jeudi 16 juillet 2020

VIE ET MORT DU LIEUTENANT TONDEUR DANS LE CONGO DE LEOPOLD II (3)

      

 




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8 JUIN 1902  : LA MORT DU LIEUTENANT TONDEUR
Début février 1902, le lieutenant Tondeur arrive, comme nouveau chef de poste, à Nya Lukemba (aujourd’hui Bukavu), qui avait été fondé en juillet 1900, sur ordre du commandant Paul Costermans par le lieutenant danois Olsen. Il a sous ses ordres 1, puis 2 sous-officiers blancs et 100 soldats.

Sa mutation l’a surpris, lui qui se croyait rivé au poste d’Uvira. Il l’interprète comme une volonté de l’éloigner et de le mettre à l’écart de la part de son chef direct, le  commandant Eloy, avec lequel les rapports étaient « plutôt vinaigrés » :« Pour me faire taire, il m’envoie à Nya Lukemba, ce que j’ai toujours rêvé ! J’ai bondi de joie en apprenant que je retournais au bord de mon cher bon Kivu ». [3]



le lieutenant A. TONDEUR.
 Chasse su crocodile dans la Rusizi
photo famille Tondeur
Déjà en octobre 1901, il écrivait à son frère : « J’en ai plein le dos d’Uvira et de mes multiples fonctions, et surtout du commandant que ses sept ans d’Afrique ont rendu quelque peu maboule ;[…]Un jour il donne un ordre que le lendemain il prétend ne pas avoir donné [1]» Et trois mois plus tard : « Je me fais des litres de mauvais sang à cause de notre idiot de commandant que son titre de commandant supérieur rend fou de gloriole, ce qui lui fait croire que les procédés les plus arbitraires lui sont maintenant permis »[2]



Il avait  été, en décembre 1901, déchargé de ses fonctions de chef de poste, ne gardant que l’état civil.

Il ne cherchait pas à « arriver », à briller près du soleil en cirant les bottes de ses          supérieurs :  il n’était jamais aussi heureux   que  quand il était son propre maître   débarrassé des contraintes et intrigues   désagréables du poste central d’Uvira.                 « Je n’attache guère de prix à la   compagnie de bien des Européens ; j’aime   mieux vivre seul que d’endurer la présence de   quelque malotru… » ; « tu ne peux pas   comprendre comme on est heureux de pouvoir   se dire le maître , de faire tout ou presque tout   à sa guise."
 Il apprécie au plus haut point d’échapper à la « paperasserie » de Uvira : « Je suis heureux   comme un prince depuis que je suis redevenu   simple chef de poste au Kivu ; je puis user   d’initiatives et faire à peu près ce que je   veux. » ; « J’aime beaucoup mieux jouer   maçon, charpentier que faire des   paperasses. »[4]

 Sa principale préoccupation, en effet était la   construction du nouveau poste militaire de 9   bâtiments à Nya Lukemba où il n’y avait pas   une seule maison en brique.
  On peut supposer que la construction de ce     nouveau poste faisait partie du dispositif   gouvernemental mis en œuvre par Milz, Eloy et Costermans, les successifs chefs directs de Tondeur, à la fois pour renforcer des postes à la frontière avec l’Afrique Orientale Allemande (Deutsch Ostafrika) et pour soumettre les populations locales.
 
« J’ai tout un poste à construire en briques…
Je viens de recevoir, approuvé par le commandant, le plan que je lui ai fait pour une nouvelle station en briques, 9 bâtiments.[5]
« Il faut aller chercher le bois de construction à quatre jours d’ici »
« Je pars demain pour un voyage de quelque durée. (…) de la côte congolaise (du lac Kivu), je me dirigerai vers l’ouest, jusque à la grande forêt, qui doit se trouver à 2-3 jours de marche à l’intérieur. Là, je tâcherai de me procurer du bois de construction.
Pourvu que MM les indigènes ne mettent pas trop de mauvaise volonté à m’y aider. C’est là sans doute que résidera la difficulté, car ces gens ne connaissent encore guère le blanc ; peut-être, ne se montreront ils pas très enchantés de le servir. »[6]
« Je suis rentré il y a quelques jours …j’ai poussé jusque dans la forêt. Partout, j’ai été bien accueilli par les indigènes : si j’avais dû boire et manger tout ce qu’ils m’ont apporté de vivres, j’aurais eu une fameuse indigestion…
  Sur la lisière de la forêt, j’ai recruté 200 sauvages, qui m’ont coupé les arbres et les ont apportés à Nya Lukemba, non sans peine, je vous assure, car le pays est très montagneux ; les pauvres bougres auront plus d’une fois dû m’envoyer à tous les diables »[7]
Un poste de la Force publique - endroit non connu ( 1er assis à p de la dr : le lieutenant Tondeur)
photo famille Tondeur

On comprend à la lecture de ces lignes que la « relation » avec « MM les indigènes » est bien le problème central.

Rien, dans tous les documents accessibles, n’indique que le lieutenant Tondeur ait été particulièrement va-t’en guerre.
En décrivant à son arrivée au Congo, « le véritable arsenal » dont il était équipé, un Mauser et 135 cartouches, un revolver avec 50 cartouches, plus son revolver d’officier belge et son épée, il écrivait à son frère : « J’espère que cela sera parfaitement inutile ».
S’il affirme à son frère, depuis Uvira, que « aucun coup de fusil n’a été tiré par l’expédition Milz », quelques semaines plus tard, il est manifestement chargé d’une mission de « pacification » militaire : « je ne serai rentré que dans une dizaine de jours (à Uvira), car j’ai quelques affaires à arranger sur la route. Peut- être bien faudra t- il  faire parler la poudre. Rien de bien grave ; quelques roitelets qui se montrent récalcitrants [8]
"Rien de bien grave" sauf qu'on peut se douter qu' il s'agit bien d'opérations de représailles et de soumission.

Rien n’indique non plus qu’il ait été particulièrement politique et diplomate. Ce n’était, par ailleurs, pas son métier.
Comme dans toute occupation, les relations avec les populations civiles occupées et leurs autorités en place, les Mwamis, étaient du ressort des militaires, qui exerçaient toutes les obligations de l’administration civile : relations avec les rois et chefs locaux, conflits entre territoires, état civil, poste etc.   
Il raconte à Shangugu son amitié naissante avec un chef local, dont il admire les cultures de bananes et dont il soignera les blessures de son fils.
Il explique aussi que ces chefs lui fournissent main d’œuvre et nourriture à bon marché, en échange d’étoffes et de perles de verre (1 vache = 8 brasses d’étoffe)
« Vous voyez qu’on peut vivre ici à meilleur compte qu’à Verviers. Quant au travail, on paie 4 kettés par semaine (1 ketté = 25 gr de perles = 11 centimes). Et dire qu’ils ne songent pas à se mettre en grève… »
Il raconte qu’il a signé à Nya Lukemba un pacte de sang avec un chef local, sans préciser cependant quelle est sa position dans la hiérarchie des Bashi.
 « Dans quelques jours, je vais devenir le frère de sang d’un des chefs des environs. Il parait qu’il faut passer par là pour se concilier les bonnes grâces des mauricauds (*) de ce pays ».(*mauricaud : terme péjoratif et raciste pour désigner les noirs)

Nya KUKEMBA :début XXème s. une presqu'ile sur le la KIVU







    Et nous arrivons au mois de juin 1902… 

 A partir du 25 mai, son poste avait été inspecté pendant 3 jours, par l’inspecteur d’état Paul Costermans[9] qui l’autorise outre la construction du poste à « commencer immédiatement la construction d’une bonne maison en adobes, 3 places de 5m sur 5m. Je finirai tout de même à être logé comme un homme civilisé pendant les derniers mois de mon terme de service » [10]
Quelle fut la nature de son contact avec Costermans ? S’il semble lui-même l’avoir apprécié pour son côté « très absolu » qu’il « préfère cent fois mieux que le  toqué d’Eloy », il n’était un secret pour personne que Costermans n’avait que peu   de confiance dans les jeunes officiers de peu d’ expérience .
« A plusieurs reprises, Costermans insiste auprès du Gouvernement « avec la dernière énergie » pour que les cadres dans la Ruzizi soient complétés et améliorés dans les plus brefs délais. Il demande sans tarder des officiers et sous- officiers « anciens, énergiques, résistants et aguerris par un premier terme de services » pour encadrer les troupes. »[11]
 
La dernière ligne de la dernière lettre à ses parents, en date du 2 juin 1902, quelques jours après le départ de Costermans est sibylline :
« Je vous demande pardon pour mon laconisme. Je suis très pressé. Je pars en reconnaissance de quelques jours.  Mes hommes m’attendent, et je n’ai pas encore fait mon principal colis, la colonne de vivres. Affectueusement, Arthur [12]»
De quelle reconnaissance s’agit-il ?  Lui avait- elle été ordonnée par Costermans ? 

Où était – il, et qu’a t’il fait pendant ces « quelques jours » entre le 2 juin et le 18 juin ? On ne le saura sans doute jamais!

15 jours plus tard, le 18 juin 1902, il tombe, transpercé de coups de lance, au cours d’une embuscade, montée par des guerriers Bashi, près du village de Nyunda, en territoire Kabare ; les 14 soldats qui l’accompagnaient sont, à cours de munitions, presque tous tués (deux s’échapperont pour donner l’alerte).
Pourquoi ? Que s’est- il passé ?
Nous ne pouvons que nous référer aux témoignages dont ceux conservés par la famille Tondeur ; d’autres écrits sont publiés et accessibles notamment sur Internet. 
 

·   FELIX GEORGES TONDEUR : Son frère: 

photo famille Tondeur
« Une lettre de l’Inspecteur Royal Costermans devait m’apprendre 
les circonstances du drame qui coûta la vie à mon malheureux frère :
Des travailleurs, envoyés dans une forêt de bambous pour y couper des sticks destinés aux constructions du poste, s'en étaient vu interdire l’accès par des sujets du grand chef insoumis Kabaré.
Mon frère se rendit immédiatement sur place, accompagné de 14 soldats, persuadé que cette petite troupe suffirait pour rétablir l'ordre. Il laissait au poste ses 2 sous-officiers blancs avec le reste de la garnison forte de 200 hommes. Il tomba dans un guet- apens ; les indigènes, dissimulés dans la brousse, le laissèrent s'avancer de façon à encercler les soldats et leur chef, puis, en grand nombre les attaquèrent furieusement à la lance. Malgré une résistance héroïque et désespérée, les soldats et leur chef succombèrent, ayant épuisé toutes leurs munitions (…)
Les faits s'étaient passés au mois de juin 1902 mais ce n'est qu'au mois d'août que j'appris le malheur qui me frappait. J'en fus douloureusement affecté. C'était la première grande peine de ma vie. » [13]

« Un sous-officier Belley, l’adjoint d’Arthur au poste de Nya Lukemba au moment du malheur vient de descendre, fin de terme, ainsi que le lieutenant Danna, ancien chef de poste à Nya Lukemba. Ils ont tenu à me parler. Tous ceux qui descendent de là-bas avaient Arthur en haute estime, à cause de son bon coeur, de son caractère loyal et ferme.
 Arthur a eu tort de se mettre en route avec une poignée d’hommes, alors qu’il avait 100 soldats au poste. Belley m’assure qu’il l’avait mis en garde contre les indigènes et l’avait engagé à prendre plus d’hommes ; à quoi il répondit que plus de soldats le gêneraient.
Trop courageux, trop brave, il est tombé, victime de son dévouement » [14]
 

·       GINETTE TONDEUR PERMANNE[15] : Sa nièce

Pour les travaux de construction du poste, il avait besoin de bambous, qu’il fallait aller chercher dans les bois sur le versant est et sur la crête de la chaine de montagnes voisine car il n’y avait, à l’époque, sur les rives que des arbres de petite taille.
Cette forêt était une sorte de domaine public. Aucun village n’y avait le droit exclusif d’exploitation ; chacun pouvait s’y servir, donc aussi le poste de Nya Lukemba.
Le lieutenant y envoie ses hommes, mais ils reviennent bredouilles :  le passage leur avait été interdit, au village de Nyanda, qui faisait partie de la grande chefferie de Kabare, sans menace ni violence, par le chef Rutaganda.
L’oncle Arthur suppose alors que ses hommes, forts de leur autorité ont pu commettre l’un ou l’autre larcin ; il désire régler cela par la palabre, en examinant avec Rutaganda ce qui s’est passé, en vue d’un éventuel dédommagement. Il espérait avoir auprès du chef Bashi le même prestige qu’auprès de chefs Tutsi qu’il avait rencontré, un an plus tôt à Cyangugu.
Mais il omet de lui envoyer un émissaire pour lui préciser la raison de sa visite. Il part donc avec ses 14 soldats pour une marche de 5 heures.
Bien sûr, la rumeur le précède : « le chef blanc arrive avec ses soldats ».
Rutaganda se méprend et croit à une expédition punitive, pour avoir refusé le passage.  Il réunit ses guerriers, ils boivent du pombe (vin de banane) ; l’excitation est à son comble.
Une embuscade est préparée dans une bananeraie qui entoure le village de Nyanda.
Les soldats sont armés de fusils Albini, qu’il fallait recharger et le lieutenant de son revolver à barillet. Quand les armes sont déchargées, ils sont tués, à coups de lance.
L’oncle Arthur fut nommé capitaine à titre posthume.[16]
 

·       « LES BELGES AU CONGO » 1911

Commandant du poste de Nya Lukemba (lac Kivu) il est envoyé en juin 1902, en mission auprès du chef de tribu Kabare.
Accompagné de onze soldats noirs, il est attaqué par la tribu, forte de 150 hommes, et massacré avec toute son escorte le 18 juin 1902.[17]

·     

  BIOGRAPHIE COLONIALE (sd)

« En 1902, il fut nommé chef de poste à Nyalukemba.  Les Bashi de Ngweshe et de Kabare étaient en pleine turbulence. Déjà rivaux coutumiers, ils étaient, en plus, mécontents des récentes nominations des chefs et de notables, désignés par l’administration.

Le 18 juin, Arthur Tondeur envoya ses hommes couper des bambous dans la forêt. Ayant appris que le chef Kabare allait s’opposer au passage de ses travailleurs, il partit avec une escorte de 12 soldats.

 Assaillie en cours de route par une foule de guerriers armés de lances, la petite colonne se défendit mais, à bout de munitions fut littéralement taillée en pièces.

Trois soldats parvinrent à s’enfuir. Arthur Tondeur, armé d’un revolver, résista jusqu’à la dernière cartouche mais finit par tomber, transpercé par une lance. Il mourait à 30 ans, au seuil d’une belle carrière. Une stèle érigée à l’endroit du massacre, sur la route de Kabare, fut inaugurée le 31 juillet 1937.[18]

 

·       PAUL MASSON 1930

Dans un chemin creux, près de Nyanda, ses sujets (du mwami Kabare Rutaganda) tendirent une embuscade à un Européen, accompagné de sa caravane. Mr Tondeur, chargé de réquisitionner des vivres chez les indigènes, était détesté et fut massacré sans pitié avec les 15 soldats qui le défendaient. Leur corps furent mutilés de façon horrible.
Nabushi Rutaganda n’avait pas voulu cette opération, mais ne désavoua pas ses gens, et prit à nouveau la fuite devant l’expédition punitive… »[19] 

·       LA NAISSANCE DE L'EGLISE AU BUSHI NKUNZI BACIYUNJUSE JUSTIN) : 2005

A peine arrivé, Tondeur change l’emplacement du poste de Ndendere à Muhumba (Nya Lukemba).

Il fallait y construire le nouveau poste. D’où l’urgence d’hommes pour les travaux et de matériel de construction, qu’on devait chercher dans la forêt en traversant le territoire de Kabare.
Dynamique, Tondeur en compagnie de 12 soldats entreprit la grande traversée dans le territoire de Kabare. C’était le 13 juin 1902.
Quel en fut le mobile ? Allait il forcer Kabare à coopérer, était- ce une mission de reconnaissance ou une escorte pour accompagner ceux qui allaient chercher le matériel de construction ?
Une chose est certaine : durant cette traversée, Tondeur, revolver au poing fut sauvagement massacré ainsi que tous ses militaires par les hommes de Kabare.
Ils furent les premiers blancs lynchés par les gens pour marquer leur résistance. (…) On ne peut pas savoir si le mwami avait autorisé un tel massacre, mais on pense qu’il ne l’a tout de même pas empêché. La décision était de taille, et d’une façon ou d’une autre, le roi devait être au courant de ce qui se tramait pour châtier une fois pour toutes les nouveaux venus dans son pays »65

·       NYAKANDOLIA

 «  Quand il ( le témoin) arriva, ses camarades avaient déjà exterminé tous les soldats ; tous étaient morts. Il trouva seul le blanc transpercé d’une lance et couché en train de tirer avec son petit fusil. Il le maniait, couché.
Quand Nyakarhimba, fils de Nyalanda rencontra le blanc en train de faucher ses camarades avec un petit fusil très court, il contourna le côté où il avait tourné la tête, se coucha, vint en rampant, couché, et son glaive dégainé, il lui donna un coup de glaive sur le bras, le fusil tomba ! Le blanc cria désespérément : « Oh, on me tue » ! Il lui donna encore un coup de glaive sur le front et plusieurs autres coups ; Le blanc rendit l’âme. C’est Kabungulu dont on parle ».[20]

Ainsi mourut l’oncle Arthur…

Malentendu, expédition punitive, mission auprès du chef Kabare ?  

Implication directe du Mwami, soutien passif à ses guerriers ?

Approvisionnement en matériel de construction, réquisition de vivres ?

Première action de résistance des Bashis pour châtier les nouveaux venus ?

Pays en guerre ou région paisible ?

Kabungulu, « l’infortuné » ?  « L’officier blanc détesté » ?

Autant de questions sans réponses !

Inauguration d'un monument
au lieutenant  TONDEUR
31/07/1938 photo famille Tondeur



La Belgique coloniale en fit un héros, alors qu'il était seulement un jeune homme de 32 ans en quête d'un avenir...Un monument, dont il ne reste qu'une stèle renversée
(photoP. Dubois) fut érigé à sa mémoire à Kabare en juillet 1938 ; une avenue a porté son nom à Bukavu ( aujourd'hui avenue Kalehe?)


                     


                                               



REPRESAILLES ET RESISTANCES  

s.

Quelles que soient les circonstances précises des événements du 18 juin à Kabare, il est difficile de les abstraire du contexte historique de cette guerre de soumission coloniale et de la résistance prolongée de la population et de plusieurs de ses chefs.

Sans doute ignore t’on tout de la part prise personnellement par le lieutenant Tondeur dans ces opérations, mais il portait, hélas !, l’uniforme d’une armée d’occupation, et de spoliation qui ne  pouvait susciter  autour d’elle que  la peur et la terreur ou la haine et la résistance.  

Les autorités militaires, malentendu ou pas, elles ne s’y sont pas trompées; elles sont en guerre. L'heure est à la vengeance et aux expéditions punitives.

·       « Costermans rapporta dans une note au Gouverneur général du 29 juillet 1902 :
COSTERMANS INSPECTEUR D'ETAT       

« Les troupes, chargées de venger la mort du lieutenant Tondeur, ont infligé des pertes très sérieuses aux indigènes du chef Kabare et aux gens du Ngwessé (…) plus de 400 indigènes ont été tués. En outre 600 têtes de gros bétail et 1200 chèvres et moutons ont été capturés »
·       Le 13 septembre 1902, le même Costermans rapporta au gouverneur général : « J’ai dirigé une dernière opération de police contre le chef insoumis Ngwessé, opération au cours de laquelle 80 indigènes ont été tués et 100 femmes faites prisonnières ; 130 vaches et 200 moutons ont été enlevées ». [22]
·       « Les opérations militaires se succèdent sans relâche » écrit Marchal qui en énumère 16  menées de mars 1904 à octobre 1907 contre les peuples insoumis de la région Ruzizi- Kivu, avec leur lot de villageois tués, y compris des femmes et d' enfants.[23]


Le Mwami Nabashi Kabare Rutaganda, caché, échappa aux expéditions punitives, puis se soumit en 1903, pour à nouveau entrer en résistance. L’autorité coloniale, en 1904 le destitua de tous ses droits, et divisa son royaume en 3« chefferies ».
« Il fut destitué et un mandat d’arrêt lancé contre lui. Son oncle Nyalukemba fut désigné pour lui succéder. Rutaganda, dernier mwami libre du Bushi, se rendit pour se remettre aussitôt en révolte ouverte.
Cette crise que traversait un peuple insoumis, ces alternatives d’un chef qui ne voulait pas se rendre aux évidences d’une occupation coloniale, se terminèrent dans l’entente générale. Rutaganda fut pardonné, amnistié (…) »[24]
En effet, l’administration coloniale reconnaîtra son échec, tout en abaissant son ennemi : « Rutaganda est un ivrogne, qui a un ascendant considérable sur les populations. Il fut (ré)investi comme chef » (en 1916). Elle décide « la reconstitution de la chefferie Kabare dans son intégrité »[25]


Il s’agissait donc bien d’une guerre prolongée de soumission des populations, avec ses rapports de force politico-militaires, initiée dès 1900 contre le peuple rebelle Shi, et de sa résistance au colonisateur, partagée avec de nombreux autres peuples du Congo.

La politique de pacification « douce » pratiquée, ensuite par le général Tombeur, successeur de Costermans dans la région Ruzizi – Kivu, et qui se rendra célèbre 10 ans plus tard par la victoire de Tabora, est décrite par Lecoq, et parle d’elle-même et laisse pantois :
« Des opérations de police sont organisées pour obliger les chefs à venir se présenter aux postes de l’État. Ces opérations consistent à venir occuper les villages dont les habitants prennent la fuite, et de saisir le bétail. Dépourvues d’habitations et de moyens de subsistance, les populations viennent progressivement se soumettre sans subir trop de pertes. La saisie du bétail et parfois l’arrestation du chef sont généralement les moyens les plus efficaces pour amener les populations aux corvées. »[26]
Au-delà de la traque par la Force Publique du seul Mwami Kabare, la rébellion des peuples du Kivu se poursuivit jusqu'en 1923.
« Les Shis et un certain nombre d’autres peuples de cette partie de l’actuel Zaïre ont été longtemps rebelles à la colonisation, et l’on dut entreprendre contre eux force campagnes de « pacification » aussi tard qu’après la Première Guerre Mondiale. » ‘Les populations dans les monts Mitumba sont toujours insoumises, constatait l’administration en 1918. Elles accueillent les mécontents des régions environnantes, barrent les routes et empêchent les communications dans le Nord- Ouest du pays ; Comme les indigènes sont nombreux, il faudra un détachement important et une occupation de longue durée pour les soumettre. » [27]


CONCLUSION :  

Mon long voyage à la rencontre de ce parent inconnu, l’oncle Arthur s’achève. Ce fut, pour moi, je dois l’avouer, un parcours purement livresque mais combien interpellant.Je ne suis jamais allé en RDC ou au Kivu, et je ne connaissais que des bribes de son histoire.

Je n’ai bien sûr pas la prétention de proclamer une quelconque vérité. Peut-on sur un tel sujet d’ailleurs établir une vérité, 120 ans après les faits ?
C’est plutôt une approche que je propose, et, surtout, des questions que je pose. Qu’on me pardonne aussi dans cette approche les inévitables erreurs du profane.

Je remercie aussi les frères, cousins et cousines, qui m'ont donné accès aux correspondances et photos de nos aïeux.
J’ai découvert, en mon grand- oncle Arthur, un homme dynamique, largement aventurier, passablement casse- cou, discipliné sans doute , mais ayant aussi un caractère affirmé,       Il voulait surtout être son propre maître. (ce qui peut paraître contradictoire avec le choix de la  carrière militaire... )

Bien que pétri de l’idéologie de la supériorité absolue de la « civilisation » européenne, apportée par les blancs aux « sauvages » et aux » mauricauds »,  ce qui était dans l’air du temps dans l’Europe de la fin du XIXème siècle (et bien plus tard encore), il avait pourtant su discerner le degré de civilisation et d’organisation de ces régions de l’Est africain. 
 Mais la réalité de ce qui était une cruelle guerre de conquête coloniale a dépassé tous ses rêves d’aventure, d’autonomie personnelle,  et toutes les bonnes intentions qu’on aurait pu lui prêter. 
Il fut un pion, consentant, actif et responsable, dans le dispositif de conquête coloniale et de guerre au Congo, et en particulier dans la zone Ruzizi - Kivu, dispositif élaboré à la tête de l’EIC par Léopold II, le Roi Souverain lui-même, et mise en œuvre par les chefs politiques et militaires d’Uvira,  Eloy, Costermans, Milz, puis Tombeur. qui  ne maîtrisaient manifestement pas eux-mêmes dans leur tête, l’application de cette politique de l’extrême. 

A la lecture de sa correspondance, je me suis souvent posé la question :" Mais que diable allait-il faire dans cette galère , s'il voulait être son propre maître ?"Sans doute n'avait il pas eu tellement le choix...

Il est mort, dans des conditions atroces, dans une guerre, elle-même atroce, menée, dans des buts inavoués, pour une cause injuste.
Quelles qu’aient été les circonstances de sa mort un travail de mémoire sur la réalité de la colonisation s’impose :n’oublions pas, nous européens et belges, descendants en quelque sorte du lieutenant Tondeur, si tant d’officiers belges, nos oncles, parents ou connaissances, sont tombés au service d’une si mauvaise cause, il y a eu des milliers et des milliers de victimes congolaises de ces opérations de soumission et de « pacification » ; des milliers de résistants à l’occupation de leur pays ont été tués, leurs chefs pourchassés ou relégués. Des villages ont été pillés et détruits.  Des femmes et des enfants ont été affamés, voire tués ! Hommage soit rendu à leur mémoire !

Léopoldville 1960 - L'indépendance

Je ne peux que me ranger, 120 ans après les faits, 60 ans après l’Indépendance, que derrière l’opinion de Jean Pierre Orban, (avec un bémol sur le caractère « pacifique » de la conquête) :

« Je crois qu'avant de tenter d'évaluer les bienfaits ou les méfaits de la colonisation, il faut d'abord revenir à l'essentiel.
Et l'essentiel, c'est qu'il y a eu conquête, fut elle pacifique, d'un peuple par un autre, vol d'un territoire qui ne nous appartenait pas, intrusion dans une histoire ou nous n'avions rien à voir. Il ne faut pas oublier la faute originelle, le mal que la colonisation a représenté dès le départ. »
Et plus loin : « Pour moi, cette conquête s'apparente à un viol collectif. C'est une faute absolue, que l'on doit s'interdire de relativiser par la suite. Bien sûr les experts peuvent défiler, soupeser les progrès techniques, le développement économique, l'accès à la modernité incarnée par l'Europe. Mais il ne faut jamais oublier qu'il y a eu détournement de l'histoire d'un peuple par un autre. Une bonne partie des maux dont souffre l'Afrique des Grands Lacs, aujourd'hui encore, trouve son origine dans le fait colonial. »[28]

Au delà du "détournement de l'histoire", c'est aussi de la nature même du colonialisme et du néo colonialisme mondialisé qui lui a succédé dont il s'agit. Il régit toujours les rapports entre les classes dominantes de l'hémisphère Nord ( Belgique, France, Royaume Uni, Etats Unis) et le peuple congolais : pillage des richesses, corruption des élites, guerre, misère et pauvreté pour le peuple.


Les multinationales du capitalisme financier mondialisé sont à la manoeuvre, le groupe minier "suisse" Glencore, les belges de "George Forrest" et du groupe Orgaman 
(famille Damseaux, n°1 de l'élevage industriel), des groupes financiers anglais, sud africains , français, canadien et américains de l'or, du diamant, de l'huile de palme, des télécommunications des banques, etc.

Mentionnons d'autre part les rapports  avec les sociétés chinoises ( matières premières contre infrastructures).
Le Congo est considéré depuis la fin du XIXème siècle comme un miracle géologique, un des sous sols les plus riches du monde en ressources minières  : cuivre, cobalt, or, diamant, uranium etc. Mais il est le 6ème pays le plus pauvre du monde., et le peuple congolais est dépouillé de ses richesses.
Le Congo est la 2ème réserve de terres arables du monde, dont 10% seulement sont cultivées . Il pourrait nourrir 1/3 de la population mondiale. Mais 13 millions de Congolais, dont 5 millions d'enfants y sont dans un état d'insécurité alimentaire extrême.
Le Congo est riche de ressource énergétiques renouvelables, l'énergie des fleuves, du vent et du soleil, mais 30% seulement des habitants de Kinshasa ont l' électricité et 1% dans les zones rurales.
Le Congo a une population jeune et nombreuse,  mais 27% de la population est analphabète; des guerres ravagent en permanence des régions entières, des enfants travaillent dans les mines de cobalt.
Le Congo avait- il à peine conquis son indépendance et proclamé le 30 juin 1960 le caractère démocratique de la République, que son premier Premier ministre, élu par le peuple, Patrice Lumumba, était sauvagement assassiné sur ordre des services belge et américain. C’est le même sort qu’ont connu Pierre Mulele en 1968, dirigeant révolutionnaire des années 60, et le président Laurent Désiré Kabila en 2002.

Puissions- nous tirer les leçons du tragique destin de Arthur (Charles) Tondeur, et nous battre pour bannir toute forme  de colonialisme et de néo colonialisme, de haine et de discrimination  raciale. 
 Qu’aux politiques de domination, d’exploitation et de guerre entre les peuples se substituent des relations d’amitié et de coopération, de respect mutuel, de solidarité et de fraternité !

                                                   Maxime TONDEUR Petit- neveu de Arthur (Charles) Tondeur

Mars 2020

 




[1] Lettre à son frère 15 octobre 1901

[2] Lettre à son frère 21 janvier 1902

[3] Lettre à son frère 28 janvier 1902

[4] ARTHUR (CHARLES) TONDEUR : Correspondance

[5] ARTHUR (CHARLES) TONDEUR :  Correspondance 10/03/1902

[6]ARTHUR (CHARLES) TONDEUR : Correspondance 12/04/1902

[7] ARTHUR (CHARLES) TONDEUR :   Correspondance 25/04/1902

[8] ARTHUR (CHARLES) TONDEUR. Correspondance 13/09/1901

[9] COSTERMANS PAUL un des principaux dirigeants de l’EIC. Nommé inspecteur général en 1899, il est le commandant dès la fin avril 1902 de la région Rusizi – Kivu, chargé par Léopold II de renforcer l’occupation militaire de la zone, face aux incursions allemandes, notamment en y établissant es fortifications renforcées.
« Costermans est un grand nerveux qui ne peut s'abstraire des préoccupations de sa charge; une partie de ses nuits s'écoule à arpenter la véranda de son habitation ; de là lui vient le surnom de "gondoko" (le léopard), que lui donnèrent les indigènes. Cette extrême nervosité l'a ramené deux fois en Europe avant la date assignée ; elle ne sera pas étrangère à la fin tragique de sa vie. »  Biographie coloniale p. 268,1946.
 Nommé gouverneur général de l’EIC en 1903. Visé en première ligne par le rapport de la Commission d'enquête sur la situation humanitaire au Congo, instituée, par Léopold II suite au rapport Casement, il met fin à ses jours le 9 mars 1905.

[10] ARTHUR (CHARLES) TONDEUR   Correspondance Dernière lettre du 02/06/1902

[11] LECOQ HANS JOACHIM op cité p 86

[12] ARTHUR (CHARLES) TONDEUR   Correspondance Dernière lettre du 02/06/1902

[14] TONDEUR Felix Georges : « Correspondance avec ses parents » Lettre du 11/12/1902 p75

[15] GINETTE TONDEUR PERREMANNE : « Tante Ginette » (1928-2019) Epouse de Georges TONDEUR, « Cojo » pour la famille. 2ème fils de (Felix) Georges. Ingénieur agronome, en charge au Kivu de la conservation des sols. Ils ont vécu à Bukavu jusqu’en 1956.

[16] Ginette TONDEUR-PERMANNE : résumé d’un témoignage filmé ;« MÉMOIRES DU CONGO » n°166 23 min

[17]Janssens, Édouard, and Albert Catteau :« Les Belges au Congo ». Notices biographiques. Tome 2 1911 Anvers

[18] Biographie coloniale belge citée dans P DUBOIS op cité p3, à partir de Xavier Dierckx « 45 ans au KIVU » p320

La notice biographique en date de 1951, remplace la mention du mécontentement des Bashi par : « En 1902, Tondeur était nommé chef de poste à Nya Lukemba… A ce moment, la région était peu sûre et le chef Kabare était sournoisement hostile aux Blancs » 

[19] PAUL MASSON : « Trois siècles chez les Bashi » p123 -Musée Royal de l’Afrique centrale Tervuren 1960

[20] NYAKANDOLIA Témoignage oral dans CC NJANGU « La résistance Shi à la pénétration européenne, 1900-1920 » cité dans NKUNZI BACIYUNJUSE JUSTIN op cité p.82.                        

« En 1973, Nyakandolia avait 90 ans et avait été témoin des évènements qu’il raconte » (« La naissance de l’Eglise au Bushi » note 101)

[21] Pierre Dubois a photographié les vestiges abandonnés de la stèle. La plaque en cuivre dont on trouve une photo sur Internet aurait été conservée localement. La famille Tondeur avait conservé des photos de l’inauguration du monumeny

[22]Jules Marchal -E.D. Morel contre Léopold II, Vol 2 pp 54-55 –L’Harmattan 1996

[23] Ibid pp 55-58

[24] PAUL MASSON : « Trois siècles chez les Bashi » p123 -Musée Royal de l’Afrique centrale Tervuren 1960

[25] F. CORBISIER Rapport d’enquête de l’administrateur territorial des Banya Bongo ; Kabare 1933

[26] Lecoq op cité p.101 « Par exemple, le chef de secteur de Kalembe-Lembe, Dewatines confisque dans les villages du chef Galula un troupeau de 28 boeufs et de 32 chèvres et moutons, puis annonce qu’il restituera le bétail en échange d’hommes pour la corvée de portage. De même, Dewatines n’hésite pas à mettre à la chaîne devant ses sujets le chef Kalonda-Tbui, qui lui avait déclaré la guerre.
 Libéré sous conditions, Kalonda-Tbui se présente avec les hommes nécessaires au portage »

[27] Guy De Boeck Les Baonis op cité pp 287-288

[28]  Jean Pierre Orban, écrivain ; Cité dans Guy De Boeck « Les héritiers de Léopod II ou l’anticolonialisme impossible » I p17