mardi 7 mai 2024

GRANDES FIGURES DE CHEZ NOUS : VICTOR THONET (1914 – 1943), ENFANT DE HUY, COMMANDANT DE L’ARMÉE BELGE DES PARTISANS, FUSILLÉ A 28 ANS, PAR LES NAZIS, LE 20 AVRIL 1943.

 



Victor Thonet, né à Huy le 27 octobre 1914, était le troisième enfant de Celinie Lecharlier (1885-1967) et de Joseph Thonet (1883-1973), pionnier du socialisme à Huy, puis fondateur en 1921 du Parti Communiste, élu en 1936 à la députation permanente de la Province de Liège. (1)

Il était donc le grand frère de Micheline Thonet, épouse Bastianelli (1925-2018), résistante elle aussi, qui nous a laissé plusieurs témoignages sur la trop courte vie de son frère. (2)

Que sait- on de son enfance et de son adolescence ? Il semble être tombé tout petit dans la marmite révolutionnaire. Sans doute, était-il assez casse- cou et en a-t ’il fait voir à sa maman. Inscrit à l’école technique, les études n’étaient pas trop sa tasse de thé, mais il y apprend le métier de peintre en bâtiment.

En août 1935, alors qu’il est par ailleurs soldat au 15ème régiment d’artillerie, il épouse

Mariette Verstichel (1917-1994) fille d'une   famille   de boulangers de Huy. Ils auront deux enfants,   Nadia et Francis nés en 1936 et 1939.   
Mariette  sera aussi  militante active dans la   Résistance. Secrétaire du Parti   Communiste  clandestin de la fédération de   Verviers, elle   sera déportée à Ravensbrück en  janvier 1944, et   libérée en avril 1945. 

Victor et Mariette


LIEUTENANT DES BRIGADES INTERNATIONALES

En octobre 1936, à 22 ans, Victor s’engage dans les Brigades Internationales en Espagne, où il acquerra le grade de lieutenant.

Rentré au pays en décembre pour la naissance de sa fille Nadia, il est, en février 1937, arrêté, puis condamné à 8 jours de prison dans le cadre de la toute fraîche loi Bovesse.

Bovesse est le ministre de la Justice libéral dans le gouvernement tripartite (POB, Catholiques et libéraux) Van Zeeland II (juin 1936-novembre 1937).

Et, alors que l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie envoient massivement troupes et matériel militaire en Espagne, les gouvernements démocratiques  pourchassent, au nom de la politique de non-intervention, les militants antifranquistes devant les tribunaux, en les accusant de « recrutement pour une puissance étrangère ».                     

A cet effet, le ministre Bovesse a fait adopter par les Chambres, à l’arraché la veille de Noêl 1936, un projet de loi répressif permettant de condamner des dizaines de militants antifranquistes.

Victor Thonet est, dans le cadre de cette loi, arrêté à Huy le 9 février 1937, et condamné à 8 jours de prison.

Pinçons-nous en écoutant le réquisitoire du procureur du Roi, rexiste notoire : 

« Le fait d’enrôler des hommes pour une armée étrangère, est haïssable parce qu’ils plongent des foyers dans la misère, mais aussi parce que les recruteurs sont des personnages odieux, qui n’ont pas le courage d’aller eux-mêmes là où ils envoient les autres. (…) Thonet est un marchand de chair humaine qu’il faut condamner avec rigueur ».

« Personnage odieux, sans courage », Victor Thonet, il faut oser le dire !

Raoul Baligand, capitaine de la XVème Brigade Internationale, futur camarade de combat de Victor Thonet au sein des Partisans Armés fut lui aussi condamné à 12 jours de cachot pour « désertion », suite à un retard à la caserne pour rappel militaire.


Voix du Peuple 29/01/1939

Il est important de savoir, près d’un siècle plus tard, comment les notables de l’establishment insultaient et pourchassaient les militants antifascistes.  Il est  important aussi de savoir que c’est un gouvernement où siégeaient les grands noms du POB, comme P.H. Spaak, J. Merlot, A Delattre, H. De Man, qui a mis en œuvre cette répression indigne, d’autant plus révoltante que « en 1936-39, aucune poursuite ne fut intentée contre les quelque 60 à 80 volontaires (d’extrême- droite) qui s'engagèrent dans les « forces rebelles ». (3) Le « deux poids, deux mesures », ça ne vous dit rien, ami lecteur ?

Thonet retournera en Espagne jusqu’au retrait définitif des Brigades fin 1938. Le 22 janvier 1939, il fait partie d’un groupe de 35 combattants, venus du centre de l’Espagne, accueillis à la gare du Midi à Bruxelles.

 Il semble alors assumer la responsabilité de secrétaire fédéral de la Fédération de Huy–Waremme du Parti Communiste ; il en organise différentes activités à partir de la rue Poissonrue à Huy.

Il est aussi poursuivi et condamné le 21 juin 1939 pour injures à la gendarmerie, prenant ainsi la relève de son père, connu pour son « grand rallye des prisons belges ».

Après le 1er septembre 1939, jour de l’attaque de l’Allemagne nazie contre la Pologne, la Belgique mobilise son armée et Victor Thonet rejoint son unité.

Il participera donc d’abord à la « drôle de guerre » et à partir du 10 mai 1940 à la campagne des 18 jours.

« Il se bat en héros sur la Lys, et sauve sous le feu de l’ennemi des camarades blessés » (4)

 

LA RÉSISTANCE, DE JUIN 40 A JUIN 41.

Après l’agression de l’Allemagne nazie le 10 mai 1940, le député permanent,  Joseph Thonet, père de Victor, et Mariette, sa belle-fille, furent arrêtés comme communistes par la gendarmerie belge et incarcérés à la prison de Namur. Après diverses pérégrinations, Joseph ayant été révoqué par l’occupant nazi de son mandat de député permanent, ils se retrouvent finalement à Huy, avec Victor, démobilisé après la capitulation de l’armée belge le 28 mai.

Ils étaient ainsi à pied d’œuvre pour organiser la résistance à l’occupant.

Elle a pris dès novembre 1940, la forme d’un journal « L’Espoir », un des premiers journaux  clandestins, qui s’affiche « journal de libération sociale et   nationale »

L'Espoir n° 1 10/11/1940
 
Joseph Thonet en est le rédacteur, alors que Victor et   Mariette l’impriment sur une ronéo. Celle -ci est   déménagée régulièrement dans des endroits sûrs.

Cette parution n’est pas une initiative hutoise des   Thonet, mais s’inscrit dans la ligne développée par le   PC au niveau national, qui publie, dès septembre   1940, des feuilles locales dans les principales régions   du pays. 

Comme ligne éditoriale, ce 1er numéro se veut une   réponse à la presse officielle « qui dit tout ce que     l’occupant veut bien qu’elle dise ».

Il renvoie dos à dos les collabos, comme le Baron de   Launoit, patron de Ougrée-Marihaye, qui « se jettent   dans les bras du vainqueur momentané » et les   anglophiles qui misent tout sur une victoire anglaise. 

 « Le salut est en nous, travailleurs, et pas dans   l’étranger ou ses agents en Belgique. »

Il dénonce la guerre inter impérialiste entre les 2   blocs, le bloc Berlin - Rome - Tokyo contre le bloc   Angleterre - États-Unis et salue la politique de paix de l’Union Soviétique.

« L’Espoir » fustige aussi Henri de Man, ex-président du POB, liquidateur du parti, mais aussi des syndicats qu’il veut remplacer par une organisation corporative rejetant la lutte de classe.

La ligne du parti, qu’on peut résumer par le slogan « Ni Londres, ni Berlin » évolue : dès

janvier 1941, la lutte contre l’occupant nazi, désigné comme responsable de la faim et de la misère passe clairement à la première place, qu’elle occupe déjà, de fait, dans l’action de nombreux militants, et est étroitement liée au combat contre les collaborateurs. 

Ainsi, bien avant l’agression nazie contre l’Union Soviétique du 22 juin 1941, le Parti

communiste se sera ancré aux mouvements de protestation populaire : les femmes pour le pain et le ravitaillement, pour le retour des prisonniers, contre le travail en Allemagne, les grèves ouvrières dans le Borinage, à Gand, Hoboken etc. qui culmineront dans la grande grève des 100 000 mineurs liégeois, dirigée par Julien Lahaut, en mai 1941.

A Huy, Victor Thonet grimpe au sommet d’un pylône sur la Grand Place et y accroche un drapeau rouge orné du marteau et de la faucille.

Le 1er mai 1941, les militants sortent en rue, endimanchés, avec un œillet rouge à la boutonnière, au grand dam des occupants allemands.

A Huy et Marchin, les femmes, appuyées par les maïeurs, revendiquent des timbres supplémentaires pour envoyer des colis aux prisonniers.



en haut : Joseph Thonet et Célinie Lecharlier

en bas: Micheline Thonet en 2014 



ALORS, SE SONT LEVÉS LES PARTISANS

Le 22 juin 1941, à 4 heures du matin, les nazis attaquent l’Union Soviétique, c’est l’opération Barbarossa.

En Belgique, c’est l’opération Sonnewende (Solstice d’été) : la Gestapo et les feldgendarmes arrêtent les communistes et militants antifascistes dont ils possèdent les noms, et les enferment dans les forteresses de Breendonk et de Huy.


Si Joseph Thonet, Victor et sa sœur cadette   Micheline parviennent à échapper aux rafles
et à se cacher, c’est Célinie l’épouse et la   maman qui est arrêtée comme otage et  incarcérée au Fort le 23 juin 1941. Sans être   ni inculpée du moindre délit, ni jugée, elle y restera 4 mois sous le matricule 373  -   Zimmer Z 26. Elle ne fut libérée que le 24  octobre 1941.
Caché dans la région d’Andenne, Victor y   participe aux actions de la Résistance  (récupération d’explosifs, sabotages divers),   mais est arrêté par des gendarmes belges le soir du 15 septembre 1941, en possession de  deux énormes clefs pour rails de chemin de fer.

Enfermé comme voleur de matériel de l’État à la prison de Namur, il tente une évasion en essayant de desceller les barreaux de sa cellule. Il est finalement livré à la Gestapo et transféré à Liège. 


Chasse à l'homme à la
demande des autorités allemandes"

 Au cours d’un transport en voiture avec un   codétenu, le 15 octobre 1941, profitant d’une   portière mal verrouillée, il parvient à s’échapper   au premier ralentissement, en bondissant en   boule hors du véhicule. Après s’être d’abord   caché à Liège chez son frère aîné, il rejoint à     pied Bruxelles en se déplaçant la nuit.

 Il est désigné pour rejoindre les Partisans   Armés de Charleroi dont le principal dirigeant,   Valentin Tincler a été arrêté. Il y retrouve son   camarade Raoul Baligand, ancien des Brigades   Internationales.

   C’est le moment – fin 1941 - où la Résistance   décide le passage à la lutte   armée.  Parallèlement aux structures politiques   de   résistance, - le Front   de l’Indépendance s’impose   comme première   organisation de la résistance - les Partisans     Armés (PA), groupes de lutte armée constitués   d'abord comme bras armé du Parti   Communiste, sur base entre autres de   combattants des Brigades Internationales,   deviennent sous le nom d 'Armée Belge des   Partisans l'organisation militaire, sévèrement   cloisonnée, du Front de l’Indépendance.

 La première phase de la lutte armée est   essentiellement une phase de sabotages des     installations de l’ennemi, utiles à son effort de   guerre. « Il s’agissait de brûler les dépôts           allemands, les voitures allemandes, les dépôts 

 de foin, de bois, de faire sauter des ponts, des   cabines électriques ». (5)


Par la suite, face à la répression terroriste de l’occupant, à l’assassinat des premiers partisans et de prisonniers pris en otage, face aussi à la montée dans la population de la haine de l’occupant et des traîtres à leur service, on va passer « de la poudre aux balles ».  

Il s’agira alors de viser les notables de la collaboration :« bourgmestres » nommés par l’occupant, souvent dénonciateurs, "journalistes" de l’Ordre Nouveau, hauts fonctionnaires organisateurs du travail obligatoire etc. et, bien sûr, leurs milices fascistes.

 

L’action de Victor Thonet et des Partisans Armés de la région de Charleroi, durant l’année 1942 symbolise la mise en œuvre de cette double orientation : incendies de convois de paille ou de bois de mine de l’armée allemande, multiples réquisitions de timbres de ravitaillement pour assurer leur subsistance, sabotages de la centrale électrique de Bas Long Pré, grenade dans les caves du Foyer rexiste (6 mars), bombe dans les locaux du « syndicat » corporatiste des collabos (30 avril), dynamitage de la salle des machines de Providence (14 mai), destruction aux ACEC d’alternateurs commandés par les Allemands (25 mai), attaque d’un local de la Sicherheitsdienst à Marcinelle (22 juin) etc.(6)  



BOIS DU CAZIER - MARCINELLE
  Mais l’exploit qui a le plus marqué les esprits   et est aujourd’hui largement documenté et   célébré, c’est l’attaque du charbonnage du   Bois   du Cazier, dans la nuit du 24 avril 1942   pour y récupérer 300kg de dynamite et 200   détonateurs.                                                               

  
12 partisans, parmi lesquels Michiels, Verstichel (7), Maufort, Baligand et Thonet, informés de l'intérieur de la récente livraison de dynamite au charbonnage et de l’endroit de leur stockage, après trois semaines de repérage, occupent les lieux ,  maîtrisent gardes et  ouvriers de surface, descendent avec la cage à -220m et récupèrent le précieux matériel, qu’ils cacheront dans un caveau du cimetière voisin, tout en simulant un transport par camion ! (8) 
La même opération fut menée au charbonnage de Petit Try à Lambusart le 1er novembre.

Notons que, courant 1942, Raoul Baligand est appelé par l’Etat-Major National au commandement de l’ensemble du secteur Hainaut, que Victor Thonet est nommé commandant du corps de Charleroi (024), tandis que Franz Michiels est commandant du groupe du Centre (023).

 

« DE LA POUDRE AUX BALLES » : LA GUERRE TOTALE

L’exécution des « bourgmestres » de l’Ordre Nouveau, a marqué une nouvelle étape dans l’action des Partisans Armés.

Non élus, ces politiciens fascistes, VNV ou rexistes, sont nommés par la puissance occupante, via Romsée : le secrétaire général VNV du ministère de l’Intérieur est en effet le centre de gravité de la collaboration administrative et policière. Ils sont de fait des usurpateurs mis en place par l’ennemi.

Circulaire du 01/04/1942 contresignée par Teughels
 interdisant l'école "non juive" aux enfants juifs.  

Parachuté « bourgmestre » en avril 1941, le rexiste Prosper Teughels participera de fait à l’application à Charleroi des lois raciales nazies interdisant les écoles aux enfants juifs et obligeant dès le 27 mai 1942, le port de l’étoile jaune, distribuée d’ailleurs à l’Hôtel de Ville.

D’autre part, les conseils communaux sont dissous par Romsée le 28 mai, et des « collèges échevinaux » sont installés sans plus aucune légitimité démocratique.  Le 1er septembre 1942, un « grand Charleroi » de 31 communes regroupant 340000 habitants est créé. Prosper Teughels en est le « bourgmestre ».

L’objectif nazi, dans les 7 grandes villes, Anvers, Bruges, Bruxelles, Charleroi, Gand, La Louvière et Liège, est de concentrer au maximum les pouvoirs, principalement policier, mettant la population sous la coupe de l’occupant nazi, via leur marionnette rexiste. Un tiers de la population belge et la moitié des effectifs de police y sont concentrés.                                                                                                                        Rappelons que Rex, coquille vide en 1940, ne peut exister qu’en s’identifiant plus qu’entièrement au nazisme : la création dès juillet 1941, de la Légion wallonne par Rex, comme de la Vlaams Legioen par le VNV en Flandre, engagées dans la Waffen-SS et la Wehrmacht sur le front de l'Est, en sont le symbole ; de même, la milice rexiste, « les Gardes wallonnes », supplétifs intérieurs de l’armée et de la police allemandes.

 C’est dans ce contexte que l’Armée Belge des Partisans décide de l’exécution de Prosper Teughels. Déjà, les Partisans de Charleroi, en juillet 42, ont exécuté, le « bourgmestre » de Ransart, Demaret, rexiste fanatique, dénonciateur des patriotes.  Dans d’autres régions, des dizaines de « bourgmestres » et « échevins », des fonctionnaires de la collaboration, des gestapistes notoires sont abattus.

Très bien informé, de l’intérieur de l’Hôtel de Ville, des habitudes du personnage et de la

François Druine policier à Courcelles
et résistant. 
disposition des lieux, Victor Thonet (Émile) dirige, le 19 novembre 1942, le groupe des PA, composé de Franz Michiels (Ferdinand) de Roux – 26 ans, Raymond Geenen (Lucien) de Liège -27 ans,  Jules Brigonde (César)  Jumet - 37 ans et François Druine de Trazegnies -37 ans.

Druine, qui est policier à Courcelles et résistant fait le guet. Quand  Teughels sort, seul, de l’Hôtel de ville, rue du  Beffroi, pour rejoindre le garage des pompiers et y  prendre sa voiture, il est abattu par Victor Thonet. (9) 

Cette opération de la Résistance est aujourd’hui

encore traitée avec ambigüité. 

Qualifiée parfois d' « assassinat » ou 

de « meurtre », ne serait-ce pas plutôt, dans les conditions de la guerre totale contre le fascisme, un acte  légitime de justice ?

L’usurpateur lui-même est parfois présenté comme une victime, un « bon bourgmestre », un « collaborateur modéré ».


Christian Joosten « On a tué le maïeur »
Les bourgmestres rexistes assassinés et la Résistance - 
Charleroi Archives n°9 – septembre 2022.

Yvonne Ledoux, employée communale à l’Hôtel
 de Ville, et capitaine de la Résistance explique : « Teughels a donné aux Allemands les listes des Juifs, des francs-maçons, des communistes, de personnalités du parti socialiste, de professeurs. Il avait donné des listes de parrainages par lesquels des électeurs présentent officiellement les candidats aux élections. Il donnait toutes ces listes pour faire arrêter ces personnes. » (10)

Un représentant de l’Etat-major du Front de l’Indépendance déclarait en 1945 « En 1942, le bourgmestre de Charleroi s’inspirait de l’Ordre Nouveau. (…) Il s’était ouvertement déclaré l’allié du nazisme et en cette qualité, était l’ennemi de la patrie loyale et opprimée. Thonet accomplit son acte de justice en toute sérénité. La radio de Londres lui clama toute sa satisfaction. (11)


Journal de Charleroi -aux mains de l'ennemi-
25 novembre 1942
Quand les hitlériens osent parler de courage!
 Pour Georges Glineur, dirigeant du Parti   communiste, la terreur nazie, les exactions   contre la population civile, les assassinats de   résistants, ont amené la prise de conscience   chez les Partisans « qu’ils étaient engagés     dans une guerre totale, sans pitié… »

 Guerre totale en effet, puisque dès le 27   novembre, les 8 premiers otages, prisonniers   à Breendonk, sont fusillés par les nazis,   après  avoir dû dresser leur propre poteau   d’exécution ! Ils seront 68 en tout entre le 27   novembre     42   et le 13 janvier 43,   essentiellement des   communistes déjà     incarcérés dans les geôles nazies.

                                                                                                                                                                                                   

Fin 1942, l’Armée Belge des Partisans était à son apogée A l’échelle nationale, l’organisation s’était centralisée sous les ordres d’un commandement national, et s’était structurée en Corps régionaux.

Huit corps constituaient le Secteur Flandres. Partagée en deux Secteurs, la Wallonie comprenait dix corps auxquels s’ajoutait celui de Bruxelles. L’État-major et ses différents services (Armement, Intendance, Renseignements, Cadres, Presse) se situaient à Bruxelles, indépendamment de la direction du Corps de Bruxelles.

Le Corps de Charleroi - 024 - est dans ce dispositif, on l’a vu, un groupe particulièrement actif.

Mais le 23 décembre 1942 et les jours suivants, une vingtaine de partisans carolos dont l’État-Major local au grand complet, sont arrêtés par les Allemands. Le commandant Victor Thonet et ses camarades tombent dans une souricière à l’occasion d’un rendez-vous clandestin à la gare de Marchienne au Pont.

Alors que Jules Brigonde (César) est laissé pour mort et que d’autres partisans sont arrêtés, Victor (Émile) parvient à s’enfuir et à rejoindre sa planque dans une ferme à Fontaine l’Évêque. Mais les feldgendarmes, manifestement bien informés, cernent le bâtiment ; le chef des Partisans est abattu d’une balle dans la nuque, qui miraculeusement ressort par la bouche sans toucher d’organe vital.

César et Victor seront amenés à l’hôpital, puis, de la prison de Charleroi à celle de Saint Gilles, et, de torture en torture, ils retrouveront au camp de la mort de Breendonk, des dizaines de camarades de Charleroi et du Centre, dont leur compagnon d’armes le commandant Franz Michiels.

Après avoir résisté à la torture des SS de Breendonk, après avoir tenté à la prison de Saint Gilles une ultime tentative d’évasion, les glorieux partisans Victor Thonet, Franz Michiels, Raymond Geenen, Emile Maufort sont  condamnés à mort par le « Tribunal » militaire nazi le 12 avril, et fusillés au Tir National, à 7 heures du matin, le 20 avril 1943.

 


Les quatre partisans fusillés le 20 avril 1943

 JOURNAL D’UNE TRAHISON

De toute évidence, la Sipo, la police nazie, avait été informée des rendez-vous et des planques.

Désiré P, (Louis), partisan armé, arrêté le 21 décembre 1942, est libéré deux heures plus tard, après avoir dénoncé tous ses camarades.

Ouvrier mineur de fond, il a adhéré en 1935 au Parti Communiste, dont il est un militant actif. Interpelé à l’époque des grèves de 1936, il a été retourné par la sécurité de la gendarmerie, qu’il informera des activités du parti. Après l’exode de 1940, il rejoindra les Partisans Armés et il continuera son travail de délation, de mieux en mieux rémunéré, vers un chef de la Sûreté de la gendarmerie belge, qui collabore directement avec la police allemande, et qui se suicidera dans sa cellule après la Libération.

On l’a vu, après le 21décembre 1942, il travaille en direct avec la Gestapo, en envoyant à la mort au moins 67 combattants et en prison ou dans les camps plus de 200 victimes.

Finalement démasqué, il sera, avant toute possibilité d’interception et de jugement par les Partisans, exfiltré par la SiPo vers les régions de Huy et de Dinant, où il continuera son sale travail de délation : c’est ainsi qu’il sera responsable de l’arrestation dans la région de Huy de trois dirigeants communistes de la Résistance, Georges Glineur, Georges Caraël et Alphonse Bonenfant. (12)

Désiré P. est arrêté en septembre 1944, et jugé par le Conseil de guerre de Charleroi, qui se réunit à l’Université du Travail dès septembre 1945.

Condamné à mort en février 1947, sa peine est confirmée par le même Conseil en janvier 1948, et son pourvoi en cassation  rejeté en avril 1948.

La presse peut titrer : « Désiré P. sera fusillé à Charleroi ».



La sentence ne sera cependant pas exécutée.

Les années passant, la politique de répression de la collaboration évolue.

Sur 2940 condamnations à mort pour faits de collaboration, 1250 accusés sont présents au procès et 242 peines sont exécutées.

Dès l’entrée en fonction du ministre libéral Lilar du gouvernement Eyskens, en août 1949, plus aucune peine de mort ne sera appliquée, et après 1950, plus aucune condamnation à mort n’est  prononcée.

Peut-on supposer que, avec  la « guerre froide », la cible de l’establishment politique et judiciaire a changé ? L’ennemi n’est plus l’Allemagne nazie écrasée, mais bien l’URSS communiste.

Peut-on supposer aussi, qu’avec l’épilogue de la Question royale et l’abdication de Léopold III au bénéfice du prince Baudouin, la volonté du pouvoir est d’enterrer la problématique « Résistance contre collaboration » ?

Rendre justice au parti de la Résistance et des fusillés n’est sans doute plus dans l’air du temps.

Dans la presse, on trouve bien des dénonciations de la mansuétude vis à vis des inciviques condamnés, mais la « Bataille du Charbon » de l’après-guerre nécessite le maximum de main d’œuvre pour abattre le précieux combustible : des centres pénitenciers miniers sont créés, obligeant les prisonniers allemands à travailler dans les mines (ils sont 52000, de 1945 à 1947) et permettant aux détenus inciviques d’y travailler également. Ceux-ci y seront rémunérés à la même hauteur que les ouvriers libres et assujettis à la sécurité sociale. (13)

Désiré P. sauve sa peau, et la peine de mort de ce mineur de fond sera commuée en 16 ans de… travail à la mine !

Que seront le parcours judiciaire de P., les circonstances précises de sa mise au travail et de sa libération ? La presse est remarquablement muette à ce sujet. Celui, dont le procès avait fait la Une des journaux, disparait des radars.  (14) 

Il mourra dans son lit à Gilly, en 1991, à l’âge de 75 ans.

 


HONNEUR ET RESPECT

 

Charleroi 20 avril 1945

Après la Libération, de fervents hommages populaires sont rendus au commandant Victor Thonet.

Le 20 avril 1945, à Charleroi, le deuxième anniversaire de son exécution est commémoré par un cortège en ville, regroupant, autour de ses parents, les organisations de la Résistance, des partisans armés, des rescapés de Breendonk, etc. Hommage lui est rendu devant le monument aux morts.

Le 7 octobre 1945, le peuple de la région de Huy lui fait des grandioses et émouvantes funérailles.

Après un hommage de milliers de personnes devant sa dépouille mortelle exposée à l’Hôtel de Ville de Huy, c’est depuis une Grand Place noire de monde, que le cortège funèbre l’accompagne à sa dernière demeure, au cimetière de la Buissière. 

Pour sa famille, qui est au centre de sa dernière lettre, s’il y a la fierté pour leur « grand Totor », il y a bien évidemment l’incommensurable peine de la perte d’un fils, d’un frère, d’un époux.

Sans doute aussi, les années passant, les émotions s’estompant, l’héritage d’un tel homme, au courage hors du commun, est-il lourd à porter pour ceux qui restent.

A nous tous, d’honorer sa mémoire, et de perpétuer, aujourd’hui encore, son idéal et son combat.



Captures d'écran du film "Les funérailles d'un héros"
7/10/1945 - Grand Place Huy

 LETTRE DE VICTOR THONET, COMMANDANT DU CORPS 024, A SA MERE 

Le 19 avril 1943.

Ma chère maman,  

Oui, hélas, comme tu l'auras certainement appris par les journaux, tout est fini pour moi. Je t'écris cette dernière lettre de la prison de Saint-Gilles, où je me trouve depuis le premier avril, après avoir passé xx jours dans les cachots de Breendonk.

Voilà exactement sept jours que j'ai été condamné à mort avec trois de mes amis. En ce moment, j'en ai encore pour huit heures à vivre, je passe mes derniers moments en compagnie de mon ami Raymond Geenen, avec qui j'ai lutté et avec qui je vais mourir.


Je comprends très bien que le plus terrible de tout ceci c'est pour vous autres, ceux qui restent. Pour moi, ce ne sera que l'affaire de quelques secondes, mais faîtes-moi cette consolation, c'est d'avoir beaucoup de courage, autant que moi-même j'en ai eu.

Cela est dur, je le sais, la perte que vous allez subir va être grande, mais ce ne sera pas inutile, car j'ai la satisfaction de mourir sans avoir rien à me reprocher ; j'ai fait mon devoir jusqu'à la fin.

 Oui, chère maman, j'aurais tant voulu encore passer de belles années ensemble.

 Que veux- tu ? Maintenant le sort est jeté, c'est fini. Tu dois réagir avec vaillance et être fière de la façon dont je vais mourir, car c'est celle d'un soldat, d'un combattant qui a lutté jusqu'au bout pour son idéal ; je ne suis pas sorti du droit chemin.


Une de mes dernières volontés est la suivante, c'est que tout l'amour, toute la tendresse que tu avais pour moi, tu reportes tout cela sur Mariette et sur les enfants et cela je sais que tu le feras car tu es bonne et Mariette l'a mérité. Elle a toujours été pour moi le femme exemplaire dans les bons comme dans les mauvais moments et je lui dois beaucoup. Ce sera à vous autres de lui rendre tout ce que je lui dois.

Maman, je sais que tu le faisais déjà, mais encore plus qu'avant, tu dois considérer Mariette comme l'un de tes propres enfants et je suis certain qu'elle-même saura me remplacer auprès de vous autres. Quant aux enfants, je n'ai pas de recommandations, je sais que toute votre tendresse et toute votre bonté sera pour eux puisque c'est un peu de moi-même qui vous restera par eux.


Et toi, Mimi, sois toujours bien sage et apprends le plus possible, retourne à l'école même s'il le faut et surtout n'oublie jamais ton grand frère qui t'aimait beaucoup.

Tu dois me remplacer auprès de Maman, tu dois la consoler et lui donner la force de passer ces mauvais moments ; je compte sur toi pour me remplacer le plus possible auprès d'elle.

Joseph et Georgette, c'est sur vous autres aussi que je compte pour aider Maman, car c'est elle qui aura besoin d'être le plus consolée et soutenue pour passer ces mauvais moments.

Pas un instant, je ne vous ai oubliés, car vous aussi, je vous aimais beaucoup. Quant à vous autres, chers Mariette et Valère, mes dernières pensées auront été pour vous celles d'un frère.

Et les Tantes et les Oncles, pas besoin de les citer tous, car aussi bien aux uns qu'aux autres, j'ai beaucoup pensé, aussi, j'avais beaucoup espéré vous revoir, cela m'aurait fait tant plaisir.

Belle-maman et bon-papa, à vous autres aussi tous mes remerciements pour ce que vous avez fait pour ma petite Nadia et mon petit Francis, pas un instant je ne vous ai oubliés, ainsi que Marcel à qui, j'en suis certain vous pourrez remettre toutes mes amitiés. Surtout, soyez certains que les sacrifices et les mauvais moments que vous aurez endurés, n'auront pas été vains.

Vous pouvez être fiers de votre fille et la considérer au plus haut point, car moi j'ai la satisfaction de mourir sans rien avoir à lui reprocher.


Donc, Maman, encore une fois, beaucoup de courage, tu peux te rendre compte que j'ai gardé tout mon calme et tout mon sang-froid jusqu'au dernier moment et cela doit être une consolation pour toi, aussi, que tu n'es pas la seule dans ton cas et que le sacrifice fait par ces milliers de mères portera bientôt ses fruits.

Je t'embrasse bien fort et te demande d'embrasser tout le monde pour moi sans oublier le petit Michel et Claudie.

Donc à tous, bon courage.

Adieu Maman, Mimi, Joseph, Georgette, à toute la famille ainsi qu'aux Amis,

 

 Victor

 

 

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

Pierre Bodart : « Avec l’Armée Belge des Partisans » ; éditions du Monde Entier 1948.

Yvonne Ledoux, Benoît Michiels, Yvan Mokan « Partisans au Pays Noir » EPO 1995.

José Gotovitch – « Du rouge au tricolore ; Résistance et Parti Communiste » Éditions Labor Bruxelles 1992

Victor Trido- Breendonk, le camp du silence, de la mort et du crime. Editions J. Dupuis Charleroi- 1944

IHOES – « Sur la Résistance au fascisme 1940-1945 : Le Front de l’Indépendance dans la région de Liège Ourthe Amblève »e IHOES 1993.

« Le Drapeau Rouge clandestin ; pages glorieuses du Parti Communiste de Belgique » Éditions de la Fondation Joseph Jacquemotte Bruxelles 1971.

"Livre d'or de la résistance belge" : ouvrage publié par la Commission de l'Historique de la Résistance instituée par le Ministère de la Défense Nationale. Bruxelles 1948.

 

NOTES

( 1) voir José Gotovitch : Maîtron, notice THONET Victor, Joseph, Vincent ;version mise en ligne le 2 février 2016, dernière modification le 29 novembre 2022.on line https://maitron.fr/spip.php?article178347

Rouges Flammes : « Grandes figures de chez nous – A Huy, sur les traces de Joseph (Victor) Thonet, fils du peuple. »

 On line: https://rouges-flammes.blogspot.com/2018/01/grandes-figures-de-chez-nous-huy-sur.html

(2) Sur Micheline Thonet :"Fait d'hiver" dans l'émission "Jours de guerre", présentée par Jean-Jacques Jespers, en 1993. Réalisation : Eric Poivre et Yvan Sevenans.

Sur Micheline Thonet on line : https://auvio.rtbf.be/media/videos-d-info-archives-emission-jours-de-guerre-en-1993-sonuma-rtbf-2358639

Rouges Flammes « Hommage à Micheline Thonet 

On line: »https://rouges-flammes.blogspot.com/2018/06/hommage-micheline-thonet-20071925.html

(3) Eric David : " La condition juridique des volontaires belges pendant la guerre d'Espagne (1936-1939) in Revue Belge d'Histoire contemporaine n°s 1-2 1987; pp 79-80  

(4) Discours de l'Échevin Nicolas Rorive aux funérailles de V. Thonet ; Huy 7/10/1945

(5) José Gotovitch « Du rouge au tricolore ; Résistance et Parti Communiste » Éditions Labor Bruxelles 1992; p 159

(6) Pierre Bodart : Avec l’Armée Belge des Partisans ; éditions du Monde Entier 1948; pp.16-83

(7) Marcel Verstichel, boulanger, né à Huy le 8 octobre 1921 est le beau-frère de Victor Thonet. Venu de Huy pour lui donner des nouvelles de ses enfants, il insiste pour participer à l’opération du Bois du Cazier, après laquelle il rejoindra Huy par le train. Il participe aux actions de résistance dans la région de Huy et d’Andenne. Dénoncé, il est déporté en 1942, et meurt, guillotiné à Dortmund, le 26 mai 1944. Il avait 22 ans.  (Voir BELMEMORIAL https://belmemorial.org/all_names/ver.php?s=600&q=)

(8) Raoul Baligand « Un sommet de la Résistance, l’attaque du Bois du Cazier » Drapeau Rouge Magazine des 2 et 9 janvier 1970.

Delaet Jean-Louis : historien, directeur du Bois du Cazier 27 avril 1942. L'exploit des Partisans Armés au Bois du Cazier ;

Online: https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/articles/27-avril-1942-l-exploit-des-partisans-armes-au-bois-du-cazier.html

Pierre Bodart : Avec l’Armée Belge des Partisans ; éditions du Monde Entier 1948; pp.39-48

(9) voir « Choisir son camp » dans l’émission Jours de Guerre- présentée par Jean Jacques Jespers ; on line : https://youtu.be/LIB_8XSNjCo

(10) Yvonne Ledoux, Benoît Michiels, Yvan Mokan « Partisans au Pays Noir » EPO 1995 p 38

(11) Cité dans Yvonne Ledoux .. op. cité p.40

(12) Compte rendu de Joseph Pruvot publié dans "Chronique de la Résistance du Front de l'Indépendance" n°6 septembre 1979. Voir  Activités du Front de l'Indépendance pendant l'occupation.

(13) Crahay Charlène. Le traitement pénitentiaire des collaborateurs de la Seconde Guerre mondiale (Belgique, 1946-1951). Faculté de philosophie, arts et lettres, Université catholique de Louvain, 2019.

on line: http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:21472

(14) Yvonne Ledoux signale sa tentative, à une date inconnue, d’offrir ses services comme chauffeur de camion au parti socialiste à Gilly. Averti, le maïeur de l’époque lui interdira La Maison du Peuple. Voir Yvonne Ledoux, Benoît Michiels, Yvan Mokan « Partisans au Pays Noir » EPO 1995 p.27