vendredi 1 décembre 2017

GRANDES FIGURES DE CHEZ NOUS : JEAN TOUSSEUL FILS DU VAL DE MEUSE , OUVRIER CARRIER ET ECRIVAIN POUR LA PAIX.


Huy

C'était dans une petite ville dont les pierres bourgeonnaient
et fleurissaient au soleil, ou se ratatinaient sous la pluie.
Celle ci en avait adouci la taille , fané les dentelles et les fleurs.
On eût dit que le temps avait usé la voix des cloches et les airs de carillon ;
puis les sonneries rebondissaient un matin comme des volées d'hirondelles joueuses.
La fontaine happait , dans les jets d'eau , les couleurs de l'arc en ciel  le jour,
et les lumières des fenêtres le soir.
La Rose de la Collégiale, toute une saison, absorbait les rayons du soleil,
et l'église semblait en gonfler d'aise.
On passait brusquement sous un portail ou sur un pont
où se trouvaient des arbres et de l'eau ;
on gravissait une rue, on suivait une allée sage,et , de deux côtés ou tout au bout,
vous souriaient de vieilles maisons ridées, vêtues à l'ancienne mode ,
et les pavés sonnaient clair comme dans aucune ville du pays [...]

Jean TOUSSEUL – extrait de « Le retour » Paris 1930 pp 7-8



Jean TOUSSEUL !
A l'école primaire, mon anthologie de français était émaillée de ses écrits , qui servaient d'ailleurs souvent de sujets de dictée.
J'en garde l'image d' un écrivain régionaliste, avec une très belle et très attachante plume ; comme HUBERT KRAYNS , il a ancré ses romans dans le tissus de sa région , dans les hommes et les paysages de sa région.
En l' occurrence pour Jean Tousseul, (1)  dans la douceur des bords de MEUSE autour de Seilles et d' Andenne , pas très loin de Huy , mais aussi dans l' extrême dureté du labeur de ses travailleurs.
Il fait partie des « Cent Wallons du siècle » sélectionnés par l'Institut Jules Destrée.
Il fait surtout partie de nos écrivains oubliés ; d' ailleurs il n'y a plus dans nos écoles d'anthologie de français... et il s'y donne par ailleurs moins de dictées.

En ces années de centenaire de 1914-1918, il nous faut aussi célébrer, outre le prolétaire écrivain, un autre  JEAN  TOUSSEUL : le pacifiste, arrêté  en décembre 1918 et emprisonné pendant 4 mois , à la prison Saint Leonard, puis à Saint Gilles..

EXPO ANDENNE 2016
En 1990, l'IHOES (Institut d'Histoire ouvrière , économique et et sociale) a monté , à l'occasion du centenaire de JEAN TOUSSEUL, une exposition « Jean Tousseul et le mouvement social de son temps »(2)
L'année dernière , en décembre 2016, c'est le Service de Cohésion sociale de la Ville d 'Andenne qui réalisait au Centre Culturel une très belle exposition : « Jean Tousseul : La plume au service de la mémoire »

 EXPO IHOES 1990
Ce sont notamment ces belles réalisations , qui m'ont guidé pour la rédaction de ce blog.
Notons aussi le magnifique effort de la Ville d'Andenne qui met en ligne les oeuvres de Jean Tousseul, les rendant ainsi accessibles à tous (3)
Et j'y ai découvert, au delà de la description des coteaux de Meuse, un ouvrier des carrières, fils d'ouvrier des fours à zinc de Sclaigneaux, OLIVIER DEGEE .
Devenu écrivain autodidacte, il prendra en 1916 le nom de plume de JEAN TOUSSEUL, et décrira la réalité sociale de son temps.


OLIVIER DEGEE, OUVRIER CARRIER , ECRIVAIN MILITANT.

  Nous sommes au pays des carrières de calcaire, des mines d'oligiste, des fosses à terre plastique, des fours à chaux, des moulins de minerai, des usines de produits réfractaires : SCLAYN, SCLAIGNEAUX, ANTON, SEILLES, ANDENNE, mais aussi MOHA, VINALMONT,BARSE  ENGIS etc.
Des fonderies sont venues s'installer aussi sur les berges, mais la vie des chantiers où l'on abat les roches de calcaire, anime toute la région 

« Mon père qui n'avait jamais vécu à la campagne eut à choisir entre un champ qui nous eût nourris et l'usine ; Il choisit celle ci : deux fois par semaine, il allait se faire cuire24 h devant les fours à zinc de la vallée.
C'est ainsi que je ne le vis guère durant mon enfance. » - JEAN TOUSSEUL : « La route incertaine »

Lui même , en 1908 , à 18 ans , est engagé comme ouvrier carrier aux  CARRIERES ET FOURS A CHAUX DE LA MEUSE  à SEILLES.

«Allez! Carriers arrachez par le fer et la dynamite, le calcaire à la terre , le danger permanent, mais oublié sur la tête – avez-vous le temps d'y songer ? Chargez votre caisse, poussez la jusqu'aux taques où l'on vous donnera un « vide », chargez la encore, donnez cent mille coups de maquette, détachez ce bloc qu'il faut fuir, dépecer et charger, par cent livres d'un coup.
Allez carriers, jusqu'au soleil couchant, jusqu'au soir de la vie, jusqu'à la destruction complète de l'être, qui très tôt , « n'en voudra plus ».
Luttez, comme des bêtes âpres au gain, pour nourrir de vos sueurs de galère et de sang, le cabaretier obèse qui est en train de devenir maïeur en cultivant ses salades et sa flemme»
Extrait de « Les carriers »(1913)  publié dans « La mort de petite Blanche » - Huy 1918 

Dans « L'Adolescenr » ( février 1918), il décrit aussi avec beaucoup de vérité, et de manière largement autobiographique, le travail des carriers et des chaufourniers :

« On l'occupa sur les gueulards. Il travailla sous les ordres d'un brave homme de chaufournier, très grand, très mince , très asthmatique.
Pierre apportait de l'eau dans les fosses et remuait le charbon avec une houe.L'eau gelait dans ses sabots. L'homme par gestes rythmés et larges de sa pelle couvrait le lit de moellons avec la houille humide .
Parfois une pierre s'en échappait dans une détonation.
 Les gaz montaient des gueulards. Le gamin était ivre.Il avait les jambes molles, le fond du palais sec, la langue dure comme un caillou. »
...
Extrait de « La mort de petite Blanche  (Biographie d'un traîne-misère) » - Huy 1918





Plus tard (1920), il décrit le travail des mineurs :
« L'aimez vous cette houille irréductible , sur laquelle , dans vos royaumes noirs, tombent votre sueur et votre sang.
Songez vous qu'elle réchauffe les petites mains gelées de vos gosses, vos membres rhumatisés, vos femmes en couche, la pièce lumineuse et accueillante des soirs d'hiver ?
Qu'elle mord les machines, et qu'en la dévorant comme vous le faîtes, vous préparez un monde béant, qui cherchera autre chose pour se chauffer et se mettre en mouvement ?
Vous êtes grands, Mineurs, vous êtes les dieux noirs de notre âge, car vous savez vaincre la terre : la nébuleuse primitive étincelle à la pointe de votre rivelaine * ; vous transformez le soleil ! Et le monde entier avec votre gymnastique opiniâtre, vos outils, vos sueurs et votre sang.
Tous ceux qui se chauffent n'y ont pas toujours pensé . »
Extrait de « La mélancolique aventure -  Huy 1920 p 146

* »Rivelaine » : Pic à deux pointes et à long manche, utilisé dans les mines pour couper ou entailler les roches tendres et en particulier la houille

GEORGES EEKHOUD (4) écrira une préface élogieuse pour « LA MORT DE PETITE BLANCHE » et y retranscrit une lettre de l'auteur :

 «  Voici mon histoire en quelques lignes... J'ai 27 ans.
Mon père – il est mort le cher homme - travaillait aux fours à zinc de SCLAIGNEAUX.
Je fréquentai l'école primaire de SEILLES et , pendant 2 ans, l' Ecole Moyenne d' ANDENNE.
J'étais un mauvais élève.
Je lisais les hommes de chez nous : EEKHOUD, LEMONNIER, PICARD et les autres.
Je tombai malade et, sur les conseils du médecin, je me promenai dans les bois de mon village.
C'est ainsi que je fis des vers. [...]
A 18 ans, j'entrai comme ouvrier aux carrières de SEILLES  : Le travail de la pierre me tuait ; je dus m'en aller.
Je vécus misérablement de ma plume. Personne ne m'encouragea.
Désespéré, je retournai casser des pierres . J'y suis resté .
Un peu avant la guerre, j'entrai dans les bureaux de l'administration.... »
Georges Eekhoud : préface à « La mort de la Petite Blanche – Huy - 1920

JEAN TOUSSEUL ET GEORGES EEKHOUD
Il écrira aussi au même GEORGES EEKHOUD :
« Lorsque je griffonnais cette page au crayon – il n' y avait ni encre, ni plume là bas- dans une baraque des carrières de mon pays, je ne soupçonnais guère qu 'elle serait commentée un jour par le grand Eekhoud à l'Université Nouvelle.
Je termine un livre de nouvelles qui paraîtra en mars prochain .
J'y défends les pauvres, les ouvriers, les infirmes, les ivrognes, 
les parias, les prostituées.
J'y maudis les mauvais riches, les cabaretiers, les gazetiers,  J'y parle surtout de mes frères d'ergastule (*), les ouvriers."
Jean Tousseul « Lettre à G. EEKHOUD » 8 février 1918
(*ergastule, mot d'origine latine= prison pour esclaves)


Il décrira plus tard, en 1930, son métier d'écrivain , alors qu'il est déjà édité et reconnu :
  « J'avais vu depuis ma plus tendre enfance ce qu'on appelle les inégalités sociales. Je devins évidemment un écrivain militant. 
Je considère mon métier comme un apostolat . Tout écrivain qui tient une plume accomplit un acte... chez moi cet acte est évidemment révolutionnaire.
Dans tout mon travail, je révélerai l'injuste misère des uns et la criminelle opulence des autres  . Je ferai ainsi mon devoir envers mes ancêtres , ouvriers et artisans pauvres que le travail a broyés ou vieillis avant l'âge et qui n'ont jamais vécu que dans une sainte misère ; je prends mes matériaux dans la réalité »
R. Radelet : « Jean TOUSSEUL interrogé par un journaliste en 1930 » ; paru dans les Cahiers JT n°4 1950 pp 21 -27

CARRIERES  "COLLINET"  A  SEILLES
A noter , cher lecteur que « Les Carrières et fours à chaux de la Meuse », qui ont employé Olivier Degée – Jean Tousseul de 1908 à 1914 étaient familièrement appelées par les ouvriers les carrières Collinet.
C'est l' arrière petit fils de  Léon Collinet fils  le patron de Olivier Degée ,  le baron Rodolphe Collinet qui est l'actuel CEO de CARMEUSE, devenue une multinationale de la chaux, présente sur les 5 continents. Les Collinet sont aujourd'hui une des plus grandes fortunes du pays.
Comme le titrait « L'ECHO » du 12 juin 2010 ,
« Chez les COLLINET, on casse des cailloux depuis 150 ans. Une histoire de famille » !!!
Précisons quand même  que les "cailloux" , ce sont  les milliers d' OLIVIER DEGEE qui les ont cassés.



JEAN TOUSSEUL , CONTRE LA GUERRE  :
« On m'a mis en prison, j'ai donc tort d'avoir raison »

4 Août 1914  : l'armée impériale du Kayser Guillaume II de Hohenzollern déferle sur la Belgique , avec -hélas- la bénédiction des socialistes allemands , qui en l'espace d'une nuit se sont rangés derrière le gouvernement impérial.

La région d' Andenne Seilles est le théâtre d'un des plus grands massacres de populations civiles par l'armée du Kayser, les 20 et 21 août 1914.
Jean TOUSSEUL était présent et tous les hommes de la famille de sa jeune femme ,Madeleine Hubaux, sont massacrés.
Il écrira plus tard:
« Je n'ai pas fait la guerre de 14-18, mais j'ai connu la terrible invasion de la VALLEE DE LA MEUSE. 400 de mes concitoyens ont été tués ou carbonisés autour de moi.
J'ai eu assez de sang froid pour échapper à six tueurs ivres .
La guerre est une stupidité sans bornes . Et je crois que les hommes portent la guerre en eux comme un mauvais levain. » 15/10/1938
ANDENNE  HOMMAGE AUX VICTIMES DU MASSACRE  D' AOUT 1914

Cette douloureuse expérience ne l'a pas transformé en fou de guerre jusqu'auboutiste ;
Mais bien au contraire en fervent partisan de la paix .
Et il n'aura pas de mots assez durs contre précisément ces jusqu'auboutistes , souvent bourgeois bien repus et calés dans leur fauteuil.
En août 1918 il écrit , sous le pseudo FIGULUS , dans le journal namurois « L'ECHO DE SAMBRE ET MEUSE » un article ironique sur les mensonges de la propagande de guerre de la presse (favorable aux Alliés)
Il raille les fausses nouvelles à répétition des commentateurs de guerre  et s'en prend aux « bellicistes aveugles et obèses qui n'ont jamais vu les tranchées que dans les illustrés de foire , qui sont tous aujourd'hui de fervents jusqu'auboutistes »:
« D'ailleurs de nos jours, on martyrise odieusement l'histoire
L'armée du général X a été encerclée sept fois, et celle du général Z décimée complètement quatre fois , plus ou moins, comme à confesse...
Les DARDANELLES ont été franchies huit fois , METZ est tombée cinq fois et les RUSSES sont venus jusqu'aux portes de BUDAPEST !!!
Cette satire de  la propagande guerrière jusqu'au boutiste de l'Entente  sera considérée après l' Armistice en 1918 comme « propos défaitistes »
Et, deuxième crime : leur publication dans un journal paraissant, comme toute la presse non clandestine, sous contrôle allemand : «  L'Echo de Sambre et Meuse »
JEAN TOUSSEUL est arrêté le 10 décembre 1918 , et incarcéré à la prison Saint Léonard où il occupera la cellule 158.
Il sera transféré par la suite à la prison de SAINT GILLES.
 La démarche du pouvoir est d' assimiler tous les pacifistes , qui se sont opposés à la guerre ou à sa prolongation, à des traîtres à la patrie, au service de l'occupant.   Parmi eux, un grand artiste Frans Masereel (5) et aussi Georges Eekhoud lui même.
La guerre 14 - 18 a en effet généré une onde de chauvinisme et de patriotisme ultra nationaliste, alimentée par les nationalistes « belgicains » , mais aussi – hélas- par des dirigeants du POB  ,     qu'on a appelé le « jusqu'au boutisme. » (mener la guerre jusqu'au bout)
Et à l' Armistice, ils s'en donnent à coeur joie : arrestations, campagnes de presse, interdictions professionnelles, condamnations, interdictions de séjour etc. 
Pourtant, cette guerre, présentée comme une guerre pour la démocratie allait en fait apparaître comme une guerre de brigands pour le partage du monde et de ses richesses et,aussi comme une guerre dont profitaient les riches pour se remplir les poches , alors que les pauvres se faisaient tuer au front.
Jean Tousseul écrira en 1920 :
« Je suis convaincu , en demandant la discussion de la paix après Stockholm, d'avoir exprimé le désir de 80% de mes frères et soeurs - qui bêlent avec les autres aujourd'hui, parce que le peuple est ainsi fait – et dont par surcroît les fils et les époux constituaient 80% de notre armée » (5)

Et cette vibrante déclaration de Vidal dans la nouvelle « L'Hote » qu'il définit comme « une vraie page de la vie de prison, brutale et laide , avant que Vandervelde n'intervint » fait, à n'en pas douter , oeuvre de profession de foi de l'auteur :

« Est il raisonnable d'enseigner la morale de Jésus et de renier Jésus 
quand les riches d'un pays veulent doubler leurs capitaux ?
De prêcher la guerre, de ne pas la faire soi-même et de la laisser faire par les autres ?
De crier « Vive la Patrie » et d'affamer ses compatriotes (80% des nôtres ont les ventres calleux de s'être traînés devant l'ennemi!)
- de faire des voeux pour les soldats des tranchées, pour les meurt-de-faim des pays occupés, pour les martyres des camps de concentration et de souhaiter continuer la guerre ?
De sacrifier 300000 hommes pour chasser l'ennemi d'un territoire qu'il veut bien abandonner ? ...
Voilà ce que j'ai écrit. Ai-je tort ? Ai-je raison ? J'ai raison. On m'a mis en prison. 
On va me condamner. Il est donc dangereux d'avoir raison .
 J'ai donc tort d'avoir raison. »

« L'Hôte -Journal d'un condamné politique » dans  "La mélancolique aventure" Huy 1920 » p 48


ROMAIN ROLLAND , prix Nobel
Sous l'effet d'une campagne internationale pour sa libération , animée entre autres par les deux grands écrivains français de la paix,  Romain Rolland , l'auteur de Jean Christophe (prix Nobel 1915) et Henri Barbusse , qui a écrit "Le Feu" ( prix Goncourt 1916) , et dirigée vers le ministre de la Justice POB Emile Vandervelde, il bénéficiera d'un non lieu le 10 avril 1919, après 4 mois de prison.

Henri Barbusse résume la démarche pacifiste de Jean Tousseul dans sa préface à « La Mélancolique Aventure »
HENRI  BARBUSSE , prix Goncourt

« Il crut juste de ne pas acquiescer aux excès du militarisme et à la prolongation inutile de la guerre, et il crut de plus que son devoir était de dire tout haut ce qu'il pensait à ce sujet.
Le sens de sa pensée fut odieusement dénaturé.
 La hideuse et ignoble accusation de "défaitisme" qui aura été pendant toute la guerre le prétexte sommaire et toujours prêt, utilisé par ceux qui n'avaient pas d'autres armes contre les idées et contre les consciences , fit une noble victime de plus.
Jean Tousseul   fut emprisonné. »
Henri Barbusse : Préface à « La Mélancolique Aventure » Huy 1920




Après sa libération , Jean Tousseul s'activera à développer à Liège le mouvement « CLARTE » , qui a grandi en France autour d' Henri Barbusse et Paul Vaillant Couturier et qui se développe aussi à Bruxelles et en Flandre, et qui fut le porteur de ce bouillonnement d'idées , à la fois riche et confus, de l'immédiat après guerre, qui regroupe, pacifisme, anarchisme, internationalisme, communisme , soutien à la révolution russe.
"MONDE" de Henri BARBUSSE, EINSTEIN, GORKI,
 SINCLAIR etc... 1929 :TOUSSEUL en tête de revue
Par la suite , JEAN TOUSSEUL se ralliera au POB, redevenu après 1921, antimilitariste par la magie d'un miraculeux retournement .
Il sera ,non sans contradictions, journaliste , employé au syndicat des cheminots, candidat sur les listes POB à Bruxelles.
Pour, enfin, à travers une vie personnelle torturée, se consacrer entièrement à partir de 1926 à son métier d'écrivain
.Il aura en 1937 le prix triennal de littérature, une des principales distinctions de la littérature belge d'expression française.
Il sera considéré comme un écrivain ouvrier et restera proche, notamment de Henri Barbusse et de la mouvance des « Ecrivains prolétariens » à travers l'hebdo  « MONDE », qui parait à Paris de 1928 à 1935.
Toujours, son pacifisme humaniste et son refus du jusqu'au boutisme guerrier tel qu'il l'avait exprimé en 1918, restera dans ses écrits.
En voici un large extrait , pour vous inciter à la lecture de ce grand écrivain de chez nous...


«Clarambaux,  il faut se garder ferme comme un roc... »
LA RAFALE - extraits (Quatrième roman de la série des  Jean Clarambaux : Le village gris - Le retour – L'éclaircie – La rafale – Le testament.) 

«  La misère régnait sur tout le pays. Chassés par la famine des cités industrielles du pays de Liège, des mendiants squelettiques allaient de porte en porte pour quémander une pomme de terre, un rutabaga, une croûte de pain, une poignée de froment, une betterave ou un navet.
Tout vint à manquer et les Allemands avaient supprimé les distributions de soupe aux affamés du village. Tous les chevaux furent réquisitionnés.
Comme si cette situation n'était pas suffisamment alarmante, les Allemands se mirent à déporter un grand nombre d'hommes valides pour travailler en Allemagne. [...]
La guerre était vraiment trop longue, les gens n'en pouvaient plus.
[...]
On se mit à se disputer entre voisins pour des idées à propos de la guerre. Les uns, « jusqu'au boutistes", voulaient qu'elle continue, pour écraser les Allemands jusqu'au dernier , mais d'autres, pacifistes, dont Jean se fit le porte-parole, pensaient que la prolongation de la guerre était odieuse puisque l'Allemagne était battue et qu'on allait encore sacrifier en vain des dizaines de milliers d'hommes par "dignité militaire". "Il ne faut plus qu'on tue", répétait-il.
Le maître d'école s'était assuré ainsi de nombreux ennemis. Mais il continuait sa campagne. Il parlait vraiment au nom de la muette misère et de la peureuse torture des faibles. Il était indiciblement fort dans sa solitude.
[...]
Novembre 1918 : la retraite allemande en Belgique
Alors qu'on était sans nouvelles fiables sur le déroulement de la guerre, un avion allemand  taub  fit des figures acrobatiques au-dessus de la région, puis les cloches se mirent à sonner dans tout le pays.
Pleurant silencieusement, M. Nalonsart  finit par dire : « Enfin, on ne tue plus. Est-ce possible? »
Le village redevint bruyant comme aux jours des frairies passées : des gens couraient sur les routes, on s'embrassait.
Le drapeau belge flottait sur le toit pointu de l'église et un drapeau rouge bougeait sur la tour de la kommandantur. Un train passa, bondé d'Allemands qui agitaient des drapeaux pourpres pour saluer les paysans qui regardaient passer la révolution. Une grande partie de l'armée allemande désertait.
[....]
Resté seul avec Jean ,... M. Nalonsart lui dit :
" Clarambaux,  il faut se garder, ferme comme un roc, malgré les marées de sottises et de mensonges.  Convaincre son entourage serait le principal, mais, crois-moi, Clarambaux, l'homme peut se consoler de n'y avoir pas réussi en constatant que quatre années d'ignominies ont déferlé autour de ses idées sans avoir d'influence sur elles.
Voilà, lorsqu'on est vaincu, comme les meilleures des consciences le furent depuis 1914, voilà l'unique beauté de la vie, Clarambaux".


(2)voir:http://www.ihoes.be/PDF/exposition/Jean_Tousseul_et_le_mouvement_social_de_son_temps-exposition-fiche_technique.pdf

(3) Bibliotheca Andana   http://www.bibliotheca-andana.be/?s=tousseul

(4) GEORGES EEKHOUD :(1854-1927) écrivain anversois de langue française
voir :https://rouges-flammes.blogspot.be/2014/10/1914-1918-uomini-contro-georges-eekhoud.html 

(5) FRANS MASEREEL: voir:
https://rouges-flammes.blogspot.be/2014/10/1914-1918-uomini-contro-notre-grand.html

(6) Stockholm: projet d'une conférence sur la paix rassemblant  les socialistes des pays belligérants et des pays neutres , mis en oeuvre par Camille Huysmans et d'autres.
voir: https://rouges-flammes.blogspot.be/2017/08/1917-uomini-contro-de-stockholm.html

samedi 18 novembre 2017

OCTOBRE 1917 : LES AVENTURES D' EMILE VANDERVELDE ET JULES DESTREE AU PAYS DES SOVIETS (2)

JULES DESTREE : PELERIN DE LA GUERRE

A la mi octobre 1917 ,en pleine déroute militaire du gouvernement provisoire , à la veille de la prise du pouvoir par les bolchéviks, arrive à Petrograd , tel un carabinier d'Offenbach , un infatigable combattant pour la guerre au finish , dirigeant du Parti Ouvrier Belge (POB) , député socialiste de Charleroi depuis 1894 , brillant avocat de 54 ans , JULES DESTREE .
1er MAI 1917 à PETROGRAD

Gamin, élève dans une école primaire de COUILLET, habitant à MARCINELLE, sa ville  de naissance, j'avais gardé l'image d'une des grandes  personnalités du PAYS NOIR, si pas la plus grande. 
Mon instituteur nous en parlait avec tellement de vénération.
Rue, place, avenue JULES DESTREE , école JULES DESTREE, institut JULES DESTREE, musée DESTREE..., pas possible d'y échapper.
Par la suite, dés les années 60 et 70 et la marche vers le fédéralisme et la régionalisation, le régionalisme wallon s'est emparé de sa mémoire avec celles d' ANDRE RENARD, et de bien d'autres, qui seront , en 2011, honorés à titre posthume de la distinction de "COMMANDEUR du MERITE WALLON".
JULES DESTREE, ancien ministre des Sciences et des Arts  en 1920-21,  père du régionalisme wallon ...
Sa statue à Charleroi est toujours un endroit de ralliement de telle ou telle manifestation ...
Et voilà qu'aujourd'hui , derrière cette figure légendaire de mon enfance et de ma jeunesse militante , se dresse un autre visage .

Dans un post précédent , j'avais déjà détaillé son action belliciste en Italie fin 1914 et en 1915, pour que ce pays entre en guerre aux côtés des Alliés , son admiration pour les nationalistes irrédentistes italiens comme Mussolini et D 'Annunzio. (1)
Hubert Hedebouw dans son blog d'avril 2014 avait déjà publié de larges extraits des « Fondeurs de neige » http://hachhachhh.blogspot.be/2014/04/julien-lahaut-et-le-corps-acm-autos.html

En août 1917 , le gouvernement du Havre décide de le charger d'une mission en Russie : ministre de Belgique à Pétrograd. Il y est nommé par arrêté royal du 1er septembre 1917.
Le voyage du Havre à Petrograd via Londres, l'Ecosse, la Norvège puis Stockholm prenant 20 jours , il arrive quand sa mission n'a déjà plus aucun sens : pour ses amis du gouvernement provisoire tout est déjà fini
Et au lyrisme guerrier enveloppé d'un raisonnable drapeau rouge du « patron » du POB succédera à la mi- octobre, dans les salons de Petrograd, le chauvinisme feutré à la fois russophobe , et germanophobe , xénophobe en un mot, du « prophète inspiré » de Charleroi, et aussi un mélange de lucidité et d'aveuglement .(2)

Quoi qu'il en soit, en ce mois d'octobre 1917, alors que « le monde va changer de base » le prophète ne semble plus inspiré du tout ; il n' a manifestement pas l'air heureux de sa mission , mais reconnaissons qu'il a un réel talent littéraire pour transmettre sa vision noire et pessimiste .
Rien ne trouve grâce à ses yeux : le bateau, « médiocre vapeur » est « noir et puant », l 'émigré russe rentrant au pays , « banni misérable »a « un foulard sale autour du cou, cachant l'absence de linge, des vêtements minables et des chaussures de sport.
Petrograd, est un « cloaque infâme », la foule de « pauvres gens y est sordide », et les popes ...
Mais lisez plutôt :

« Petrograd ne me plaît pas. Je n'y suis pas venu en touriste ni en voyage de plaisir, je le sais bien, mais mes yeux n'ont pas renoncé à trouver à l'étranger les joies précieuses que peuvent donner les visions différentes de celles auxquelles on est habitué. Je les
cherche vainement ici....
Misère et saleté. Telles sont les impressions d'arrivée.
Petrograd est, dans cette arrière-saison, un cloaque infâme. Une boue liquide, gluante, couvre les rues et les trottoirs. Elle a jailli sur les fenêtres des étages inférieurs, elle s'étale dans les ornières, elle gicle traîtreusement sous le pied qui se risque à peser sur un pavé déchaussé.
Jamais je n'ai rien vu d'aussi ignoble, sauf certaines rues fangeuses de Constantinople.
La foule est innombrable et sordide.C'est une foule de pauvres gens, voilà tout. On y voit surtout des soldats oisifs,croquant des graines de tournesol. Si on regarde bien,on aperçoit de temps en temps, un type très accusé de juif, de chinois, de moujik.

 Parmi toute cette crapule, la palme est, sans contredit, aux popes. Avec leur longue robe crasseuse et luisante, aux manches évasées, leurs cheveux longs et leur barbe en désordre, ils évoquent vraiment le maximum de la malpropreté pouilleuse, graisseuse et mal odorante. »(3)   

Ajoutons y sa rencontre avec KERENSKI, le chef du gouvernement provisoire, auquel il présente des lettres de créance, à quelques jours de sa chute , le 26 octobre:

« Et lui, eh bien , il est extrêmement déplaisant. Les traits sont ronds et bouffis, d'expression vulgaire ; les yeux sont petits, fureteurs et fuyants. Il n'y a, dans ce regard-là, ni intelligence, ni générosité, mais simplement de la ruse et de la fourberie .

Maintenant que je l'ai vu, je crois plus facilement à ce qu'on m'a dit de son manque de sincérité, de son verbalisme, de sa jalousie féroce contre tous ceux qui semblaient menacer sa popularité.»(4)   

D'ailleurs , son jugement ne sera pas plus favorable au nouveau président bolchévik du Conseil des commissaires du peuple, Vladimir Lénine, qu'il rencontrera au palais Smolny le 14 janvier 1918.

« Nous pénétrons chez Lénine.
LENINE EN 1918
Il est là, accueillant, souriant, visiblement satisfait de la visite. C'est un homme jeune encore, court, robuste, blond, d'apparence vulgaire.
La mise est simple, presque négligée, celle d'un contremaître qui ferait des écritures. Le poil est blond : cheveux, moustache en perpétuelle agitation, et très dessinées sur les tempes, et barbiche, la tête ronde est massive, comme un boulet enfoncé sur les épaules, le nez écrasé et rond du bout, les yeux petits et fuyants sous des paupières en éventail, des rides en pattes d'oies qui s'ouvrent et se déploient comme si elles participaient au clignotement des paupières et au sourire des lèvres.
Les manières sont communes; impression générale : un homme du peuple, quelconque, où il y aurait du Mongol et du Boche »(5)

Le décor est planté : l'Ambassadeur de Belgique n'aime ni la Russie,ni les Russes,ni les dirigeants russes,  bolcheviks ou non; plutôt gênant pour un  diplomate  dont la mission serait de gagner leur raison et leur coeur pour les appeler au sacrifice suprême !
Seuls auront grâce à ses yeux le ministre des Affaires Etrangères du gouvernement provisoire :
«  distingué ,parlant le français ,accueillant, charmant, [...] un Occidental qui me donne l'impression que je suis à Londres ou Paris »
Même Trotski qu'il admire pourtant sera qualifié de « juif rusé »                                                 Remarquons par ailleurs le contraste avec l 'appréciation qu'il avait portée sur Mussolini 3 ans plus tôt.(6)

« QUI A CESSE D' ETRE SOCIALISTE ?  »

Mais ce qui est plus étonnant, c'est que , Destrée qui , comme toute la direction du POB – excepté Camille Huysmans - est un farouche partisan de la guerre jusqu'au bout, ne peut cacher ses doutes, et son trouble devant ce qu'il appelle « le défaitisme » – qui est en fait le refus de la guerre venant à la fois , au sein de l 'ex - Internationale  du « centre » pacifiste, et de la gauche révolutionnaire.
Le centre pacifiste, ce sont les initiateurs du projet d'une conférence pour la paix des socialistes à Stockholm, Camille Huysmans  ex - secrétaire de l'Internationale, les partis sociaux démocrates hollandais et scandinaves, soutenus par des socialistes français ( Longuet) ,anglais, suisses, le parti socialiste italien. Se joindront à eux la majorité des socialistes russes (les mencheviks et les socialistes révolutionnaires)
En Belgique ce courant restera minoritaire au sein du Conseil général du POB.
La gauche révolutionnaire, c'est les bolchéviks russes, les spartakistes allemands autour de Rosa Luxemburg et Liebknecht, d'autres groupes internationalistes allemands, des minoritaires ici et là Henriette Roland Holst, Henri Guilbeaux etc.

Sous le paragraphe « Socialisme et défaitisme. »Destrée s'interroge :
Comment se fait-il que dans une lutte intéressant si profondément les masses, de l'issue de laquelle dépendait si évidemment la liberté du monde, l'impérialisme militariste allemand ait recruté des complaisants, précisément parmi les socialistes.
Il y a eu, en Russie, des révolutionnaires défaitistes avérés, depuis le premier jour.
Le parti socialiste officiel italien, les minoritaires français, l'Independent Labour Party en Angleterre, et même certains socialistes belges, et encore des socialistes neutres de Suède, de Hollande et des pays Scandinaves se sont prononcés contre la guerre, ont souhaité sa fin à n'importe quel prix, ont cherché des excuses aux Allemands,ont affaibli l'esprit de résistance, ont préconisé des mesures qui ne pouvaient profiter qu'aux agresseurs.
STOCKHOLM 1917 :
MANIFESTATION SOCIALISTE POUR LA PAIX
Deux infirmités morales peuvent expliquer le défaitisme : la lâcheté et la vénalité.
Accuser ceux qui n'adoptent pas les points de vue officiels d'être, soit des lâches, soit des
vendus, est facile, mais un peu sommaire.
Reste toujours à savoir pourquoi, une fraction importante du parti socialiste qui, dans son ensemble, ne peut être considérée comme couarde ou achetée, a déserté la lutte contre le militarisme allemand et écouté avec faveur les campagnes défaitistes.
Je vois bien la part de l'Allemagne dans des manifestations comme Kienthal, Zimmerwald (7a) ou Stockholm (7b)
Mais, j'avoue ne pas me résigner à n'y voir que l'Allemagne.
Il y a aussi une part de socialisme. Un socialisme bien inattendu, j'en conviens, et bien différent de celui que nous imaginions en 19l4.

Et de se poser la bonne question :
Qui donc, des défaitistes ou de nous, a cessé d'être socialiste ? Pour moi, j'hésite et l'antinomie m'obsède. »(8)

Tout son séjour en Russie sera traversé par cette interrogation :
Ministre de Belgique , de conviction jusqu'auboutiste , il est là pour prôner la continuation de la guerre jusqu'au bout.
Mais ayant des yeux et des oreilles, il comprendra très vite que c'est peine perdue, « mission impossible » , que les Russes veulent la paix immédiate

« C'est donc pour la paix et contre la guerre que s'est faite l'union des esprits.
Dès maintenant, virtuellement, la Russie trahit l'Alliance.
Les membres du Gouvernement provisoire y mettent des formes, ils comprennent
que leur honneur international exige la guerre et que leurs électeurs exigent la paix, et ils cherchent la conciliation de ces extrêmes.
Mais les journaux et les partis ne s'embarrassent pas de ces tactiques savamment équilibrées.
La volonté de la paix est chaque jour plus impérieuse et plus catégorique.
Pourquoi les Alliés s'obstinent-ils à continuer la lutte, puisque la Russie en a assez ? »(9)

Le capitaine Jacques Sadoul , membre de la mission militaire française en Russie, présent à Petrograd
Capitaine Jacques SADOUL
à la même époque , et qui se ralliera à la révolution   exprimera cela de façon très claire :
« Le désir d'une paix immédiate, à tout prix, est général ;
Sur ce point, tous les Russes que j'ai vus, sans exception sont d'accord avec les bolcheviks et séparés seulement les uns des autres par une différence de netteté, disons le mot, d'honnêteté dans l'expression de ce voeu : la fin de la guerre, coûte que coûte.
Que le peuple russe ait dans son ensemble le dégoût et la haine de la guerre, qu'il aspire ardemment à la paix, quelle qu'elle soit, qu'il ait pu apercevoir dans la Révolution un plus sûr moyen d'arriver à cette paix, tout cela me paraît aujourd'hui d'une évidence éclatante.
Je sais que telle n'est point l'opinion des représentants alliés.
S'ils ne comprennent pas, c'est qu'ils ne veulent pas comprendre. »(10)

«  LA BOUSSOLE PERDUE  »

Mais cet éclair de « lucidité » n'est qu'une face de Jules Destrée.
Décontenancé par la multiplication des tendances « socialistes » dont la plupart se prononcent en paroles du moins pour la paix sans annexion ,il regrette amèrement la disparition politique du parti de droite réactionnaire les « cadets » ( le parti constitutionnel démocrate de droite, représentant la bourgeoisie )
Seuls, les cadets (constitutionnels-démocrates K. D.)ont osé résister au courant. Considérés comme subversifs il y a un an, ils sont maintenant à l'extrême droite.
Le parti de la Liberté Populaire est le parti bourgeois, semblable aux partis libéraux ou progressistes d'Occident ...
Les cadets comptent dans leurs rangs des personnalités éminentes de l'Université et du Barreau : Milioukoff,[... ] Ils soutiennent avec loyauté le gouvernement provisoire.
Dans tout autre pays, un parti ayant de pareilles ressources d'intellectualité, serait un des facteurs de l'évolution nationale.
Ici, les cadets sont peu écoutés et traités en suspects.La masse les accuse d'impérialisme et les traite de contre-révolutionnaires.
Où va ce navire, perdu dans la tempête, sans boussole pour marquer sa route et le mener au port ?(11)



Traduction de la note MILIOUKOV avril 1917
Mais qui était donc cette « boussole  perdue» « cette ressource d'intellectualité »?
Après février 1917, Milioukov, professeur d'université à Moscou, qui avait essayé de sauver la monarchie, devient ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire et envoie , le 18 avril, une note aux gouvernements alliés dans laquelle il promet que la Russie continuera la guerre « jusqu’à la victoire finale » et « remplira tous les engagements pris envers nos alliés » et dés lors le respect des traités. Il n'était un secret pour personne qu'il « convoitait Constantinople et les Détroits »

 « Le 21 avril (4 mai), à l'appel du Parti bolchévik, les ouvriers de Pétrograd cessèrent le travail et manifestèrent pour la paix. Il y eut plus de 100000 manifestants, ouvriers et soldats. Des manifestations eurent lieu aussi à Moscou, dans l'Oural, en Ukraine, à Cronstadt. Des résolutions de protestation contre la note de Milioukov affluèrent des Soviets de nombreuses villes à l'adresse du Soviet de Pétrograd. Les manifestations d'avril marquèrent le début d'une crise politique. Sous la poussée des masses, les ministres Milioukov et Goutchkov furent forcés à démissioner .»
Et c'est eux que le ministre de Belgique regrette !Normal , puisque tous deux voulaient mener la guerre impérialiste  jusqu'à la victoire totale de leur camp.
On le voit, c'est plutôt lui qui en Russie n'a plus de  boussole, complètement désorienté par une situation politique qui lui échappe, tellement différente de l'ambiance d' Union Sacrée des salons de Londres , de Paris ou du Havre ,tellement opposée aussi aux appels à la guerre de Mussolini ou D 'Annunzio dans l'Italie de 1915 , qui l'avaient tellement enthousiasmé.



LES BUTS DE GUERRE DES ALLIES – LES TRAITES SECRETS

Mais ce qui est remarquable et est largement occulté, c'est que la volonté irrépressible de paix montant de toute la Russie, dépassait de loin le dégoût de la guerre , un simple rejet pacifiste ou la volonté des soldats de rentrer à la maison .
La prise de conscience politique de la nature impérialiste de la guerre s' était répandue en Russie.
Prise de conscience développée par la propagande léniniste, qui dés 1914 avait caractérisé cette guerre comme une guerre de brigandage pour le partage du monde, mais aussi par la publication des traités secrets signés entre les Alliés, dont la Russie tsariste.
Le mot d'ordre de « paix immédiate sans annexion, ni contribution » était devenu celui de tout le peuple russe, particulièrement après le choc de la note Milioukov.
Le peuple russe ne voulait plus se battre , ni pour une Constantinople russe, ni pour la Mésopotamie anglaise, ni pour le Liban français, ni pour aucune annexion impérialiste ... 
Sans doute est ce là une des leçons les plus marquantes de 1917. Toujours d'ailleurs d'une brûlante actualité!
Révélateur est à cet égard la conversation, fin octobre, entre Jules Destrée et un interlocuteur russe Skobeleff, dirigeant menchevik , ministre un temps du gouvernement provisoire , vice-président du Comité exécutif central pan-russe (VTsIK) issu du 1er congrès des soviets (juin 1917).

S : -Nous avons besoin de paix, plus qu'ailleurs, à raison des causes psychologiques (la Révolution) et matérielles (la crise de ravitaillement et des transports).
Pourquoi ne veut-on pas le comprendre et veut-on nous forcer à lutter ?

D:  - Il faut se battre, quand même, parce qu'il est des paix auxquelles on ne peut pas souscrire. 

S: - Il faut que les Alliés nous aident. Il faut qu'ils publient ce qu'ils veulent, qu'ils enlèvent à nos adversaires l'argument des traités secrets. En précisant clairement les buts de guerre.

Et en les limitant, comme les Soviets l' ont fait, à ce qui est équitable et démocratique. Quand je dis aux soldats qu'ils se battent pour la liberté belge, ils comprennent et restent à leur poste ; mais quand le bolchevik  vient les railler de risquer la mort pour que l' Angleterre conquière la Mésopotamie, ils ne comprennent  pas et s'en vont. 
Le silence prolongé de l'Entente accélère la décomposition russe. »(12)



Derrière les grandes paroles sur la liberté et la démocratie, sur la défense de la « pauvre  petite Belgique », se cachaient en fait des buts de guerre « inavouables » , définis très précisément dans des traités secrets .
Henri Barbusse écrit en juillet 1919 , en préface aux très intéressantes lettres de Jacques Sadoul :

« lls en sont responsables ( de la paix séparée entre la Russie et l'Allemagne ndlr), parce qu'ils n'ont jamais déclaré leurs buts de guerre. L'histoire n'aura malheureusement aucune peine à établir que les Alliés ont, pendant toute la durée de la guerre, honteusement caché les fins qu'ils poursuivaient.
C'est aux yeux des peuples, la tache dont ne se laveront jamais les gouvernements occidentaux, et qui, à jamais discréditera leurs manifestations verbales relatives au droit et à la justice.

On cherchera en vain, entre leurs paroles et leurs actes, ce rapport absolu qui s'appelle la loyauté[...]...nous savons trop aujourd'hui pourquoi les Alliés n'ont pas avoué leurs ambitions:    elles étaient inavouables. »(13) 

Mais les Soviets ont publié trois de ces traités et dés 1917, le monde entier en connaîtra les clauses
  •  l'accord secret sur Constantinople du 18 mars 1915, entre la France, l'Angleterre et la Russie accordait à la Russie le contrôle de Constantinople et des Dardanelles , principal but de guerre de l'Empire tsariste. Il fut publié par les Izvestia le 23 novembre 1917 .                                          
voir  https://archive.org/stream/secretagreements00buxtiala/secretagreements00buxtiala_djvu.txt
  • le traité secret de Londres signé le 27 avril 1915 entre la Russie, l'Angleterre, la France et l'Italie, publié par les Izvestia ,journal du Soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd  dés le 28 février 1917.                                                                                                                     
  •  les accords secrets Sykes - Picot du 16 mai 1916 entre la France et l'Angleterre , validés préalablement par la Russie tsariste le 26 avril 1916. Ces accords prévoyaient un partage de l'Empire ottoman ente les 3 grandes puissances alliées.
    Ils furent rendus publics par le nouveau gouvernement soviétique  appliquant ainsi leur engagement de «  procéder immédiatement à la publication complète de tous les traités secrets »(14)
  •  Les accords de Saint Jean de Maurienne du 20 avril 1917 , entre la France, l'Angleterre et l'Italie , complétaient les 2 traités précédents en précisant la part du gâteau réservée à l'Italie dans le dépeçage de l'Empire Ottoman. Le tsar ayant été renversé, et Milioukov chassé,  le  gouvernement provisoire russe n'aurait   jamais osé  entériner  cet accord .
Cette seule carte des accords de saint Jean de Maurienne illustre à elle seule, mieux que 100 discours, la vraie nature de la "Grande Guerre" . Le partage du monde et de ses richesses !
Et il serai bon  de l'inclure dans les programmes d'histoire de nos écoles.


« Les accords secrets conclus ainsi par les puissances en ce qui concerne leurs zones d’influence dans la Turquie d’après guerre ont été, après leur publication, dénoncés de différents côtés comme les preuves matérielles de l’impérialisme des États qui disaient mener la guerre pour le triomphe de la justice et la liberté des peuples. »

« LE RUSSE » EST UN IVROGNE ASIATIQUE , UN ENFANT BARBARE, SALE ET PARESSEUX, LACHE ET MENTEUR ...
Je ne peux vous faire grâce, ami lecteur des 20 pages ( pp155 à 175) des « Fondeurs de neige » intitulées « Psychologie populaire » où éclatent la xénophobie , l' arrogance intellectuelle du bourgeois occidental certain de sa supériorité .
Ce texte devrait être utilisé dans les bibliothèques que l'auteur a pourtant créées et dans les écoles dont il a pourtant été ministre, comme exemple de littérature encourageant la  xénophobie, bien opposés à 180 degrés aux idéaux universalistes du socialisme !
Je ne peux qu'être stupéfait que cet ouvrage , non pas anticommuniste , non pas antisoviétique, mais xénophobe et raciste ait pu être publié en 1920 à Bruxelles , alors que l'auteur, ancien Ministre de Belgique en Russie, était Ministre des Sciences et des Arts du gouvernement belge. Pauvre petite Belgique ; la honte ! Poor little Belgium! Shame!
  • "Ce peuple est dénué de génie créateur" J Destrée 
    Ce peuple a été longtemps empoisonné par l' alcool. L'alcoolisme est aux moelles de la race, chronique.Chacun sait qu'il a des répercussions lointaines héréditaires . A supposer que le Russe soit devenu sobre,il est fils et petit-fils d'alcooliques. Faut- il          s'étonner qu'il     manque d'équilibre? (15)
  • Le Russe dort tout habillé, où il peut,sur des tapis, sur un escalier. Il se couche tard, se lève plus tard encore. Il est remarquablement paresseux. Boire du thé et fumer des cigarettes lui paraissent les occupations essentielles de l'existence.
  • Le marquis de Custinne disait : »Ils ont une dextérité dans le mensonge, un naturel dans la fausseté dont le succès me révolte autant qu'il m'épouvante. »
  • Le sentiment de dignité est rare, et celui de la propreté,rare aussi, parce que le premier fait défaut.
    "Ce peuple est dénué de génie créateur" J Destrée 
    Timbre soviétique LEON TOLSTOI
  • Généralement les Russes manifestent leur intelligence par la manière d'employer de mauvais ustensiles[...]. Ce peuple ...est dépourvu de génie créateur. Ils ont tiré leurs sciences et leurs arts de l'étranger. Ils ont de l'esprit, mais c'est un esprit imitateur. » (de Custinne.)
  • Ils sont très courageux, j'en conviens, quand ils sont à dix contre un. Mais c'est un genre de courage que j'apprécie peu.
  • Européen, hypocrite lecteur , mon semblable, mon frère .Il fut un temps où, toi aussi, tu étais bavard, imprévoyant, gaspilleur, brave et lâche à la fois, bon et cruel par intermittences, ignorant, imitateur et vaniteux ; ce fut quand tu avais de six à dix ans. En réalité la psychologie populaire russe est une psychologie puérile.
  • « Demain comme hier, la Russie reste un sujet d'inquiétude pour l'Europe. » !!(Jules Destrée 1920, Paul Henri Spaak 1946, François Hollande 2016 ?                                                                                                                                                                                                                                             Après telle lecture, la réponse à la question « Qui a cessé d'être socialiste ?» , vous semblera évidente ,non ?

LES BUTS DE GUERRE DE JULES DESTREE ?

Le bilan de sa mission en Russie est nul ,  d'une part de par l' aveuglement idéologique anti bolchévique de Mr l'Ambassadeur,  qui est réel, mais – il y avait encore plus aveugle que lui - surtout   de par le  blocage du gouvernement belge du Havre au diapason des impérialistes  français et  anglais;  alors que Destrée , en diplomate responsable quand même, quémandait au Havre de pouvoir établir des contacts avec le gouvernement de Lénine, la réponse invariable était « d'éviter tout contact avec le gouvernement actuel . »(16)
Jacques Sadoul décrira cette politique :
« Nous persistons à nier que la terre tourne, c'est-à-dire affirmer que le gouvernement bolchevik n'existe pas. »
" Cette action ( des Alliés)  infiniment simple et imaginée sans efforts consiste essentiellement à maintenir inébranlablement l'attitude adoptée à l'égard des leaders bolcheviks et spécialement de Lénine et Trotzky :
Ces hommes sont des agents de l'étranger. La dignité des Alliés leur interdit d'engager avec ces individus une conversation ..." (17)

Notons cependant que, malgré son inefficiente ouverture diplomatique, Jules Destrée lui même , tout au long de son livre, sussurera la même thèse : le soir de la prise du palais d'Hiver,il avait écrit
« Le coup d'Etat est donc accompli. Il n'y a plus d'autorité. Cela presque sans combat. Il n'y a que quelques morts et blessés, et le pillage du Palais d'Hiver.
C'est peu pour une telle secousse. L'impression générale est la stupeur. Tant d'audace, de méthode, d'organisation déconcertent. C'est trop fort pour être russe, me dit un Russe, il doit y avoir de l'allemand là-dessous. »(18)

Jules DESTREE
Il quitte la Russie , sans aucun résultat diplomatique en avril 1918 via Vladivostok.
Il est , en chemin, chargé d'une ambassade à Pékin en hiver 1918 et puis rentre au pays .
Il se présente à Charleroi aux élections de novembre 1919 , comme député sortant POB  , est élu ,et est nommé Ministre des Sciences et des Arts.
Comme  ministre , il réformera l’École normale pour améliorer la qualité de l’enseignement primaire, augmentera le salaire des instituteurs en plaçant sur le même pied les hommes et les femmes, et augmentera le nombre et le montant des bourses d’études. Il introduira aussi un cours de morale au programme de l'école primaire .
Il sera l'auteur de la loi de 1921 sur les bibliothèques favorisant leur ancrage public,et l'accès au livre gratuitement et pour tous.
Beau bilan, incontestablement.

Mais me direz vous au terme de cet épisode de ces « Aventures au pays des soviets » ,  Destrée, s'il était aveuglé par son jusqu'auboutisme et voulait, accroché au char anglo-français ( et italien), battre militairement l'impérialisme allemand , au moins était - il mu ,lui, par un patriotisme sincère , par la volonté de chasser et de vaincre « les Boches », qui avaient en violant sa neutralité, envahi le pays , massacré , martyrisé et affamé ses populations civiles .
Il n'avait pas lui même , ni ses amis socialistes de visées annexionnistes pour leur pays;
il se battait « pour la liberté belge » bafouée , comme il l'avait proclamé avec Vandervelde , 3 ans durant , de Rome à Petrograd.
Et bien détrompez vous cher lecteur !

Appel aux annexions du Comité de Politique Nationale
De retour au pays, il avait politiquement adhéré au très nationaliste « Comité de Politique Nationale »  .
Le Comité de politique nationale vit le jour le 18 décembre 1918 à l'initiative de personnalités très à droite comme Paul Nothomb. 
II regroupait, à ses débuts, des hommes appartenant à tous les milieux politiques et prônait une extension du territoire de la Belgique au détriment de l'Allemagne , mais aussi du Luxembourg et des Pays-Bas. Son objectif était donc de jouer un rôle en politique étrangère ,d'influencer le gouvernement  en prévision de la conférence de paix de  Paris et du futur traité de Versailles, avec des buts d'annexion
Comité de Politique Nationale Bulletin d'adhésion
Le gouvernement avait  l'ambition de réunir au royaume la Flandre zélandaise, le Limbourg néerlandais, les Cantons de l'Est et le grand-duché de Luxembourg.Notons en passant que les Pays bas dont on voulait amputer le territoire était neutre dans la guerre!! 
Albert Ier, qui était opposé à une trop grande humiliation de l'Allemagne, intervint lui-même à la conférence. Il réclama des indemnités de guerre et la révision du traité des XXIV articles concernant le statut de l'Escaut.
En vain ; la Belgique  ne reçut "que"( sic) les cantons d' Eupen ,Malmédy et Saint - Vith,  et  en Afrique le Ruanda -Urundi.

Jules Destrée ne quitta le Comité que sur injonction de son parti qui "ne peut tolérer, après 1920, l'adhésion de socialistes au Comité de Politique nationale dont les idées étaient devenues conservatrices". Parmi les autres socialistes membres de ce comité, on retrouve Richard Dupierreux et Louis Piérard. *19







Ainsi se terminent "Les aventures d' Emile et Jules au Pays des Soviets".
  Disons , en conclusion que ce n'est pas une page des plus glorieuses de la direction du Parti Ouvrier Belge ,et  qu'en place d' un socialisme fraternel,  internationaliste et universaliste , elle nous  montre , hélas , un visage de chauvinisme , de bellicisme  de nationalisme étroit voire de xénophobie des plus rebutant.

NOTES
1Voir « ROUGEs FLAMMEs « JULES DESTREE EN ITALIE https://rouges-f:lammes.blogspot.be/2014/07/1914-1918-uomini-contro-et-un-homme.html
2Prophète inspiré : voir Aimée BOLOGNE LEMAIRE dans GEORGES JACQUEMIN - JULES DESTREE . Service du Livre Luxembourgeois 1999 http://www.servicedulivre.be/servlet/Repository/Jules_DESTRÉE.PDF?IDR=5386

3 Jules Destree « Les Fondeurs de Neige – Notes sur la révolution bolchevique à Petrograd pendant l'hiver 1917-1918 »  Van Oest 1920 pp 27-33

4Ibid p 67

5Ibid p 243









6 « Petit homme noir, paraissant la quarantaine, moustache noire,très vif, mais regards fuyants, il appartient à cette forte race romagnole dont les qualités de probité, de travail et de démocratie passionnée se sont imposés dans divers domaines de l'intellectualité italienne. » J. DESTREE« En Italie avant la guerre » (cité dans P. DESTATTE RHB p.572) 
texte intégral pp 31- 35:   http://bd.fondazionegramsci.org/bookreader/libri/ST._2_360_En_Italie_avant_la_guerre.html#page/1/mode/1up







8Jules Destree op cité pp 7-10
9Ibid p 47



10Capitaine Jacques Sadoul NOTES SUR LA RÉVOLUTION BOLCHEVIQUE (OCTOBRE 1917 -JANVIER 1919) Editions de la Sirène Paris 1919 https://archive.org/stream/notessurlarvol00sadouoft/notessurlarvol00sadouoft_djvu.txt
11Jules Destree op cité p 51

12Ibid pp 73-74

13Capitaine Jacques Sadoul op cité: préface de Henri Barbusse p 9

14Sur les accords secrets : voir3) Les accords secrets interalliés sur la Turquie et leur modification pendant la Conférence de la Paix http://www.imprescriptible.fr/mandelstam/c8/p3 et ROUGEs FLAMMEs https://rouges-flammes.blogspot.be/2015/01/je-suis-lawrence-1914-1918-grande.html et https://rouges-flammes.blogspot.be/2015/05/1914-1918uomini-contro-mai-piu-vogliam.html

15Jules Destrée op cité : toutes les citations suivantes « Psychologie populaire » (sic) pp 155-175

16Jean Stengers : « Belgique et Russie, 1917-1924 : gouvernement et opinion »  Revue belge de philologie et d'histoire  Année 1988 Volume 66 Numéro 2  http://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1988_num_66_2_3628

17Capitaine jacques Sadoul op cité

18Jules destrée op cité p 89
19 voir Michel Dumoulin :"Nouvelle histoire de Belgique: 1905-1950"pp 35-40