mardi 25 août 2020

HOMMAGE A SUZY ROSENDOR : "LE REJET DE L'INJUSTICE ET DU MEPRIS"

 


Intervention de Suzy ROSENDOR,      Porteuse de valise
18 octobre 2014  au Théâtre National, dans le cadre du Festival des Libertés(photo G. CHERIFI)

Suzy Rosendor nous a quitté mercredi dernier 19 août, elle qui allait avoir 87 ans dans quelques jours !  Disparition bouleversante tant elle était inattendue : Suzy m’était toujours apparue ces derniers mois comme une amie, toujours alerte, dynamique et organisée, à l’esprit vif et si attentionnée.

Il y a quelques temps, elle avait voulu me faire un cadeau, un bel objet asiatique, je ne sais trop pourquoi : « elle aimait faire des cadeaux » dit elle. Ca c'était Suzy.

Toujours aux petits soins aussi pour notre camarade Fons  Morenhout,   sur qui elle veillait avec tant de sollicitude. 

Toujours attentive aux choses de la politique,  elle m'envoyait mails et messages pour discuter telle ou telle question. 

J’avais connu Suzy il y a près de 60 ans maintenant, alors que nous avions trouvé dans le parti communiste prochinois l’espoir de lendemains qui chantent.

Hélas, l’espoir s’effondra en moins d’un lustre ! 

Je revoyais Suzy à la librairie « Joli Mai » qu’elle avait ouverte près de la place Flagey à Ixelles ; elle apportait ainsi sa pierre à la diffusion des idées révolutionnaires.

 

Nous nous sommes ensuite perdus de vue. 

Depuis quelques années, nous nous sommes revus, avec son ami de toujours, Fons Moerenhout, son amie de tous les combats Cécile Draps et quelques autres.

Un temps pour discuter du bilan de ces années 60, un autre pour échanger sur les élections, une autre

A Manifiesta avec Fons Moernhout
( capture d'écran  tiré de " camarade Moerenhout" d'Annie Thonon)

fois à Manifiesta ; elle était aussi, discrète et efficace, l’inspiratrice des petites fêtes organisées pour l’anniversaire de notre Fonske. 

Discrète   efficace  et courageuse  c’est ainsi  que je la vois aussi, à travers les récits ci dessous de son engagement total comme porteuse de valises, dès ses 25 ans, aux côtés des combattants pour l’indépendance algérienne. Jeune mère de famille, elle avait abandonné ses études à l’ULB , prenant tous les risques du travail clandestin. 

Et ce combat des porteurs de valise pour l'Algérie, elle a voulu le porter, toujours avec le même courage  jusqu'à la fin de sa vie : conférences, interviews, projections de film, colloques, de Bruxelles à Alger, pour que les jeunes générations connaissent cette expérience de solidarité et d'internationalisme.

Elle me confiait, après le colloque d'Alger en 2017 combien elle avait été heureuse d'y avoir participé et d'y être honorée, mais aussi combien elle avait été peinée de voir l'Algérie encore si pauvre.


 Il y a peu, je lui demandais pourquoi elle avait tant de peluches de Nounours partout chez elle, dans le salon, dans le bureau, dans le hall.
Elle nous explique alors que quand elle avait 6 ans, en 1940, elle se promenait à Anvers dans un parc avec son nounours. Quand son père est venu la chercher d’urgence pour  fuir la barbarie nazie et partir  , elle  avait abandonné à tout jamais son nounours,  et , petite fille de 6 ans, elle en avait pleuré.
Je suis sûr que tous les nounours du monde épris de justice et de liberté lui feront une haie d'honneur pour son  dernier voyage. 


Une grande camarade nous a quitté.

Que son engagement  et son courage inspirent les combattants de demain ! 

 

SA VIE

 

Festival des Libertés 2014 (photo G. CHERIFI)

SUZY THUY-ROSENDOR (née à Anvers, le 18/9/1933). Sa famille est originaire de Faleshty et de Resina près de Kichinev en Bessarabie (Empire russe). Ses parents fuient la répression tsariste puis les persécutions nazies. De retour en Belgique, elle entame ses études à l'ULB (Université Libre de Bruxelles). Elle s'engage aux Étudiants Communistes puis au Parti Communiste Belge, lequel la découragera de s'engager pour la Révolution algérienne. Jeune mère de famille en 1958 et proche de l'avocate Cécile Draps (avocate du collectif belge), elle décide d'apporter son aide aux militants algériens en raison de son histoire familiale et de ses convictions humanistes et internationalistes. Elle bénéficie de l'appui de son mari André Thuy. « Électron libre » par rapport aux différents réseaux de soutien, cette position singulière se traduit par des contacts directs avec les membres du Comité Fédéral de la Fédération de France du FLN (surtout Kaddour Ladlani parfois Omar Boudaoud) ou avec Rabah Nehar (responsable de l'UGTA) mais aussi avec le responsable du FLN pour la Belgique Titrouche Abdelmajid. Parmi les différentes missions qu'elle reçoit d'eux, elle assure le transport régulier des cadres et des militants de l'Organisation et de la Spéciale vers Paris, Lille, Amsterdam ou Cologne mais aussi les liaisons au-delà des frontières en ayant plusieurs fois la charge des documents et archives du FLN. Enfin elle est également chargée de trouver des logements à Bruxelles pour les militants en clandestinité et participera aussi à la filière médicale. 
Après la guerre, elle devient une libraire engagée et travaillera avec son mari ingénieur sur différents projets, en Guinée et en Irak. 

(Rédigé par Paul-Emmanuel Babin)

 

L'ALGERIE

2017 Colloque d'Alger sur "le Front du Nord" organisé par l'Ambassade de Belgique

De son côté, Suzy Rosendor (née en 1933 à Anvers), témoignant de cette période, précise d’emblée qu’elle était un «électron libre». «J’ai accompli beaucoup de missions», se remémore-t-elle. Mme Rosendor avait des contacts directs avec les membres du Comité fédéral (Ladlani et Omar Boudaoud), avec Rabah Nehar (responsable de l’UGTA) ainsi que Abdelmadjid Titouche alias Marc Dujardin, chef du FLN en Belgique.Elle a assuré le transport de nombre de militants et même de membres de la «Spéciale» «vers Paris, Lille, Amsterdam ou Cologne, mais aussi les liaisons au-delà des frontières en ayant plusieurs fois la charge des documents et archives du FLN», détaille sa note biographique.

Elle est également «chargée de trouver des logements à Bruxelles pour les militants en

clandestinité et participera aussi à la filière médicale». Summum de l’humilité, Suzy Rosendor confie : «J’ai même été jusqu’à nettoyer des appartements à Francfort.» Des «planques» pour les activistes FLN.         
El Watan  01 novembre 2017                                 

 

Au colloque d'Alger de 2017, alors que l’hymne national retentit dans la salle (dans sa version longue), Suzy Rosendor, l’une de ces grandes âmes de l’ombre, est émue aux larmes.
Elle confiera que ce qui l’avait touchée, outre le fait qu’elle écoutait Kassaman pour la première fois, sous le ciel de l’Algérie indépendante, c’est l’idée que cette musique de Mohamed Fawzi et ces couplets de Moufdi Zakaria pouvaient être «joués» en toute liberté.  
El Watan 31/10/2017

 "Suzy Rosendor explique que son militantisme anti-colonialiste était « un héritage de famille », nourri par des convictions humanistes et internationalistes. Née en 1933, Suzy Rosendor s’est engagée durant son cursus universitaire aux Etudiants communistes avant de rejoindre au Parti communiste belge. A partir de 1958, elle décide d’apporter son aide aux militants algériens et entre en contact avec des membres de l’UGTA et de la fédération de France du FLN. "
Suzy expliquait que son engagement était surtout dû à son rejet de l’injustice. « Mes convictions, je les ai héritées de ma famille. Mais la principale raison de mon engagement était mon rejet de l’injustice et le mépris » que subissait la population algérienne                       Tribune des lecteurs 31/10/2017 

Mais, sa plus grande fierté reste sa participation à l'organisation du référendum d'autodétermination le 1er juillet 1962, à Charleroi (Belgique). "De nombreuses femmes ont participé à l'organisation de ce référendum pour l'indépendance. Ce jour était, non seulement, celui de la libération de l'Algérie, mais c'était aussi, pour elles, celui de la libération de la femme", a-t-elle confié.
El Faycal 28/10/2017




2012 les 50 ans de l'indépendance à Saint Josse, avec Cécile Draps  

Au P C

    Elle me confiera lors d’un entretien en 2017 quelques détails de son parcours au Parti communiste :

Elle avait rejoint en 1962, la section d’Uccle du Parti Communiste, tout en y faisant remarquer que la lutte de libération algérienne était sous la direction du FLN (Front de Libération Nationale), et pas du parti communiste. Des militants communistes français désapprouvaient d’ailleurs la position de la direction du parti sur l'Algérie. En ce qui la concerne, un responsable du Comité Fédéral de Bruxelles du PCB l'avait mise en garde à propos de ses activités pour l'Algérie et le FLN.  
Le PC interdisait en effet à  ses militants toute activité de soutien direct et forcément clandestin au FNL.

     
En 1963, avec la section d'Uccle, elle a vécu la rupture entre PC « révisionniste » et PC « marxiste - léniniste » dirigé par Jacques Grippa.
Tout de suite, elle devient responsable dans l'administration de la nouvelle Fédération Bruxelloise. Elle était aussi responsable de la maison d'éditions « Le  Livre International ».  Elle a vu beaucoup de moyens mis en œuvre et l'engagement de nombreux employés permanents à Bruxelles. En même temps, l’activité de la section de base déclinait, de nombreux membres étant permanents attachés à d'autres tâches. C'est une des causes de l'échec de ce parti. 
En 1966, Suzy Rosendor n'a pas accepté, au sein du PC - Grippa les exclusions de Maurice  Delogne, Fons Moerenhout et d’autres camarades.
Elle a rendu ses comptes en ordre et a quitté le parti, se mettant « en dehors du parti », dont elle a néanmoins été "suspendue".

 Ce qui ne l'a pas empêché, bien au contraire, de rester toute sa vie  fidèle à ses profondes convictions révolutionnaires.



2015  Avec Fons Moerenhout à Pékin.