin 1963, et proclamera donc la « reconstitution de la fédération Bruxelloise du Parti Communiste sur des bases marxistes léninistes ».
Il y eut, dès lors pendant quelques années, deux partis communistes portant le même nom « PCB »
Lors de la décision des minoritaires de convoquer un congrès extraordinaire, on retrouve parmi les signataires : Edmond Demunter (responsable éducation à Molenbeek), Fons Moerenhout (secrétaire politique), Jean Louis Smeyers (jeunes Molenbeek), les responsables de la section Douane, Joseph Thijs et Albert Smeyers et aussi un ancien de Molenbeek, Camille Lejeune. (16)
La section, elle, votera à la majorité, l'élection de délégués, réservant, par souci démocratique, à sa minorité (pro Bureau Politique), 2 sièges de délégués (que bien sûr ils n'utiliseront pas)

Fons écrit : « …il était de mon devoir de participer à la reconstruction du parti, parti auquel j’aspirais depuis longtemps. Cette reconstitution eut lieu dans l’enthousiasme général, mais avec des niveaux politique et de compréhension différents. En ce qui me concerne, avec un niveau politique moyen et une bonne compréhension, mais aussi avec une confiance illimitée en trois camarades (Jacques Grippa, René Raindorf et Maurice Delogne) » (17)

Bruxelles J. Grippa et F. Moerenhout


Un état de grâce rassemblera en effet pendant près de 2 ans, dans l'enthousiasme révolutionnaire, des militants heureux et confiants.
 Nous étions pleins d'illusions et étions convaincus que « tout était possible ».
Très actifs, nous étions sur tous les fronts : couvrant en une nuit Bruxelles d’affiches pour dénoncer l’assassinat de 2 mineurs à Zwartberg, parcourant, comme une brigade volante, le pays que nous inondions de tracts et d'affiches; et, débordant de moyens matériels, nous étions sur tous les coups : comité de soutien aux révolutionnaires congolais, manifestations contre les bases étrangères à Florennes, solidarité avec le Vietnam, soutien aux femmes de la FN
 Et pourtant…
« Très rapidement, à l’intérieur du (nouveau) parti, il y eut dégradation, notamment du centralisme démocratique, du règlement des contradictions, de la liaison aux masses et spécialement, aux entreprises, l’application correcte de la ligne politique dans les masses, la non application et le (non) contrôle des décisions prises en ce qui concerne notre lutte, notre organisation et l’éducation idéologique.
Cela représentait un grave problème pour moi, et j’en porte effectivement une lourde responsabilité ; mais chaque fois que j’ai essayé de les affronter, je me suis trouvé devant un mur de béton armé » (18)
La ligne organisationnelle du nouveau parti est de donner la priorité à la constitution, grâce à d'importants moyens financiers, d'un puissant appareil de parti centralisé de permanents : le maximum d'énergie, de cadres et de moyens y seront consacrés : local central (65 rue des palais), locaux régionaux à Bruxelles, Liège et Charleroi, journal hebdo « La Voix du Peuple », maison d'édition (Le Livre International), embauche de nombreux permanents, flotte de véhicules, imprimerie.
Fons Moerenhout, par exemple, délégué syndical à Siemens, démissionne pour devenir secrétaire fédéral permanent du parti, et membre du Bureau Politique.


Réunion de cadres à la fédé (rue des Palais) ; Fons Moerenhout accroupi, (4ème à partir de la gauche)
« Grippa, dès le départ, en 1962, avant même que la scission soit consommée, voulait construire avant tout un appareil, sous sa direction personnelle, plus qu'un parti de militants solidement implantés dans la classe ouvrière et les milieux progressistes.
Des pans entiers du parti, à Charleroi, Liège, dans le Centre et le Borinage ont été laissés sous la direction du Bureau Politique.
De nombreux militants ont été sortis de leur milieu professionnel – voire syndical- pour devenir permanents rémunérés. L'argent était facile, et cela ne pouvait que corrompre les esprits : on ne devait pas penser à « compter sur ses propres forces », ni non plus à se lever tôt pour aller à l'usine après le collage de la nuit !
Avec le temps aussi le sectarisme s'est vite répandu par rapport au mouvement syndical et aux secteurs progressistes de gauche. La ligne politique s'est adaptée à la réalité de ce que nous devenions : une secte.
Nous avons une responsabilité dans le recul de la gauche en Belgique pendant plusieurs années. » (19)
Toutes ces contradictions devaient inévitablement éclater, d’autant plus que les résultats plutôt maigres des élections d’octobre 1964 (communales) et mai 1965 (législatives 24000 voix en Belgique pour 240000 au PC) ne pouvaient que les aiguiser.
La direction du nouveau parti, et en particulier, hélas, Jacques Grippa faisait preuve d’un style de direction personnel, autocratique et non collectif, d’un libéralisme régnant au plus haut niveau, avec ce « management clandestin » qui, par des apartés et des conciliabules, court-circuitait les instances régulières transformées en chambre d'enregistrement, et permettait par ailleurs à tel ou tel aventurier, de se constituer son propre clan,  protégé qu’il était par sa position dans le clan du sommet auprès du n°1.
Toute critique – voire toute question dérangeante - devenait une provocation et ceux qui osaient, devenaient fraction à exclure, groupe anti parti, à excommunier.
C’est ainsi que Fons Moerenhout, coupable d’avoir posé les bonnes questions, fut accusé, avec un autre dirigeant bruxellois Maurice Delogne, d’être responsable de toutes les fautes réelles ou inventées de la fédération bruxelloise et, dans la foulée de former un groupe fractionnel anti parti !
 L’exclusion, comme ennemi du parti, fut prononcée le 1er juillet 1966.
Dès lors, à nous militants, qui avions avalé comme vérité tous ces mensonges, et qui continuions à suivre servilement – jusqu’à ce que nous tombions à notre tour un an plus tard, avec le xème groupe fractionnel anti parti - il nous était interdit de lui parler, de lui serrer la main, ou même de le saluer ! Difficile à imaginer aujourd’hui, mais ça a existé.
J’ai la honte, encore 50 ans plus tard, quand je me revois, en bon béni oui-oui, lever la main pour voter « l’exclusion » de Fons et de nombreux autres camarades à l’engagement admirable, comme Cécile Draps et Suzy Rosendor, engagées en 58-62 au côté du FLN algérien, Yvonne Jospa, figure de proue de la résistance juive au nazisme avec son mari Herz, lui-même décédé en plein harcèlement politique, Elena Hazard, Sam Herssens,Maurice Delogne et même  mes camarades d’athénée Jacques Boutemy et Annie Thonon, puis  quelques mois plus tard, Georges et Jeanne Vercheval, et tant d’autres.
Candidat-e-s aux législatives de 1965
J’ai encore dans les yeux, Fons, qui, inlassablement, assistait   à toutes les manifestations Vietnam, et que par « discipline de parti » je devais ignorer ; et je revois encore cette grande dame, Yvonne Jospa, alors que nous organisions à l’ULB, une exposition sur la Chine me dire : « je sais que vous ne pouvez pas me parler, mais je veux vous féliciter »
Quel gâchis ! Que de vies de militant broyées ! Que d'espoirs de renouveau bafoués !
Quelle leçon aussi ! Camarades, gardons-nous à jamais de la soumission servile à toute direction et toute organisation ! Préservons comme la prunelle de nos yeux notre droit, (notre devoir) à la critique et à la recherche de la vérité dans les faits !
Dernières lignes de la lettre autocritique aux membres du parti
 LE « MAI OUVRIER » A   NESTOR MARTIN
 Exclu de ce Parti, auquel il avait donné toute son énergie, toute sa conviction, licencié aussi   du jour au lendemain de ses emplois de permanent, Fons Moerenhout, écoeuré déclare :

« Malgré toutes les difficultés que je vais rencontrer, je suis bien heureux, le plus heureux, de pouvoir retourner à l’entreprise, parmi la classe ouvrière. (Tout) cela me répugne tellement que je ferai le maximum pour rapidement trouver du boulot » (20)

Et effectivement, il retrouve du travail, comme brigadier à l’usine Nestor Martin à Ganshoren
 « En 1930, sur le territoire de Ganshoren, la société regroupe ses trois usines : Molenbeek-Saint-Jean, Huy et Saint-Hubert. Elle devient la fabrique la plus importante du pays pour la construction de cuisinières et d'appareils de chauffage. Elle s'étend sur 40.000 m2 et, au plus fort de son activité, emploiera jusqu'à 1.500 personnes. Rachetée par la multinationale suédoise Electrolux à la fin des années '70, Nestor Martin ferme définitivement ses portes dans les années '80. »  
En 1969- 1970, les luttes ouvrières explosèrent en Belgique, avec comme phare, la grève des mineurs du Limbourg en janvier 1970, et des grèves à Ford Genk, Caterpillar, dans le textile à Gand.
Dans la région bruxelloise, avec les combats des travailleurs de Citroën à Forest (novembre 69, novembre 70), Michelin à Leeuw Saint Pierre (février et juin 70), Forges de Clabecq (juin 70), et…Nestor Martin en février1970.
Des historiens qualifieront ces mouvements de « Mai ouvrier » (21)

Comme dans beaucoup de grèves (Citroën, Michelin, VW) de cette époque, ce qui est mis en cause, c’est les cadences de travail et les classifications qui y sont liées pour calculer le salaire (le salaire de base est combiné à une « prime », un nombre de « points » liés à la production et établis à partir de chronométrages de chaque geste à chaque poste de travail.)
Les systèmes de catégories et de points mis en place visent d’abord part à individualiser chaque poste de travail, de manière que les travailleurs ne puissent comparer leur salaire, que chacun soit un cas particulier et qu’ainsi le combat collectif soit empêché.  D’autre part, en réorganisant   constamment et en rognant de manière camouflée sur la valeur des points, le but est évidemment d’augmenter la part de profit extorquée du travail ouvrier, tout en maintenant fictivement le salaire de base.
Ne l’oublions jamais, le but des patrons n’est pas de produire et vendre des voitures, des pneus, ou des cuisinières et des poêles, mais bien, à travers cette activité, d’extorquer au prolétaire le maximum de surtravail non payé, et d’augmenter toujours plus le taux de profit immédiat : « Faire travailler plus et payer moins de salaire » c’est l’ABC du capitalisme.
Ils appellent cela « réduire les coûts du travail » pour « améliorer la compétitivité » !
Fons, lui, dans son équipe, voulait que chaque travailleur gagne le même salaire pour le même travail - les points supplémentaires de l’un pouvant être redistribués.

Déjà, en septembre 69, une grève « sauvage » contre le système des points avait obligé le patron à accorder une augmentation de 10 francs au salaire de base, sans néanmoins toucher au sacro- saint système de « points » attachés à chaque opération.
 Cependant, reprenant d’une main, ce qu’il avait dû lâcher de l’autre, le patron réorganisa et manipula, aidé par des chronométreurs français, le système de calcul des points, ce qui se solda par une augmentation de production et une diminution de salaire net.
Ainsi, vendredi 30 janvier 1970, quand les ouvriers du polissage virent leur fiche de paie, ils arrêtèrent le travail, et la grève s’étendit aux autres ateliers.
Lundi 2 février, elle était totale.
Les travailleurs organisaient eux - mêmes les piquets, que dès le mercredi 4, les étudiants bruxellois rejoignaient pour les soutenir.
La réponse, comme dans tous les autres conflits du mai ouvrier fut la répression : la gendarmerie, présente en force arrêtait un jour 13 étudiants dans un café voisin, et un autre pénétrait dans une réunion des travailleurs !
La grève se poursuivit jusqu’au 13 février 1970 (15 jours de conflit en tout).
Comme dans les autres conflits, quelques dirigeants de centrales syndicales voyaient avant tout le maintien de la paix sociale garantie par les conventions collectives, la reprise du travail et la négociation, et craignaient comme la peste la rencontre entre le monde ouvrier en lutte et les étudiants qui avaient choisi le camp des travailleurs.
Les travailleurs gagnèrent une augmentation de salaire, pour compenser les modifications des points, mais le système, à l’origine du conflit, ne fut pas mis en cause
Bien que l’accord conclu entre patrons et dirigeants des Centrales ait été rejeté par 183 voix contre 155, la reprise du travail fut décrétée, le quorum légal des 66% imposé pour une décision de grève n’étant pas atteint.
Comme à Michelin, Citroën, et Clabecq, où les meilleurs militants du combat ouvrier et syndical furent frappés, la répression suivit la reprise du travail et Fons, militant communiste, actif de longue date dans son syndicat, fut licencié pour sa participation à la grève. 
En procès devant le Tribunal du travail contre son employeur, défendu par Cécile Draps, qui plaida dans les nombreux procès ouvriers de l’époque, il obtint gain de cause.                          

LES LIVRES ET LA CHINE

1er octobre 1965 : à la tribune de Tien An men


Un autre aspect de la vie  de Fons Moerenhout, c'est son attachement, à travers tous les bouleversements de l’histoire , à la Chine populaire.
« Marthe Huysmans, la fille de Camille Huysmans, secrétaire de l'Association Belgique Chine, m’avait proposé de m'occuper de la bibliothèque de l'association. Ce que j’avais accepté, trop heureux de pouvoir étudier. Et cela a été pour moi un moment important : me plonger à la fois dans les livres et la Chine !
Mais la direction du parti a décidé que je devais consacrer tout mon temps au parti, ce qu'aujourd'hui, je regrette. »  (22)
Les livres et la Chine, ce seront- ce sont - deux passions de sa vie.
Bulletin de "la Grande Muraille :editeur responsable: Fons Moerenhout
Ce n'est pas par hasard si son nom sera associé à la première librairie progressiste « Joli Mai » (chaussée d'Ixelles) dans les années 70 et plus tard à la librairie « La Grande Muraille », librairie entièrement consacrée à la Chine, en collaboration avec l’Association Belgique- Chine, dans laquelle Fons resta actif de nombreuses années.
La République Populaire de Chine, il y voyagea une première fois en 1965 comme dirigeant d’un parti- frère, admis le 1er octobre, jour de fête nationale, dans le saint des saints, la tribune de la place Tien An Men, parmi les dirigeants chinois, à quelques mètres de Mao Tse Toung.
Il y retournera plusieurs fois, en 1973, en 2015 (50 ans après son premier voyage).

J’ai retrouvé Fons à de nombreuses reprises ces dernières années, à des débats à Manifiesta, à des conférences de l’Université Marxiste (il voulait connaître Gramsci), lors de conversations sur les années 60 ou, devant une bonne Chimay brune, sur les dernières élections communales.
Je l’ai retrouvé comme je l’avais connu : toujours engagé - il est proche du PTB -, fidèle à ses convictions, tout en gardant son esprit parfois très critique, curieux et avide de connaître et de comprendre, toujours souriant et affable, bien que contrarié par les atteintes de l’âge.
Je ne peux que lui souhaiter « Longue vie, camarade Fons, et prends bien soin de toi »

PEKIN 2015, avec Suzy ROSENDOR

NOTES

(1)    "Camarade Moerenhout, mémoires d'un travailleur"  2019  Annie Thonon   58 min.
(2)   Cité dans : Gabriel Péri « Les lendemains qui chantent ; lettre d’adieu » p59 Editions Sociales 1947
(3)   Entretien avec Fons Moerenhout février  2017

(4)   Ibid
(5)   Jacques Grippa «  Marxisme léninisme ou révisionnisme » Le Livre International Bruxelles 1963 pp71-72
(6)   Ibid p72
(7)   Entretien avec Fons Moerenhout  - 14/12/2017
(8)   Jean Flinker « Le parti pris » dans  Angles d’ATTAC octobre 2017 pp38-49  (Sur les débuts du Parti Communiste à Molenbeek)
(9)    Edgar Lalmand ,voir : José Gotovitch notice biographique CArCoB
      (11)  François De Wit :  http://www.carcob.eu/IMG/pdf/de_wit_francois_sommaire_.pdf
      (12)  Le Petit Molenbeekois collection 1948-1963- archives CarCob                   
       (13) Entretien avec Fons Moerenhout - février 2017                                

      (14) Entretien avec JL Smeyers – octobre 2017
      (15)  Fons Morenhout : Lettre autocritique aux camarades du parti - manuscrit non publié    30 juin 1966
       (16) Camille Lejeune voir : http://www.carcob.eu/IMG/pdf/lejeune_camille.pdf

       (17) )  Fons Morenhout : Lettre autocritique ….
       (18) ibid
       (19) entretien avec Fons Morenhout   février 2017 

       (20)  Fons Morenhout : Lettre autocritique …       
     (21) Sur le « Mai ouvrier » : Rik HEMMERIJCKX : "Mai 68 et le monde ouvrier en       Belgique" dans "Contester dans un pays prospère" Anne Morelli et José Gotovitch Bruxelles  2007  
     (22) entretien avec Fons Moerenhout février 2017 

                        










1 commentaire:

  1. L'article est aussi intéressant que le film. Un homme aussi fidèle à ses convictions que Fons, à travers toutes ces difficultés, il n'y en a pas beaucoup : il mérite toute notre affection et notre respect,
    Annie Wildemeersch

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