mercredi 23 avril 2014

VALLEE DE LA MEUSE, VALLEE DE LA MORT : LE BROUILLARD D'ENGIS ( DEC.1930)



DECEMBRE 1930 : LE « BROUILLARD » D' ENGIS TUE PLUS DE 60 PERSONNES. 
 
En préparant l' exposition montée en collaboration avec le cercle archéologique d' AMAY , présentée le 29 mars 2014, j' ai retrouvé les documents sur la grave catastrophe « atmosphérique » qui a fait plus de 60 morts et 300 blessés, dans notre région au début décembre 1930
Souvent appelée « le brouillard d' ENGIS » ,cette catastrophe industrielle due à la pollution atmosphérique, sert souvent de référence ,de cas d'école, dans les études scientifiques sur la pollution de l'air .
A noter que les études les plus complètes sont le fait d'un chercheur hollandais ED. BUIJSMANS et d'un chercheur BENOIT NEMERY de la KUL.
Ce qui est étonnant, c'est qu'elle soit pour ainsi dire oubliée dans les supports de la mémoire collective, (presse, radio, activités communales , écoles , ULg etc.)
BHOPAL en INDE ou SEVESO en ITALIE sont plus connus et cités chez nous que ENGIS.
Peut être, parce que le ventre est encore fécond , qui a engendré la mort : la soif de profits financiers immédiats passant avant la sécurité et la santé des travailleurs et de la population.
Dans une région qui compte 5 usines classées SEVESO -seuil haut-, et une centrale nucléaire , il vaut mieux chanter « tout va très bien, Mme la Marquise » et jouer au golf , que de faire revivre les victimes de décembre 1930.
BHOPAL et FUKUSHIMA sont loin ; « ENGIS » est présent dans chacun de nos villages, de AMAY à JEMEPPE.
Et pourtant , cette région est le bastion en Belgique de "l'écologie politique"...                           ECOLO y a fait – à HUY-WAREMME – aux élections régionales de 2009, le score de 25,65% !

Bien sûr , depuis 1930, des mesures ont finalement été prises pour contrôler la qualité de l'air, en particulier à ENGIS, considérée toujours aujourd'hui comme la commune la plus polluée de BELGIQUE.
Notons qu'il a fallu attendre 1968 – 38 ans après la catastrophe, pour mettre en place un réseau national de 200 stations de contrôle des taux de dioxyde de soufre et de « particules noires » !!
Il n'empêche, nous avons dans la région, une centrale nucléaire avec un réacteur à la cuve « micro-fissurée » et un autre qui va dépasser les 40 ans d'âge , jusqu'à il y a peu, maximum admis par la loi ; une poudrerie où les accidents graves se multiplient (avec mort d'homme en 2013) ; une usine chimique surveillée pour ses émissions en particules fines.
La sécurité et la santé des travailleurs et de la population sont aujourd'hui plus que jamais à l'ordre du jour .

INVERSION DE TEMPÉRATURE
Du 1er au 5 décembre 1930 , un épais brouillard règne sue toute la vallée mosane , de JEMEPPE SUR MEUSE A HUY.
La vallée est large de 1 à 2 km, mais assez profonde ( 60 à 80 m)
La pression atmosphérique était haute , autour de 1030 mbar ( conditions anticycloniques) et il y faisait froid  (juste au dessus de 0°C le jour, et – 10°C la nuit)
Il n'y avait quasi pas de vent : une faible brise d'est de 1 à 3 km/h
LA VALLEE  DE LA MEUSE connaît une inversion de température
Elle se fait à 80 m de hauteur, alors que les cheminées des usines font maximum 70 m.


" L'air le plus chaud est normalement le plus près du sol, mais quand il se trouve au-dessus d'une couche d'air plus froid (plus lourd) on dit qu'il y a une inversion de température. Dans ce cas, la masse d'air qui se trouve près du sol (plus froid et plus lourd) ne peut s'élever et se disperser dans l'atmosphère.
Dans tous les cas, le résultat est une masse d'air froid piégée sous une masse d'air plus chaud. Le phénomène d'inversion peut durer de quelques heures à plusieurs jours, voire des semaines.
L'inversion de température est un phénomène naturel qui habituellement n'engendre pas de conséquences néfastes. Cependant, si une inversion se produit dans une grande ville polluée, cela peut avoir des effets désastreux. Dans ce cas, les substances polluantes sont piégées et s'accumulent sous l'inversion, car il n'y a pas de brassage vertical. C'est précisément ce qui s'est passé à Londres en 1952 lors d'une inversion qui a duré 9 jours. En 4 jours seulement, plus de 4 000 personnes en sont mortes.
Dans la figure ci-dessous, la cheminée se trouve sous la couche d'inversion de température. La fumée qui s'échappe de la cheminée est freinée par la couche d'air chaud et stable en altitude et se rabat vers le sol. Dans une telle situation, l'air de la couche inférieure a tôt fait de se charger de polluants. On appelle smog le brouillard de pollution ainsi créé." http://galileo.cyberscol.qc.ca/intermet/temperature/inversion.htm
   


COMME UNE EPIDEMIE DE BRONCHITE

"Les cas de maladie ont commencé le 3 décembre, 2 jours après le début du brouillard, et en quelques heures ils ont atteint leur sommet. Ils ont commencé en même temps dans toute la vallée.
Après le 5 décembre, il n'y a plus eu de nouveaux cas, et le 6, le brouillard avait disparu.
« Le principal symptôme chez les victimes, c'est l'insuffisance respiratoire, soit sous formes de crises de type asthmatique avec une respiration laborieuse, soit sous forme de respiration haletante continue ( polypnée)
En plus, il y a des quintes de toux avec crachements écumeux, puis visqueux.
Les cas de décès sont marqués par une insuffisance circulatoire, avec un pouls rapide , mais faible , la pâleur ,et une augmentation de la faiblesse cardiaque.
A noter aussi des changements dans le ton de la voix, l'aggravation de l'enrouement, des nausées et vomissements et le larmoiement.
L'examen au stéthoscope montre des symptômes de bronchite » (d'après le rapport de la commission FIRKET)
Le bétail , aussi devint malade, avec les symptômes suivants : respiration accélérée et superficielle,emphysème aigüe , cyanose des muqueuses, et parfois la mort.
Les oiseaux et les rats mouraient aussi. "
Le gouvernement JASPAR II ( catholique – libéral) installera le 12 janvier 1931une commission d'expertise judiciaire dirigée par le Dr JACQUES FIRKET :
« Sur les causes des accidents survenus dans la vallée de la Meuse, lors des brouillards de décembre 1930 » 





« Je suis ici pour défendre les ouvriers et ouvrières de Belgique! »      JOSEPH JACQUEMOTTE député communiste A LA CHAMBRE,  SE FAIT LE PORTE PAROLE DES FAMILLES DES VICTIMES ( 7 juillet 1931)

En juillet 1931, soit 7 mois après le drame, le Parlement a mis à l'ordre du jour l'interpellation du député JACQUEMOTTE . Le gouvernement a changé , c'est le gouvernement RENKIN,mais le même ministre charge du Travail Hendrik HEYMAN.

« Messieurs, le vendredi 5 décembre 1930, à Engis, par un temps couvert et froid, une ménagère d'une soixantaine d'années vaque à ses occupations, sort de sa maison, ressent brusquement à la gorge une insoutenable brûlure et immédiatement après une sensation d'étouffement. Elle rentre chez elle, s'alite, et meurt quelques heures après.
Ce fait ne reste pas isolé. Des centaines et des centaines d'hommes, de femmes, d'enfants, habitant la vallée de la Meuse ressentent les mêmes symptômes, sont victimes du même mal inconnu. Soixante-douze d'entre elles meurent dans les 48 heures; plus de 300 échappent à la mort mais conservent en elles les traces du mal. Des centaines de bêtes à cornes sont brusquement frappées de mort dans les étables.
Cette catastrophe soulève l'émotion dans toute la région, dans le pays entier et même au delà des frontières.
Le mardi 9 décembre, le chef du gouvernement prononce à la Chambre un discours dans lequel il constate le sinistre, le nombre considérable de décès qui a été enregistré et il ajoute qu'il croit répondre au désir de la Chambre en réitérant aux familles des victimes les condoléances que le gouvernement leur a fait exprimer dès le lendemain de la catastrophe. La communication gouvernementale dit aussi que les mesures sont prises pour enquêter au sujet de cet événement.
Les morts habitaient les communes de Hermalle-S-Huy, Engis, La Maillieu, Flémalle-Grande, Flémalle-Haute, Vierset, Ivoz-Ramet, Seraing, Jemeppe, Ougrée.
Des médecins donnent leur opinion à propos des conditions qui ont pu déterminer une telle catastrophe. Si le sujet n'était pas aussi grave et aussi dramatique, nous pourrions, à l'occasion de la consultation des nombreux praticiens qui ont donné leur avis à ce propos, faire de l'ironie et nous en référer à l'opinion de ce docteur d'une pièce de théâtre qui, consulté sur la situation physique d'une jeune fille qui ne voulait pas parler, commence à expliquer qu'elle a mal aux jambes, qu'elle a des rhumatismes, que l'estomac ne fonctionne pas bien,, que le cœur n'est pas à sa place, etc., que le foie ou la rate ne sont pas en bon état, pour conclure que pour toutes ces raisons « votre fille est muette ».
  1. Lacombe, médecin à Liège, a exprimé l'avis que « c'est le brouillard dense qui est responsable, parce que les personnes décédées étaient déjà malades ».
M. Truibal, directeur général au département de l'hygiène, considère que « les morts sont dues à des affections de poumons subitement aggravées par la densité exceptionnelle du brouillard ». Il ajoute que l' opinion générale est qu'il s'agit des méfaits du brouillard et qu'il faut exclure l'hypothèse de la présence de gaz délétères émis accidentellement ou volontairement par des usines »
Suit à la CHAMBRE un débat sur l'origine de la catastrophe. Joseph Jacquemotte met en cause une usine de produits chimiques à TILLEUR et parle de la participation de la Belgique à la préparation de la guerre impérialiste , y compris par des gaz toxiques, produits en cachette.
Il interpelle aussi le gouvernement :
«  Je désirerais également que le gouvernement nous renseigne sur les mesures qui ont été prises pour indemniser les familles des Victimes et les personnes auxquelles la catastrophe a causé des dommages matériels. A combien s'est élevé le crédit que le gouvernement a utilisé pour l'indemnisation des familles des victimes, et pour l'indemnisation des personnes ayant subi des dommages matériels? A combien de familles ces indemnités ont-elles été allouées. »

LE GOUVERNEMENT (HEYMAN) : PAS D'INDEMNISATION DES VICTIMES
Je réponds qu'il ne peut être question pour l'Etat d'intervenir dans l'indemnisation des familles des victimes ou des personnes ayant subi des dommages matériels.
Les articles 1382 et 1383 du Code civil prescrivent que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et que chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence et par son imprudence.
C'est aux tribunaux qu'il appartient de se prononcer sur la question des indemnités à allouer.

« Une telle réponse est une injure aux victimes. C'est scandaleux. »                        JOSEPH JACQUEMOTTE député communiste
Pour ce qui est de l'indemnisation des familles des victimes, M. le ministre fait comme Ponce-Pilate Il s'en lave les mains! Des pères de famille sont décédés, des épouses sont décédées, des familles ont été mises dans la misère à la suite de la catastrophe. Le ministre très chrétien de l'industrie et du travail prend la savonnette et dit : « Article 1382 du Code civil; voyez qui est responsable! Moi je n'en sais rien! »


LES RESPONSABILITES Beaucoup d'encre a coulé sur les causes de cette catastrophe , qui semble avoir surpris tout le monde.
Pourtant, il y avait déjà eu dans la même région des avertissements : «.. dans les 40 ans avant la catastrophe, des conditions météorologiques comparables ont été réunies au moins 9 fois ; et en janvier 1911, un épisode de pollution a conduit à la mort d'animaux, à des cas sérieux voire mortels ,dans la population. »
Les hypothèses les plus folles ont été répandues dans la presse, de l'attaque aux gaz toxiques de combat (1914-1918) n'est pas loin, à l'action de virus transportés par la tempête depuis le Sahara !!!






L'explication mise en avant par la commission FIRKET, c'est l'action des gaz polluants émis par les exploitations industrielles et principalement le dioxyde de soufre( SO2) provenant de la combustion du charbon riche en soufre.
La Vallée de la Meuse est une vallée qui regroupe de OUGREE à HUY, 27 grandes usines qui utilisent à large échelle le charbon ,ou le coke provenant du charbon, comme combustible.
Parmi elles les fours à coke et les hauts fourneaux, à OUGREE , SERAING, FLEMALLE , les usines à Zinc à ANTHEIT, FLONE, ENGIS, HOLLOGNE, les centrales électriques etc.
Aucune n'avait mis en place des moyens ( ne fut ce que des cheminées suffisamment hautes) pour éviter la pollution de l'air par les gaz de combustion du charbon.
Aujourd'hui, ces cheminées existent, mais il n' y a presque plus d'usines ...
La commission FIRKET a mis en évidence que l'industrie dans la zone émettait 50 t/jour de SO2      (et le chauffage des ménages ,basé sur le charbon, 20 t/jour) Les pics d'émission correspondent aux grandes usines métallurgiques  :OUGREE, SERAING, FLEMALLE,ENGIS, HERMALLE, FLONE, AMAY, ANTHEIT.


La commission a aussi cité des émissions à base de fluor, l'émission de poussières de zinc et d'autres particules fines , toutes provenant de l'industrie.
Elle a mis en évidence la conjonction entre des émissions industrielles nocives pour le système respiratoire et l'inversion de température, phénomène météorologique particulier.
Et, avertissement prémonitoire elle ajoute
Si les mêmes conditions se trouvent réunies, les mêmes accidents se reproduiront...
Si un désastre survenait à Londres dans des conditions analogues on aurait à déplorer 3.179 morts immédiates”
Londres était en effet la ville la plus polluée du monde , par les mêmes polluants provenant de la combustion du charbon.
En 1952, le smog (smoke+fog) londonien, aux mêmes dates qu'à Engis, du 5 au 9 décembre, tuera 12000 personnes  !!!

Première enquête qui montre les responsabilités de l'industrie, et donc du patronat , propriétaire des moyens de production, dans la pollution atmosphérique, et la mort annoncée de dizaines de victimes.
Comme indemnité (morale), les familles recevront,  70 ans plus tard, cet hommage à une catastrophe oubliée, sous forme de ce beau monument un peu caché, près de la maison communale d' Engis.




                                   Louise était jolie
                        Louise avait 20 ans
                                              
               Elle revenait du bal
                                             
               Elle était une enfant



À la mémoire de la soixantaine de morts, jeunes et âgés d'Amay, d'Engis, de Flémalle et de Seraing,
victimes de l'accident atmosphérique de décembre 1930 dans la grande région engissoise.
Toute entreprise humaine, fût-elle industrielle, est susceptible de perfectionnement ! »




Liens: http://www.hermalle-sous-huy.be/fr/Histoire-XXe.html
          http://www.inzichten.nl/reeksen/de-ramp-in-de-Maasvallei-bij-Luik-in-1930.pdf 
          http://www.brise-environnement.be/IMG/pdf/formation_brise_03_fr_6p.pdf 
          https://sites.google.com/site/bplenum/proceedings/1931/k00392364/k00392364_12 
          http://www.aim-mutual.org/fileadmin/news%20images   /pdf/Adverse_health_effects_of_particulate_air_pollution_from_epidemiological_observations_to_public_health_interventions.pdf 

lundi 7 avril 2014

ANTHEIT : FERMETURE DE L'USINE A ZINC de CORPHALIE 31 MARS 1932

ANTHEIT : BAIN DE SANG SOCIAL – 525 LICENCIEMENTS SECS

FERMETURE DE L'USINE A ZINC de CORPHALIE

31 MARS 1932



Dans le cadre d'une exposition montée en collaboration avec le cercle archéologique d' AMAY, présentée le 29 mars 2014, je me suis penché sur l'histoire de la métallurgie du Zinc dans notre région et en particulier dans ma commune d' ANTHEIT.

Personne en arrivant à HUY par la N617 ( rive gauche de la Meuse), en venant d' AMPSIN, ne peut s'imaginer que, là où sont installés aujourd'hui, MONSIEUR BRICOLAGE et le garage BAUDOUIN PIERRE, où accostent les bateaux de plaisance du yacht club de HUY, il y avait, il y a à peine 80 ans, une des plus grandes usines de métallurgie du Zinc, l'usine de CORPHALIE, qui employait près  de 1000 ouvriers et employés. 



 
Au XIXème siècle, l'essor de la bourgeoisie ,par l' accumulation du capital, a été accompagné du développement impétueux de nouvelles techniques.
Dans la métallurgie de zinc, c'est la découverte du procédé DONY ( abbé liégeois) qui a été la base technique de son développement .
La calamine (carbonate de zinc) et la blende (sulfure de Zinc) sont les principaux minerais, à la base de la transformation métallurgique en Zinc métallique.
La calcination de la calamine ou le grillage de la blende permettent de produire de l'oxyde de zinc ZnO.
DONY a mis au point un procédé basé sur la réduction de l'oxyde de zinc, en mélange avec du charbon ,en creuset réfractaire chauffé à 1200°C, bien au dessus donc du point de vaporisation du Zinc avec formation de Zinc à l'état gazeux, condensé par la suite en Zinc liquide dans des condenseurs .
Je reviendrai dans un autre post sur les aspects techniques et environnementaux de la métallurgie du Zinc ,et sur l'utilité du produit fini.

En quelques années, la Belgique devient un leader mondial du Zinc , et la région de HUY a vu en 10 ans se créer 4 usines de production :
  • CORPHALIE à ANTHEIT
  • DE LAMINNE à ANTHEIT et AMPSIN ,
  • GRANDE MONTAGNE (qui fusionnera avec VIEILLE MONTAGNE) à FLONE,
  • NOUVELLE MONTAGNE (qui fusionnera avec PRAYON) à ENGIS .
Ajoutons y DUMONT & FRERES à SCLAIGNEAUX,  fondée plus tard en1875 et VALENTIN COQ à HOLLOGNE AUX PIERRES (acquise aussi par VIEILLE MONTAGNE en 1853)

Ainsi, la partie de la vallée de la Meuse de FLEMALLE à NAMUR, représentera (par exemple en 1910) près de 50% de la production belge.
( Les autres principales unités étant ANGLEUR après la fermeture de SAINT LEONARD et MORESNET ( VIEILLE MONTAGNE) et PRAYON à FORÊT TROOZ dans la région liégeoise , OVERPELT et LOMMEL en CAMPINE)
La Belgique, en 1913 , était le 3ème producteur mondial, derrière les ETATS-UNIS et l' ALLEMAGNE,

La région de HUY était riche en gisements de fer, de calamine et de blende.
Le charbon, nécessaire à la réduction y était aussi exploité, et l'argile, nécessaire à la production de creusets réfractaires était abondante dans la région voisine d' ANDENNE.
Par la suite, le minerai sera importé notamment d' ESPAGNE , de SARDAIGNE etc.


L'USINE DE CORPHALIE

Elle est fondée en 1841
En 1863, elle fusionne avec la KROATISCHER GESELLSCHAFT, pour former la SOCIETE ANONYME AUSTRO – BELGE.


Avant la guerre 14-18, les usines à Zinc se modernisent, en substituant l'énergie électrique aux moteurs à vapeur, et en utilisant le gaz comme combustible pour les fours.
En 1919, elle redevient la SA de CORPHALIE, qui absorbera les usines voisines de DE LAMINNE. ( un autre post abordera cette société)

C'est en 1928, que l'avenir de CORPHALIE ,avant tout celui de ses travailleurs, bascule : la SOCIETE GENERALE , holding financier qui contrôle la grande majorité de l'économie belge, patronne (en y mettant du capital) la fusion avec OVERPELT et LOMMEL qui avaient elles mêmes fusionné en 1913.
Cela devient la Compagnie d' OVERPELT – LOMMEL – CORPHALIE, 2ème producteur belge après VIEILLE MONTAGNE.

LE ZINC : UN PARADIS DE PROFITS FABULEUX POUR LES ACTIONNAIRES...
Durant toutes les années , d'après guerre (14-18), la production de Zinc sera la poule aux oeufs d'or pour les actionnaires. Les tantièmes et dividendes les arrosent, année après année
En particulier à CORPHALIE :
L'ensemble OVERPELT LOMMEL CORPHALIE, de 1922 à 1929 pour un capital de 62,2 millions a fait 124,5 millions de bénéfices et a distribué 82,8 millions de dividendes et tantièmes ( 17%/ an)
On le voit juteuse affaire.... c'est le capital qui coûte cher



.... L'ENFER POUR LES TRAVAILLEURS

Il est reconnu que les conditions de travail des ouvriers du zinc sont particulièrement dures
« Rendu pénible et même insalubre par le rayonnement des parois incandescentes des creusets et des fours, par un dégagement abondant de gaz, de vapeurs métalliques, et de poussières, le travail dans les halls des fours à zinc comporte indépendamment de la conduite des foyers ou des gazogènes, la préparation des charges, leur introduction dans les creusets, le tirage du zinc, sa coulée en plaques et le vidage des creusets dont on extrait des cendres ou résidus incandescents, généralement assez riches en composés de plomb » M. Firket, ingénieur en chef des mines
A la tribune de la Chambre, le député du POB, DELVIGNE, insiste : « la plupart des ouvriers du zinc sont des vieillards à 45 ans, et ils sont frappés insidieusement au tréfonds d'eux-mêmes »
En 1930 et 1931, plus de 50 ouvriers ont été reconnus par le service médical atteints de saturnisme.La plupart d'entre eux sont indemnisés par le fonds des maladies professionnelles.

1932 : DUMPING SOCIAL ET  DELOCALISATION EN CAMPINE

En 1930, l'usine comptait 800 à 900 ouvriers, tous originaires de la région hutoise, notamment des communes d'Antheit, de Villers-le-Bouillet, de Vinalmont, d'Ampsin et de Huy.
Là, première hécatombe : trois cents ouvriers furent congédiés!
La direction licencia les ouvriers qui avaient été « embauchés » les derniers et les plus vieux, ceux qui étaient âgés de plus de 60 ans et dont le rendement était le moins grand

« En 1931, la situation s'améliore...La société est en excellente posture ; une perte de 9 millions sur des stocks de minerais de cette importance ne représente quasi rien.
Pendant le 1er semestre de 1931, nous avons marché à 68% de notre capacité en Zinc, en faisant des bénéfices appréciables tous les mois » 
Ce sont les paroles en décembre 31 du président de Overpelt - Lommel- Corphalie !!!

Tiens, on ferme une usine rentable, qui fait des bénéfices, ça ne vous rappelle rien ,ami lecteur?

Le député DELVIGNE , POB :
« La situation s'améliore, le cours du Zinc ne baisse plus, il a tendance à augmenter....
La vérité - et c'est ce qui explique le dumping social - c'est qu'on y paie ( à Corphalie ) des salaires un peu meilleurs, bien qu'ils soient médiocres encore...
Mais, dans cette industrie, il n'y a pas de commission paritaire, fixant par exemple des barèmes et un salaire minimum.
Ce qui donne toute liberté au patronat, au sein d'une même société ,de payer moins à OVERPELT qu'à CORPHALIE.
« Les salaires gagnés à Corphalie varient entre 41 et 48 francs par jour.
Salaires modérés, si l'on pense que le travail fourni par les ouvriers est un travail de forçat, qui les oblige, après dix minutes d'efforts devant les fours brûlants, à tordre leur sarrau de toile. Travail malsain, qui leur impose un régime lacté de suralimentation particulièrement onéreux, et des précautions hygiéniques minutieuses. »
"Ces ouvriers atteints de saturnisme sont vieux à 50 ou 55 ans. D'ailleurs, ces salaires, qui sont les mêmes que ceux payés dans les usines similaires, comme à l'usine de la Vieille-Montagne à Flône, ont toujours été accordés sans conflit entre la direction et le personnel ouvrier!" De RASQUINET député POB
Et voilà, la fermeture de CORPHALIE , ce n'est pas « la faillite d'une activité non rentable », c'est profiter de la crise pour rendre l'activité encore plus profitable pour un petit nombre




UN BAIN DE SANG SOCIAL

POUR LES 800 FAMILLES ( 300 licenciés en 1930 + les 525 de 1932) et POUR LA REGION

Il n'y a pas en 1932 de système d'assurance chômage, qui ne sera instauré qu'en 1945, sous la pression populaire de la victoire contre le nazisme et de la Résistance.La couverture chômage est facultative, via des caisses gérées par les syndicats.
Un Fonds national de crise créé suite à la crise de1920-21 renforcera, par une indemnité d' Etat ces caisses de chômage pour les seuls assurés.
Les autres n'ont qu'à aller à l'Assistance Publique.
En aucun cas , le patronat n'intervient dans l'indemnisation de ceux qu'il a jetés dans la misère...
Pas de chiffres sur le montant des indemnités de 1932, , ni sur la part d'assurés à CORPHALIE, mais l'ampleur du drame social apparaît dans le relevé du chômage par commune.
La commune d' ANTHEIT (aujourd'hui partie de l'entité de WANZE) compte en 1932, 3600 habitants, et parmi eux 250 ouvriers de CORPHALIE !!
c'est comme si aujourd'hui rien qu'à Seraing, 5000 travailleurs de COCKERIL étaient envoyés au chômage du jour au lendemain.
ANTHEIT est avant tout rurale, CORPHALIE est la seule industrie de l'entité
La fermeture brutale va bien sur aussi priver la commune de ses ressources budgétaire (40% de ses ressources) et évidemment grever le budget communal « fonds de crise et de chômage » de 300%
VILLERS LE BOUILLET commune - ouvrière à 80%- de 2380 habitants
devra , après fermeture, inscrire 130 chômeurs complets de CORPHALIE, en plus des 130 déjà inscrits suite aux licenciements de 1930 et au chômage partiel de 1931-32.
C'est comme si aujourd'hui , à Flémalle aussi, voisine de Seraing, 3000 travailleurs de Cockerill s'inscrivaient aussi au chômage !!!!
VINALMONT et AMPSIN compteront chacune 50 chômeurs en plus.
On le voit, c'est d'une catastrophe sociale dont il s'agit, et on ne peut que s'étonner que l'histoire de ce drame soit tant ignorée et méconnue, surtout dans une région considérée comme « socialiste »
WANZE (avec ANTHEIT, MOHA et VINALMONT) n'a t' elle pas une majorité socialiste depuis 1921 ? On doit encore s' en  souvenir dans les familles...

UN GOUVERNEMENT EN SOUTIEN DU GRAND CAPITAL :
« ON NE SAIT RIEN FAIRE, IL N'Y A PAS D'ALTERNATIVE »

Le gouvernement en place en 1932 est le gouvernement RENKIN (catholique – libéral), et c'est le ministre HEYMAN, catholique, originaire de l' ACV, député de SINT NIKLAAS qui est responsable de l'industrie et du travail.
Aux interpellations, et au cris d'alarme des députés POB , alors dans dans l'opposition, il justifie la décision patronale et clame l'impuissance du gouvernement :
«aucune loi, ni disposition législative ne permet à un ministre, quel qu'il soit, d'intervenir dans l'arrêt de l'activité dune usine »
Et de lire à la tribune de la Chambre, une note patronale justifiant la fermeture , qui n'est pas sans rappeler les discours contemporains sur l'acier liégeois:

"l'usine de Corphalie est moins bien placée que celle d ' OVERPELT pour recevoir les minerais et exporter les produits par Anvers...
La situation de l'industrie du zinc dans le monde exige une restriction de la production...
Même une forte réduction des salaires, qui sont d'ailleurs plus élevés dans la province de Liège qu'en Campine n'aurait pas permis de maintenir l'usine en fonctionnement dans des conditions économiques supportables...
Le moment de la fermeture , prévu pour la fin du mois de mars ne peut être retardé...
La Compagnie estime qu'elle agit conformément à l'intérêt général en concentrant sa production dans sa meilleure usine en vue de prolonger le plus possible le maintien en activité"
Etc , etc.
Mêmes arguments, mêmes pratiques gouvernementales qu'aujourd'hui. (on ne sait rien faire, il n'y a pas d'alternative )

« CELA SE RESOUDRA AUTREMENT »

A la Chambre le député du POB HUBIN avait clamé, en péroraison de son intervention de défense des travailleurs de CORPHALIE :
« ...l'industrie est exclusivement aux mains d'individus qui , postés dans certains bureaux de grandes banques disposent par un oui ou un non de la vie de centaines et de milliers d'ouvriers.
Cela ne peut pas durer.
Si cela ne se résout pas par la légalité, cela se résoudra autrement »
Belle déclaration radicale, comme savaient en faire dans l'opposition les socialistes du POB.
Il n'avait certainement pas prévu que cet appel révolutionnaire serait de fait pris au pied de la lettre quelques semaines plus tard.
En effet, même si CORPHALIE a été fermée définitivement le 31 mars 1932, puis rasée, puis occultée dans les mémoires, 1932 restera, l'année de la grande grève révolutionnaire , lancée quelques semaines plus tard par les mineurs et tous les travailleurs.
Ils répondront à HEYMANS , à la diminution des salaires , aux attaques contre les allocations de chômage du gouvernement RENKIN, par la grève générale qui surprendra et dépassera le POB lui même.
Et ce en pleine crise...
Joignons, dans notre mémoire, à cette grande date de juillet 1932, l'histoire du bain de sang social d' ANTHEIT, partie intégrante du tribut payé par les classes laborieuses à la « grande dépression » capitaliste des années 30.



  Sources  :Belgian Chamber of Representatives • Session of 8 March 1932 - plenum.be
                  Les industries extractives dans la vallée de la Meuse et en Hesbaye
                  René BRION : De la mine à Mars