jeudi 21 novembre 2019

19 NOVEMBRE 1969 : IL Y A 50 ANS, A CITROEN – FOREST, LA GENDARMERIE DANS L'USINE!


 CITROEN 19 novembre 1969: la gendarmerie en tenue de combat investit l'usine et arrête 67 grévistes, tous étrangers

 Je reviens 50 ans plus tard, rue Saint Denis à Forest,dans la banlieue sud de Bruxelles : la gendarmerie est rentrée le 19 novembre 1969 dans l’usine CITROEN, aujourd'hui disparue, en tenue de combat pour y briser la grève des ouvriers à la chaîne. 67 d’entre eux seront arrêtés et 24 licenciés sur le champ.
Ce fut pour moi, qui soutenait, avec le groupe de gauche radicale Usines Université Union, la lutte des travailleurs, des journées de grande intensité.
Le 27 novembre 1969, un millier d’étudiants venus de l’ULB, de Louvain et d’écoles sociales participaient à la manifestation de solidarité organisée par les syndicats pour la réintégration des 24.
C’est le « Mai ouvrier », quand des mines du Limbourg à Clabecq, de Caterpillar à Ford Genk, de Michelin aux usines textile de Gand, les étudiants apportaient leur soutien militant aux travailleurs en lutte.
Clin d’œil aussi à mon cama Hubert Hedebouw, ouvrier à la chaîne chez Citron, avec qui j’ai partagé les grands moments de ces combats, et avec qui, 50 ans plus tard, je partage ceux d'aujourd'hui. Il sera, lui, licencié un an plus tard après une nouvelle grève brisée, cette fois, par l’intervention musclée de la milice patronale armée de matraques et de coups de poing américains !
Texte complet dans


CITROEN , RUE SAINT DENIS A FOREST 
Dans la banlieue sud de Bruxelles, c'était à l’époque une usine de montage automobile, où un millier de travailleurs assemblaient des 2CV, des DS et des camionnettes. Puis vinrent les « Meharis ».
80% des ouvriers à la chaîne étaient immigrés de 17 nationalités, dont des Italiens, des Grecs, et des Espagnols, alors que la maîtrise, fort nombreuse, était essentiellement belge, de même d’ailleurs que la délégation syndicale.
En ce début 1969, les affaires marchent bien, les ventes de voiture augmentent.
 Pour les travailleurs, c’est synonyme de production accrue, donc d’augmentation des cadences de production : « on travaille beaucoup plus pour des salaires qui augmentent à peine »
En quelques mois, avec la reprise de l’activité, la production était passée de 80 à 100, puis 160 voitures /jour !
Le tableau ci-joint montre d'ailleurs que dans les années 68-72,la production a doublé!
Les "cadences infernales" en chiffres de véhicules produits: 1èrecol:année;2ème col:2CV ;3èmecol :camionnettes;4ème:colMehari; dernières col:total et total cumule(7)



L'USINE DE FOREST,RUE SAINT DENIS
Mais, le but des patrons n’étant pas de produire et vendre des voitures, mais bien, à travers cette activité, d’extorquer au prolétaire le maximum de sur-travail non payé, et de réaliser ainsi le profit immédiat maximum, ni l’embauche, ni les salaires ne suivaient !
D'ailleurs, en ce qui concerne les salaires et la durée du travail, tout était régi par des conventions collectives signées au niveau national, pour 2 ans (1969-1970) entre partenaires sociaux, Fabrimétal, l’ancêtre de Agoria et les centrales syndicales de la métallurgie, conventions qui interdisaient toute revendication et toute grève en dehors des « avantages » accordés.
Augmentation des cadences, embellie économique pour les entreprises, conditions de travail n’étaient donc pas prises en compte par ces accords dits « de paix sociale » qui exerçaient une véritable dictature sur les salaires, et tentaient de transformer le plus possible les représentants du personnel de délégués de combat en gestionnaires de la paix sociale.
C’était en quelque sorte, une tentative d’OPA du patronat sur les organisations ouvrières, concoctée au lendemain de la grande grève du million, dans le cadre d’un gouvernement « travailliste » PSC- PSB.(8)

Dictature des conventions collectives, complétées par la mise en place de ce que Marx appelait le « despotisme de fabrique »
 A Citroën, « pour réaliser les cadences avec le minimum d’ouvriers, la direction fait régner une sauvage dictature, et ce par l’intermédiaire de tous les chefs, chef du personnel, chef comptable, chef chronométreur, et une armée (une centaine pour 800 ouvriers) de contremaîtres, de brigadiers et de chronométreurs.
Chaque ouvrier a sa fiche avec photo et les contremaîtres y inscrivent les remarques sur le comportement de chacun. Une liste noire est constituée avec tous ceux qui n’acceptent pas ces conditions inhumaines.
La tactique de la direction est de licencier tous ceux qui ne savent pas suivre ou qui rouspètent »( 9)

LA GREVE  DE SEPTEMBRE  : TOUS ENSEMBLE !

En septembre 1969, ce double carcan (paix sociale et despotisme de fabrique) saute une première fois, et les ouvriers des chaînes de montage arrêtent le travail, entraînant derrière eux, toute l’usine.
Ils refusent les injonctions de reprendre le travail pour permettre la négociation.
 « Ils exigent
-        En ce qui concerne l’organisation du travail : l’expulsion d’un contremaître connu pour son attitude sauvage, avoir des remplaçants pour aller au WC, que c’en soit fini avec des délégués syndicaux qui aient des postes privilégiés comme chronométreur (ce qui les mettait en position de conflit d’intérêt !), un contrôle efficace et rigide des chronométreurs.
-        Un vêtement de travail dans les 6 mois !
-        Augmentation de 10% salaire pour tous »
Globalement, ils obtiendront satisfaction sur certains points, mais aussi beaucoup de promesses non tenues. (comme par exemple, l’affichage quotidien du nombre de voitures à produire)
 UUU écrira : « La grève de septembre a rassemblé tous les ouvriers, flamands, wallons, étrangers. Ce fut un exemple que l’unité ouvrière à la base, la détermination à ne pas se laisser embobiner par les arguments patronaux et par les pleurnicheries légalistes des délégués syndicaux, l’utilisation de la seule arme des ouvriers, l’arrêt de travail, sont payantes.  Ce que des réunions interminables de discussion entre patrons et syndicats n’avaient pu obtenir, quelques heures d’arrêt de travail immédiat de toute l’usine l’ont donné » (10)


LA GENDARMERIE DANS L’USINE !

Qu’à cela ne tienne ! Les patrons lâchent difficilement quelque chose d’une main sans tenter dans la foulée de le reprendre immédiatement de l’autre.
Leur objectif était d’augmenter la cadence à 210 voitures par jour, et pour ce faire, ils devaient d’abord frapper un grand coup, écraser toute forme de rébellion, éliminer les « meneurs » inscrits sur leur liste noire.
Le premier visé, un ouvrier italien, Dominique. Il refuse une mutation de place à la chaîne ; il est licencié sur le champ.
« Si Dominique ne peut pas travailler, c’est la grève immédiate !»
Et comme Dominique, refusant courageusement son licenciement se représente à son poste de travail, la direction, immédiatement, appelle la police de Forest ! Nous sommes le 19 novembre 1969.
Dans l’usine, c’est la grève immédiate !
Le bourgmestre libéral de Forest, Wielemans, (PLP était le nom des ancêtres du MR), patron par ailleurs de la brasserie du même nom, intervient en personne, et, écoutez ses paroles, ami lecteur, elles sont, 50 ans plus tard, tout aussi édifiantes et révoltantes ;
-        « Vous devez travailler »
-        « Dominique, Dominique »
-        "Si vous ne reprenez pas le travail pour 12h20, vous serez expulsés à la frontière"
Et c’est alors que la police communale se retire derrière l’usine, et que la gendarmerie, en tenue de 
19 nov 1969: la gendarmerie, en tenue de combat, emmène une travailleuse
combat, appelée par le bourgmestre, investit l’usine, menaçant les travailleurs avec leur fusil !
Certains chefs aux ordres, désignent alors aux gendarmes 67 travailleurs-euses à arrêter!
Obligés de passer devant un tribunal d’exception composé du directeur, du directeur du personnel et de la chef comptable, celle-ci désigne tour à tour 24 d’entre eux qui sont licenciés sur le champ.
Emmenés à la caserne de la gendarmerie, rue de Louvain, comme des délinquants, ils seront libérés avec des menaces : « la prochaine fois, tu seras expulsé du pays ! »
Cela s’est passé dans mon pays, dans ma commune ! Et franchement, je ne jurerais pas que, 50 ans plus tard, ça ne pourrait pas se reproduire !

SOLIDARITE OUVRIERS ETUDIANTS

L’extraordinaire intervention policière à l’intérieur de l’usine allait évidemment faire des vagues qui allaient secouer à la fois le personnel politique ( le ministre de l’Intérieur Harmegnies, responsable de la gendarmerie, est un socialiste carolo, maïeur de Marcinelle, où ce genre d’intervention ne pouvait que choquer des syndicalistes et même des militants PSB), et les  organisations syndicales, comme par exemple la FGTB, où des militants qui luttaient pour la reconnaissance des droits des travailleurs étrangers ne pouvaient que se dresser, à la fois contre la passivité de leur représentation et contre cette répression ciblée.
Cela fera des vagues jusqu’au Parlement, où le député du Parti Communiste Gaston Moulin interpellera fermement le ministre et où un ordre du jour sera voté   le 2 décembre 1969, par 127 voix contre 29 députés du PLP et deux abstentions (11)

Le 27 novembre 1969, les syndicats FGTB et CSC, sortant sous la pression, enfin du bois, organisent donc à Forest meeting et  manifestation de protestation.
A l’Université, UUU était très actif : diffusion d’une enquête Citroën, meeting d’information, appel à la manif, en commun avec l’UES (Union Etudiante Syndicale) et la JGS (Jeune Garde Socialiste).
Le jeudi 27, donc,
« - les ouvriers de Citroën sont sortis en masse de l’usine, aussi bien belges, flamands et wallons, que étrangers.
- des ouvriers de petites entreprises avaient, de leur propre initiative, débrayé.
- les étudiants étaient venus très nombreux (un millier d’étudiants de l’ULB, de Louvain, des écoles sociales etc.) La veille, avaient eu lieu à l’ULB et à Louvain des meetings regroupant plusieurs centaines de personnes.
- des délégations syndicales de Nestor Martin, MBLE, Forges de Clabecq, ACEC s’étaient jointes au rassemblement.
Dans un froid glacial, la manifestation qui suit le meeting est combative ;
« Citroën solidarité ! »  « Réintégration oui, répression non ! » « Solidarité ouvriers étudiants » « A bas l’état policier ! »

27/11/1969 :"PAS DE FLICS A L'USINE, PAS DE FLICS A L'UNIV," : les étudiants manifestent avec les travailleurs de Citroën.on reconnait notamment Robert Fuss et  Estelle Krzeslo, ( UUU), Mathieu Desclin (JGS) Jean Louis Roefs (UES)
Pour la première fois, une manifestation aussi nombreuse regroupait ouvriers et étudiants en soutien au combat des camarades licenciés. (12)
La pression ainsi exercée, la menace d’une nouvelle grève, soutenue cette fois par les centrales syndicales, aura raison des patrons de Citron, et les 24 licenciés seront réintégrés, bien que déplacés de poste. Blanco, le « meneur » espagnol sera muté au garage de la place de l’Yser, aujourd’hui transformé en musée.


GREVE SAUVAGE ET SYNDICAT 

JUIN 1970 Usine Michelin occupée

On l’a vu, toutes les grèves et arrêts de travail de 1969-1970 à Citroën ont été des grèves « sauvages » non reconnues par les centrales.
Cela a été la réalité de nombreux conflits, en particulier au Limbourg, où les mineurs s'en sont même pris à  des permanences syndicales de l' ACV.
Certains mouvements, comme à Michelin, s’ils se sont affrontés eux aussi aux délégués  et à leur centrale, jusqu'auboutiste de la paix sociale, et s’ils ont, eux aussi, été victimes de l’intervention musclée et violente d’une milice patronale qui a brisé l’occupation d’usine en juin 1970, avaient néanmoins un certain soutien « souterrain » d’un courant d’opposition syndicale au sein de la Régionale FGTB.
Le plus dramatique a sans doute été l’abandon par la Centrale des Métallurgistes du Brabant FGTB de deux de ses meilleurs délégués aux Forges de Clabecq, le délégué principal Sabbe et son adjoint Desantoine, tous deux communistes, licenciés pour faute grave après la grève sauvage de juin 1970, et par la suite, pourchassé, comme Sabbe, dans ses nouveaux emplois, ou chassé de son domicile, maison d’usine, comme Desantoine.
La répression patronale des grèves sauvages a été très féroce, mais le lâchage par une poignée de  dirigeants des  centrales syndicales, n’a pas été triste !




Et pourtant, que nous montraient- ils ces « sauvages » des années 70 ?
Ils nous montraient que, avec l’évolution industrielle des années 60, des couches entières de la classe ouvrière étaient peu prises en compte par certaines centrales professionnelles.
Les femmes par exemple : les 3000 ouvrières de la FN en février 1966 étaient, elles aussi parties en 
1966 :"La petite Germaine" en tête des grèvistes de la FN:
"pour faire trotter nos délégués"
grève sauvage, pour "A travail égal, salaire égal", mais elles avaient imposé à leurs organisations de reconnaître leur mouvement.
Nous allons « faire trotter nos délégués » chantaient elles, même si leurs délégués étaient tous des hommes…(16)
Mais dans beaucoup de petites entreprises, le rapport de force n’était pas celui - là ; et on a parfois vu des ouvrières, en colère, déchirer leur carnet syndical !
La même chose avec les travailleurs étrangers : les discriminations à leur participation aux élections sociales n’ont été levées définitivement qu’en 1974.
 Ce qui a causé des situations loufoques comme à Citroën : 80% d’étrangers, mais tous les délégués sont belges et, par la force des choses, plutôt hors du travail à la chaîne ou à des postes de maîtrise. Relativement mal placés donc pour se faire les porte - parole des grecs, espagnols, marocains ou turcs soumis aux cadences infernales et au despotisme d’atelier.
J’ai par la suite, embauché à la chaîne à VW Forest, retrouvé la même situation.
Là, le patron ne voulait pas d’un « nouveau Citroën » et n’embauchait que des belges, wallons comme flamands, de 18 à 30 ans.
Les salaires y étaient plutôt plus élevés qu’ailleurs, et la direction y soignait, en apparence du moins, les « relations humaines » : chefs souvent amènes et sympa, service social, grande cantine avec des bons repas, mesures fréquentes des poussières par des médecins etc.
Mais cela n’empêchait pas le ras le bol des cadences, de « la production avant tout », du « si on ne suit pas, on vole à la porte » ou du « en cas de retards ou d’absences, même pour maladie avec certificat, dehors ! »
Et cette génération de jeunes « plein l’cul » ne se retrouvait pas non plus dans sa représentation syndicale, formée souvent plus pour cogérer la paix sociale que pour combattre.
Et là aussi, à plusieurs reprises, c’est par la « grève sauvage », que le ras le bol s’est exprimé.
Et là aussi, la réponse a été le licenciement d’une dizaine de jeunes travailleurs.

jugement de la cour du travail  dans "Ceux de Clabecq" G.Martin EPO
Un autre facteur de développement de ces grèves sauvages, c’est le refus du carcan de la « paix sociale » déjà évoqué plus haut.
Cela s’apparentait quand même à une sévère atteinte au droit de grève, dès lors que tout conflit déclenché en dehors des conventions signées pour 2 ans, était considéré comme « illégal ».
Il suffit pour s’en convaincre de lire un extrait du jugement de la cour de travail de Bruxelles sur le recours du délégué principal de Clabecq, Alphonse Sabbe, pour licenciement abusif : « cette grève se développa en marge des dispositions légales, conventionnelles et réglementaires ; cette collaboration à une action irrégulière peut être un motif grave de rupture immédiate… » (17)

Ce qu’ils nous ont donc appris ces « sauvages » du « mai ouvrier » et ce que, bon an, mal an ils ont aussi apporté au mouvement ouvrier et syndical, c’est la voie du combat, et non de la résignation, la voie de la lutte tous ensemble, hommes et femmes, belges et étrangers, jeunes et anciens, et non des discriminations.
Et leur combat allait nécessairement secouer les structures syndicales. 
En ce sens ils et elles, ont été des lanceurs et lanceuses d’alerte, qui ont payé cher leur engagement, et qui ne peuvent que continuer à nous inspirer



NOTES


(7) http://www.citroenet.org.uk/foreign/belgium/belgium3.html

(8) Extrait de la convention collective des fabrications métalliques 1969-1970 
« Si néanmoins une grève  partielle ou totale, ou un lock out se produit dans une entreprise sans que les règles de la conciliation aient été respectées par les membres des organisations signataires, ces dernières s'engagent à mettre immédiatement tout en œuvre pour faire reprendre le travail dans un délai maximum de trois jours ouvrables. Si le travail n'est pas repris dans ce délai, les organisations signataires s'engagent à n'accorder aux travailleurs ou à l'employeur en cause ni leur appui, ni un soutien financier. 
En contrepartie du respect des engagements souscrits par les organisations syndicales, Fabrimétal verse, à trimestre échu, à un compte intersyndical, une allocation correspondant à 0, 6 % des salaires bruts [...]

 Si les organisations syndicales apportaient, contrairement à leurs engagements, un appui ou un soutien financier aux travailleurs en grève dans une entreprise, l'allocation serait réduite par cas de grève selon les modalités suivantes: le montant de la réduction est calculé à raison de 125 F par ouvrier ayant cessé ou ayant dû cesser le travail et par jour d'arrêt; cette somme est portée à 250 F après le vingtième jour de grève. »
En outre, la LOI DU 5 DECEMBRE 1968 SUR LES CONVENTIONS COLLECTIVES ET LES COMMISSIONS PARITAIRES stipule que :
Article 31. La convention rendue obligatoire lie tous les employeurs et travailleurs qui relèvent de l'organe paritaire et dans la mesure où ils sont compris dans le champ d’application défini dans la convention.

(9)  "Enquête CITROEN"  UUU novembre 1969

(10) ibid
(11) Annales parlementaires - Chambre des représentants: séance du 2/12/1969 pp 22-29
(12) brochure UUU : "Citroën , la lutte continue" 4-5 décembre 1969


(16) Sur la grève des femmes de la FN : Marie Thérése COENEN: « La grève des femmes de la FN en 1966 , une première en Europe » POL-HIS 1991
Et "ROUGEs FLAMMEs : https://rouges-flammes.blogspot.com/2016/01/fevrier-1966-herstal-la-greve-des.html
(17) Sur la grève aux Forges de Clabecq de juin 1970, voir "Ceux de Clabecq" pp34-43  Gilles ¨Martin EPO 1997

vendredi 31 mai 2019

FIGURES DE LA GAUCHE FLAMANDE :PAUL VAN OSTAIJEN, POETE REBELLE, FLAMINGANT ET COMMUNISTE



"On doit toujours combattre le cliché " FLAMAND  = FASCISTE"

" Van Ostaijen est apparu à un moment clé du mouvement flamand et de l'histoire de Belgique.            Au début, il y avait beaucoup d'écrivains  de la gauche  dans le mouvement flamand.
Et  quand je réfléchis, qu'aurais-je fait? Sans doute la même chose"
"On doit toujours combattre le cliché Flamand = fasciste , répandu à l'étranger. 
Et pour cela, le meilleur moyen est de  prouver que le mouvement flamand n' a pas du tout été purement à droite, et de montrer que la culture est l'affaire de tous les partis, et pas seulement des porte drapeaux catholiques ou des troubadours nationalistes [...] 
Aucun Flamand aussi connu n'a  développé aussi clairement un flamingantisme de gauche et [...]n' a signé la plus hilarante mise en pièces de l'infection chronique dont souffre à nouveau l'Europe: le nationalisme"   Tom Lanoye (1)

Paul van Ostaijen, poète majeur de la littérature flamande est né à Anvers en 1896.
Ce post veut rendre hommage à son parcours politique de poète engagé durant les années de sa si courte vie - 32 ans , autour des années de guerre.
Il est plus que temps - 105 ans après 1914 - que, au moins, nous  découvrions nos  grandes figures venues d'ailleurs...  de l'autre côté de la frontière linguistique et n'abandonnions pas leur mémoire aux mains des nationalistes...
(1) :Geert Buelens, Van Ostaijen tot heden. Zijn invloed op de Vlaamse poëzie. Vantilt, Nijmegen 2008 (derde druk) p 1084   http://www.dbnl.org/tekst/buel002vano02_01/buel002vano02_01_0030.php 
 Tom Lanoye est un romancier, poète, chroniqueur, scénariste et dramaturge belge néerlandophone

« VIVRE NOTRE  PROPRE VIE »
A 14 ans, (2) en 1910, élève en 4éme gréco - latines au collège Onze-Lieve-Vrouwe ( de langue française - fréquenté par la noblesse et la grande bourgeoisie)  , il rentre en rébellion contre les conceptions et les méthodes  des jésuites, aussi bien , au sujet des lectures interdites, que de la prédominances à l'école des classes privilégiées, - et ce qui en découle- de la langue française.Il sera exclu du collège.
Il décrira plus tard en 1919, cette période dans les premières pages de la nouvelle « De jongen"(le jeune homme)   tout imprégnée  de  sa révolte contre les jésuites et la haute caste bourgeoise.
 « Quand Cor , âgé de 15 ans, fut renvoyé d'une école dirigée par les Jésuites, le père préfet lui avait dit qu'il était un garçon bizarre; parfois, il était comme un enfant, parfois comme un vieillard.[..]C'est avec fierté qu'il quitta le parloir du révérend. Le préfet avait remarqué qu'il était différent de autres."
Il s'inscrira à l'Athénée d'Anvers Il y rejoint le « Vlaamsch Bond », une association de lycéens
En juin 1914, après avoir abandonné ses études, employé à la Ville d'Anvers, il participe comme
Congres d'étudiants flamingants- avril 1914 -4ème à p de la droite PvO.
ancien élève, au combat contre la censure , exercée par le préfet de l' Athénée de l'époque,un certain  Loos, qui interdit notamment un roman du grand  August Vermeylen.( un des pères du socialisme)
Il écrit : « l'interdiction de lecture est d' une brutale indécence. »
« Quand nous allons à l'école et que nous voulons progresser, c'est parce que nous pensons pouvoir aussi vivre mieux, plus intensémént .              Toutes les écoles, tous les diplômes, tous les titres ne sont que des moyens - oh stupide et sombre sieur Loos! -, c'est la vie qui est le but ; et tout ce que tu trames contre cela, Monsieur, dans ton cerveau d'abruti ne servira à rien. Nous voulons vivre notre propre vie»
Le préfet , le 6 juin 1914, interdit les réunions et toute rencontre entre anciens et élèves de l'Athénée sous menace d'expulsion, distribue les heures de retenue, menace d'appeler la police. Les protestations des parents ne sont pas entendues .
Comme les rencontres avec les anciens continuent le préfet fait noter les noms par son secrétaire espion , et inflige 4 jours de colle à 7 étudiants.
La presse s'empare du sujet , et , le 2 juillet,les étudiants organisent une manifestation (plus de 300 ) devant le domicile du préfet, où il est hué, sifflé, traité de tyran ; un pantin à son effigie y est brûlé.
La police intervient et surveille en permanence l'établissement !
Le dimanche suivant, les étudiants se répandent dans la ville – jusqu'à la Grand Place pour diffuser un n° spécial de leurs journaux « La Cravache », et « Rechtuit ».
C'est ce jour là – le 5 juillet 1914 - que devant ses camarades , Paul van Ostaijen , posté devant l'école a lancé , en s' assurant d'être bien vu, un pavé dans les vitres du bureau préfectoral. 
Après les examens , tout s'arrêta: nous étions à la veille de la déclaration de guerre...
On le voit , très jeune Paul van Ostaijen apparaît comme un esprit indépendant , impertinent et rebelle.
En même temps, il se crée un personnage. Bien habillé, parfois de façon excentrique ,il aura dans la vie nocturne d'Anvers, ses bistrots préférés ; on l'appellera « Monsieur 1830 » ou « le dandy ».
Il organise aussi des expositions d'art, ( «Art d'aujourd'hui » consacrée notamment à VAN GOGH) fait des conférences artistiques (sur le peintre Kurt Peiser, dont 11 toiles avaient été saisies par la parquet comme licencieuses), commence à composer ses premières poésies , qui seront rassemblées dans son premier recueil « Music Hall »;


(2) sur la biographie de PvO: Gerrit Borgers, Paul van Ostaijen. Een documentatie  : http://www.dbnl.org/tekst/osta002verz03_01/osta002verz03_01_0032.php
(3) (voir"De jongen":http://www.dbnl.org/tekst/osta002verz03_01/osta002verz03_01_0032.php



BART DE WEVER,  EEN RUITENBREKER ?!   UN "CASSEUR DE VITRES"?!  
Mais avant d'aller plus avant à la découverte de Zot Polleke, comme l'appelaient certains de ses
camarades, refaisons on bond en avant dans le temps, 100 ans plus tard
Ce 16 mai 2014, était inaugurée la nouvelle salle « ATHENA » de l 'Athénée Royal d'Anvers . Onze
ans plus tôt, la salle , datant des années 1880, avait été détruite dans un incendie ; elle a été  restaurée.
L'Athénée Royal d'Anvers aujourd'hui
C'était l'occasion,  de rappeler le geste du 5 juillet 1914 de Paul Van Ostaijen , ancien élève maudit , aujourd'hui glorifié pour son esprit libre.
Occasion aussi, de rappeler qu'en 1885 déjà, avait été fondé à l'Athénée un « Vlaamsche Kring », qui avait rassemblé un nombre impressionnant de figures légendaires du mouvement flamand.
Au cours d'une conférence du célèbre poète et prêtre  Guido Gezelle à Tielt, en septembre 1885 , le cercle plutôt orienté libre - penseur flamingant  s'était déplacé depuis Anvers.
GUIDO GEZELLE
Gezelle , partisan de l'ordre et de l'Eglise, attaqua avec mépris ces groupes de jeunes flamingants en prétendant que « leur mouvement était inutile », et qu' ils « étaient comme de prétentieux gamins, casseurs de vitres débiles, dont les parents payaient ensuite les amendes »
Casseurs de vitres, « Ruitenbrekers » , un tract anonyme parut par la suite à Anvers , : « soyons fiers de ce nom ; étudiants[...]soyez des casseurs de vitres au plein sens du terme. » (signé) « Des casseurs de vitres d'Anvers » (1885)
Mais si j'ai fait, ami lecteur, cette diversion historique, c'est pour pouvoir lier le passé au présent, et ajouter un nouveau personnage à la belle histoire des « casseurs de vitres », interrompue par la guerre , nous l'avons vu,  fin juillet 1914.
16 mai  2014 : le bourgmestre s'empare d'un pave...
Et le lance "symboliquement" par la fenêtre

Après l'attaque de Gezelle en 1885,   après le vrai pavé de van Ostaijen en 1914 , voilà un grand numéro d'artiste en ce mois de mai 2014 : Bart De Wever lui même, bourgmestre d'Anvers, premier ministre de l'ombre , lancera lui aussi son pavé, symboliquement bien sûr , et entouré d'un ruban rouge !!
 C'est par ce geste qu'est inaugurée la nouvelle salle de l'Athénée le 16 mai 2014 !

C'est pourtant ce monsieur , "Ruitenbreker"2014 (!!) qui interdit les manifestations devant l'hôtel de ville , comme un sit- in contre ses déclarations à caractère xénophobe au sujet des  « Marocains d'Anvers »
"Qui veut manifester à Anvers doit le demander au moins 3 semaines à l'avance [...]Réagir immédiatement à des déclarations de De Wever est devenu impossible."
Quand 300 manifestants pénètrent Grand Place, ils sont encerclés par des centaines de policiers armés et emmenés au poste et soumis aux  'sanctions administratives communales »
Il représente aujourd'hui ce monde de la bourgeoisie,  de l'oligarchie et de l'ordre tout
ce que Paul van Ostaijen haïssait!
 Gageons que "Zot Polleke" , dans sa tombe
Liberté d'expression made in De Wever
 a dû avoir une furieuse envie d'aller lancer 
un pavé - fut il entouré d'un ruban rouge -
dans les fenêtres à l'hôtel de ville du bureau 
de "Menheer de Burgemeester !" 









NATIONALISME , INTERNATIONALISME, LE DIFFICILE CHEMIN.

Après l'invasion allemande,et un bref exode aux Pays Bas pendant le siège d'Anvers, PvO écrit dans « De Vlaamsche Gazet », l'édition anversoise de « Het Laatste Nieuws », journal publié , comme toute la presse non clandestine sous le contrôle allemand.
Dans deux de ses premiers articles , il rend hommage à deux écrivains français tombés au front : « Péguy voulait la guerre, la guerre l'a pris ; Alain-Fournier ne la voulait pas, et la guerre l'a quand même fauché. »
Vlaamsche Gazet 28/11/1914
Et à un poète allemand : «  Il peut paraître surprenant que maintenant, dans les circonstances actuelles, nous voulions rendre un hommage pieux à un poète allemand- tout au moins, un poète qui s'exprimait en allemand dont la poésie était dans son essence, indubitablement allemande....
nous voulons cependant lui rendre hommage. Il sera d'autant plus fort dans ces circonstances qui nous ont rendu son peuple tout, sauf sympathique. » ( "De letterkunde beproefd 28/11/1914)
Un article non publié de décembre 1914 exprime son point de vue :
« Nous avons toujours bien vu le danger , aussi bien du pangermanisme, que du pangallicisme....
ceux qui ont dit que que nous devrions plus pencher vers l'Allemagne , parce que nous serions germains sont, avec ces principes, des siècles en retard. [...] seul le peuple existe, pas la tribu.
Flamands et Allemands sont deux peuples, qui peut être , ont  eu des origines communes, mais qui sont maintenant deux peuples qui n'ont plus rien en commun l'un avec l'autre . Cela a été et reste notre point de vue. » ( cité dans Borgers op cité)
On le voit , la guerre n'entraîne pas le jeune poète anversois, ni dans le chauvinisme belge et la haine des peuples au nom de la patrie belge attaquée, ni dans un nationalisme flamand germanophile, au nom des racines communes.
Il mettra en avant sa conception- très théorique- du nationalisme internationaliste.
Il critique le « germanisme » des cercles activistes extrêmes  (Jong Vlaanderen), qui s'attirent la sympathie des cercles réactionnaires allemands avec l'idée d'un héritage germanique commun,  rejetant  ainsi plusieurs siècles d'histoire, et repoussant  aussi la sympathie des Allemands libéraux et des Hollandais 
  « Nous devons ouvrir tout grand nos fenêtres de tous les côtés » Et il veut s'inscrire dans le développement culturel en Europe, qui par delà la guerre, et par delà les frontières. construit un nouvel internationalisme . Mais en même temps, il appelle à un développement commun Flandre -  Pays Bas , la Grande Néérlande!
Il oscille, on le voit ,entre un nationalisme grand néerlandais - bien présent dans le mouvement activiste, - et qui pour certains est une alternative à l'annexion par le Kayser-  d'une part, et une ouverture universaliste à la culture et à tous les peuples  européens ;  il apprécie très largement la littérature française et est imprégné de la pensée  universaliste d'un   pacifiste allemand Kurt Hiller.
Celui ci a fondé un mouvent Aktivism , qui défend des idées voisines de celles de Romain Rolland sur le rôle de l'esprit et des intellectuels : "remplir la fonction de "politicien de l'esprit" (4)
                                                        

Préhistoire du mouvement flamand - Ons Land 1917-1918
D' autre part, dans une série de 28 articles  à caractère historique «  Sur la préhistoire du mouvement flamand » van Ostaijen  analyse ( "à, travers le prisme du "flamingantisme") l'histoire de la Flandre de l'occupation autrichienne à 1815 et décortique particulièrement la période du rattachement à la France 1792 et la Convention puis de 1794 à 1815 ( le Directoire et l'Empire) qu'il caractérise comme « un nouvel absolutisme », qui selon lui, à part à Liège, n'a pas eu le soutien des peuples et « batave » et belge... 

 (4) voir   Nasionalisme en het nieuwe geslachthttp://www.dbnl.org/tekst/osta002verz01_01/osta002verz01_01_0002.php#2
 Over het tragiese van de beweging Enige kanttekeninge  http://www.dbnl.org/tekst/osta002verz01_01/osta002verz01_01_0003.php          

UN ACTIVISTE
Paul van Ostaijen sera dés 1915 un "activiste"
Le mouvement activiste est un mouvement politique flamand qui a refusé l'Union Sacrée en ce qui concerne les revendications flamandes et   voulait profiter de l'instabilité causée par la guerre pour tenter de les  faire progresser, y compris, pour les principaux dirigeants, en se ralliant à la politique impérialiste de l'Allemagne .(Flamenpolitik appliquée par le gouverneur général  militaire, l'aristocrate prussien  Von Bissing)
Au contraire des « passivistes », prêts à mettre tout au frigo jusqu'à la fin de la guerre, par loyauté vis à vis du gouvernement du Havre et de la monarchie.
Mouvement à différentes facettes : les premiers, en octobre 1914 à Gand, à sortir du bois sont les pan -germanistes, favorables ouvertement à une Flandre indépendante, annexée à l'Empire allemand, à la disparition totale du français en Flandre et la rupture totale d'avec la Wallonie.
 A la tête de ces "Jong-Vlaanderen", un pasteur hollandais Jan Derk Domela farouche soutien du pan germanisme et du Kayser.  voir De Schaepdrijver "De Groote oorlog" Amsterdam 2013

 Parmi les activistes, il y aura aussi des révolutionnaires socialistes ( Van Extergem), des partisans d'un simple fédéralisme, des sociaux démocrates (Joris et "De Nieuwe Tijd), des démocrates libre penseurs (Roza de Guchtenaar) des libéraux (Augusteyns) ou d'autres qui s'éloignèrent refusant la collaboration avec l'occupant ( Baudoin Maes)
Parmi les  activistes, une frange de jeunes intellectuels, progressistes, en révolte contre le monde ancien de conventions bourgeoises, de censure, de domination de la langue française aussi.
 Révolte pour l'émancipation sociale et culturelle de la Flandre, et révolte aussi pour leur propre développement personnel.
Ils ne pouvaient se reconnaître dans la mobilisation  patriotique derrière la triade Monarchie, Noblesse, Grande Bourgeoisie et dans le nationalisme « belgicain ».
Citons, outre PvO, Lode Craeybeckx, (futur bourgmestre SP d'Anvers), Firmin Mortier( futur directeur du Théâtre Royal Flamand) , les poètes Victor  Brunclair et Gaston Burssens et tant d'autres.

La direction du  mouvement activiste sera néanmoins , toute la durée de la guerre exercée par des bourgeois catholiques, la plupart professeurs, hommes de lettres ou fonctionnaires, germanophiles (Borms, De Clerck, etc.), sorte d'élite flamande de droit divin. Nationalistes. ils agiront surtout pour être reconnus par les Allemands ,et  pour assurer leur propre pouvoir sur une Flandre indépendante auto - proclamée.  Ils créeront un "Raad van Vlaanderen"en février 1917, proclameront ,en dehors de toute légitimité démocratique,  en mars 1917, la gestion séparée de la Flandre (incluant Bruxelles) et de la Wallonie ( capitale Namur) et proclameront même l'indépendance totale de la Flandre que l'administration allemande présentera en janvier 1918 comme "autonomie" de la Flandre.
 Pendant  que les peuples flamand comme wallon subissaient , outre la mort au front de l'Yser , la faim, la misère et le chômage à l'arrière ainsi que  les réquisitions pour le travail en Allemagne .

Tous les activistes seront poursuivis en 1919-1920 dans des procès politiques souvent en cour d'Assises et condamnés à de lourdes peines ( à mort, 50, 20 , 15 ans etc.) , mais elles ne seront pas appliquées., et seront commuées en peines de prison.Camille Huysmans qualifiera cette répression de "furie fransquillonne". (5)

De son côté , la bourgeoisie belge – particulièrement la bourgeoisie flamande fransquillonne- n' avait pas baissé la garde et "activait"un nationalisme belgicain  anti-flamingant : le mouvement flamand était  globalement soupçonné de trahison pour les  "boches".
Par exemple, des rumeurs accuseront van Ostaijen de vouloir publier un nouveau périodique, payé par les Allemands. Il répond :
« Van Ostaijen n'a jamais reçu d'argent allemand sauf quand son salaire lui a été payé par la Ville en monnaie allemande.(oh ! moments délicieux...)
Van Ostaijen n'a jamais eu l'intention d'éditer un journal...Votre informateur est un menteur ou un idiot...
Tout ceci n'est que joyeusement méprisable et méprisablement joyeux » (en français.) 

(5)voir par exemple le procès de Jef Van Extergem :http://rouges-flammes.blogspot.be/2014/12/1914-1918-uomini-contro-kameraad-jef.html


"WEG MET HET CARDINAAL" - "A BAS LE CARDINAL"

En 1917,  se produit l' affaire Mercier
Le cardinal Mercier
Celui ci , archevêque de Malines , n'est pas seulement le chef de l' Eglise de Belgique, il n'est pas seulement le principal « patriote - résistant » à l'invasion allemande dont la photo trône aux côtés de celle du Roi Albert, il a été aussi et est resté un farouche partisan de la bourgeoisie flamande fransquillonne, et de la suprématie absolue de la langue française.
Il est le représentant parfait de cette triade des classes dominantes : le haut clergé, la noblesse et la grande bourgeoisie.
Il a toujours été opposé à la création d'une Université flamande à Gand, comme il a toujours freiné au maximum le dédoublement des cours à « son » UCL (Université Catholique de Louvain), qu'il contrôle
Je me permets ici de le citer assez longuement  dans une déclaration de 1906, qui vaut son pesant d'or !:
« Quiconque comprend le rôle de l’Université ne peut raisonnablement prétendre que le français et le flamand doivent être mis sur un pied d’égalité dans l’enseignement universitaire.
Et comme chacun est homme plus encore que Belge, c’est-à-dire, comme les intérêts généraux de la civilisation sont supérieurs aux intérêts particuliers d’une nation, la culture du français doit, pour ceux qui sont appelés à jouer un rôle dans le mouvement universel de la pensée et de l’action, primer celle du flamand.
Les Flamands qui voudraient flandriciser une université belge n’ont pas réfléchi au rôle supérieur auquel doit prétendre une université. Si leurs revendications étaient accueillies, la race flamande serait du coup réduite à des conditions d’infériorité dans la concurrence universelle. Les raisons, qui nous font repousser l’idée d’une université flamande en Belgique, nous engagent aussi à nous opposer à l’introduction du flamand comme langue unique ou principale dans l’enseignement des humanités» Instructions générales des évêques de Belgique septembre 1906 (6)
Déclaration hallucinante aujourd'hui dans le contexte d'une Belgique fédérale - mais qui reflète bien la mentalité des classes dominantes  de l'époque.
Ons Land -"L'affaire Mercier" article de PvO
Peu étonnant que de jeunes militants rebelles , 10 ans plus tard pourtant, l'accueillent non comme le représentant de la patrie belge dans laquelle ils ne se reconnaissaient d'ailleurs pas ou plus, mais comme le bon vieux défenseur de la bourgeoisie régnante.
Le 16 septembre 1917, il vient en procession à Anvers ;
Une quarantaine de jeunes l'accueillent par des sifflets et les cris de « Weg met het cardinaal » , tandis qu'un autre groupe, de fransquillons et de « rastaqouères » ( dixit PvO), l'acclament.
Alors que les partisans du cardinal ne sont évidemment pas inquiétés, cinq manifestants (repérables par leur petit lion à la boutonnière) sont arrêtés, et verbalisés au commissariat.

En janvier 1918 , ils seront condamnés à 3 mois de prison. C'est en mars 1920 que la cour d'Appel confirmera ce jugement , qui sera amnistié en juillet 1921.


PvO quitte la Belgique en octobre 1918 , pour échapper à la campagne annoncée de répression par le gouvernement du Havre contre les « activistes » .
Il sera à Berlin pendant la révolution spartakiste, sans y participer directement  malgré ses sympathies révolutionnaires.
Avec son ami Firmin Mortier, il visitera néanmoins l'hôtel où Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht furent assassinés, et ils participeront à des meetings du USPD. (scission de gauche du parti socialiste  (social chauvin) SPD)
En novembre 1920, dans le cadre des poursuites contre les activistes pour « atteinte au moral des soldats et de la population », 9 mois de prison seront requis contre lui pour sa collaboration au journal « De Antwerpsche Courant »
Rentré à Anvers en 1921, il sera appelé au Tribunal Correctionnel , qui reportera le procès à une date indéterminée. On peut supposer que la condamnation d'un   poète flamand qui commençait à être connu aurait fait tache.
(6)(cité dans Kris Deschouwer, «Comprendre le nationalisme flamand»)  http://popups.ulg.ac.be/1374-3864/index.php?id=285
ECRITS POLITIQUES : SOCIALISTE, COMMUNISTE

C'est de Berlin , en 1920 que, malgré qu'il se soit complètement immergé dans l'activité littéraire et artistique de la capitale allemande, il expose ses idées politiques sur le mouvement flamand.
D'abord dans une « Lettre ouverte à Camille Huysmans » : (7)( De Toorts 24 avril 1920)

Il répond à Camille Huysmans. 
Celui ci , écarté de la direction nationale du POB pour son pacifisme pendant la guerre,  se retire à Anvers, où il tente de recoller les morceaux du parti en y rassemblant les flamingants modérés , même ancien activistes.
Il doit pour ce faire se démarquer du  "Front partij", parti flamingant naissant, issu du mouvement des tranchées , plutôt catholique. Ce parti ne serait pas social, mais purement linguistique , au contraire du POB qui verrait le caractère social et populaire du  mouvement flamand
Van Ostaijen se définit comme socialiste.
"Il y a devant moi depuis un an le dilemme : adhérer au POB ou au Frontpartij 
Certainement , à Mons chez Pierard ( un des députés socialistes des plus chauvins), j'aurais peu de chances d'être accepté, Chez vous [...]à Anvers,ça irait mieux pour moi;Mais peut être, à Gand , chez Anseele, n'ai je  non plus aucune chance."
Le socialisme du POB change  entre la rue Haute ( à Bruxelles) et Rijkevorsel (commune proche d'Anvers) 
[...] Est ce cela un parti ? »
A choisir  entre le POB et le Vlaams Front Partij, il choisirait le deuxième . Il regroupe des chrétiens, mais s'ils sont « a-socialistes », c'est parce que personne ne leur a encore apporté une conscience en accord avec leurs espérances.
Il reproche au POB de n'avoir jamais considéré le problème flamand comme un problème social, alors que « le programme de Erfurt (référence programmatique de la social démocratie allemande) déclare que le socialisme combat toute oppression, qu'elle soit d'une classe, d'un parti , ou d'une caste contre un peuple.
 Le POB accepte ce principe pour les autres, pour les Tchèques, mais pas pour les Flamands !
Certains de vos collègues flamands et la plupart de vos collègues wallons pensent que le peuple flamand n'est pas opprimé. 
Qui dois je suivre, le POB ou le programme d' Erfurt  ?[...].
Je suis socialiste, et j'estime que la solution du problème flamand fait partie des intérêts du socialisme.
Les dirigeants socialistes auraient dû écouter la parole de August Bebel :« une langue de classe, quelle arme merveilleuse pour la lutte de classes!"
Le POB n'offre que confusion,  et assène, à ceux qui le lui reprochent, le coup de massue : « Le POB a été patriote. »
Mais il n'y a plus rien de l'élan des débuts du socialisme . »
Ensuite dans « Au sujet du problème flamand » ( De Nieuwe Tijd 1921  )     (8)                        
1920 : Ho Chi Minh au congrès communiste de Tours
Il commence son article, écrit en septembre 1920, en saluant la « complète reconnaissance de la nationalité par la république des soviets » 
 Il donne comme exemples l'instauration de soviets polonais dans la Pologne – en 1920 encore russe- preuve de la reconnaissance du droit à l'auto détermination du peuple polonais, et aussi le soutien de la Russie soviétique aux mouvements nationaux d'Asie (Inde et Egypte)
Il s'y affirme communiste. il considère le suffrage universel , adopté en novembre 1918 ,comme une couche de vernis démocratique maintenant la domination du clergé et du capital. Il y oppose « la dictature du prolétariat »
Il revient sur le problème flamand :
« En Flandre, la différence de classe va avec la différence de langue.
Laermans     Les émigrants 1896
La caste supérieure est francisée. Le prolétariat, les paysans et les petit bourgeois sont flamands.
2% de fransquillons dominent au moyen du clergé, les paysans, et au moyen de la social démocratie le prolétariat.
Bien sûr , le travailleur wallon est aussi exploité[...],mais l'ouvrier flamand est surexploité, comme travailleur d'abord et aussi comme  ouvrier manoeuvre , non qualifié ; 
il ne peut s'élever dans l'échelle sociale qu'en assimilant la culture française [...] et seuls quelques uns peuvent le faire -, ça coûte aussi de l'argent. »
« La social démocratie n'a pas voulu voir le problème flamand, ils n'en ont jamais fait une question de principe[...]
et sur la question flamande, les socialistes wallons sont sur la même position que le haut clergé et la bourgeoisie!
[...]le communisme peut trouver dans le mouvement flamand un grand facteur pour élargir son influence : d'abord de par l'oppression nationale de nature socio-économique , et ensuite de par le mécontentement croissant qui a conduit à une rupture de confiance d'avec l'état belge , déjà durant la guerre 14-18.
Le communisme ne doit pas faire de compromis avec l'idéologie nationaliste.
La prise de conscience flamande s'est faite en opposition au nationalisme créé par l'état belge ; elle doit aller sur le chemin de l'internationalisme, de l'action internationale de masse pour un état international- sans distinction nationale mais avec la protection de toute les différences ethniques. »

Texte étonnant, largement méconnu aujourd'hui, sorte d'appel au mouvement communiste en gestation à s'emparer des revendications flamandes en leur donnant à la fois un caractère internationaliste et un caractère de classe.
Il illustre les grands débats qui traversent la nouvelle gauche issue de la guerre dans les 2-3 années 1918-1920,  qui mèneront , à la formation du parti communiste.
Ce texte est un aboutissement de son évolution politique : d'un nationalisme fortement  teinté d' universalisme, des  années 1916-1917, il s'inscrit en 1920-  sous l'influence des révolutions russe et allemande, on peut le suppose r-  dans le courant socialiste et communiste. 
Cet article est aussi  un rare texte sur la question nationale, posée en termes de classe.
Sans aucun doute, il a été loin d'avoir une place centrale dans les discussions idéologiques au sein des différents groupes qui participeront à la fondation du parti communiste ( parlementarisme ou pas, participation aux syndicats ou pas, soutien au mouvement flamand ou pas)
Il est resté au niveau de la réflexion théorique. Et on  peut se dire ,avec respect et modestie,  en le lisant,  que ce  qui fit défaut sans doute à ces groupe de jeunes poètes et intellectuels flamingants révolutionnaires , issus de l'activisme, c'est à la fois le lien avec la pratique sociale et la rencontre avec la théorie marxiste.
 Paul van Ostaijen n'a pas, par la suite, pris la place dans le combat politique, au parti communiste ou ailleurs, que ses écrits politiques auraient pu laisser présager.
Poète et artiste avant tout, individu intelligent plus que militant engagé, c'est dans la poésie qu'il fera sa révolution : poète de l' expressionnisme, il publiera : « Het Sienjaal », « Bezette stad », « De feesten van angst en pijn »
Mais très vite la maladie –la tuberculose - s'emparera de lui : il meurt au sanatorium d' ANHEE en 1928 à 32 ans !
(8)  http://www.dbnl.org/tekst/osta002verz01_01/osta002verz01_01_0012.php

La tombe de Paul van Ostaijen au Schoonselhof Anvers

****
Poême : A une Maman (extraits)
                             Son fils est mort au champ de bataille.
 poème dans Ons Land 27/10/1917 (traductionpersonnelle)
(9) http://www.dbnl.org/tekst/osta002verz02_/osta002verz02_01_0071.php

Tu m'as dit "mon fils est tombé. 
Tu ne l'as pas connu
ni son front,ni ses lèvres

 ni ses mains ; aucun de ceux

 là maintenant à mes côtés, n'ont rien connu de lui,

sauf une chose : où il est tombé -

 au champ d'honneur. 

 Quand j'entendais des pas dans la rue

 je me disais : « ainsi sera son retour ».

 Cette écoute, cette attente , c'est fini.

 Les pièces que j'ai épargnées

 pour lui acheter une veste

 sont encore dans le coffret , à côté des dessins de guerre

 de son enfance"

 Tu dois écrire un poème pour mon fils

 que je mettrai à côté de ses dessins dans la boîte."

 Je sais, petite Maman, tu aimerais lire
Choc des armées, champ de bataille, héros
car comme une sainte triade , on t' a proposé ces mots
Et de ton fils tu n'as plus que ça:
 Des mots qui doivent te consoler.
Parce que , ton fils , tu ne le réveilleras plus jamais
 Tu ne prépareras plus jamais son café
toujours au même coup de l'horloge
tu ne le regardera plus jamais sortir dans la rue .
[....]
  Ton fils, Petite Maman, n'est pas tombé pour une juste cause
Mais son sang lui a été sucé par tous
Parce que notre humanité s'en est allée.
[....] 
 Tout est beauté- Souviens toi de ton fils
assis en face de toi à la table du déjeuner-
 Nous devons libérer notre propre conscience, notre esprit
De toute illusion.
 Les millions des funestes croix noires
se taisent, mais leur plaie, ouverte et sombre
 a retrouvé la parole :"tout est leurre et tromperie."
 « Vivants, rassemblez vos faibles forces
Pour la foi en la vie, en la vie ! 
"Tout est infiniment beau" ; écoutez cette parole 
Qui épanouit notre conscience. »