dimanche 13 juillet 2014

1914 – 1918  « UOMINI CONTRO »... et UN HOMME POUR : JULES DESTREE en ITALIE

Le contexte politique du film de ROSI (http://rouges-flammes.blogspot.be/2014/07/1914-1918-uomini-contro-des-hommes.html) nous amène presque naturellement à la rencontre d'une figure de notre passé : JULES DESTREE.
 
Gamin, élève dans une école primaire de COUILLET, habitant à MARCINELLE, j'avais gardé
 l'image d'une des « grandes » personnalités du PAYS NOIR., si pas la plus grande.
Mon instituteur nous en parlait avec tellement de vénération.
Rue, place, avenue JULES DESTREE , école JULES DESTREE, institut JULES DESTREE, musée DESTREE..., pas possible d'y échapper.
Par la suite, dés les années 60 et 70 et la marche vers le fédéralisme et la régionalisation, le régionalisme wallon s'est emparé de sa mémoire avec celles d' ANDRE RENARD, JEAN REY, FERNAND DEHOUSSE et de bien d'autres, qui seront , en 2011, honorés à titre posthume de la distinction de "COMMANDEUR du MERITE WALLON".
JULES DESTREE, ancien ministre des Sciences et des Arts  en 1920-21,  père du régionalisme wallon auquel une très large majorité de la gauche de Wallonie – il faut le reconnaître - s'est ralliée après 60-61, sous l'influence d' ANDRE RENARD, du Mouvement Populaire Wallon et du mot d'ordre de « fédéralisme »....
Et voilà qu'aujourd'hui , derrière cette figure légendaire de mon enfance et de ma jeunesse militante , apparaît un côté peu connu du personnage.

Mon ami HUBERT HEDEBOUW m'a alerté dans son blog hachhach sur l'attitude de JULES DESTREE en RUSSIE en 1917 , ministre de Belgique à PETROGRAD  d' octobre 1917 à avril 1918.
«Un Russe peut se dire socialiste, il n'en est pas moins le fils d'un alcoolique, le petit-fils d'un esclave, et le descendant d'un barbare d'Asie ... Ils sont très courageux, j'en conviens, quand ils sont à dix contre un ... Le sentiment de dignité est rare, et celui de la propreté, rare aussi, parce que le premier fait défaut ... Le Russe est remarquablement paresseux. Boire du thé et fumer des cigarettes lui paraissent les occupations essentielles de l'existence».
JULES DESTREE Les Fondeurs de neige. Notes sur la révolution bolchévique à PETROGRAD pendant l'hiver 1917-1918 pp 175,168,171 ,172 cité dans http://hachhachhh.blogspot.be/2014_04_01_archive.html

hachhach signalait aussi :« Jules Destrée avait déjà utilisé en 1915 toute son éloquence pour

 convaincre les Italiens de déclarer la guerre, dont les socialistes italiens étaient des adversaires 

féroces. »

1914 : L'ITALIE N'EST PAS EN GUERRE

Cet épisode italien mérité qu'on s'y attarde.
En 1914 , l' ITALIE fait figure d'exception dans le paysage politique (et militaire) européen : elle n'est pas en guerre !!!
Non pas que la bourgeoisie italienne soit pacifiste, mais elle hésitait à choisir son camp, à savoir celui qui lui rapporterait le plus en nouveaux territoires , nouvelles colonies, nouveaux marchés.
Non seulement, elle n'est pas en guerre, mais les socialistes italiens continuent à proclamer leur refus de la guerre , fidèles en cela aux résolutions de la IIème Internationale, « GUERRE A LA GUERRE » du Congrès de BALE de 1912.
ROSA LUXEMBOURG
Ils n'étaient pas nombreux les socialistes hostiles à « l'UNION SACREE «   : les italiens, les suisses, les hollandais, les serbes et les bulgares, les amis de LIEBKNECHT et ROSA LUXEMBOURG en Allemagne, et bien sûr le POSDR de LENINE le Parti Ouvrier Social Démocrate de RUSSIE

lire à ce sujet :HERWIG LEROUGE  :ETUDES MARXISTES - 106 -2014: Le mouvement socialiste et la première guerre mondiale


PIETRO NENNI, dirigeant du PSI raconte :
« La guerre était là et une nouvelle étape s'ouvrait dans l'histoire du monde.
La guerre était là , et elle allait détourner vers d'autres objectifs la colère des masses et l'ardeur de ses chefs.
...Le parti socialiste n'eut pas non plus d'hésitation, et dés la première minute, il prit position contre la guerre.
D'août 1914 à mai 1915, (date de l'intervention), l'Italie connut une effroyable mêlée entre partisans et adversaires de la guerre.
On se battait dans les meetings, on s'injuriait dans les journaux.
Ce n'est qu'à la fin de septembre 1914, que MUSSOLINI, après avoir organisé à l'AVANTI, le plébiscite contre la guerre se convertit brusquement à l'interventionnisme.
En deux mois, il bouleversa de fond en comble sa politique, et le 14 novembre, il fonda son journal le « POPOLO D'ITALIA » , qui arborait ce mot magique : LA GUERRA.

Entre temps, de puissantes influences s'étaient exercées sur lui.
BATTISTI, le député de TRENTE,...MARCEL CACHIN, le Belge JULES DESTREE, d'autres encore avaient essayé de le décider à changer d'attitude.
De FRANCE, on lui avait promis de l'argent pour fonder un journal.
Il eut une très courte hésitation . DEJA IL TROUVAIT, DRESSEE CONTRE LUI, LA DIRECTION DE SON PARTI.
...Une toute petite minorité l'avait suivi. Il allait être expulsé de la section de MILAN.
La séance de l'expulsion ne manquait pas d'une certaine grandeur.... Comme il n'arrivait à se faire entendre qu'avec peine, il eut un mouvement de colère .Il brisa un verre sur la table . Il lança : «... si vous croyez m'exclure de la vie publique, vous vous trompez. Vous me trouverez devant vous, vivant et implacable ».
Il sortit sous les huées. »

PIETRO NENNI : 6 ANS DE GUERRE CIVILE EN ITALIE - LIBRAIRIE VALOIS 1930

C'est dans ce contexte politique qu'intervient JULES DESTREE.
Une exposition au musée DESTREE, en 2007 le présentera comme « le diplomate de la Grande Guerre » http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=33872

La mission, confiée à JULES DESTREE par le roi ALBERT Ier était en effet d' amener l' ITALIE à entrer en guerre, aux côtés de l' ENTENTE (FRANCE, GRANDE BRETAGNE, RUSSIE) et ce au nom du soutien à la petite BELGIQUE occupée et, il est vrai, maltraitée et même massacrée par les troupes d'occupation du KAYSER.
Habile manoeuvre de propagande, que d'appeler à la solidarité avec « THE POOR LITTLE BELGIUM » petit peuple proclamé neutre, agressé injustement, et d'ainsi dissimuler derrière le soutien à la la résistance des Belges et la compassion pour leurs souffrances, la véritable nature de la guerre européenne : un affrontement entre blocs impérialistes pour le partage du monde.
La RTBF, il y a quelques semaines mange le morceau :
« Un argument massue ... est le suivant : Rome se doit d’être sensible au sort de la Belgique "martyrisée", au même titre qu’elle l’est par rapport au sort des terres irrédentes (Istrie, Trentin, Fiume ), bordant l’Adriatique, que l’Italie souhaite intégrer dans son giron ».

Une petite louche de larmes sur la BELGIQUE et une bonne soupière de nationalisme grand- italien, pour reconquérir TRENTE, FIUME, l' ISTRIE voire la DALMATIE ( l'ancienne REPUBLIQUE DE VENISE en quelque sorte)
les régions irrédentes d'ITALIE
Mais en fait, c'est bien d'une guerre de rapine impérialiste dont il s'agit ; en 1917 , les IZVESTIA, le journal des députés ouvriers de PETROGRAD révéleront que l' ITALIE avait signé, le 26 avril 1915, avec la FRANCE, LA GRANDE BRETAGNE et la RUSSIE un pacte secret, LE PACTE DE LONDRES.

« Le pacte prévoit que l’Italie entrerait en guerre aux côtés de l 'Entente, dans un délai d’un mois, et en échange, elle recevrait, en cas de victoire, le Trentin, le Tyrol du Sud, la Marche Julienne, l'Istrie, (à l'exception de FIUME), une partie de la Dalmatie, de nombreuses îles de l'Adriatique, ainsi que Vlora, et Daseno en Albanie et le bassin houiller d'Antalya en Turquie. De plus, elle se voit confirmer la souveraineté sur la LYBIE et le DODECANESE. »

LA LYBIE... que les troupes italiennes avaient conquises en 1911, 4 ans précédemment, dans la guerre italo - turque, pour se construire, "comme les autres", un empire colonial.


JULES DESTREE ET MUSSOLINI : « LA GUERRA »

Les extraits de ce chapitre sont tirés essentiellement de
PHILIPPE DESTATTE : JULES DESTREE ET L'ITALIE
A la rencontre du national socialisme
Conférence donnée le25 février1988 à l'initiative de l'Association "Dante Alighieri" de Charleroi
Revue Historique Belge XIX 1988 n°3-4 pp 543-585 (RHB)

DESTREE, lui était arrivé en ITALIE en novembre 1914
Très vite, il choisit son camp : il traite avec mépris la position du parti socialiste .

« ... Théorie d'un verbalisme creux...Théorie bassement égoïste et destructive de toute solidarité, qui pousse la neutralité militaire jusqu'à la neutralité du coeur et de l'esprit. Ce matérialisme prolétarien ressemble fort au matérialisme bourgeois et a un aspect assez répugnant, qui fait honte à certains socialistes officiels... »
« En Italie avant la guerre » cité dans P. DESTATTE RHB p571

Et il n'hésite pas à soutenir le dissident exclu de son parti :
« Certains leaders du PSI ne voient pas les choses de cette manière .L'un de ceux ci a levé l'étendard
de la révolte. L'on ne parle plus depuis 15 jours que du cas MUSSOLINI... »
« Petit homme noir, paraissant la quarantaine, moustache noire,très vif, mais regards fuyants, il appartient à cette forte race romagnole dont les qualités de probité, de travail et de démocratie passionnée se sont imposés dans divers domaines de l'intellectualité italienne.
Suit l'éloge de MUSSOLINI « très courageux et travailleur »,...  « autodidacte »,... « accent de sincérité »
 "La crânerie de MUSSOLINI, renonçant à ses seuls moyens d'existence pour ne pas continuer à défendre une ligne de conduite qu'il désapprouvait, lui valut de nombreuses sympathies..." 

« En Italie avant la guerre » cité dans P. DESTATTE RHB p.572

Plus tard, après la déclaration de guerre, à l'occasion d'une conférence à FLORENCE le 20 juillet 1915 d' EMILE VANDERVELDE , venu lui aussi soutenir la guerre, il écrira, toujours méprisant :

« Peut-on espérer que ce point de vue, défendu depuis le mois de décembre dernier avec une
verve et un dévouement inlassable par Mussolini, deviendra celui du parti socialiste officiel italien, à présent qu'il a reçu en termes modérés et réservés l'approbation du président du Bureau socialiste
international? Il serait excessif de s'y attendre.
Les officiels italiens sont butés dans la répétition de raisonnements désuets - quand ils raisonnent ! -ou dans des antipathies qui ne raisonnent pas.
Ils ont pu résister sans en être touchés à la grande crise nationale de mai dernier. Tout porte donc à
croire que leur obstination mettra un temps très long à reconnaître son erreur. »
 
JULES DESTREE « En Italie pendant la guerre » G. VAN OEST et Cie 1916


Pour VANDERVELDE et DESTREE, il n' y a plus ni parti frère, ni INTERNATIONALE, il n' y a plus que  «LA GUERRE » !!!
« J'ai voulu voir ce MUSSOLINI » écrit DESTREE de FLORENCE, le 1er décembre 1914. 
« J'ai été lui signaler l'étonnante prétention de von der Golz de réduire par la faim les ouvriers belges qui refusent de travailler sous l'ordre allemand, et il a fait aussitôt un article enflammé disant que ce n'était pas avec des ordres du jour, ni avec des meetings, mais avec des fusils qu'il fallait répondre. 
LA GUERRA. Si vous l'aviez entendu prononcer ces mots avec une expression d'illuminé, les yeux d'un mystique en extase !
LA GUERRA, la seule chose à méditer,à préparer tout de suite pour l'honneur de l'Italie et pour l'honneur du socialisme.
Si vous aviez vu les installations pauvres de ce « Popolo d'Italia », et les yeux luisants et l'âme passionnée de son directeur, vous n'eussiez pas douté de sa sincérité.
Mais est ce un précurseur ou un rebelle ? Chi lo sa ? »
« En Italie avant la guerre » cité dans P. DESTATTE RHB p.573

Richard DEPIERREUX collaborateur de Jules Destrée qui l'accompagnait en ITALIE, nous apporte des précisions sur l'objet de la démarche du député wallon.
« Comme L'AVANTI, l'organe officiel du parti avait plusieurs fois refusé de publier un communiqué belge relatif aux déportations d'ouvriers, ce qui nous paraissait être l'essentiel devoir d'un journal qui défendait la classe ouvrière, nous n'avons porté le communiqué qu'à un journal réfractaire qui portait le titre de « POPOLO D'ITALIA » 
... « La salle de rédaction où nous avons été reçus était une sorte de pauvre grenier où le directeur, qui était en même temps le rédacteur en chef , travaillait sur une table de bois blanc. (.
(...)Ce jeune Italien ardent et impétueux, s'indigna une fois de plus des manoeuvres de la politique allemande.
Mais il manifesta une tristesse indignée, parce qu'il se voyait obligé de ne point publier le communiqué le lendemain et de ne pouvoir le commenter ainsi qu'il le voulait.
Sa raison était péremptoire: son journal ne paraîtra pas le lendemain parce qu'il n'avait plus d'argent pour payer ses typographes !
Il ne lui fallait que peu de choses, et il ne tarda pas à en être pourvu.
Le lendemain ,le communiqué paraît, encadré d'un article enflammé contre l' ALLEMAGNE » 
 
R. DUPIERREUX : « Le souvenir de Jules Destrée XI ; Journal de Charleroi , 3 mai 1954 cité dans P. DESTATTE RHB pp.573-574

DESTATTE poursuit : « RICHARD DEPIERREUX lui aussi laisse des silences lourds de sous entendus.
DESTREE a-t-il fourni le  "peu de choses" nécessaire à la parution du  "Popolo d'Italia" et de son communiqué sur la Belgique ? C'est très probable.
Dans l'introduction à l' édition des « Souvenirs des temps de guerre », en 1980, MICHEL DUMOULIN, chercheur au FNRS, notait qu'on devait à la vérité de « dire que l'hypothèse selon laquelle le député de CHARLEROI aurait joué un rôle dans le ravitaillement de MUSSOLINI en argent frais n'est pas dénuée de fondement »
DUMOULIN faisait allusion à un rapport de la Sûreté italienne du 31 août 1915 consacré aux ressources financières du Popolo et faisant allusion à DESTREE ».

DESTREE : « SOUVENIRS DES TEMPS DE GUERRE » Edition annotée par Michel Dumoulin Nauwelaerts 1980 cité dans DESTATTE RHB p.574

Et voilà la figure légendaire de mon enfance au PAYS NOIR qui s'écroule ; le COMMANDEUR du MERITE WALLON, bailleur de fonds de MUSSOLINI !!!
Mais me direz vous, il ne pouvait pas savoir ; « vous manipulez l'histoire »; personne ne pouvait se douter en 1915 que le camarade BENITO serait le fondateur du parti fasciste en 1921 , l'assassin de MATTEOTTI en 1924.
Sans doute.
Mais remarquons quand même, que le fascisme, comme réponse extrême des classes dominantes à une situation pré révolutionnaire ( en ITALIE, les 2 années rouges de 1919-1920 ) trouvera une de ses sources dans le nationalisme et le chauvinisme « grand italien » de 1915 auquel les sociaux démocrates belges, DESTREE et VANDERVELDE ont en 1915-1916 donné plus qu'un coup de pouce, y compris financier, et ce en rupture avec les socialistes italiens.
JULES DESTREE ET D'ANNUNZIO - 1915

Remarquons aussi l'ambiguïté, faite surtout d'admiration, dés 1915 de DESTREE par rapport au chantre de l' irrédentisme expansionniste italien , GABRIELE D'ANNUNZIO.
DESTREE lui consacrera un long article dans « LA REVUE DE PARIS »de sept.- Oct.1917
« FIGURES ITALIENNES D'AUJOURD'HUI : GABRIELE D'ANNUNZIO »
D' ANNUNZIO, à GENES 1915, appelle à la guerre

Du 5 au 23 mai 1915, date de l'entrée en guerre de l'Italie, le poète – écrivain – homme politique nationaliste se répandit de GENES à ROME pour mobiliser POUR la guerre, et pourfendre les résistances neutralistes au gouvernement , au Parlement , et dans le peuple .

« Et bien oui, compagnons, je porte un don de vie, et j'annonce une victoire....il n'y a plus de choix pour nous. Je vous le dis déjà en cette première heure, en cette nuit de veillée que notre guerre est juste »
 « Le 7 mai ,raconte DESTREE, il s'adressait aux exilés dalmates en leur rappelant l' ITALIANITE DES COTES ORIENTALES DE L'ADRIATIQUE » .
« Réjouissez vous, mes jeunes amis, ...il est arrivé le temps de combattre et de rédimer. Il est imminent le temps de la libération et de la vengeance »
Le 12 mai, il est à ROME (et DESTREE le suit semble-t-il)  pour pourfendre ce que DESTREE appelle « l'intrigue neutraliste » qui s'opposerait au « peuple qui réclamait la guerre, non seulement en raison des terres italiennes à reconquérir, mais aussi pour la liberté du monde menacée par L' ALLEMAGNE »
D' ANNUNZIO,  raconté par DESTREE, s'écrie devant 50000 personnes, dans une sorte d'appel à la guerre civile : « .. Balayez, balayez donc toutes les ordures. Repoussez dans le cloaque toutes les choses putrides. Vive Rome sans honte. Vive l' ITALIE pure et grande »
«... Pour cela je le répète, tout bon citoyen doit être un soldat contre l'ennemi de l'intérieur...Le même sang doit couler, ce sera du sang béni comme celui qui est versé dans les tranchées. »

DESTREE conclut son article en citant l'hommage rendu à VENISE lors d'une remise de médailles place SAINT MARC, par l'amiral de la flotte de guerre  au « poète qui encouragea le peuple à la guerre sainte »
Et DESTREE de conclure sur sa vision de l'art : »L'art est ardeur, don de soi,généreuse offrande...
l'idéalisme des poètes n'a pas cessé de leur inspirer l'ivresse de la mort pour de justes causes.»
« LA REVUE DE PARIS »de sept.- Oct.1917
« FIGURES ITALIENNES D'AUJOURD'HUI : GABRIELE D'ANNUNZIO » pp 138-164

Le même D'ANNUNZIO, 4 ans plus tard, organisera une expédition militaire de piraterie nationaliste et s'emparera de septembre 1919 à décembre 1920 de la ville de FIUME ( aujourd'hui RIJEKA), pour affirmer manu militari son appartenance italienne.Menacé de bombardement par la marine italienne,toujours légaliste, il capitulera.
Cerise sur le gâteau, il sera nommé en 1921 membre de « l' ACADEMIE ROYALE DE LANGUE ET LITTERATURE FRANCAISE  DE BELGIQUE» ,fondée en 1920 par ALBERT Ier sur proposition du ministre des Sciences et des Arts ... JULES DESTREE !!
Il y occupera le fauteuil n°32.

PIETRO NENNI, dirigeant du PARTI SOCIALISTE ITALIEN écrira : « D'ANNUNZIO a été le créateur et le chef incontesté et irremplaçable du mouvement nationaliste italien, auquel le fascisme a fini par s'identifier . 
... Sans D'ANNUNZIO, le fascisme serait sans doute resté un mouvement dépourvu de la moindre importance »
PIETRO NENNI : 6 ANS DE GUERRE CIVILE EN ITALIE - LIBRAIRIE VALOIS 1930


LE FASCISME : « UN MOMENT D'HISTOIRE» ! (J.  DESTREE - 1931)

L' ambiguïté de DESTREE par rapport au fascisme italien, on la retrouvera ensuite en 1922- 1923,  dans « LE JOURNAL DE CHARLEROI »,
« Ce n'est pas sans satisfaction que je vois accéder au pouvoir un homme qui a connu, qui a éprouvé toutes les misères des plus pauvres.
...L'opposition des 2 termes fascisme et socialisme... ne peut que satisfaire des esprits superficiels jugeant sommairement à distance. En réalité, les chemises noires comprennent en grande partie des socialistes . »
« Des excès sont toujours inséparables de situations troublées, mais...il ne faut pas exagérer le parti pris; il ne faut pas surtout rendre le chef d'un mouvement populaire responsable de tout ce qui se fait à l'occasion de ce mouvement et, dés qu'il est arrivé au pouvoir, MUSSOLINI a fait respecter l'ordre et la légalité, au moins autant que ses prédécesseurs »

« L'aventure italienne »  - Journal de Charleroi- 4/11/1922 dans P. DESTATTE RHB p 577

Et pour se rattraper (?) face à un POB anti fasciste , il déclarera à la Fédération socialiste de CHARLEROI :
« Nous devons nous moquer du fascisme qui est un phénomène spécifiquement italien. Le fascisme n'est pas possible en BELGIQUE » !!
« puis, (dit DESTATTE) enfin ,il condamnera vigoureusement cette doctrine. »
P. DESTATTE RHB p 578

Mais 10 ans plus tard en 1931 ; là, les dirigeants et militants socialistes, anarchistes et communistes sont soit assassinés, soit en prison et au bagne, soit en exil. Quelques uns encore se cachent et se battent dans la clandestinité.
Là tout le monde savait.
MATTEOTTI, dirigeant socialiste, assassiné par les fascistes le 10 juin 1924
DESTREE, député de CHARLEROI du POB, se permet un voyage touristique en CALABRE et émet quelques remarques politiques :
« On salue à la romaine.La consigne en est donnée dans l'administration et dans les écoles. Cette façon de tendre le bras droit avec la main levée est d'ailleurs un assez beau cérémonial.
La grande idée actuelle du régime paraît être l'embrigadement et la militarisation des enfants.
Dés l'école, ils ont la chemise noire, puis deviennent des Jeunes Gardes,solidement organisés, avant d'entrer dans le Parti.Cette discipline de parti peut être salutaire pour la nation, elle a le défaut d'être belliqueuse.
J'ai vu un défilé fasciste à Cosenza qui sembla passer dans la sympathie générale.
Il y a donc incontestablement un vernis fasciste.Est ce plus qu'un vernis?Il m'est naturellement impossible de le dire.
Plutôt que de croire à une soumission un peu lâche, je préfère admettre la sincérité de ces manifestations et penser que ce régime a pu inspirer à la population une sorte d'enthousiasme mystique dans le culte de la « grandezza nazionale ».
Au contraire, qui vient de méditer sur la grandeur des cités grecques,sur les aventures sans précédent du roi Roger et de l'Empereur Frédéric II, ne peut comprendre les éloges et les colères que soulèvent par le monde le régime fasciste.
Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. Pour lui, c'est simplement un moment d'histoire » 
 
« Un jour, je voyageais en Calabre » Bruxelles -L' Eglantine 1931 cité dans GEORGES JACQUEMIN - JULES DESTREE Service du Livre Luxembourgeois 1999
UN PROPHETE INSPIRE ?

Et voilà, ami lecteur .
Emu par le film de ROSI, alerté par « hachhach » sur le rôle de va t'en guerre de DESTREE en ITALIE et en RUSSIE , désireux, de commémorer à ma façon les 100 ans de 14-18, j'ai bondi sur la toile
Mon but n'est pas celui d'un historien que je ne suis pas, mais d'un citoyen de gauche , soucieux de justice et de vérité sur « la grande guerre ».
Mon but n'est pas non plus de faire le procès d'un homme politique , socialiste wallon, parce qu'il serait aujourd'hui vénéré par l'establishment régional..
J'entends que ami de PIERRE PAULUS, il a promu son art,et bien d'autres  encore;
J 'entends que comme ministre, il réformera l’École normale pour améliorer la qualité de l’enseignement primaire, augmentera le salaire des instituteurs en plaçant sur le même pied les hommes et les femmes, et augmentera le nombre et le montant des bourses d’études. Il introduira aussi un cours de morale au programme de l'école primaire ;
J'entends qu'il sera l'auteur de la loi de 1921 sur les bibliothèques favorisant leur ancrage public,et l'accès au livre gratuitement et pour tous.

1923  PROCES DES DIRIGEANTS DU PARTI COMMUNISTE
J'entends aussi qu' avocat, il défendit en 1923, avec SPAAK et ROLIN, JOSEPH JACQUEMOTTE, JULIEN LAHAUT et 14 dirigeants du tout jeune Parti Communiste accusés devant la cour d'assises de « complot contre la sûreté de l' Etat » ; ils furent acquittés.

Mais j' ai aussi découvert ,de façon inattendue, sur la question de la guerre , et d' une de ses conséquences, la montée du fascisme, un homme, mélange confus de libéralisme et de social démocratie, de séparatiste wallon et de chauvin latin anti-germanique, plutôt philo  qu'antifasciste.  Admirateur des personnalités de MUSSOLINI et D'ANNUNZIO, certainement plus que du fascisme en tant que système politique ,qu'il condamnera d'autre part.
.
Impossible pour moi , cependant au terme de ma première approche italienne de DESTREE, de suivre PHILIPPE DESTATTE, qui concluait sa conférence « JULES DESTREE et l'ITALIE. A la rencontre du national socialisme »  en déclarant:

« L'accueil favorable réservé en 1922 par le député de CHARLEROI à la prise de pouvoir par MUSSOLINI, nous apparaît bien d'avantage comme une erreur de jugement ponctuelle que comme une confusion idéologique », parlant, en citant « LE PEUPLE » d'une « fantaisie d'artiste » !

P. DESTATTE RHB p 583

Fantaisie d'artiste ? Erreur de jugement ponctuelle ? En 1915,1917,1922 et 1931 ? A vous de juger à la lecture du texte de DESTATTE lui même, et de tous les autres en lien à ce blog.

A chacun aussi de juger aujourd'hui, 100 ans après 14-18, l'hagiographie officielle.

« Jules DESTREE,  qui brille au firmament du Pays Noir, est à la fois un écrivain talentueux, un critique d'art au goût sûr, un avocat éloquent, un meneur de foule, un journaliste remarquable, un socialiste humanitaire, un patriote de la guerre 14-18, un éminent Ministre des Sciences et des Arts, un penseur de doctrine, un Wallon indéfectible, un prophète inspiré » !!

Aimée BOLOGNE LEMAIRE dans GEORGES JACQUEMIN - JULES DESTREE . Service du Livre Luxembourgeois 1999

Madame BOLOGNE (1904-1998) auteur de cet éloge de JULES DESTREE qui ne peut que nous interpeller, fut, par ailleurs, une grande figure de la gauche en Belgique, militante antifasciste, résistante du Front de l'Indépendance, et de Wallonie Libre, féministe. Elle fut directrice de l'Institut JULES DESTREE.
voir Discours de P. DESTATTE, directeur de l' INSTITUT JULES DESTREE, prononcé à l'occasion des funérailles de Mme AIMEE BOLOGNE -LEMAIRE 23 décembre 1998

On ne peut que lui rendre hommage.
Et se dire que les choix politiques ne sont pas tous, toujours tout noir ou tout blanc.
Mais que cela ne nous empêche pas aujourd'hui, en 2014, comme militants de gauche, comme citoyens belges de la Wallonie, de réfléchir, de façon critique, hors  du « politiquement correct », sur nos grandes figures du siècle passé, même sur « le prophète inspiré » JULES DESTREE.

Nous le devons aux «UOMINI CONTRO», non ?










mercredi 9 juillet 2014

1914 – 1918 UOMINI CONTRO

1914 – 1918
 
UOMINI CONTRO

DES HOMMES CONTRE...

Je viens de revoir avec beaucoup d'émotion ce film de FRANCESCO ROSI en VOSTFR
Ce film est sorti en 1970 dans les salles, et je me souviens qu'il m'avait à l'époque fait forte
impression, comme d'ailleurs la plupart des films de ROSI :
SALVATORE GIULIANO, MAIN BASSE SUR LA VILLE, L'AFFAIRE MATTEI, LUCKY
LUCIANO ,CADAVRES EXQUIS, LE CHRIST S'EST ARRETE A EBOLI etc.
Un acteur culte italien des années 70 et 80 GIAN MARIA VOLONTE y joue le rôle d'un lieutenant
de conviction socialiste et ALAIN CUNY celui d'un général, sorte d'aristocrate illuminé, qui envoie
ses hommes à la boucherie , pour ensuite ordonner de fusiller ses propres soldats accusés de mutinerie.
La VO sous titrée ajoute, par delà la grandeur du sujet, le jeu brillant des acteurs, la beauté de la langue.

« Première Guerre mondiale. Nous sommes en 1916 dans le nord de l'Italie où les italiens se battent contre les autrichiens. Un général italien qui vient de perdre dans un mouvement de panique une position importante veut la reprendre coûte que coûte. Mais ce sommet de colline se révèle imprenable... Adapté d'un roman d'Emilio Lussu, Les Hommes contre n'est pas sans rappeler Les Sentiers de la gloire de Kubrick.
Le film de Rosi est lui aussi un film militant qui dénonce la barbarie de la guerre et ses nombreuses morts inutiles, des morts d'autant plus révoltantes quand elles sont causées par l'obstination aveugle d'un ou deux officiers. Les faits rapportés sont réels et il y eut bien une mutinerie de soldats à l'été 1917 près de Santa Maria la Longa. Les Hommes contre est sorti en 1970, en résonance avec un certain courant pacifique et antimilitariste qui se développait alors. En Italie, un procès pour « dénigrement de l'armée » fut intenté mais se termina par un acquittement. Francesco Rosi est très direct dans sa démarche, nous livrant sans fard une dure réalité qui parle d'elle-même : tout discours devient inutile. L'interprétation est parfaite, jamais appuyée, sans aucun accent mélodramatique. » (1) Le Monde.fr blog L'oeil sur l'écran




1916. Le lieutenant Sassu (Mark Frechette), jeune officier italien inspiré par un patriotisme d'étudiant, rejoint le front contre les Austro-Hongrois dans le secteur d'Asagio, en Vénétie. La division du général Leone (Alain Cuny ) a abandonné dans sa retraite un sommet important, le monte Fiore, que le général va s'acharner à vouloir reprendre à l'ennemi. Cependant, toutes les tentatives, mal préparées ou insuffisamment préparées, échouent, avec de lourdes pertes. L'obstination inhumaine du général fait enrager le lieutenant Ottolenghi (Gian Maria Volonte), un socialiste qui se sent proche de ses hommes et doit pourtant suivre les ordres insensés du général Leone...
Voici un des films mythiques du cinéma de guerre traitant de la Première Guerre mondiale, et ce d'autant plus qu'il est très rare à trouver aujourd'hui. Avec Les hommes contre..., Francesco Rosi réalise un pendant aux Sentiers de la Gloire de Kubrick, longtemps interdit en France. Car le film de Rosi reçoit un accueil houleux en Italie au moment de sa sortie : on lui intente même un procès pour "dénigrement de l'armée", qui se termine par un acquittement. Il faut dire que Rosi met très bien en scène le véritable carnage subi par les Italiens en raison des directives d'un général insensé, les scènes de combat ayant une froideur et une brutalité qui ne les rend que plus réalistes. Le film se veut évidemment porteur d'un message pacifiste et politique, qui prend même si les personnages, comme le général incarné par Alain Cuny, sont quelque peu caricaturaux. Le film est cependant inspiré d'un livre d'Emilio Lussu, un Italien interventionniste qui a servi dans la Brigade Sassari. Cette unité avait la particularité de comprendre des régiments sardes. C'est l'expérience de la guerre de positions très dure contre les Austro-Hongrois dans les collines et montagnes autour d'Asagio en 1916-1917 qui inspire à Lussu son roman, Un an sur les hauteurs, en 1938
http://historicoblog3.blogspot.be/2012/08/les-hommes-contre-1970-de-francesco-rosi.html


À noter qu'avec 2 800 soldats fusillés pour mutinerie, abandon de poste, mutilation volontaire ou désertion, l'Italie détient le record de 14-18 (Grande Bretagne 1 800, France 2 500 condamnations dont 600 exécutées). »

En cette année de « célébrations » du centenaire de la grande boucherie de 1914, il faut voir (ou revoir) ce film qui rend l'honneur à des hommes qui se sont levés contre, ou ont été broyés par, le tsunami nationaliste, militariste et et chauvin, au nom de la patrie, tels les lieutenants OTTOLENGHI et SASSU dans UOMINI CONTRO.

Quelle chaîne de TV va oser l' introduire dans les programmes « patriotiques » de ce mois d'août ?

Citons aussi

« LES SENTIERS DE LA GLOIRE »
 de STANLEY KUBRICK
Film américain, il s'attaque lui aussi au sujet tabou , les fusillés pour l'exemple en 1915 dans
l'armée française.
Lors de la guerre de 1914-1918, tandis que le conflit s'est enlisé depuis longtemps dans la guerre de tranchées, l'état-major français décide une offensive quasiment impossible sur la « colline aux fourmis ». Repoussé par le feu ennemi, le 701e régiment, commandé par le colonel Dax, doit se replier. Le général Mireau, chef de l'offensive, demande alors de traduire en conseil de guerre le régiment pour « lâcheté ». Malgré l'opposition de Dax, trois hommes tirés au sort seront condamnés à mort et exécutés. Dax avait entre-temps soumis au général Broulard, chef de l'état major, les preuves que le général Mireau avait fait tirer sur sa propre armée pendant l'attaque. Broulard révoque celui-ci et propose son poste à Dax en croyant que celui-ci avait agi par simple ambition. Dax refuse.
...Le film s'inspire de faits réels. Près de 2 000 soldats ont été réellement fusillés « pour l'exemple » par l'armée française au motif de « lâcheté devant l'ennemi ». Le général Revilhac a effectivement voulu faire tirer sur son propre régiment bloqué dans les tranchées lors d'un assaut impossible, puis il a fait exécuter quatre soldats en mars 1915, qui seront réhabilités en 1934. Même l'épisode du soldat sur une civière qu'on ranime pour le fusiller a bien eu lieu.

CENSURE A BRUXELLES
Ce film a une histoire chargée en Belgique, puisque sous pression du gouvernement français, il a été interdit d'écran à BRUXELLES en 1958 pendant quelques semaines.
En fait, en févier 1958, les critiques bruxellois sont invités par la maison de production « les Artistes Associés » à donner leur avis sur l'opportunité d'une projection.
Avis favorable et sortie du film.
Mais, très vite, des officiers de réserve français et quelques belges viennent manifester ; la police doit intervenir .
S'ensuivent des coups de téléphone anonymes, des menaces au directeur de salle, une intervention de l'Ambassade de France auprès du Ministère des Affaires étrangères belge, et du bourgmestre de Bruxelles, qui aurait la possibilité d'interdire les projections.
Retrait du film de l'affiche, manifestation silencieuse des étudiants de l'ULB et du Libre Examen.
Menaces à l'égard des journalistes favorables à la sortie du film.
Les autorités du cinéma en FRANCE exigeront des producteurs américains que le préambule suivant soit projeté avant le film :
"Cet épisode de la guerre 1914-1918 retrace la folie de certains hommes pris dans son tourbillon. Il constitue un cas isolé en contraste total avec la vaillance historique de la vaste majorité des soldats français, champions de l’idéal de liberté que, de tous temps, le peuple français a fait sien » 
Il a aussi, sous pression du gouvernement de PARIS été interdit de projection en SUISSE  jusqu'en 1970!!
100 ans après 1914 , rappelons nous qu'en 1958 encore, ce qui remettait en cause le « caractère patriotique » de la grande boucherie, menée au nom de la liberté (!) était censuré et que ce film n'a été autorisé en FRANCE qu'en 1975 !!
A sa sortie, LE FIGARO osait écrire :« Il faut être aveugle pour ne pas voir que ce film outré, d’un sentimentalisme facile, bien plus qu’un film contre la guerre (et qui n’est pas contre la guerre !) est un film contre la France »
Passera t' il sur nos écrans en cette année de centenaire ?
A lire l'excellent récit du blog « HISTOIRE et POLITIQUE » de mai août 2009
« Quand la France surveillait les écrans belges : la réception en Belgique des Sentiers de la
gloire de Stanley Kubrick » de Catherine Lanneau
 http://www.histoire-politique.fr/index.php?numero=08&rub=autres-articles&item=48,