vendredi 24 octobre 2014

1914 -1918 - UOMINI CONTRO: NOTRE GRAND FRANS MASEREEL,"UN DESERTEUR" ?




Plus j'avance dans la découverte de ces «HOMMES CONTRE» , révolutionnaires internationalistes ou pacifistes qui se sont dressés contre la guerre impérialiste de 1914-1918, plus je découvre une face cachée : c'est la campagne hargneuse menée par les nationalistes chauvins et « patriotards » pendant et après la guerre , campagne qui nourrira la répression judiciaire et administrative.
Qui a frappé jusqu'aux plus grands de nos artistes et écrivains...
Place aujourd'hui à FRANS MASEREEL, artiste belge mondialement connu , maître de la gravure sur bois

Le livre de JORIS VAN PARYS (AML EDITIONS 2008), a été le passionnant et riche guide dans ma découverte de FRANS MASEREEL et dans la rédaction de ce post
Le but de ce post n'est pas de retracer la vie et l' oeuvre de MASEREEL – il y a suffisamment de documents et d'expositions à ce sujet
-http://www.frans-masereel.de/15161_Notice_biographique.html
http://www.solidaire.org/index.php?id=1340&tx_ttnews[tt_news]=38966&cHash=1d192c99ed4ba009e66053282ced86b3
 mais d' approfondir son engagement internationaliste entre 1914 et 1918, avec l'espoir d'aider modestement à ce que dans son propre pays, on le considère, tels ROMAIN ROLLAND et HENRI BARBUSSE, parmi les plus grands « UOMINI CONTRO », opposants à la guerre , à la « guerre de classe ».

MASEREEL , jeune , a été influencé à la fois par son beau père LAVA, libre penseur, féru de liberté et de solidarité , propagées par la revue d'art « VAN NU EN STRAKS » fondée par AUGUST VERMEYLEN (1) et HENRY VAN DE VELDE ( 2) d'idéologie plutôt anarchiste ; par sa tante FANNY, traductrice en néerlandais des oeuvres de KROPOTKINE , théoricien anarchiste russe ;
Et par EDUARD ANSEELE (3), fondateur du PARTI SOCIALISTE FLAMAND et puis du POB , et ses plaidoyers pour la justice sociale et contre l'exploitation éhontée.
Il participe aux grandes manifestations pour le suffrage universel et contre le travail des enfants.
« Chaque matin, il voit passer cette foule anonyme , se dirigeant vers l'usine, où jour après jour, de six heures du matin jusqu'à sept heures du soir, l'on travaille aux métiers à tisser pour un salaire de famine de 2,5F par jour » « Ca me révoltait » dira t' il.(voir VAN PARYS p27-30)

MASEREEL ET LE SERVICE MILITAIRE

D'entrée de jeu citons ses ennemis :
« Toute une colonie littéraire — avons-nous dit dans le premier cahier — s'était formée, dès 1915, autour de Romain Rolland, sur les bords du Léman. C'étaient des libertaires plus ou moins réfractaires.(...) Une des particularités de « la Feuille » fut le dessin journalier de Franz Masereel, déserteur belge. Né à Gand, il arrivait fort misérable à Genève au cours de 1915. « Ce que fut là sa vie pendant des années, ses propres amis peuvent seuls en témoigner... Dès 1916, il appartenait au travail corps et âme » Effectivement, il devint le dessinateur au service des membres de la colonie rollandienne soulevée contre l'Europe »
Jean MAXE : « Les cahiers de l'ANTI - FRANCE » (II) L'Alliance du défaitisme et du Bolchevisme en Suisse (1914-1919) EDITIONS BOSSAHD PARIS 1922 p 122
L'éditeur présente ainsi l'auteur  Jean Maxe: « Seul, il est remonté à la source intellectuelle et occulte de la trahison, du défaitisme, des doctrines révolutionnaires du bolchevisme bolchevisant. »(!!!)

JORIS VAN PARYS écrit : « C'est aussi A CAUSE de sa remarquable activité journalistique que MASEREEL est convoqué en automne 1917 , au consulat belge à GENEVE.
Se considérant comme objecteur de conscience ,il refuse formellement de se mettre à la disposition des autorités militaires belges.
Toutes les tentatives de le ramener à des sentiments meilleurs restent vaines.
Après la guerre, il apparaîtra que la Police des Etrangers suisse l'avait enregistré comme « réfractaire aux lois militaires de son pays depuis 1917 »(voir VAN PARYS p 66)

Déserteur, réfractaire aux lois militaires...
Voilà le portrait que le pouvoir et ses partisans chauvins tracèrent ,après la guerre, de celui qui fut un des plus grands artistes belges du 20èmme siècle.
Et jusqu'en 1929, privé de passeport belge, il lui fut à la fois interdit de voyager, et , tel un banni, de revenir dans son pays.

En 1909, MASEREEL doit participer au tirage au sort, obligatoire pour tous les hommes âgés de 20 ans, en vertu de la loi sur la conscription, appelée aussi la loi sanguinaire.
La classe de MASEREEL sera la dernière à être désignée par le tirage au sort.
Les suivantes seront basées sur l'enrôlement d' un fils de 20 ans par famille ( en vertu d'une loi signée le 14 décembre 1909 par le roi Léopold II, trois jours avant sa mort.
En 1913, se préparant quand même ,un peu à la guerre  le gouvernement DE BROQUEVILLE instaurera le service militaire obligatoire pour tous les hommes de âgés de 20 ans.
Le film « DE LOTELING » a admirablement décrit( d'après le roman d'HENDRIK CONSCIENCE) le tirage au sort et a montré comment les fils de la bourgeoisie échappaient au service militaire en payant un remplaçant.
Quant à MASEREEL, il tire un bon numéro et est exempté du service militaire.
Comme tous les fils de la bourgeoisie, il est incorporé automatiquement à la GARDE CIVIQUE , les parents payant les frais d'uniforme. (voir VAN PARYS  p p 37-38)
La GARDE CIVIQUE est une milice bourgeoise en charge du maintien de l'ordre dans les villes        ( notamment contre les grèves et manifestations) et aussi de la défense nationale.
En 1911, MASEREEL s'installe à PARIS et, le 15 juillet 1911, il est rayé des registres de la population de GAND.
LA FAMILLE A GAND- 1913
En août 1914, il est en BRETAGNE , en vacances dans la presqu'île de CROZON.
Le 5 août il se présente au consulat belge de BREST et obtient un certificat « manifestant sa ferme intention de regagner la BELGIQUE       ( GAND) par les voies les plus rapides. »
« Trois jours plus tard , il est à GAND, mais son nom ayant été rayé des registres de la population, personne ne peut lui dire exactement ce qu'il en est de ses obligations militaires. »
Sa famille lui conseille de ne pas tarder à requitter la BELGIQUE.
Néanmoins MASEREEL reste au pays et réalise , en septembre plusieurs esquisses sur la ville de TERMONDE , en ruines.
Il quittera GAND , pour rejoindre PARIS et sa compagne, avant l'occupation par les troupes du KAYSER le 12 octobre .Il ne verra plus ses parents pendant six ans et ne  remettra les pieds à Gand que quinze ans plus tard. (voir VAN PARYS  p 46-47)
Il décrira cette période
"Quand la guerre éclata et que la Belgique fut occupée, je ne savais pas, si j'avais, alors , des obligations militaires à l'égard de la BELGIQUE.
Je croyais devoir rejoindre la GARDE CIVIQUE, car, avant que je quitte le pays, j'avais été incorporé à cette formation ; j'avais tiré l'un des plus hauts numéros au tirage au sort de la ville , ce qui me libérait du service militaire (...)
Je ne savais pas , quand j'arrivai là, si j' avais été rayé ou non.
Au cours de trois jours passés à où j'étais à Gand, on me dit que j'étais rayé comme résident...
« Vous n'avez plus rien à chercher ici , disparaissez... » ( sans doute les paroles de son beau père ??)
 Pierre Vorms: Gespräche mit Frans Masereel. Dresden 1967,
Ajoutons que la GARDE CIVIQUE est congédiée officiellement par décision gouvernementale le 14 octobre 1914.
Mais,  en avril 1915, les autorités belges de PARIS le considèrent comme « mobilisable » et lui refusent un visa pour la SUISSE.
Et donc,en 1917 , a cause de son activité journalistique ( J. VAN PARYS) il sera convoqué pour mobilisation par le consulat de GENEVE
Ce qui est obscur, c'est pourquoi en 1917, il est déclaré "bon pour le service", alors qu'il en avait été libéré en 1909. Travail pour les historiens  de demain , de dénouer ces fils...
Me basant sur ces faits, et sans connaître les détails des dossiers d'archives et notamment du dossier militaire, je ne peux qu'être interpellé par les accusations portées par la suite, contre MASEREEL et trouver que il y a là un curieux comportement pour un « réfractaire » et un « déserteur.. »
La version, commune est aujourd'hui 100 ans après, de le glorifier comme "pacifiste,  objecteur de conscience »; C'est  tordre  la vérité  et occulter son véritable engagement.(J'ai même lu sur un site " il a fui GAND, juste avant la guerre")
Personnellement , je le considèrerais  plutôt comme un internationaliste révolutionnaire, qui sera d'ailleurs, toute sa vie, proche du communisme dans les combats du XXème siècle          ( antifascisme, Front populaire, Guerre d'Espagne, Résistance) , tout en gardant dans un coin de lui même l'idéal « socialiste libertaire » de sa jeunesse .

DE PARIS A GENEVE , CONTRE LA GUERRE IMPERIALISTE.

De retour à PARIS, en octobre 1914, il se sent extrêmement concerné par les destructions qu'il a vues en BELGIQUE et « ses sentiments s'apparentent à ceux de VERHAEREN », c'est à dire plutôt chauvins anti allemands.
Il participera donc à une revue bimensuelle « LA GRANDE GUERRE PAR LES ARTISTES » qui consacrera un numéro à « LA GUERRE EN BELGIQUE » qui parait en janvier 1915
Mais cette revue , selon VAN PARYS, s'apparente à une « littérature primaire des bellicistes de BERLIN ou de PARIS. »
ROMAIN ROLLAND la définira comme « laboratoire de propagande nationaliste »

Très vite ,sous l'influence aussi de son ami GUILBEAUX (4 ), un des plus déterminés parmi les rares internationalistes français, il comprendra la véritable nature de cette guerre ( au bénéfice des marchands de canon et des usuriers).
Il se rangera dés lors sous la bannière de ROMAIN ROLLAND (5), qui de SUISSE, dénonce les politiciens et les militaires qui, en FRANCE, comme en ALLEMAGNE, ont été les fauteurs de guerre et appelle la jeunesse européenne à mettre fin au fratricide. ( ROMAIN ROLLAND : Au dessus de la mêlée)    http://centenaire.org/fr/texte-1-romain-rolland-au-dessus-de-la-melee
L'écrivain deviendra l'ennemi public n°1, traité de « défaitiste », de « traître à la patrie » .
Mais, il sera proclamé prix NOBEL de littérature 1915.
MASEREEL dira «  J'éprouvai le besoin de me tenir à l'écart ,de ne participer en aucune manière à ce carnage ,et de combattre la guerre. » (voir VAN PARYS  p 49)

Masereel se déplace avec sa famille en Suisse et s'installe à Genève pour exercer une activité pacifiste et révolutionnaire.
Il expliquera dans cet entretien :
"Vorms : Pourtant, il devait y avoir un prétexte plausible pour ce voyage en Suisse.
Masereel : le prétexte était une promesse de Guilbeaux de me mettre en rapport avec Romain Rolland qui acceptait ma collaboration au comité international de la croix rouge.
Vorms : une collaboration déjà organisée ?
Masereel : Oui, Guilbeaux avait déjà tout combiné. Je pouvais passer en bonne et due forme la frontière franco -suisse, et quand j'arrivai à Genève, j'ai fait immédiatement au siège du Comité International de la Croix Rouge la connaissance de ROMAIN ROLLAND.
J 'ai travaillé pendant un certain temps comme traducteur des lettres flamandes, allemandes et autres , écrites par des prisonniers de guerre. (...)
Vorms : Quels étaient vos moyens d'existence matériels à Genève ? Etiez- vous rétribué par le CICR ?
Masereel : Non, je travaillais là volontairement. Mais , j'avais néanmoins quelques moyens personnels "

 Pierre Vorms: Gespräche mit Frans Masereel. Dresden 1967,
http://www.frans-masereel.de/15184_1916.html

VAN PARYS écrit :«C'est à GENEVE que MASEREEL fait pour la première fois de sa vie l'expérience de la pauvreté ;
Son activité à la Croix Rouge étant bénévole, il doit assurer sa subsistance par toutes sortes de petits travaux
Il gagne un maigre salaire, entre autres comme garçon de café, et jusqu'en mai 1919, il vit avec PAULINE et PAULE , sa compagne et la fille de celle ci, sous les combles d'une ferme croulante en pleine ville , avec un jardin à l'abandon.
Pendant 4 ans, son atelier ne sera rien d'autre qu'une petite table devant la fenêtre. »(VAN PARYS  p56) 

 
DEBOUT LES MORTS- RESURRECTION INFERNALE 1917



A GENEVE, Il retrouve HENRI GUILBEAUX qui l'introduit dans les cercles littéraires et politiques des adversaires de la guerre .
Il coopérera à "DEMAIN", la revue internationaliste de Guilbeaux qui parait en janvier 1916;
Cette revue publiera des oeuvres de R. ROLLAND, P.J JOUVE (6), S. ZWEIG (7) et aussi des prises de position contre tous les chauvinismes, français, allemand, italien ou turc.., des articles aussi des bolchéviks dont GUILBEAUX en SUISSE est très proche.
.Lire en partculier le très bon texte de R. ROLLAND ,"Aux peuples assassinés" paru dans "DEMAIN" en novembre  1916
 :http://dormirajamais.org/rolland/
Avec CLAUDE LE MAGUET ( JEAN SALIVES - 8) il participera aussi à la fondation de la revue dirigée contre la guerre "LES TABLETTES" pour lequel il réalisera 47 gravures sur bois de octobre 1916 jusqu'à 1919.
« LES TABLETTES » est surtout animé par l'idéal anarchiste , mais se veut le porte parole du pacifisme internationaliste .
« Le fait que nous ne prenions pas parti, ne signifie pas que le crime laisse froid; nous ne faisons pas de distinction entre les   criminels, voilà tout » écrira JEAN SALIVES.


L'ARTISTE MILITANT : « LA FEUILLE »

C'est dans ce bulletin quotidien édité à GENEVE, que MASEREEL va donner toute la puissance de son engagement internationalise , engagement de classe contre la guerre impérialiste.
Le 1er numéro, paraît le 28 août 1917
« La Feuille présentera un résumé de l'actualité quotidienne...
De la sorte , la rédaction veut combattre la haine et les préjugés, en essayant de révéler la vérité, et porter un jugement impartial sur tous les peuples belligérants sans distinction »
Chaque jour, MASEREEL produit un dessin de première page qui commente l'actualité ;
« Ce n 'est que tard le soir, vers 11 heures, qu'il arrive à la rédaction. Il parcourt vite les journaux, les derniers communiqués et dépêches et dispose alors de 2 heures pour faire son dessin.
La plupart du temps, il s'inspire d'une citation tirée d'un communiqué gouvernemental ou d'un titre de journal, mais il lui arrive aussi de rédiger lui même la légende .
Il devient maître dans l'art de trouver ce que HENRY VAN DE VELDE appelle « une légende lapidaire, cruelle et foudroyante »


Il décrira dans les détails sa technique , qui doit être ultra rapide, puisque le journal doit paraître le lendemain : plaque de zinc , vernie au dos, et plongée 3 à 4 secondes dans un bain d'acide nitrique ; rinçage et séchage au buvard ; dessin à l'encre lithographique plus ou moins épaisse .
Séchage puis fixation par un nouveau bain acide, jusqu'à le dessin apparaisse en relief;nettoyage final à l'essence qui dissout encre et vernis.



« ...l'engagement au sein de « LA FEUILLE » n'est pas sans risque : la façon dont MASEREEL s'attaque aux gouvernements britannique et français parce qu'ils ont saboté la conférence internationale de STOCKHOLM (*) suffit à le faire soupçonner de sympathies pro- allemandes. » *(conférence organisée notamment par CAMILLE HUYSMANS pour rassembler les sociaux-démocrates des 2 camps ennemis)
« ... on verra surgir bien vite des rumeurs selon lesquelles le journal serait financé avec « des fonds boches »
En fait , il s'agit d'une affirmation ridicule, puisque « LA FEUILLE » est interdite aussi bien en ALLEMAGNE qu'en FRANCE. »
Militaristes, nationalistes,colonialistes et fabricants d'armes, tous figureront tour à tour à la Une de « LA FEUILLE »
La ligne politique est très claire : « Pour DEBRIT ( le directeur ) et sa rédaction, la guerre n'est rien d'autre qu'une crise sanglante du capitalisme où l'on sacrifie en masse les ouvriers européens afin de préserver les intérêts de la haute finance et des grands industriels
MASEREEL lui aussi parle d'une affaire purement capitaliste, bien qu'il sache qu'on n'en serait jamais arrivé à la guerre si , en 1914, la IIème INTERNATIONALE avait comblé les espérances et si le réflexe nationaliste des socialistes allemands ne s'était pas avéré plus fort que leur solidarité de classe .»
Dans la ligne radicale des « TABLETTES » et de « LA FEUILLE », l'artiste entreprend alors au printemps 1918 la confection d'un « roman en images » :« 25 images de la passion d'un homme « 
très probablement inspiré de la grève révolutionnaire – fin 1917- dans les usines d'armement de SAINT ETIENNE et du département de la LOIRE et de l'exemple de son dirigeant CLOVIS ANDRIEU (9) 
 
 25 images de la passion d'un homme


« Nous avons assez de la guerre, nous voulons la paix, et pour cela nous n'avons qu'un seul moyen
gagner tous les ouvriers à notre cause, arrêter de fait toutes les usines de guerre et paralyser ainsi la production des outils servant depuis 4 ans à nous entretuer [...]
Nous voulons parler aux Allemands . Nous voulons nous rencontrer avec des délégations ouvrières ennemies et discuter »
Grève politique donc , pour la fraternisation et la paix , durement réprimée .(voir VAN PARYS  pp 61-77)
 25 images de la passion d'un homme

A l'été 1918 , après quelques semaines de repos, puis une très éprouvante attaque de la grippe espagnole, il continue son activité d'artiste révolutionnaire en défendant son ami GUILBEAUX. Proche de LENINE, lui aussi exilé en SUISSE ,celui ci a défendu  les bolchéviks russes et est un des artisans de leur retour en RUSSIE en avril 1917 – la révolution vient d' éclater – en traversant l' ALLEMAGNE en train.
Il est arrêté à GENEVE en juillet 1918, et détenu 6 semaines comme « représentant un danger pour la neutralité suisse »
D'après R. ROLLAND, la vraie raison est de faire taire la seule voix propageant à l'Ouest des informations pertinentes et fondées sur les bolcheviks.
Le 15 novembre, il est à nouveau arrêté à GENEVE et en février 1919, il pourra quitter la SUISSE pour rejoindre l' UNION SOVIETIQUE. Il y acquerra la nationalité russe .
La justice française, quant à elle CONDAMNERA GUILBEAUX  A MORT pour haute trahison sur base de documents falsifiés « prouvant » ses contacts avec l'ambassade allemande à BERNE . !!!
Ce n'est qu'en 1932  (!) que son procès sera révisé et qu'il sera acquitté

15 ANS DE BANNISSEMENT
MASEREEL et ROMAIN ROLLAND

Exilé, de par la volonté du gouvernement belge, MASEREEL  vivra à GENEVE, où il passera , en 1919 , des moments difficiles : soucis personnels, inquiétudes sur d'éventuelles suites de l'affaire GUILBEAUX , saisie par la police française de milliers d'exemplaires de « LA FEUILLE comme propagande bolcheviste ,un sentiment d'isolement à GENEVE , et aussi ...son pays la BELGIQUE :
« Il ne peut éprouver que de la honte pour ses compatriotes lorsqu'il apprend que la Belgique participe à l'occupation de la Rhénanie,qu'elle a annexé les districts frontaliers germanophones d'Eupen Malmedy et qu 'elle refuse de reconnaître l'Union Soviétique.
Il s'indigne de de la campagne de diffamation lancée à Bruxelles contre HENRY VAN DE VELDE et il se révolte contre l'interdiction d'enseigner prononcée à l'encontre de GEORGES EEKHOUD
...
« Mon coeur belge est bien mort dit MASEREEL dans une lettre à ROMAIN ROLLAND, » de temps en temps, il ressuscite et bat faiblement, mais c'est de honte. (14/04/1920)
Il écrit à EEKHOUD :
« Je pense à vous ,quand je pense à mon pays, comme étant le vrai pays. J'aime mieux ne pas parler de ce qu'il est aujourd'hui, c'est trop triste, trop ridicule, et trop dégoûtant. » (20/04/1920)
  voir VAN PARYS  pp 124-125
A la mi-février 1920, il revoit ,enfin, après 5 années de séparation sa famille qui vient à GENEVE
« Cela lui fait d'autant plus de bien qu'ils ne le considèrent pas comme une brebis égarée et qu'ils partagent ses convictions pacifistes. »(voir VAN PARYS  p127)
En août 1920, « LA FEUILLE » devenue hebdomadaire, doit arrêter de paraître.
Par la suite, il s'installera en FRANCE
Concluons par la confrontation finale avec le chauvinisme réactionnaire des patriotards belges, telle que décrite dans l'ouvrage de VAN PARYS.
 
MASEREEL et l'architecte HENRY VAN DE VELDE
 1925 , le grand architecte VAN DE VELDE obtient la permission officielle de rentrer en BELGIQUE.
Il la doit à CAMILLE HUYSMANS, ministre socialiste des Sciences et des Arts qui lui demande d'enseigner à la nouvelle section néerlandophone de l'Université de GAND, et de fonder un Institut Supérieur des Arts décoratifs à BRUXELLES ( ISAD)
La presse bruxelloise cocardière déclenche une campagne de diffamation pour empêcher sa nomination, le considérant comme « un ami des pacifistes et un collaborateur. », et oubliant que sa famille avait été retenue en otage jusqu'en 1918 en ALLEMAGNE , où on jetait des pierres à ses enfants 
C'est ALBERT I qui tranche , en lui confiant les plans de la villa royale de LOMBARDSIJDE.


Mais en ce qui concerne MASEREEL, l'establishment tient bon:
« A BRUXELLES, on lui tient fortement rigueur de son insubordination vis à vis du consul belge de GENEVE et de ses satires pacifistes dans « LA FEUILLE » 
Preuve à mon sens, que l' accusation de désertion , en 1917 – 3 ans après ses démarches à GAND était avant tout une punition politique pour son activité internationaliste.
"Sans doute, ses sympathies communistes compliquent elles les choses , puisque dans la BELGIQUE des années 20, l'anticommunisme acharné empêche jusqu'à la reconnaissance de l'Union Soviétique , demandée pourtant par par le ministre socialiste VANDERVELDE au Parlement."
En 1927, VANDERVELDE ne voit qu'une possibilité pour permettre à MASEREEL de retrouver un passeport et le droit de revenir au pays : SE LAISSER CONDAMNER COMME REFRACTAIRE, tout en recevant la garantie, que par la suite l'affaire s'arrangera. !!!
AUTOPORTRAIT
MASEREEL refuse de se prêter à ce compromis à la belge.
C!'est en 1929 – plus de 10 ans après l'Armistice, que sera adoptée la loi du 19 janvier 1929, sur  « l'extinction des poursuites répressives et des peines relatives à certains crimes et délits commis entre le 4 août 1914 et le 4 août 1919 »
Cette loi s'applique également aux « récalcitrants et réfractaires faisant partie des contingents appelés pendant la guerre ».
MASEREEL a son passeport en poche !!! Mais on lui fait comprendre de ne pas faire de publicité à ce « non lieu » pour éviter les réactions des patriotards ; le triomphalisme cocardier ne s'est pas encore apaisé.
La bourgeoisie francophone, en particulier, multiplie les manifestations de patriotisme grotesque.
En plus, le gouvernement belge peut encore limiter sa liberté de voyager pendant 5 ans.
C'est ainsi qu'en 1934, alors qu'il voulait aller en UNION SOVIETIQUE « la douce et bête BELGIQUE » lui refusera l'autorisation !!
Enfin une semaine après avoir obtenu son passeport , il passe 15 jours à GAND ; et il y reviendra deux fois en 1929.
Après toutes ces années – 15 ans – il ressentira le besoin de s'immerger dans les paysages printaniers et automnaux de sa jeunesse, la région de la LYS, la vallée de l' ESCAUT , le littoral flamand.
( voir VAN PARYS pp 248-250)

(1) AUGUST VERMEYLEN  ( Bruxelles  1872 - Uccle 1945,)     homme politique socialiste, historien de l'art et écrivain belge d'expression néerlandaise.
http://www.dbnl.org/tekst/_jaa003194601_01/_jaa003194601_01_0015.php
(2) HENRY VAN DE VELDE peintre, architecte, décorateur et enseignant des Arts  belge, considéréc, avec HORTA, comme un des pères de l'ART NOUVEAU (1863- 1957)
 http://www.kmkg-mrah.be/sites/default/files/files/vdv_edu_fr_20_corr.pdf
(3) EDUARD ANSEELE
http://www.ateliers-memoire-roubaix.com/pour-aller-plus-loin-avec-edouard-anseele/
(4) HENRI GUILBEAUX  ami de MASEREEL et parmi les rares internationalistes français en 1914, ami de LENINE, puis virera dans les années 30 à l'anticommunisme..

http://www.pierrejeanjouve.org/Jouve-Dictionnaire/Jouve-G/Jouve-Dictionnaire-Gu-Henri_Guilbeaux.html 
(5)ROMAIN ROLLAND 1886-1944 écrivain français (Prix NOBEL 1915), l'âme intellectuelle de la lutte contre la guerre , sera proche du parti communiste dans les années 20-30

 http://www.universalis.fr/encyclopedie/romain-rolland/1-une-dimension-interieure/
(6) PIERRE JEAN JOUVE écrivain, poète, romancier et critique français (1887-1976).
 voir dans biographie ci jointe: "1914-1918 LA GUERRE ET LE PACIFISME"
 http://www.pierrejeanjouve.org/Jouve-Biographie/Jouve-Un_Parcours_biographique-1887-1920-Premiere_vie.html
(7)STEFAN ZWEIG: écrivain autrichien, 1881 -1942 proche de MASEREEL et de R. ROLLAND, pacifiste à partir de 1915
http://www.utb-chalon.fr/media/files/Groupes_de_travail/Goupe_litterature/BIOGRAPHIE%20DE%20STEFAN%20ZWEIG%20%20%20%20ld.pdf 
(8)JEAN SALIVES 
http://www.pierrejeanjouve.org/Jouve-Dictionnaire/Jouve-T/Jouve-Dictionnaire-Ta-Les_Tablettes.html
(9) CLOVIS ANDRIEU leader anarcho -syndicaliste des usines de la LOIRE, un prochain "UOMINI CONTRO ?
http://www.forez-info.com/encyclopedie/histoire-sociale-de-la-loire/15896-lhistoire-de-clovis-andrieu.html

jeudi 9 octobre 2014

1914 -1918 UOMINI CONTRO : GEORGES EEKHOUD CLOUE AU PILORI


                      Le 21 février 1920 , la revue progressiste française « CLARTE », créée autour d 'HENRI BARBUSSE, publie une nouvelle du grand écrivain belge (flamand d'expression française) GEORGES EEKHOUD,  « DES HOMMES »  : ce texte rend hommage à six soldats allemands , fusillés à BRUXELLES pour avoir eux-mêmes refusé de fusiller des otages belges.
Cette publication est accompagnée d'un hommage à EEKHOUD présenté dans la série « Les grandes figures de l'Internationale », que la revue consacre à des personnalités comme GORKI, LIEBKNECHT , ROMAIN ROLLAND, JOHN REED, BERTRAND RUSSEL,  LENINE  etc. (1)
(sur CLARTE voir: 



DES HOMMES !


A Léon Bazalgette.
C'est au Tir National de Bruxelles que les Allemands fusillèrent nombre de Belges convaincus d'avoir entretenu des intelligences avec les Alliés. Et la liste de ces victimes est longue. On les a exhumées pieusement pour leur faire d'imposantes funérailles nationales. Journaux et orateurs ont exalté leur courage, leur patriotisme, leur talent, leur adresse et leur ingéniosité d'informateurs. Rien de mieux ; rien de plus juste. Je m'associai de grand coeur à ces témoignages d'admiration.
Mais en lisant les articles dévolus à ces braves, il m'arriva de tomber sur un alinéa où l'on faisait entendre, sommairement et presque négligemment, qu'à côté de ces patriotes dont le journal ne se lassait de publier les noms et de ressasser les états de service et les titres à notre reconnaissance, avaient été enfouis une demi-douzaine et peut-être plus, de soldats allemands —oui, des Allemands que leurs propres compatriotes avaient passé par les armes parce qu'ils refusèrent de faire l'office de bourreaux !
Le journal n'en disait pas davantage sur le sort de ces fusillés allemands. C'est à peine s'il les félicitait. Il ne citait pas leurs noms, à ceux-là. Mettons qu'il les ignorait. Et à supposer qu'il les eût connus, sans doute ne les eût-il pas jugés dignes d'être mentionnés. Il est probable que leurs compatriotes même, les avaient voués comme odieux et méprisables à l'obscurité et à l'anonymat... 
On les avait jetés dans une sorte de fosse commune. Voués pour jamais à l'oubli, au néant...
Pour ma part, j'avouerai que le paragraphe ou ne peut plus laconique enregistrant cette insubordination de soldats allemands et le châtiment qu'elle leur avait valu, m'arrêtèrent dans ma lecture pour me plonger dans des méditations à la fois douloureuses et consolantes.
(...)
Ah ! quel courage, quelle volonté, quel caractère autrement résolu, il leur avait fallu à ces héros obscurs pour aller au-devant du trépas, pour le choisir, le conjurer, le préférer à la vie !
(...)
Si l'on songe aux atrocités commises par les soudards dans tant de nos cités et de nos villages, à quelles extrémités cette écume du militarisme ne se livra-t-elle pas sur des transfuges chez qui l'uniforme n'avait pas étouffé tout sentiment d'humanité !
Crachats, coups de pied, et le reste... Songez à Aerschot, à Tamines, à Gelrode...
On tenta préalablement de les faire revenir sur leur incroyable détermination. On feignit d'attribuer leur rechignement à une pusillanimité passagère, à une réaction nerveuse, à une crise de sentimentalisme indigne d'un mâle, d'un dur à cuire. Cette faiblesse ridicule leur passerait. Ils finiraient par se faire une raison comme les autres et par se résigner aux inéluctables nécessités de la discipline. Certes, il répugne à un vrai soldat d'être réduit à devoir descendre froidement des civils, des hommes désarmés, de faibles femmes !
Mais ces civils n'ont-ils pas contribué à compromettre le succès des armées allemandes ?
(...)
Puis, pour ces exécutions, le soldat n'est qu'un instrument de la loi martiale. Il n'encourt aucune responsabilité.
Menaces, sophismes, tentatives de persuasion ou d'intimidation ; rien n'eut de prise sur ces âmes droites, butées dans leur foi humanitaire !
Nos réfractaires tinrent bon...
(...)
Hélas, ils n'auront peut-être même pas connu la sympathie, le remerciement fraternel, la gratitude de ceux dont se détournaient leurs fusils !
N'importe. Ils auront éprouvé la suprême volupté des grands stoïques, des confesseurs sublimes : celle d'avoir tout un monde contre eux, de se sentir menacés par tout un océan de préjugés et d'erreurs — mais de se savoir seuls justes, d'être seuls à avoir raison contre tout un monde.
(...)
Qui les guide, qui les inspire ? Le seul amour de l'humanité.
Encore une fois, nul plus que moi, n'admire les fusillés belges du Tir National— le Tir National, quelle sinistre ironie dans ce nom ! quelle cible patriotique que ces coeurs et ces poitrines ! —
 Nul ne lira et relira leurs noms avec plus de piété, nul ne rendra hommage plus fervent à tant de beaux Belges !
Mais c'est pourtant à vous, soldats de l'ennemi, que je songe peut-être avec plus de solidarité et de communion encore. Eux, les nôtres, savaient que les attendaient la gloire, la reconnaissance de tout un peuple. Désormais l'immortalité serait acquise au moindre de leurs noms. Tandis qu'à vous les pauvres, répudiés ou méconnus, ne demeure que l'approbation de votre conscience !
Des nôtres furent de vrais Belges, vous fûtes, vous, de vrais Hommes !
Des hommes comme j'en souhaite à l'Humanité future, au monde nouveau, à un univers de chaleur cordiale et de spirituelle clarté...
Oui, les Six ou les Sept, — on ignore même jusqu'à leur nombre, mais ils représentent tout de même un formidable total — vous fûtes de dignes Allemands de la patrie de Schiller, de celui qui chanta avec Beethoven, la fraternité des peuples en son « Ode à la Joie ».
C'est à pleines gerbes que je voudrais répandre des fleurs sur votre fosse commune et en baisant les lèvres de vos plaies, j'exalterais un des plus beaux gestes de protestation et d'exécration que le véritable courage osa dresser contre la Guerre !(2)

 PACIFISTE ET CHASSE DE L'ENSEIGNEMENT
 La Grande Guerre sépare les écrivains belges de langue française en deux tendances distinctes. Les uns,é crivains des tranchées ou propagandistes de la cause belge dans les pays neutres soutiennent le propos officiel, patriotique et nationaliste, qui veut la défaite  complète de l'Allemagne et exige les réparations dues au vainqueur; les autres qui vivent l'occupation au quotidien, abandonnent progressivement tout sentiment de vengeance en s'attachant plutôt à dénoncer les causes du conflit et le bellicisme des responsables économiques ou politiques qui le poursuivent.

Parmi ces écrivains pacifistes, le prestige de ROMAIN ROLLAND est immense, parce qu'il a dénoncé la guerre et les antagonismes nationaux au nom de l'indépendance de l'esprit.
Celui d' HENRI BARBUSSE, l'auteur du "FEU, premier roman réaliste sur la vie des tranchées, n'est pas moins considérable.
Ces deux noms sont à l'origine du large courant d'opinion qui mobilise les intellectuels contre la guerre et contre la société qui en était responsable.
Le mouvement CLARTE , avec son organe homonyme canalise l'expression publique  de leur révolte" (3)
Alors que EMILE VERHAEREN et MAURICE MAETERLINCK font partie des premiers,
EEKHOUD, lui,  fait partie des seconds, et, à la fin de la guerre, il est au centre d'une affaire d'interdiction professionnelle .
Pendant la guerre, il était resté à Bruxelles, et avait d'abord, comme tous ses compatriotes, mis de côté ses programme pacifiste et internationaliste".(4)
"Ce qui lui est surtout reproché après la guerre,c’est d’avoir accordé une interview au journal censuré , donc paraissant sous contrôle allemand « LA BELGIQUE » paru le 5 septembre 1917(n°1009), dans laquelle il s’est montré favorable en principe à une université flamande à Gand,et n’a pas pris clairement position vis-à-vis de l’attitude des «activistes » et des«passivistes»."(5)
 "J'ai défendu l'idée d'une Université flamande à Gand, à Bruges ou dans toute autre ville des Flandres ; l'établissement des cours techniques flamands et la connaissance par mes compatriotes des deux langues française et flamande.
Quant aux bruits répandus, activiste ou passiviste, ils doivent être démentis. »
ROMAIN ROLLAND:
Manuscrit de la DECLARATIOJN D' INDEPENDANCE DE L'ESPRIT"
 et  LETTRE A EEKHOUD:
"C'est un appel aux esprits libres, - s' il en est encore. (Il en est encore!) - pour affirmer 
leur indépendance, à la face de l'oppression et de la servitude quasi-universelles.
 Il me semble que vous devez sympathiser avec nous..Il y a longtemps que
 j'aime et admire votre art  et la vie puissante de votre oeuvre.
Je suis heureux d'avoir enfin trouvé cette occasion de vous le dire".

Suite à cette déclaration,  pourtant  modérée, il sera forcé de démissionner, en décembre 1918, des cours de littérature qu'il donnait à l' ACADEMIE DES BEAUX ARTS de BRUXELLES et dans les deux écoles normales pour instituteurs ( filles et garçons) de la VILLE DE BRUXELLES. 

Il décrira dans son journal ces journées:
"Ces représailles, ces vindictes que nous appréhendions, conséquence de la tyrannie de l'occupation... nous menacent d'une terreur "patriotique" après la terreur "boche".
L'inquiétant, c'est que ce sont les journaux , et encore parmi les plus modérés qui donnent le ton et qui par la violence , le frénésie de leurs articles de "Joyeuse rentrée"flattent les pires instincts de la foule "(19 novembre 1918)
"...   je ne crois pas que l'unanimité, la concorde, la trêve des partis soient aussi complètes que les journaux nous le feraient croire.L'esprit révolutionnaire, ou du moins républicain, gagne jusque dans les couches bourgeoises et moyennes"(21 novembre 1918)
"A présent que les Boches sont partis, on n'est pas loin de me rendre complices des activistes, quelque catégoriques qu'aient été mes déclarations .... Ah ;; la patriotarderie!"
...j'en ai plus qu'assez de cet abominable monde de cafards et de doctrinaires qui en veulent à un esprit libre,à l'anarchiste intellectuel et érotique, au disciple de DIDEROT, au libertaire" (22 nov.)
"C'en est fait. L'iniquité est consommée. On m'a forcé à donné ma démission de professeur...
Ah! Il est joli le régime patriotique"(27 décembre 1918) (6)



L'interview en période de guerre (1917) apparaît vite comme un prétexte venant de la droite la plus chauvine et nationaliste.
Un comité de soutien franco- belge se met en place . ENSOR, EMILE VANDERVELDE, et de FRANCE, ROMAIN ROLLAND et HENRI BARBUSSE prennent sa défense.
EEKHOUD faisait partie du comité international de CLARTE et avait signé l' Appel de ROMAIN ROLLAND : « DECLARATION D'INDEPENDANCE DE L'ESPRIT »
En 1919, il aurait aussi collaboré à « L'EXPLOITE » le journal de l'aile radicale et internationaliste du POB, menée par JOSEPH JACQUEMOTTE. 
 
La cheville ouvrière de ce comité est un avocat RAOUL RUTTIENS qui donne le 1er février 1920 une conférence à « LA MAISON DU PEUPLE » dans le cadre du CERCLE BRUXELLOIS D' EDUCATION  OUVRIERE »
Le sujet est « GEORGES EEKHOUD CLOUE AU PILORI »
Cette conférence sera reprise par la suite dix fois à BRUXELLES, deux fois à ARLON, à GAND, et à LIEGE et une fois à MOLENBEEK, à LAEKEN et à MONS.
La revue littéraire « LE GESTE » la publie intégralement en mars 1920.
C'est un mouvement étudiant massif qui est à l'origine de ces manifestations de soutien.
EEKHOUD dans une lettre  à ANDRE  BAILLON, écrit :    « ... l'origine de ce groupement ? Mes anciens élèves de l' ACADEMIE DES BEAUX ARTS, de l' UNIVERSITE NOUVELLE, et des ECOLES NORMALES qui tinrent à me confirmer et à ma prouver leur estime et leur affection en dépit des profiteurs et des embusqués du patriotisme »
Ses élèves de l' ACADEMIE DES BEAUX ARTS (dont RENE MAGRITTE)  exigent son  retour.
Les élèves de l' ECOLE NORMALE lui écrivent une lettre de soutien.
Ce mouvement culmine le 27 mars 1920 avec un une « manifestation démocratique et artistique" au THEATRE LYRIQUE de SCHAERBEEK.
La salle était comble le public divers par sa fonction sociale :ouvriers, bourgeois, artistes et par ses opinions politiques ( flamingants, internationalistes, belges (!)
«  A travers EEKHOUD, les jeunes rassemblés autour de lui, honorent à la fois une figure importante de la littérature « belge » du XIXème siècle, et un homme capable d'apporter une réponse personnelle et généreuse aux problématiques d'immédiat après guerre.
Cet idéal pacifiste et internationaliste touche des individus de milieux très divers.
Politiquement, on trouve toute la gamme des « progressistes », socialistes, futurs militants communistes, représentants de la tendance « individualiste- anarchiste » mais aussi démocrates chrétiens.
Sur le plan artistique et littéraire, certains représentent l' expressionnisme ( KURT PEISER, MAGRITTE à l'époque) certains illustreront le modernisme....le surréalisme ; d'autres la littérature prolétarienne (AYGUESPARSE, TOUSSEUL)
Il n'est pas indifférent de noter que des représentants de ces différents mouvements se sont retrouvés un moment, solidaires d'une même cause. »
PORTRAIT DE G.EEKHOUD par MAGRITTE
"A l'Armistice, il est perçu comme représentant de la liberté de pensée et comme défenseur d'une idée généreuse en faveur d'un idéal internationaliste, par dessus les horreurs de la guerre.

En cela , il offre une alternative à l'aveuglement patriotique et au nationalisme étroit" (7)

La « victoire » du mouvement sera la réhabilitation de fait de l'écrivain , quand  JULES DESTREE , alors Ministre des ARTS et des SCIENCES ,le fit intégrer par le ROI ALBERT, en août 1920, à son ACADEMIE ROYALE DE LANGUE ET DE LITTERATURE  FRANCAISE, nouvellement créée.
Il ne retrouvera néanmoins pas ses chaires  professorales de la Ville de Bruxelles.
A sa mort , MICHEL DE GHELDERODE écrira, sous le pseudo BABYLAS, dans la revue "d' avant - garde"    "HARO":

"Pour avoir clamé sa conscience au dessus du honteux masscre 14-18 et des Brabançonnes avec accompagnement obligé, pour avoir librement parlé en ce pays vendu où l'imbécile moyen a le droit de s'exprimer selon les gazettes à sa solde , EEKHOUD, vieux et volontaire , s'est vu classer au rang paria de l'indésirable, confondu parmi les marchands de savon, les activistes, les souteneurs. Mieux, on lui a pris son pain.
...
Je me souviens, EEKHOUD, de ce soir de "GRANDE GUERRE", moins grande que votre indignation d'Européen, d' homme bon, d' homme fier, moins grande que votre douleur et votre dégoût, je me souviens  de ce soir étrangement illuminé où nous apprîmes que la révolution venait d'éclater dans la blanche RUSSIE. Je vous ai vu, vieillard, pleurer plein d'émotion !  
Les hypocrites vous inhument.Mais vous êtes dans l'univers cosmique. 
Il n' y a pas de tombeau pour les hommes de votre taille" (8)
cité dans " EEKHOUD LE RAUQUE"  - LUCIEN MIRANDE édition SEPTENTRION 1999 p194

PRINCIPALES DATES DE LA VIE D'UN ECRIVAIN ENGAGE
27 mai 1854 : naissance à ANVERS dans une famille de la vieille bourgeoisie anversoise.
1888: Publication de "LA NOUVELLE CARTHAGE" Il dépeint la bourgeoisie anversoise dont il est issu. Il oppose de manière tragique les enjeux capitalistes à la misère des usines. Son héros, Laurent Paridaens, écrivain anticonformiste, n'apprécie ni les goûts ni l'absence de sens de la justice des siens et se tourne vers le peuple. Eekhoud fait l'éloge des ouvriers, des marginaux et de ceux que l'époque considère comme des parias .Son livre est le premier plaidoyer littéraire important pour l'homosexualité.
Eau forte pour  "LA NOUVELLE CARTHAGE" par KURT PEISER
1891: Adhère à la Section d'Art et d' Enseignement de LA MAISON DU PEUPLE
1894:  est nommé professeur de littérature à l' UNIVERSITE NOUVELLE: issue d'une scission de l'ULB, suite à l'interdiction d'enseigner du grand géographe ELISEE RECLUS, accusé d'anarchisme.
1895:  Fonde la revue "LE COQ ROUGE" avec VERHAEREN et MAETERLINCK, en opposition politique et littéraire à "LA JEUNE BELGIQUE"
1899- 1900:  Parution d' ESCAL-VIGOR : un des premiers romans modernes qui traite de l'homosexualité , et en particulier, l'amour entre hommes. Le livre fait scandale et est poursuivi pour atteinte aux bonnes moeurs. Il  sera acquitté par la Cour d'Assises de BRUGES en octobre 1900.   Une pétition avait rassemblé les noms de GIDE, ANATOLE FRANCE, LEON BLUM, EMILE ZOLA. Il était aussi soutenu par VERHAEREN et MAETERLINCK.
1903: nommé professeur de littérature à l'école normale
1913 : Collabore à "En l'honneur de la grève générale" - album du 1er mai"
1914-1920  voir article ci dessus
1927 Meurt à SCHAERBEEK en  libre penseur.

NOTES

(1) Clarté 1919-1924 (Tome I), Du pacifisme à l'internationalisme prolétarien - Itinéraire politique et culturelALAIN CUENOT

 (2) Cette nouvelle sera ensuite publiée dans le recueil « DERNIERS KERMESSES » - Edition de la SOUPENTE – 1920.

(3) P. ARON "PORTRAIT DE L'ARTISTE EN CHAPEAU MOU ET LAVALLIERE - TEXTYLES N°6  NOV 1989 pp10-12
http://textyles.revues.org/1741
(4) P. ARON "PORTRAIT DE L'ARTISTE EN ...pp 10-12 
(5) Le récit de cette période est relaté en détail dans
 "Entre modernisme et avant-garde. Le réseau des revues littéraires de l'immédiat après-guerre en Belgique (1919–1922 )
Thèse de doctorat  de DAPHNE DE MARNEFFE -   ULg 2007pp96-105
http://bictel.ulg.ac.be/ETD-db/collection/available/ULgetd-09292007-212823/unrestricted/02These_DdeMarneffe.pdf
(6) extraits de "LE JOURNAL DE GUERRE DE GEORGES EEKHOUD (1914-1920)  LUCIEN MIRANDE dns "LETTRE OU NE PAS LETTRES" presses Université de LOUVAIN  pp 149-159  
(7) Thèse de doctorat  de DAPHNE DE MARNEFFE  D. DE MARNEFFE op cité

  (8)cité dans " EEKHOUD LE RAUQUE"  - LUCIEN MIRANDE édition SEPTENTRION 1999 p194