mardi 20 décembre 2016

HOMMAGE AUX HOMMES DU HAUT FOURNEAU 6 DE SERAING


Le Haut fourneau 6 de SERAING, qu'on appelait il y a 40 ans , l'ESPERANCE.... a été dynamité vendredi dernier. 
L'"espérance" des hommes avait déjà, elle été dynamitée à petits et grands coups, depuis la revente de COCKERILL SAMBRE par la Région Wallonne en 1998 à la multinationale USINOR , devenue ARCELOR,  jusqu'à l'exécution finale par le grand prédateur  MITTAL. 

HF 6 . Qu'est ce que j'en ai passé des heures sur ce plancher de coulée !
Je n'étais ni haut- fourniste, ni sidérurgiste, mais réfractoriste, en charge , pour la société de produits réfractaires qui m'employait, de suivre,avec d'autres collègues, les bouchages et débouchages du trou de coulée du haut fourneau, le robinet en quelque sorte de cette énorme casserole à fonte.
Le bouchage, avec l'énorme machine qui pivote et se plaque contre le placard et injecte le temps de quelques secondes les litres nécessaires de masse à boucher, les fumées, les dégazages, parfois les débouchages intempestifs.
La masse à boucher, aussi ancienne que la sidérurgie : certain anciens l'appelaient « la terre » ou « le mastic ».
Dans le vacarme, la perforatrice enfonce ensuite la barre de 50 mm, et 30 min après ,elle vient l' extraire , et dans un jaillissement d'étincelles, la fonte en fusion , à 1450 ° , coule en un puissant jet jaune orange .
Tous les paramètres doivent être suivis : les temps de coulée, la résistance au laitier, la longueur du trou de coulée , la vitesse d'injection etc.
L'exigence de sécurité est énorme, de même que les exigences pour la santé et l'environnement
( produits non nocifs...) même si évidemment la course à la performance, à la rentabilité et au profit mène le bal avant tout. Pour sauver les Hauts Fourneaux de LIEGE ( soit disant ,selon la religion Arcelor, non rentables, parce que non situés au bord de la mer) , il fallait être « super performant ».
Foutaises....ils étaient « performants », et tout a quand même été liquidé par le monde de la finance.

Les hommes en costume gris sont arrivés dans leur grosse  Safrane avec leur laptop.
Dans l'acier comme dans les réfractaires d'ailleurs - j'ai personnellement vécu 3 fermetures de sites  en 5 ans- ; 
 ils  ne savaient parler que que de marges, d'EBIT de "résultat"pour les actionnaires  : je te ferme un  haut fourneau par ci, une usine par là ,pour finir par tout liquider - les travailleurs bien sûr en premier lieu.

Au delà du souvenir de mes angoisses  à chaque bouchage et débouchage, c'est aujourd'hui aux hommes que je veux rendre hommage.
Travaillant dur , dans la chaleur, ils étaient pleins de chaleur humaine, de bonne humeur, toujours accueillants , partageant tantôt un barbecue, tantôt un spaghetti.
Et aussi ceux de SERAING étaient , parmi tous les haut- fournistes que j'ai pu rencontrer aux 4 coins du monde,certainement parmi les plus compétents, des fondeurs aux techniciens, contremaîtres et ingénieurs .
Je me souviendrai toujours des séances de formation aux masses de bouchage où les questions des fondeurs fusaient, mais surtout aussi les détails et les précisions sur l'outil, les réflexions sur le process.
J'ai beaucoup appris des haut – fournistes de SERAING.
Et aujourd'hui, c'est, pour moi, un peu tout ça qui est dynamité, même si le vrai dynamitage, celui des hommes, a déjà eu lieu il y a quelques années.
Une société qui envoie au chômage et dynamite tout ce savoir et  cette intelligence  collectives et toute cette expérience , transmise avec fierté de génération en génération,
qui présente ce patrimoine humain, technique et scientifique comme « dépassés à l'heure des nouvelles technologies » ne saurait avoir d'avenir.
On ne construit pas l'avenir en dynamitant ce qu'il y a de meilleur dans une société.C'est l'homme, le capital le plus précieux, ne l'oublions jamais!

(photos Francis)

vendredi 5 août 2016

ACEC , MARS - AVRIL 1966 : « A TRAVAIL EGAL, SALAIRE EGAL » - SCENES DE GREVE AU PAYS NOIR.

24 mars 1966: les travailleuses des ACEC- CHARLEROI débraient et partent en manifestation

Je reviens dans ce blog sur les grèves des femmes en 1966 – il y a 50 ans - pour l'application du principe « A travail égal, salaire égal »
Ce cinquantenaire a été commémoré avec faste en ce qui concerne la grève des 3500 ouvrières de la FN.
Rappelons en effet, combien les mois de février et mars 2016 ont été riches en activités de commémoration : le 16 février, très symbolique et émouvante manifestation des enfants des écoles de Herstal,  de la porte de la FN à « La Ruche » sur le parcours suivi, par leurs aînées, derrière la dirigeante naturelle de la grève de 1966, la petite GERMAINE ;
ouverture de la très réussie exposition « Femmes en colère » organisée par la FGTB et la CSC   au Pré Madame – qui connaîtra un grand succès particulièrement dans les milieux syndicaux  ; commémor-action organisée par Marianne , l'organisation des femmes du PTB le 20 février, avec une ballade « Sur les traces des grévistes de la FN »  suivie d'une rencontre avec des participantes à la grève;
colloque universitaire à la Cité Miroir les 24 et 25 mars « Quand les ouvrières de la FN changent l'histoire », organisé conjointement par le Carhop et des universités.
Et combien de publications !  :  Femmes Nouvelles » des FPS, la CSC, la CNE, le Musée communal
d'Herstal ;
16 février 2016: les écoles de Herstal aux portes de la FN

le livre de M.T. Coenen :« La grève des femmes de la FN en 1966, une première en Europe » est réédité par le Carhop ;
sans oublier ...en toute modestie, nos blogs "hachhachh" ( de Hubert Hedebouw )  et « Rouges-Flammes » qui ont voulu mettre en avant et populariser l'action dans la grève de la gauche radicale.  Et ce n'est pas fini puisque nous intervenons sur ce sujet à l'Université Marxiste les 20 (en nl) et 23 août( en fr)



Le combat des femmes des ACEC ( Ateliers de Constructions Electriques de Charleroi) a été, lui beaucoup moins évoqué, voire ignoré, ou, pour le siège  de Herstal, considéré un peu comme une réplique herstalienne du tsunami de la FN.
Pourtant, c'est là sans doute que l' affrontement entre les forces en présence ( patronat, organisations syndicales et les ouvrières) a été le plus dur ,le plus conflictuel, même si il fut de beaucoup plus courte durée.
S'écrivit là bas – on s'en rendra compte à la lecture de ces lignes - une page assez sombre du syndicalisme dans notre pays, qui tourna le dos – dans le fait de ses principaux dirigeants  - à ce qui est pourtant un de ses fondements , la SOLIDARITE .
Et c'est là, on peut le supposer, que se joua l'issue des grèves de Liège : l' élargissement du combat des femmes de Liège pour « A Travail égal , salaire égal » à la grande usine soeur de Charleroi en aurait fait un combat plus puissant et national.
La reprise du travail aux ACEC, sur une proposition minimale, par contre , isolerait et affaiblirait , les travailleuses de la FN Herstal déjà éprouvées par 2 mois de grève.

FLEURON INDUSTRIEL ET BASTION OUVRIER 


Les ACEC ont été une importante entreprise dans le paysage industriel et social dans notre pays
Créé en 1881 , l'ensemble industriel constitué autour de la Compagnie générale d'électricité, qui prit en juillet 1904 le nom d'Ateliers de constructions électriques de Charleroi (ACEC) , a disparu comme tel de la carte industrielle fin juin 1989 à l'occasion de la filialisation de la dernière de ses entités.
Les ACEC produisaient toute la gamme de produits électriques , électro ménager, chauffage ,radio- télévision, électro mécanique lourd ou léger ( turbines, moteurs diesels, pompes, petits moteurs, transfo etc.), câblerie, électricité nucléaire, engineering industriel etc.
2015: les travailleurs d'EFACEC toujours au combat
Avec 4 sièges industriels en Belgique ( Charleroi, Gand, Ruysbroek -au sud de Bruxelles- et Herstal ), l'entreprise avait un caractère national, qui devint vite d'ailleurs international avec des filiales aux quatre coins du monde.
Je me souviens avoir rencontré en 1975, lors de la révolution des oeillets, la commission des travailleurs d' EFACEC à PORTO au Portugal, qui luttaient pour les 40 heures de travail/ semaine.(Je découvre aujourd'hui sur le net que, alors que la maison mère belge a disparu , ils sont toujours au combat!)
 C'était en quelque sorte un fleuron du capitalisme à la belge – comme ont pu l'être COCKERILL ou la FN.

 Fleuron du capitalisme, associé au nom des Empain ou de la Société Générale, les ACEC étaient aussi un bastion avancé de la lutte sociale et syndicale  .
Dans le combat contre le projet de loi unique anti social du gouvernement Eyskens ( PSC-- libéraux)
en décembre 1960 , le 19  au soir, les travailleurs desA.C.E.C. de Charleroi (10000 à l'époque) se prononçaient en faveur de la grève au finish dès le lendemain, date du début de l'examen de la loi par la Chambre.
Alors que  ,le 20, les  ouvriers communaux des 2600 communes du pays suivaient massivement le mot d'ordre de grève illimitée de la CGSP , à Marcinelle, les  ACEC refusent de prendre le travail .
20 décembre 1960: les travailleurs des ACEC manifestent à  Charleroi
De nombreux cortèges sillonnent la région entraînant dans la grève mineurs, sidérurgistes, verriers et tout le bassin de Charleroi, en l'absence de tout mot d'ordre venant des centrales syndicales  et en dépit des tentatives des dirigeants syndicaux sociaux-démocrates de l'époque (Arthur Gailly et Ernest Davister) de stopper le mouvement.
A leur tête, avec ses camarades, Robert Dussart, dirigeant du Parti Communiste et délégué principal des ACEC qui déclarera : «  Nous avons alors manifesté et rencontré dans de nombreuses entreprises un climat de combat , vainement tempéré par certains délégués ... Rapidement , c'est à dire après 30 heures l'appareil nous a rejoint et approuvé. Nous sommes donc convaincus d'avoir bien servi le mouvement syndical.  L'action a été populaire dés le début et n'est pas du tout explicable par un jeu de trouble – fêtes » ( c'est à dire d' »irresponsables» ndlr -Nous le verrons plus loin, ces justes paroles combatives auraient pu être renvoyées à leur auteur 6 ans plus tard par les ouvrières en lutte pour le salaire égal, considérées à leur tour elles aussi comme des « trouble- fêtes »..)
C'était le début , de la grève du million de 60-61. Et les ouvrières nombreuses aux ACEC seront loin d'y être inactives, comme le prouve cette photo d'une manifestation des grévistes des ACEC devant la prison de Charleroi pour la libération des militants emprisonnés. 





SEPTEMBRE 1962 : LES OUVRIERES DES ACEC - CHARLEROI JOUENT L'AVANT PREMIERE

Fait relativement méconnu , et rappelé dans son livre par MT Coenen :
le 27 septembre 1962, les ouvrières des ACEC , inquiètes des résultats des négociations en commission paritaire nationale des fabrications métalliques au sujet de l'égalité salariale, amènent les délégués syndicaux à tenir une assemblée « sauvage » du personnel féminin, sauvage parce que tenue en dehors des crédits d'heure attribués par la direction pour les activités syndicales. Six délégués sont mis à pied  pour 6 semaines.
Le 1er octobre, les travailleuses décident de partir en grève d'avertissement pour la levée de cette sanction et pour soutenir l'action syndicale pour l'égalité salariale.
Les délégués seront réintégrés le 5 octobre, mais le 1er novembre 1962, 150 femmes représentant tous les services de l'usine manifestent en ville avec des calicots « A travail égal, salaire égal »
et ce, plus de trois ans avant le 9 février 1966, début de la grève à la FN de Herstal.
Au congrès de la CSC d'octobre 62 , une déléguée des ACEC expliquera le sens de cette action : «  les travailleuses en ont assez d'être payées à 75% des salaires des hommes. Il est grand temps que cette injustice cesse ; Les ouvrières des ACEC ont manifesté leur mécontentement et leur impatience devant la lenteur des pourparlers...L'avantage va aux seuls patrons puisqu'ils paient moins aux femmes pour un même travail ...» (1)


LA LUTTE DES OUVRIERES  DES ACEC EN 1966
 Je me suis basé pour rédiger ce blog sur * MT Coenen La grève des femmes de la FN , une première en Europe POL-HIS 1991 
                                                                   * Bulletin du CRISP:"C. DEGUELLE « Les grèves féminines de la construction métallique et la revendication pour l'égalité de rémunération » Courrier hebdomadaire du CRISP 18/1966 (n°s 325-326) http://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-1966-18-page-1.htm
                                                         * "La Gauche" (en particulier "La Gauche" mars-avril 2016 p9) et "La Voix du Peuple" (hebdo du  PC - Grippa) de février à juin 1966.

 
Le 21 février, à la 2ème assemblée des ouvrières de la FN, un cortège d'ouvrières des ACEC du siège voisin de Herstal  entre à La Ruche, drapeau rouge en tête.
Le problème des ouvrières aux ACEC est similaire à celui de la FN
A Charleroi par exemple - 1600 ouvrières-  le salaire minimum femmes ( catégorie 100 ) est de  20.02 F , alors que le minimum hommes (  catégorie 106) est de 27.96 F ,soit une différence de près de 8 F/H, ( -28% )!
La pression venant de la base, mobilisée par l'exemple de la FN amène la représentation syndicale intersiège ( c'est à dire regroupant les délégués et permanents FGTB et CSC  des 4 sièges, Charleroi, Herstal, Ruysbroek et Gand) à exiger une hausse de salaire pour toutes les ouvrières de 6.40 F/h ... en 4 ans soit 4x1,60 F.
Et comme les négociations ne peuvent concerner que la période couverte par les conventions en cours, soit 2 ans, les 6,40 F deviennent 3,20 F en 2 ans. (2)
le 14 mars , c'est, tout naturellement que les 250 ouvrières du siège de Herstal, proche de la FN réunies en assemblée, décident de refuser la proposition patronale , présentée à tous les sièges des ACEC, sans attendre les résultats de la conciliation nationale. Elles ne se sont pas mises en tenue de travail , refusent le vote secret et partent en grève, « malgré les efforts des représentants syndicaux qui se soucient de ne pas gêner la conciliation ».
A Charleroi, les travailleuse réunies en assemblées dans les quatre secteurs de l'usine mandatent leurs délégués pour déposer un préavis de grève en cas d'échec de la conciliation sur l'augmentation de 3,20 F.
Le lundi 21 mars , oubliant ce mandat, les représentants syndicaux, parmi lesquels Ernest Davister secrétaire permanent de la Centrale des Métallurgistes FGTB carolo ( oui, oui , le même qu'en 60-61) vinrent défendre, la proposition de "la dernière chance" du conciliateur social :à la place des 3,20 F en 2x1,60 F, il s'agira de 1,5 F en 3x0,50 F!
Davister , qui lui même avait déclaré en frappant sur sa poche :« Si nous n'obtenons pas les 3,20F à la conciliation , nous remettrons le préavis de grève qui est ici » , menaçait maintenant que  la grève ne soit pas reconnue par les centrales et donc non indemnisée.
Ils « se firent chahuter par les ouvrières dont la plupart proclamaient qu'elles marcheraient même sans allocation de grève . Une grande partie de l'assistance réclama une manifestation le lendemain en face de l'entreprise et manifesta leur opposition à l'organisation d'un référendum , jugeant cette procédure inutile , demandant le dépôt immédiat d'un préavis de grève » (3 )
Mais le lendemain, 22 mars, il y eut référendum , pour ou contre les propositions du conciliateur , accompagnées du message suivant aux travailleuses, imprimé sur les bulletins de vote ; message , en toute « démocratie », a peine orienté (!!!) :
« Ces augmentations constituent un minimum garanti et un à valoir sur les conclusions d'une comparaison (à étudier ndlr) entre salaires féminins et salaires masculins.
Afin que votre information soit complète, sachez que vos collègues de Ruysbroek , consultés par bulletin secret, ont accepté cet accord par une majorité de 82%.
Cet accord constitue le maximum que les négociations permettaient d'obtenir.                                Le rejeter , c'est s'engager dans la voie de la grève. » (4)
Et les collègues de Herstal en grève depuis 10 jours ? Et la solidarité avec la FN ? Pas un mot !
Malgré tout, malgré aussi l'absence au vote des ouvrières (plus d'une centaine aux Transfos) qui refusent de participer à ce vote, la majorité des 950 ouvrières présentes rejeta l'accord (une aumône) à 54% des voix , ce qui n'empêcha pas les dirigeants de proclamer, à la grande colère des travailleuses, cette majorité( en dessous des 66%) trop faible pour la grève !

C'EST VOUS QUI VENEZ DE HERSTAL ?  NE PARTEZ PAS : NOUS DEBRAYONS AUSSI !
Mais le vent tourne... : Arnold Hauwaert (5), journaliste à « La Voix du Peuple » a tellement bien décrit cette journée du jeudi 24 mars:
»Une arrivée inattendue fait sensation : un groupe de femmes de la FN descend d'un car, déroule deux calicots et distribue un tract .
Immédiatement, un énorme courant de sympathie se manifeste. Les ouvrières s'arrêtent, forment des groupes, remercient les femmes de la FN , leur offrant café et tartines. La température monte rapidement. Les travailleuses des ACEC entendent pour la première fois le chant de combat : « Le travail , c'est la santé... »
7h. L'entrée des salariés est terminée . Les travailleuses de la FN sont attablées dans un café voisin devant un café fumant. C'est qu'il fait glacial à Marcinelle !
Et tout à coup, la porte s'ouvre, cinq à, six jeunes filles entrent en trombe et, s'adressant aux ouvrières liégeoises : « C'est vous qui venez de Herstal ? Ne partez pas, nous débrayons aussi ! »
Et elles repartent
Tout le monde est rapidement dans la rue.
La camarade Germaine s'adresse aux femmes des ACEC. Derrière les grilles , dans la cour, on assiste à un remue ménage extraordinaire. On apprend que dans 3 secteurs ( câblerie, transfo, moyennes machines )toutes les femmes ont spontanément quitté le travail. Débordés, les délégués les ont réunies , et l'on discute ferme.
Puis, les ouvrières arrivent en courant et crient aux liégeoises « Restez ici, nous arrivons »
Et c'est bien vrai qu'elles arrivent, de tous les coins de l'usine, elles accourent, entourant leurs camarades de Liège. Elles empoignent les deux calicots et s'en vont en cortège vers une autre division de l'usine : le département électronique
Là les délégués refusent l'entrée des locaux ; mais quelques centaines de femmes en grève, cela s'entend ! Après une heure de discussions et de cris, les ouvrières de l'électronique sortent à leur tour sous les acclamations de leurs camarades. Et elles sont 800 environ à prendre le chemin de et Charleroi. Tout au long du cortège, on chante «  le travail, c'est la santé. »
photos "Voix du Peuple"
Et c'est le défilé à  travers les rue les plus animées  du centre. Jeunes et moins jeunes rivalisent de dynamisme.Un petit arrêt devant le siège de la CSC, puis on grimpe la rue de la Montagne, on aboutit devant l'immeuble de la FGTB. Les qualificatifs les moins élogieux frappent leurs dirigeants calfeutrés dans leurs bureaux .La manifestation se disloque. On entoure les ouvrières liégeoises. On leur demande de revenir.
Dans l'après midi, on apprendra que les femmes de la pause de 14h n'ont pas pris le travail, et que dans certains départements, les hommes aussi sont rentrés chez eux.(5)

Cela vaut la peine de rentrer dans ces détails qui nous enseignent comment naissent des solidarités et de là, des petits ou grands combats pour la justice sociale . Il y avait ce matin là un noyau ferme organisé et uni qui savait ce qu'il veut, le groupe venu de Herstal et il y avait la révolte et la colère des centaines de travailleuses de Charleroi se sentant grugées , encore peu ou pas organisées dans les 4 secteurs de l'usine , mais soumises au tir de barrage, à l'intimidation et aux menaces de ceux là même qui auraient dû les soutenir.
C'est cette rencontre , cette alchimie interne au monde du travail entre la conviction et le leadership des unes et la colère et la révolte des autres qui a été le déclencheur et qui a permis, dans le calme, la première journée d'action aux ACEC, avec d'emblée une manifestation en ville.

12- 15 AVRIL  : GREVE, PIQUETS, COMITE d' ACTION

Le 30 mars, en assemblée à Charleroi, un nouveau « maximum que les négociations permettent d'obtenir » (1,70 F en place des 3,20 F) avait été rejeté massivement ; le préavis de grève générale est enfin déposé.
La grève devait alors débuter le mardi 12 avril à Charleroi.
Mais, c'est le lendemain 13 avril qu'un nouveau « nouveau maximum »  est  présenté  en assemblée par Ernest Davister , chahuté .  (2) (on passe 
de 1,70 F à 2 F en 3 fois, en place des 3,20 F exigés)
Opposé à la grève, il annonce que aucun mouvement de grève ne sera indemnisé par le syndicat !
Une délégation des liégeoises est présente aux portes de l'usine .
En fin de matinée, la grève est effective à 90%.
Un comité d'action est formé le 13 avril
«  Les discussions qui se sont déroulées entre les dirigeants syndicaux et le patronat pendant la durée du préavis légal de grève n'ayant abouti à aucun résultat acceptable, et à l'échéance de ce préavis, les dirigeants syndicaux n'ayant pas respecté leur engagement envers les ouvrières des ACEC de Charleroi, celles ci ont créé un comité d'action, qui décide de poursuivre la grève jusqu'à entière satisfaction malgré les manoeuvres de division syndicales »(6)

14 avril
Le comité d'action organise les piquets le 14 avril et distribue des appels à la grève.Une délégation des grévistes de Herstal est toujours là !
Des gros bras de la délégation insultent et bousculent des femmes du piquet, allant jusqu'à les frapper ; à l'entrée du département «électronique", les ouvrières liégeoises furent violemment prises à partie, l'une d'elles fut projetée au sol, une autre eut les vêtements déchirés.
A l'entrée de Beausart, une ouvrière des ACEC fut projetée contre les grilles et fut blessée au bras.
Et dans ces conditions lamentables, un nouveau « référendum » est néanmoins organisé, boycotté pourtant par la moitié des ouvrières ; la proposition est à nouveau rejetée à 62% , mais la délégation appelle à la reprise du travail, le quorum de 66% n'étant toujours  pas atteint.(!)

15 avril « les ouvrières de la division "électronique" d’abord, des divisions "mécanographie" et "transformateurs" ensuite, se remettent en grève en exigeant la démission d’un délégué syndical, accusé de violences physiques sur des ouvrières des ACEC ; elles entraînent avec elles, par solidarité, les hommes occupés dans ces divisions, outrés par les méthodes utilisées  pour mettre en échec les revendications féminines ; cette protestation touche au total près de 500 travailleurs,... qui rejoignent donc les rangs des ouvrières déjà restées en grève. » 
Le mouvement , bien que non reconnu s'est consolidé - 80 à 90 % des femmes sont en grève- et s'étend aux ouvriers.

18 - 20 AVRIL : LE FRONT DE GREVE SE BRISE

Durant le week- end des 16 et 17 avril, la situation bascule.
Des proches  de la la délégation syndicale, dirigée par Robert Dussart - par ailleurs dirigeant du parti communiste officiel, farouchement opposé à toute grève des travailleuses aux ACEC ,  suivant en cela son permanent social démocrate  Davister,  s'introduisent discrètement dans   le Comité d 'Action. Comme Davister et Gailly en 1960, , il avait maintenant lui aussi ses "trouble - fêtes": les 1600 femmes des ACEC!
Le Comité d'action  fait soudain place à un « Comité de grève », auquel se "rallient" les délégués  lors d'une assemblée présidée par les femmes du  Comité d'Action le lundi 18 à la Maison des 8 heures.   Le mot d'ordre de grève au finish est dans toutes les têtes, mais la confusion règne sur "qui est qui" et "qui veut quoi."
Mais... , après avoir rencontré les dirigeants Davister (FGTB) et Doyen (CSC), une délégation du "comité de grève - comité d'action" obtient une rencontre avec la direction pour le lendemain à 11h, ensemble avec les délégués, pour discuter de la future reclassification des métiers féminins .
Dans ce cadre le tout nouveau "comité de grève- ex comité d'action" appelle... à la reprise du travail (!!!) pour le lendemain, de manière- croit-il sans doute- à assurer la sérénité de cette rencontre.
La direction entérine l'augmentation de 2 F sur 2 ans- pourtant rejetée par 59% des ouvrières -  , accepte la constitution d'une délégation féminine , accepte la réalisation dés 1968 de « a travail égal, salaire égal » et pour ce faire, promet un timing d'études et de négociations d'une nouvelle classification jusqu'au 2ème semestre 1967.
Et sur ces belles paroles, tout peut rentrer dans l'ordre : une certaine reconnaissance , pour la première fois, est donnée  aux travailleuses,  et le principe du travail égal pour un salaire égal au 1/01/1968 est aussi, pour la première fois, entériné par une direction d'usine,  pour autant bien sûr que les travailleuses en grève  reprennent le travail, et ...qu'elles oublient leurs collègues et soeurs de Herstal  qui leur  avaient  montré la voie !!
Si,«le mardi matin, le désarroi était grand parmi les ouvrières dont certaines refusaient de reprendre le travail. », le lendemain, mercredi 20 avril, tout était terminé aux ACEC de Charleroi. : il y aura eu en tout et pour tout 4 jours de grève.

15 avril - ACEC HERSTAL : «  MESDAMES STOPPEZ LA GREVE »

Le même accord salarial – avec référendum par bulletin secret - devait être proposé aussi aux grévistes des ACEC Herstal , à l'arrêt depuis le 14 mars .
LA RUCHE 15 avril: assemblée des ACEC HERSTAL:distribution du bulletin de vote

A des travailleuses qui subissent un écart salarial par rapport aux salaires masculins des plus élevés – 9,10 F- les 2F (sur 2 ans en trois fois - dont 1 F tout de suite) sont présentés comme de « brillants résultats »
et la solidarité syndicale des travailleurs a des soucis à se faire quand on lit :
«  le siège de Herstal est le seul à se battre et les ouvrières de Charleroi ne bougeront pas , d'autant plus que les permanents de Charleroi ont affirmé qu'aucune indemnité de grève ne serait versée
Oubliez les autres entreprises et les autres sièges. » R Gillon
«  N'oubliez pas non plus qu'il faut voir le problème de la libre concurrence : vous ne voulez sans doute pas que l'on ferme vos usines ! [..]» Klentjes
« A Charleroi, la situation est confuse, personne ne bouge.Vous n'avez jamais eu et vous n'aurez jamais la solidarité de Charleroi . »
« On veut isoler Liège syndicalement et politiquement... »
... »Faîtes attention, car les Flamands sont vos concurrents »
« Vous devez signer l'accord proposé, car ce sera un moyen de solutionner rapidement le conflit de la FN : lundi, je pourrai partir, si il y a accord chez vous , avec une arme terrible contre les patrons de la FN : grâce à vos 2F , la FN pourra obtenir 3,25 F.
Montrez votre solidarité aux ouvrières de la FN , arrêtez la grève de telle sorte qu'on puisse dire que les 350 femmes des ACEC ont apporté aux 3500 femmes de la FN une vraie solidarité. »(!!) (G. Barbe)(7)
Inutile de dire que ces propos furent accueillis par les huées des travailleuses  , d'autant plus que  l' annonce en pleine assemblée de  l'extension de la grève à Charleroi hommes et femmes réunis ce même jour -le 15 avril-  avait fait l'effet d'un coup de canon !
Le  vote à bulletin secret donna la majorité pour la poursuite de la grève .
Mais comme cette situation  ne pouvait satisfaire, ni le patronat, ni les principaux dirigeants syndicaux, ni le gouvernement – qui, de fait , avaient décidé de siffler la fin de la récréation- on revota une deuxième fois aux ACEC Herstal , après que Charleroi ait repris le travail, et le 21 avril le travail reprenait.
Ces quelques extraits montrent les effets dévastateurs dans le mouvement syndical dans les années 60, après la grande grève 60-61 partie dans l'unité la plus grande de la classe ouvrière, du « chacun pour soi »  social démocrate des principaux dirigeants des centrales syndicales  : Liège contre Charleroi ; les Wallons contre les Flamands, avec une dose de chantage à l'emploi , et surtout la primauté absolue donnée à la concertation de quelques uns avec le patronat sur la mobilisation et l' action collective de toutes et tous .

Mais, c'était le but de la manoeuvre : la reprise forcée des ACEC - aucun vote à Charleroi n'a donné l'adhésion des syndiquées aux propositions des conciliateurs nationaux - , cette reprise forcée allait donner au Ministère du Travail  le  "la"  de ce que devrait être pour lui la négociation à la FN ,  qui redémarrait la semaine suivante après plus de 6 semaines de rupture de contact, et qu'il avait charge de piloter.
 Un accord du même ordre de grandeur - assez minimal - (2F sont bien loin des 6F40 et même des 3F20 exigés aux ACEC), accord qu'il pourrait alors imposer sans difficulté à la direction réticente et rétrograde de la vieille FN et que les travailleuses seraient, la rage au ventre, forcées d'accepter, épuisées après 10 semaines de grève et poussées au recul par ceux là mêmes qui avaient pourtant reçu mandat de défendre au plus loin leurs "5 F tout de suite et pour toutes".
A la FN, ce sera - le 5 mai-  2F  immédiatement + 0.50 à 0.75 F suivant les catégories au 01/01/1967.
  C DEGUELLE dans le bulletin du CRISP cité l'explique clairement:
"Le cadre de la solution est tracé pour les ACEC ; lorsqu’il ne restera plus que le conflit de la F.N. à résoudre isolément, le Ministère du Travail pourra s’inspirer de la solution trouvée par les parlementaires sociaux pour les ACEC"( §152)

 L'analyse du Parti Wallon des Travailleurs (PWT) (8) (section ACEC Charleroi) pourtant peu suspect d'anti-syndicalisme primaire est dure et sans appel :
Rapport de la section ACEC du PWT ( La Gauche 04/06/1966)
« A l'exception de quelques délégués, de section surtout, la délégation syndicale fit tout pour empêcher la grève, et lorsqu'elle éclata, ne ménagea pas ses efforts pour la briser.
Les délégués membres du PC tendance Moscou se mirent à la disposition de Davister et interdirent la diffusion de « Dynamo » (journal de la section ACEC du PC ndlr)parce qu'un rédacteur, étranger aux ACEC n' y prenait pas position contre la grève des femmes. L'un des délégués déclara que « selon lui et les autres communistes de la délégation, les conditions objectives pour un débrayage n'étaient pas réunies » (9)
Les attitudes des régionales CSC et FGTB ne peuvent être dissociées.
Du début jusqu'à la fin, Davister (FGTB) et Doyen (CSC) ont filé le parfait amour.
L'empressement qu'ils ont mis à collaborer avec le patronat n'a d'égal que le mépris qu'ils manifestèrent à l'égard des masses et de leurs aspirations .Leur plus grand souci a été de faire accepter n'importe quoi aux ouvrières et d'éviter à tout prix une extension à Charleroi du conflit liégeois.
Comment mieux démoraliser les grévistes liégeoises qu'en les laissant seules dans la lutte, ou en les isolant le plus tôt possible en faisant reprendre le travail à Charleroi !» (10)

Il apparaît assez clairement que l'extension du mouvement pour "A travail égal, salaire égal"à Charleroi a été farouchement combattue par les directions  syndicales et politiques.
La Voix du Peuple11/03 (  édito de E. HASARD
Le Comité d'Action des ouvrières de Herstal FN-ACEC s'est battu pour amplifier le mouvement en se déplaçant à plusieurs reprises à Charleroi, avec l'appui sur le terrain aux portes des ACEC, des petites formations de la gauche radicale , le PCW (11) ( qui mène campagne avec l'Union des Femmes, dés le début pour le soutien à la grève de la FN) et le PWT ( qui a appelé à la grève aux ACEC le 12 avril et a joué un rôle dans le débrayage des ouvriers des « Transfo » le 15 avril) .
Et avec la plus grande sympathie des centaines de travailleuses de Charleroi.
Mais l'absence semble t-il (mais aucun bilan ne m'est connu) ,  au sein du Comité d'Action fraîchement créé ,d'un noyau uni et ferme sur les objectifs, construit patiemment au fil des années, tel que le noyau rassemblé à la FN autour de la communiste Germaine Martens, a favorisé les coups tordus et le coup d'arrêt donné au mouvement.
On le voit, le combat des femmes des ACEC à Charleroi pour l'égalité de salaires a été difficile et semé d'embûches: les résultats en ce mois d'avril 1966, n'ont sans doute pas été à la hauteur de leurs espérances, mais elles ont pris date dans le grand combat pour l'égalité: débrayages, manifestation en ville, résistance aux violences des gros bras anti grève, création d'un comité d'action, reconnaissance d'une délégation féminine,  autant d'actions courageuses, qui justifient - 50 ans après-  notre respect et notre refus de les oublier.
Et , comme leurs camarades de la FN, elles ont bien servi le mouvement syndical,  mouvement à l'époque essentiellement masculin, en lui apportant, ainsi qu'à toute la société, un vent frais de combat, de solidarité, d'égalité,et de ...féminisme.
Merci à toutes.

 NOTES
(1) MT Coenen La grève des femmes de la FN , une première en Europe POL-HIS 1991 p p 81-82 
(2)voir en annexe le récapitulatif des négociation aux ACEC
(3)Voix du Peuple n°12 25/03/1966 p20
(4)cité dans Voix du Peuple n°13 01/04/1966


(5)Arnold Hauwaert, journaliste à la Voix du Peuple,à l'époque dirigeant du Parti Communiste Wallon; militant communiste toute sa vie. Décédé le 16 février 2015.
Article de "La Voix du Peuple n°13 1966 du 1er avril  p12: "Les femmes des ACEC ( Charleroi), débraient"





(6) "cité dans "La Voix du Peuple" n° 16 22/04/1966
(7) "La Voix du Peuple " n°16 du 22/04/1966  compte rendu de l'assemblée des grévistes des ACEC Herstal
(8)PWT:  Parti Wallon des Travailleurs confédéré avec l'UGS bruxelloise,tendance gauche socialiste. fondé en février 1965 suite aux exclusions en 1964 du courant de gauche du PSB-  a une implantation ouvrière dans la région de Charleroi .
(9)L'attitude du Parti Communiste-" tendance Moscou" d'opposition à l'extension de la grève des femmes aux ACEC  - du moins dans la fraction dominante du parti et dans le chef de Robert Dussart -  est confirmée par un article de Roger. Romain militant communiste de Courcelles dans son blog en 2006
http://courcelles.skynetblogs.be/archive/2006/03/29/29-03-2006-la-greve-des-femmes-a-la-fn-de-herstal-a-travail.html 

10)"La Gauche" n° 22 du 04/06/1966 
(11) Parti Communiste Wallon: branche wallonne du PC Grippa ou encore appelé "tendance Pékin" fondé en juin 1963 après l'exclusion de Jacques Grippa et d'autres militants"pro chinois" au Congrès d'Anvers du Parti Communiste en avril 1963..

ANNEXE
Récapitulatif propositions  et votes aux ACEC mars- avril 1966

FGTB – CSC DIRECTION
COMITE NATIONAL CONCILIATION









DATE 03/03/66 03/03/66 11/03/66 18/03/66 30/03/66 12/04/66
Montant/h : + 6,40 F





en 4 ANS






= suivt acc.national   (18/02)




Montant/h : + 3,20 F 0,80 F 1 F 1,50 F 1,70 F 2 F
en 2 ANS 2 ANS 2 ANS 2 ANS 2 ANS 2 ANS
pour 1966-1967 1966-1967 1966-1967 1966-1967 1966-1967 1966-1967
soit 2x1.60 F 2x0,40 F 2x0,50 F 3x 0,50 F 1 F + 0,70 F 1 F +0,70 F+0,30 F
immédiat 1,60 F 0,40 F 0,50F 0,50 F 1 F 1 F














VOTES


VOTE 1 VOTE 2 VOTE 3 VOTE 4








HERSTAL 260

NON 100 % NON NON 59 %   OUI  65%
date vote ouvrières

22/03/66 31/03/66 15/04/66 20/04/66
CHARLEROI 1600

NON 54% NON NON     59. %
date vote ouvrières

22/03/66 01/04/66 14/04/66
RUYSBROEK 500

OUI 80%


date vote ouvrières

22/03/66


GAND 50

? ?
dare vote ouvrières





vendredi 1 juillet 2016

1914-1918  VERVIERS,4- 5 JUILLET 1916 : LA REVOLTE POPULAIRE CONTRE LES "PUDDINGS"(*) ET  LES AFFAMEURS

(*) puddings, surnom donné à certains marchands ambulants qui accaparent les produits de première nécessité pour les revendre aux Allemands, qui paient plus grassement encore. Et qui affectionnent tout particulièrement ce succulent dessert.
4 juillet 1916  Verviers Place Saint Remacle: colère populaire contre un profiteur

Je reviens dans ce 36ème n° de « ROUGE- FLAMME » sur la REVOLTE DU BEURRE des 4 et 5 JUILLET 1916 A VERVIERS .
Evoquée déjà dans un précédent blog, j'en réécris et complète le texte aujourd'hui, à l'occasion du centième anniversaire de ces événements, qui se sont inscrits dans les protestations des travailleurs du pays de Liège pour imposer leur prix du beurre (à 3francs/kg).
voir ROUGEs FLAMMEs:LA REVOLTE DU BEURRE EN PAYS DE LIEGE
http://rouges-flammes.blogspot.be/2015/12/1914-1918-juillet-1916-la-revolte-du.html
 
J'ai aussi  découvert un article du plus grand intérêt  dans la revue « TEMPS JADIS » ( 3ème trimestre 2009) : « Un épisode du ras le bol populaire en 1916 à Verviers. »de Michel BEDEUR
Il écrit :

« Depuis plusieurs semaines, le feu couvait, des incidents arrivaient fréquemment, mais sans réelle gravité. Exemple, en mai au marché de BATTICE, le public s'était déjà révolté contre le prix pratiqué pour le beurre par les fermiers. [...] Les bourgmestres de toutes les communes environnantes étaient intervenus, et avaient alors mis en garde les fermiers et cultivateurs sur les dangers que cette situation créait, alors que les événements ne justifiaient pas ces hausses importantes, qui ne faisaient qu'exagérer les bénéfices de certains.
C'était une lutte entre compatriotes, une révolte de l'exploité contre l'exploiteur, les mercantis ou les « puddings » comme le peuple les appelle alors . (souligné par nous Ndlr)
Comme dans toute les guerres, des marchands font payer à leurs compatriotes des denrées à des prix impossibles : cette cherté exorbitante des produits alimentaires, due surtout à l'exploitation scandaleusement rémunératrice ce certains commerçants va mettre le feu aux poudres. On savait, par exemple que ces « commerçants »accumulaient certaines marchandises pour les revendre au moment propice où les prix flamberaient. Ils créaient ainsi un manque qui faisait monter le prix de vente des aliments de première nécessité comme le lait, le beurre, l'huile etc Ces « nouveaux riches » spéculaient sur l'anxiété du public, qui était privé de tout ..
 
Dés le 3 au soir s'étaient formés à SOUMAGNE, FLERON et MICHEROUX, , tous villages de mineurs, un cortège qui se rendit de nuit vers VERVIERS .L'action était soigneusement préparée La colère gronde aussi au au marché de BATTICE dès le mardi 4 juillet 1916. Tous, venus donc du pays de Herve, descendent sur Verviers , par le Thier de Hodimont , comme une marée humaine pour faire payer les profiteurs. Un millier d'hommes – de très nombreux mineurs- et moins nombreuses, des femmes ; des citadins de Verviers se joignirent au cortège.
« Les révoltés vont d'abord s'en prendre aux marchands de lait qu'ils rencontrent sur leur passage ,ils renversent le contenu des cruches dans les caniveaux si ceux ci n'acceptent pas leurs revendications et refusent de vendre en baissant leurs prix.
Quelqu'un crie : « Allons chez les marchands ! » Le flot déchaîné se dirige vers les maisons des gros négociants en beurre, oeufs, lait et fromages  (soupçonnés de commerce avec l'occupant )
Là, les plus excités vont forcer les portes, investir les immeubles et jeter dans certains lieux toute la marchandise responsable de cette révolte , dans d'autres officines plus connues pour les prix excessifs, la fureur populaire se vengera également sur tout le mobilier des exploiteurs qui passera par les fenêtres dans la rue, formant des tas de meubles, papiers, vêtements aux pieds des immeubles concernés »
Ces destructions se feront principalement rue du Gymnase, place Saint Remacle, rue Saucy et rue Marie-Henriette.

Suivons 100 ans plus tard  la manifestation sur Google Map...

Par exemple, Place Saint Remacle, la foule « a pris d'assaut la maison du sieur C ... Après avoir jeté toutes les marchandises dans la matinée, elle reviendra l'après midi pour procéder au saccage complet du mobilier qui passera par les fenêtres ( literies, vêtements, meubles et même piano) »                         Rue du Gymnase, c'est également un marchand de beurre qui voyait tout son dépôt de marchandises passer par les fenêtres et atterrir sur la rue , criblant le sol de centaines de mottes de beurre, que d'autres renverront avec plaisir contre les murs, (...)constellés alors d'éclaboussures et de plaques jaunes. »


Le professeur ANTOON VRINTS, de l'Université de Gand relate lui aussi ces événements de VERVIERS :
«  Les actions n'étaient pas orientées vers le vol ou pillage, mais avaient un caractère de justice populaire. Les participants se considéraient eux mêmes comme justiciers ou délégués du peuple, qui au nom du peuple sanctionnaient les trafiquants. » écrit le professeur VRINTS
Les agriculteurs non plus n'échappèrent pas aux actions : une partie du cortège se rendit de ferme en ferme pour les obliger à appliquer des prix justes .

voir en nl Antoon Vrints  "Sociaal protest in een bezet land "(Protestation sociale en pays occupé)

http://www.ingentaconnect.com/content/aup/tg/2011/00000124/00000001/art00003?crawler=true 

Le lendemain 5 juillet, les actions continuèrent par des rassemblements devant le domiciles des commerçants qui pratiquaient des prix abusifs en y exigeant les prix plus bas. Beaucoup de femmes y participent .Les commerçants acceptent pour la plupart après de courtes négociations.Mais chez deux récalcitrants , il y eut encore des actions radicales.
Michel BEDEUR poursuit : « Les Allemands qui avaient toléré cette révolte et qui apparemment avaient été dépassés, prennent des dispositions répressives contre ce mouvement.
Le matin du 5 juillet, (...) les troupes allemandes se dirigèrent vers les rues qui avaient subi le mouvement, mais sans intervention.L'autorité militaire décrétera la fermeture des magasins à 5 heures. Verviers sera pratiquement en état de siège, des affiches placardées vont interdire les rassemblements de plus de 5 personnes et instaureront un couvre feu après 21h »

Mais ces actions portèrent leurs fruits : les laiteries mirent à la disposition de la ville leurs productions ; les prix des produits laitiers revinrent à un niveau acceptable,- « l'on verra même des ventes à fort rabais » et la population de Verviers put aborder l' hiver 1916-1917 de manière plus rassurante.
« Les taches graisseuses de beurre ... resteront visibles pendant plusieurs jours et deviendront des buts de promenade et de curiosités pour de nombreux Verviétois, ainsi que pour des habitants des environs » conclut M. BEDEUR


La « révolte du beurre » toucha aussi SPA et STAVELOT, où des actions punitives contre les trafiquants avec l' Allemagne eurent lieu.
ACTIONS POUR LE PRIX DU BEURRE(juin-juil1916-provLIEGE)
Le 28 juin à STAVELOT, un trafiquant, qui transportait une charrette de beurre à destination des Allemands, fut arrêté par une foule en colère. Les soldats allemands le libérèrent, et la population fut punie collectivement par un renforcement du couvre feu .
Mais le 5 juillet , un groupe de travailleurs  fit signer une pétition exigeant des prix plus bas pour le beurre et les oeufs . Des croix noires furent peintes sur les demeures de commerçants suspects de trafic avec les Allemands.
Le lendemain un décret forçait au respect des prix imposés.
A Spa, en juin 1916, des groupes, surtout de femmes, empêchèrent , par des barrages, les agriculteurs de se rendre au marché, pour les empêcher de faire affaire avec des commerçants qui vendaient aux Allemands.
Puis, ils se rassemblèrent devant la maison d'un trafiquant avant d'être dispersés par les soldats allemands.   Là aussi , des croix noires furent peintes sur les maisons des profiteurs.

On le voit, l ' Union Sacrée , proclamée en août 1914 n'a pas gelé la « lutte de l'exploité contre l'exploiteur », d'autant plus que ce dernier s'enrichissait sans vergogne, pendant que le peuple crevait de faim !
Saluons quand même – 100 ans après - le courage de ces travailleurs, ouvriers mineurs, citadins de Verviers, femmes d'ouvriers, d 'être descendus , sans peur , dans la rue sous occupation militaire .
Cette lutte devait inévitablement ,prendre une forme radicale . A insister pourtant que cette forme violente de justice populaire, spontanée et légitime, ne fit aucun blessé, aucune victime .Seuls les biens des spéculateurs, des trafiquants et des affameurs furent touchés. « QUI SEME LA MISERE , RECOLTE LA COLERE »

On peut regretter aujourd'hui que ces actions de résistance sociale ,ne recueillent , par exemple que quelques lignes au milieu de 27 pages dans des écrits officiels contemporains sur la Grande Guerre.

«Un   sentiment de révolte éclate parfois au sein de la population, en raison de ces réquisitions et de la hausse des prix. La situation peut parfois prendre de l’ampleur lors d’émeutes au cours desquelles les protestataires exigent des commerçants un retour à des prix raisonnables.
Ceux qui refusent s’exposent au saccage de leurs installations, comme au cours de l’été 1916 à Verviers, Herve, Dison ou encore sur le marché de la Batte à Liège : légumes, pains, œufs, poules... sont jetés dans la Meuse par des manifestants en colère »
http://www.provincedeliege.be/sites/default/files/media/524/EPL - Dossier 14-18 - 18 - La vie quotidienne à Liège pendant la Première Guerre mondiale.pdf ( avec quand même une grande photo de la place Saint Remacle à Verviers le 4 juillet) 
 
L'histoire de la Grande Guerre n'est elle pas aussi, celle de ces hommes et ces femmes qui se sont levés, en pleine guerre , contre les exploiteurs , de Anvers à Liège , de Gand à Verviers ?
Sur la résistance sociale en 1914-1918, lire aussi :
NOUS VOULONS DU PAIN( livre de G. NATH sur  GAND 1916)
http://rouges-flammes.blogspot.be/2015/11/1914-1918-mai-1915-la-greve-du-pain-des.html
http://rouges-flammes.blogspot.be/2016/06/1914-1918-juin-1916-nous-voulons-du.html


sur Verviers  "L’insurrection des affamés saccage le centre de Verviers"
  http://lesresistantsdelamemoire.be/forum/topic-869+l-insurrection-des-affames-saccage-le-centre-de-verviers.php

et   http://www.lavenir.net/cnt/355251