dimanche 31 août 2025

GRANDES FIGURES DE CHEZ NOUS : LE DROIT A LA MÉMOIRE DES HÉROÏQUES RÉSISTANTS PAR LA PLUME DE BRASSCHAAT

 


Nous avions évoqué dans notre dernier article  la personnalité du Docteur Roosens bourgmestre de Brasschaat et sa destitution sur ordre de l'occupant nazi.


voir « ROUGEs FLAMMEs :LE DOCTEUR ROOSENS (1886-1944), BOURGMESTRE DE BRASSCHAAT, RÉSISTANT, DÉCÉDÉ AU FORT DE HUY LE 31 MARS 1944. »

https://rouges-flammes.blogspot.com/2025/08/grandes-figures-de-chez-nous-le-docteur.html


L’AGONIE DU BOURGMESTRE ROOSENS AU FORT DE HUY


Arrêté dans la rafle du 30 octobre 1943, il sera d'abord interné et interrogé à la section allemande de la prison anversoise de la Begijnenstraat. Il sera conduit en janvier 1944,  avec les autres détenus de Brasschaat, à la prison de Saint-Gilles, pour être  transféré à Huy le 3/3/1944 (matricule 5325). 

L' administration nazie, particulièrement perspicace a noté dans la colonne  "Cause d'arrestation" : "communiste ( écrit et propagande)"
Un de ces compagnons de prison , Théodor Mengal a témoigné des derniers jours de son bourgmestre :
"Quand le courage vous abandonne,  alors c’en est fini de la vie. Nous en avons ici un exemple vivant. Je comprends pleinement que le cas du Dr ROOSENS a fait forte impression sur tous. Mais  il a perdu toute force; il est dans un  état de dépression morale, et ce depuis déjà sa  détention à la Begijnenstraat"
Sa fille, Liliane, avertie de l'état de son père était, avec sa mère et sa tante, à ses cotés pour ses derniers moments:  
"Nous avons été amenées  vers une petite cellule sans lumière. A la lueur des bougies, nous avons pu voir papa allongé, mal soigné, sans voix ,ensanglanté, une demi jambe pendant du lit. 
C’était une image terrible.  Les deux sœurs l’ont alors  soigné et lavé. 
Nous avons pu encore l’embrasser et prononcer son nom. Il a du nous entendre, car de grosses larmes ont coulé sur ses joues caverneuses. Un quart d’heure plus tard, il est mort ; Maman lui tenait la main. 
Nous étions alors déjà le 31 mars 1944.
Il a été ramené à Brasschaat le dimanche des Rameaux, le 2 avril 1944. 
Sa dépouille a été exposée à son domicile. Les gens sont  venus nombreux le saluer et lui rendre un dernier hommage. Il a été enterré le 4 avril. La Gestapo et la  SiPO   surveillaient les environs."(1)


 LE FRONT DE L’INDEPENDANCE DE BRASSCHAAT

Joseph Roosens n’a donc pas été le seul citoyen de Brasschaat à séjourner à HUY.

De nombreux membres du réseau de résistance, éditeur de la feuille clandestine « Ambtelijke Berichten »  bulletin de la section de Brasschaat du Front de l’Indépendance, avaient été arrêtés, autour de la date du 30/10 1943, dans une opération de grande envergure de la Gestapo, assistée de la feldgendarmerie. 
Le 29 juillet 1942, le bourgmestre de la collaboration, Paelinckx avait tenu une réunion publique dans le parc communal sous le slogan " De l'ordre ! L'Ordre nouveau !"
Trois résistants Louis Reintjens, Henri Van den Broeck et Léon Lommaert répondirent en septembre par une brochure intitulée « L'ordre nouveau, c'est le désordre », tirée à 500 exemplaires, et distribuées, le soir, dans les boîtes aux lettres de Brasschaat. (2)
Ils étaient le noyau d’un groupe de résistance, et étaient en contact avec un commissaire de police de Brasschaat, Andries. Plusieurs officiers et agents de la police communale ont participé à ce groupe, section de Brasschaat du Front de l’Indépendance.


LA PRESSE CLANDESTINE / JOURNAUX DU FRONT DE L'INDÉPENDANCE

Ils publient leurs brochures sous le titre général « Ambtelijke berichten » (qu’on pourrait traduire par « Journal officiel ») « journal de combat        de la section de Brasschaat du Front de l’Indépendance ». Ils y publient notamment une liste noire des traîtres.
Ils éditeront 11 numéros, de septembre 1942 à octobre 1943, avec toutes les précautions, et aussi les audaces nécessaires à la rédaction, qui était très collective, à l’impression et à la diffusion
Les points délicats étaient le lieu des réunions, la machine à écrire, se fournir en papier, encre et stencils (notamment auprès du docteur Claesen).
L’impression a dû être déménagée à plusieurs reprises. La diffusion se faisait dans les boîtes aux lettres, essentiellement chez les gens connus comme des patriotes.

UNE TRAHISON

Comme souvent dans les organisations de la résistance, c’est par une trahison que le groupe tomba aux mains de l’ennemi. 
Eugène Dierckx était farouchement anti communiste et gravitait dans des organisations plutôt léopoldistes en contact avec l’Armée Secrète. Arrêté le 5 mai 1943, la SIPO (Sicherheit Polizei) lui donne le choix entre la déportation ou la délation. Il déclarera lors de son procès que c’est par anticommunisme qu’il avait agi et dénoncé les résistants du Front de l’Indépendance.
Le 18 juin 1943, Maria Hermans est arrêtée.  Dierckx l'avait reconnue dans la rue comme l'une des personnes qui lui avaient donné refuge pendant sa période de résistance. C’est par hasard qu’il reconnait le 2 octobre à Malines, Léon Lommaers et Frans Hermans dans un commissariat.  Ils seront transférés à la Gestapo et puis à Breendonk pour interrogatoire intensif.
Ce fut le prélude à la grande rafle : dans la nuit du 29 au 30 octobre 1943, au moins une trentaine de personnes sont arrêtées à leur domicile. Pour cette opération, la quasi-totalité de la Dienststelle de la Gestapo d'Anvers aurait été impliquée, avec le renfort d'une quarantaine de feldgendarmes. Deux personnes seulement, directement impliquées dans le réseau ont échappé à l'arrestation.
Entre septembre 1943 et septembre 1944, Dierckx a été responsable du démantèlement de l'OF (Front de l’Indépendance) à Brasschaat, du NKB (3) et de la Légion Lierre, de groupes de résistance aux PTT, à l'Atheneum, à l'Arbeitsambt, à l'arsenal de Malines, des groupes Boyart, l'Honneux, Doerenbecker et Draeyers.  Au cours de l'année 1944, des groupes de Boortmeerbeek, de Malines et de Termonde en ont été victimes. Il aurait ainsi participé à 300 arrestations, dont 95 ne sont pas revenus des camps.
En juin 1950, Eugène Dierckx sera condamné à mort, mais amnistié en 1958.                        



INCARCÉRÉS A LA CITADELLE DE HUY, L'ANTICHAMBRE DE LA  MORT.


Incarcérés au secret à Anvers jusqu’au 18 janvier 1944, les résistants du Front de l’Indépendance de Brasschaat ont été transférés à la prison de Saint Gilles, 1ère étape de leur tour des camps de la mort nazis.

LA CITADELLE DE HUY : ANTICHAMBRE DE LA MORT

Au moins 11 d’entre eux ont ensuite été écroués à Huy le 3 mars 1944 ; preuve, s’il en fallait encore, que la Citadelle de Huy était bien un chaînon du système concentrationnaire nazi et l’antichambre de la mort.

Outre le docteur Jozef ROOSENS, 57 ans, décédé au Fort de HUY, le 31 mars 1944, (matricule à Huy 5325)

Alfons ANDRIES, 38 ans, commissaire de police à Brasschaat, décédé au camp de Gross Rosen le 30 mars 1945, (matr.5302),

Edgard BONHOMME, 40 ans, agent de police,  libéré de Hertogenbosch- Vüght  en juin 1944 (matr.5303),
le Docteur Fernand CLAESEN, 48 ans, décédé dans une marche de la mort en avril 1945, (matr.5306),

Théodor MENGAL, employé communal, 44 ans, décédé au camp de Gross Rosen le 11 décembre 1944, (matr.5319),

Henri VAN DEN BROECK, percepteur à la mutualité socialiste, 33 ans, décédé au camp de Gross Rosen le 9 février 1945, (matr.5340),

Alexandre HERMANS, 47ans, libéré de Hertogenbosch- Vüght  en juin 1944, (matr.5315).

ACTE DE DÉCES DE JOHANNES HERMAN 
A DORA-MITTELBAU (25/03/1945)

Johannes HERMANS, 50 ans, décédé au camp de Dora -Mittelbau le 25 mars 1944 (matr.5316),
Franciscus MATTHYSSEN, 24 ans, transféré à Hertogenbosch-Vüght (matr.5320), 
Willem SMET, 31 ans, transféré à Hertogenbosch- Vüght (matr.5326),
Henricus WYNEN, 53 ans libéré de Huy le 10 juillet 1944. (matr.5842).





)
Franciscus HERMANS


 Membres actifs de ce réseau aussi :

 Léon LOMMAERT, incarcéré à Breendonk, qui a   survécu à l’enfer concentrationnaire. Il témoignera   au procès de Dierckx en 1950.
 L’agent de police, Ferdinand DOMS, 28 ans, décédé au camp de Gross Rosen le 30 mars 1945.
 Franciscus HERMANS, employé du gaz, 25   ans,  incarcéré à Breendonk, mort dans une marche   de la mort le 3 mai 1945,
 Maria HERMANS, (36 ans) épouse de   Franciscus,   arrêtée le 18 juin incarcérée à Vught,   et  Yvonne  HEYLEN. Toutes deux ont survécu   aux camps.  



Alfonsine GOORMANS




Ce ne fut pas le cas d’ Alfonsine GOORMANS (34 ans) arrêtée le 30 octobre 1943,  transférée au camp de Vüght le 11 mars 1944 et  déportée ensuite à Ravensbrück ou elle mourut le 24/11/1944.









C’est aussi au cours de ces rafles de la police allemande que fut arrêté, Frans MORRIENS (1901 – 1944) (ouvrier électromécanicien ; ancien secrétaire national du Parti Communiste de Belgique (PCB) (4) qui alimentait le groupe du Front de l’Indépendance en journaux clandestins, De Roode Vaan (organe du PCB), België Vrij  (journal du F.I),  que le groupe  diffusait ainsi que d'autres titres (Volksgazet, La Libre Belgique, De Werker, etc. ). Il est mort à Dora - Mittelbau le 1er mars 1945.


Courageux-euses résistant-e-s, combattant-e-s de l’ombre !

Douze d’entre eux, au moins, ont payé de leur vie leur engagement antifasciste et patriotique.
 

"ILS ÉTAIENT 20 ET 100, ILS ÉTAIENT DES MILLIERS,

NUS ET MAIGRES, TREMBLANTS, DANS CES WAGONS PLOMBÉS..."(5)


La plupart ont connu le transfert, à 5 ou 6 reprises en 6 mois (!), de camp de la mort en camp de la mort, entassés dans les wagons à bestiaux pour des voyages de plusieurs centaines de km.


LE LONG MARTYRE DES RÉSISTANTS DE BRASSCHAAT
(exemple de la déportation du commissaire ANDRIES)




Transférés d’abord à Hertogensbosch, camp de Vüght aux Pays Bas, ils ont de là fait le tour d’Europe des camps nazis, de Dachau en Bavière , à Natzwiller-Struthof  en Alsace et de là aux confins de la Pologne à Gross Streihlitz pour mourrir d’épuisement, de faim ou de maladie, les uns à Gross Rosen, d’autres à Dora Mittelbau ou Ravensbrück, ou encore dans les marches de la mort du printemps 1945.

A l’approche des libérateurs, Soviétiques ou Force Alliées, les SS ordonnèrent en effet, l’évacuation des camps à travers des marches forcées vers des camps situés plus à l'intérieur du territoire allemand, notamment de Buchenwald vers Dora Mittelbau ou Flossenburg au printemps 45.  

Pendant ces marches de la mort, les gardes SS brutalisaient les prisonniers. Ils fusillèrent des centaines de prisonniers qui ne pouvaient pas suivre le rythme de la marche, qui s'effondraient. Des milliers de prisonniers moururent d'hypothermie, d'inanition et d'épuisement.

11/04/1945 LIBÉRATION DU CAMP DE  BUCHENWALD
à p. de la g. 3e assis Henri GLINEUR
2e debout Jacques GRIPPA

C’est dans une de ces marches qu’est mort Franciscus HERMANS, le 4 mai 1945, à quelques heures à peine de la capitulation de l’Allemagne nazie, alors que le camp de Buchenwald avait été libéré par ses détenus eux-mêmes, le 11 avril.

 C’est aussi dans une de ces marches forcées qu’est mort le docteur Claesen de Brasschaat.


 



NACHT UND NEBEL (« NUIT ET BROUILLARD »)

Cinq des détenus du réseau du Front de l’Indépendance de Brasschaat, ont, à notre connaissance,  été classés par les nazis NN (« Nacht und Nebel ») :

le commissaire Alfons ANDRIES, le docteur CLAESSEN, l’agent Franciscus DOMS, Théodor MENGAL et Henri VAN DEN BROECK.



FICHES "NACHT UND NEBEL" DE ANDRIES, DOMS, MENGAL et
VAN DEN BROECK (A DACHAU) ET CLAESEN (A NATZWILLER)

Le décret, concernait la déportation de détenus considérés comme des ennemis du Reich.

En juin 1941, la guerre prend un virage décisif avec le déclenchement du plan Barbarossa contre l'URSS, qui oblige à alléger partiellement les troupes d'occupation à l'Ouest et focalise tous les efforts de l'appareil de guerre nazi. Ce combat, décisif ne peut être conduit que si ailleurs, dans les zones occupées depuis 1940, règne la sécurité.

Dès leur arrestation, les résistants entrent dans "la nuit et le brouillard", et personne ne doit plus avoir, dès lors, connaissance de leur sort. Ils doivent disparaître sans laisser de trace. Marqués d’un grand NN, ils sont emmenés en Allemagne. Ils n'auront connaissance de leur statut qu'après la guerre.

"Le Führer est d'avis que les peines de privation de liberté et même les peines de réclusion à vie sont, pour de tels actes, regardées comme des signes de faiblesse. Un effet de frayeur efficace et durable ne peut être obtenu que par la peine de mort ou par des mesures propres à maintenir les proches et la population dans l'incertitude sur le sort des coupables. Le transfert en Allemagne permet d'atteindre ce but."

Tout contact avec le monde extérieur (colis, lettres, visites) est interdit. Aucune information ne doit être donnée en cas de décès ou d'exécution. 

Les derniers messages des prisonniers exécutés ou décédés ne seront pas envoyés, leur éventuel testament sera confisqué, les corps seront enterrés sans aucun nom sur leur tombe.

Les multiples transferts accentuent le « brouillard » de leur disparition.

Le Tribunal international de Nuremberg décida en 1946 que les disparitions qui eurent lieu dans le cadre du décret NN devraient être considérées comme des crimes de guerre.

Près de 5000 Belges de Flandre et Wallonie seront marqués NN. 258 seront exécutés, beaucoup périront dans les camps, quelques-uns en reviendront, et pourront témoigner, comme Paule Mévisse, à laquelle je tiens ici à rendre hommage, comme collègue de ma mère au Lycée Jacqmain. (6)

Au camp de Natzwiller en Alsace, par où sont passés les camarades de Brasschaat marqués NN, la barbarie de leur traitement est décrite ci-dessous 


L'APPEL A NATZWILLER

 :« Ils sont affectés au transport de lourdes pierres pour la construction de la cave à pommes de terre.

A midi, ils ne sont plus que 8 à tenir encore debout. Frappés, mordus par les chiens, ils doivent néanmoins poursuivre leur travail, malgré les plaies ouvertes. Le traitement est le même pour les autres qui travaillent au terrassement autour des baraques de l'avant-camp, près de ce qui devient le "ravin de la mort".

Marqués physiquement, ils n'ont pas droit au Revier (infirmerie), 

Les blessés ne peuvent rester dans le bloc et doivent partir chaque jour au travail où ils restent étendus, alors que les SS s'acharnent sur eux. Le soir, ils sont portés au camp par des camarades en meilleur état. »(7)

 

GROSS ROSEN, CAMP DE LA MORT

Gross Rosen est un nom peu connu parmi les camps de la mort.

A l’origine destiné aux déportés polonais, y ont été envoyés des prisonniers de guerre soviétiques, des Français de zone occupée et du Nord-Pas-de-Calais, ainsi que des Belges extraits des prisons allemandes où ils étaient détenus. Les prisonniers « NN » y sont internés dans les blocs 9 et 10, qui peuvent contenir jusqu’à 1 000 détenus chacun. Ils subissent des conditions effrayantes de manque d’hygiène et d’épuisement qui conduisent rapidement à la mort.

Les résistants du Front de l’Indépendance de Brasschaat, le commissaire André Andries, Ferdinand Doms, Théodor Mengal, et Henri Van den Broeck y sont morts.

Le témoignage suivant, d’un détenu de Ciney, Joseph Dawagne,(8) nous permet de réaliser quelles ont été les dernières heures de ces héroïques camarades de Brasschaat.

« Départ précipité pour la Silésie, près de la frontière polonaise, dans le camp de concentration de GROSS ROSEN.

Au régime d’un litre de soupe à midi, infâme amalgame de choux, navets ou rutabagas flottant dans une eau troublée, et le soir, un bout de pain immangeable tout vert. Le matin, rien !

Nous sommes astreints à un travail de 12 heures par jour. Soit dans les carrières, soit à monter des baraquements, voire transporter des cadavres au crématorium.


CARRIERES DE GROSS ROSEN
Les prisonniers qui y travaillaient avaient une espérance
de vie de 5 semaines.

Ce que j’avais enduré jusqu’alors me parut léger avec ce que je souffrais en ce moment.

Une preuve ? Il mourrait dans notre camp de 200 à 250 détenus par jour, beaucoup de juifs, femmes et enfants. Le sort de ces derniers fut plus cruel encore que le nôtre.

J’ai passé tout l’hiver dans ce bagne, par un froid terrible sans bas, ni écharpe, ni pull-over. Nous devions même laisser nos chaussures à l’extérieur puis entrer au baraquement, avec l’inévitable distribution de coups. Il y en avait pour tous.

A cette époque, j’avais les jambes couvertes de plaies, et un compagnon râlait à quelques mètres de moi. Le kapo me passe sur les jambes pour ce tour d’inspection. J’en souffre horriblement, je me débats.

De rage folle, le kapo se précipite sur le moribond, et froidement le tue. Nous restons pétrifiés d’horreur.

J’ai vu là les scènes les plus inimaginables, les plus atroces comme les plus brutales. J’en ai gardé un souvenir sur la jambe droite, une grosse ecchymose ; c’était un coup de crosse. Il fallait, par un froid terrible se déshabiller à l’extérieur, et, sans essuie, passer aux douches froides.

La discipline était stricte : pour un rutabaga volé ou une tentative de fuite, c’était la pendaison ou déchiqueté par les chiens..


DROIT A LA MÉMOIRE POUR LES RÉSISTANTS DE BRASSCHAAT


Après avoir découvert le passage par le Citadelle de Huy d’une dizaine de résistants par la presse clandestine du Front de l’Indépendance de Brasschaat, écroués donc le 3 mars 1944, en même temps que le docteur ROOSENS, nous avons mis en évidence leur épouvantable calvaire à travers les camps de la mort.

Qui connait ccs 11 Brasschaatois qui ont séjourné à Huy? A part le nom du Dr Roosens gravé sur une stèle au pied du Fort , et à qui la commune de Brasschaat a donné le nom d’une place, où est évoquée la mémoire de ces combattants par la plume  de la Résistance ?

Certes, leur nom est cité dans « Le Livre d’Or de la Résistance » ; hommage est rendu à Antonina Goormans dans le Bel Memorial (9) et à Franciscus Hermans sur le site de Helden van het verzet (10).

Mais y a - t-il quelque part une rue commissaire Andries, une place Docteur Claesen, un square Theodor Mengal ou une école Frans Morriens ?

Y a-t-il un Musée de la Résistance où leur courageux combat est illustré ?

Même leur photo est introuvable sur la toile,

La nuit et le brouillard ne se seraient- ils pas encore levés ?

Il est temps de les sortir de l’oubli, et d’honorer leur mémoire.

D’autant plus que l’exemple de ces combattants de la Liberté oubliés du Nord du pays

peut être un puissant message d’unité et de solidarité de tous contre le fascisme et l’extrême droite.

Beau projet pour une coalition 8 mai à Huy -  Waremme, non?



 NOTES

(1) Frans Bellens :"Les bourgmestres de Brasschaat au XXe siècle" (Burgemeesters van Brasschaat in de XXste eeuw). 1994 p71

(2) Gert Deprins  : La presse clandestine à  Anvers (Sluikpers. Antwerpen, 1940-1944) Université de Gand - Mémoire pour l'obtention du grade de licencié en histoire 2003-2004 - on line: http://www.ethesis.net/antwerpen_sluikpers/ant_sluikpers_inhoud.htm

 (3) Mouvement National Royaliste. Mouvement de résistance à Bruxelles et en Flandre, le plus à droite des mouvements de résistance.

(4) Frans MORRIENS :https://maitron.fr/morriens-frans-christian-pseudonymes-smit-august-arthur-dbk/, notice MORRIENS Frans, Christian. Pseudonymes : SMIT August, ARTHUR (DBK) par José Gotovitch, version mise en ligne le 5 juillet 2010, dernière modification le 17 juin 2024.

(5) "Nuit et Brouillard" : Chanson de Jean Ferrat (décembre 1963)  https://www.youtube.com/watch?v=yvH3ty1LzPY   

(6) Paule Mevisse nait en 1912. Professeure en langues germaniques au Lycée Jacqmain, elle se mobilise pour les Républicains lors de la Guerre d’Espagne. Bien que n’ayant jamais été membre du Parti communiste, elle en est sympathisante et fréquente des amis communistes. En 1941, elle entre en contact avec les Partisans armés et devient active dans la Résistance tout en continuant à enseigner. Elle cache des Juifs et des communistes, des Partisans armés recherchés, transporte des sommes d’argent, de faux timbres de rationnement. Son appartement sert à de nombreuses réunions des chefs Partisans. 

 Elle est arrêtée le 23 juillet 1943, en même temps qu’un grand   nombre de partisans et de dirigeants communistes. Après un   emprisonnement de trois mois à la prison de Saint-Gilles, elle est   déportée en octobre 1943 en Allemagne où elle passe par différentes   prisons en tant que détenue N.N. Elle connaît la dureté des prisons   d’Essen, Mesum et Kreuzburg, jusqu’à son procès à l’été 1944   lorsqu’elle est condamnée à deux ans de prison. Ensuite, ce sont les      prisons de Gross Strehlitz, Oppeln et enfin Dessau d’où elle parvient   à s’évader en compagnie d’une détenue française lors des     bombardements en mars 1945. Rapatriée en Belgique à la fin du   mois   de juin 1945. Elle est accueillie en héroïne au Lycée Jacqmain où, très affaiblie, elle reprend les cours dès la rentrée de septembre 1945.

 (7)Robert Steegman "Nacht und Nebel, destinés à disparaître sans laisser de trace ; thèse de référence sur le camp de Natzweiler; Chemins de mémoire - Ministère des Armées. on line :

https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/nacht-und-nebel-destines-disparaitre-sans-laisser-de-trace  

(8)Témoignage de Joseph Dawagne de Ciney in Cahier Denuit- Somerhausen   RBHC 1994-1 2e partie; on line:

https://www.journalbelgianhistory.be/fr/system/files/article_pdf/cahiers_denuitsomerhausen_1994_1_part2.pdf  

(9)https://belmemorial.org/photos_antwerpen/brasschaat/GOORMANS_Alphonsine_Elisabeth_Francisca_10111.htm

(10) Helden van het verzet : on line https://www.facebook.com/HeldenvanhetVerzet/photos/franciscus-hermans-brasschaat-gaswerkman-gehuwd-verzetsgroep-onafhankelijkheidsf/1093571592595562/?_rdr



mardi 19 août 2025

GRANDES FIGURES DE CHEZ NOUS : LE DOCTEUR ROOSENS (1886-1944), BOURGMESTRE DE BRASSCHAAT, RÉSISTANT, DÉCÉDÉ AU FORT DE HUY LE 31 MARS 1944.

 

1926 : le Doteur Roosens avec son épouse et ses 2 enfants

En voyant la photo du monument aux 15 personnes décédées au Fort de Huy de 1940 à 1944, mon attention est attirée par le nom de Joseph Roosens, de Brasschaat, mort  à Huy le 31 mars 1944. Né le 9 septembre 1886, il avait 57 ans ; il était docteur en médecine.
Un médecin venu de Flandre, que faisait-il donc au Fort de Huy ?

 BOURGMESTRE DE BRASSCHAAT


 Brasschaat est une commune voisine de la       Ville  d'Anvers. En 1920, elle comptait 6800  

 habitants; elle en a aujourd'hui 38 000. Elle est   administrée par une majorité NVA (18 sièges   sur  33) . Le bourgmestre en titre: Jan Jambon . 
 Elle a abrité de 1820 aux années 2000 un camp   militaire, que l'occupant allemand a transformé   en camp de prisonniers de 1940 à 1944, où 85   personnes furent fusillées.
 Elle abrite aujourd'hui le "Gunfire museum,"   musée de l'Artillerie militaire. 


 



Le docteur Roosens a été bourgmestre de    Brasschaat de 1924 à 1942.

Ce n’était certes pas un homme de progrès.   Parmi ses prédécesseurs, citons le comte  Armand Reusens, qui se fit construire le     château   de Brasschaat, Ferdinand Charles Louis Antoine, comte de Baillet la Tour, bourgmestre de 1902 à 1908. Appelé alors par le Roi à la fonction de gouverneur de la province d’Anvers, ce dernier fut remplacé par son cousin, Ferdinand, baron du Bois de Nevele, bourgmestre de 1908 à 1924.

C’est le décès de celui- ci, en février 1924, qui a précipité l’accession anticipée au mayorat, et ce pour une durée de 17 ans, du Docteur Jozef Roosens.

Que du beau monde en vérité dans le Parti Catholique, qui apparait en ce début du XXe siècle comme le parti de la fusion de l’aristocratie, toujours vivante comme classe sociale, et du haut clergé, avec la grande bourgeoisie catholique, tous largement francophones.

Roosens a probablement été le choix de ce parti d’Ancien Régime pour se préparer au verdict du suffrage universel qui sera appliqué pour la première fois au scrutin communal de 1926.

« Le docteur Roosens avait fait la guerre de 1914-1918 en tant que capitaine - médecin. Avec son frère Cyriel, aumônier de l’armée, il avait partagé avec les soldats l’horreur du front de l’Yser.

Après la guerre, il devient capitaine - médecin au camp de Brasschaat et  il rendait visite aux malades de sa commune après ses heures de service. Il faisait tous ces déplacements à cheval.

Après sa nomination à la maison communale, en tant que bourgmestre en juillet 1924, il démissionna de son poste de capitaine.

Il échange alors son cheval contre une moto avec un side-car, bien utile pour visiter les patients à travers les pistes de charrette et les chemins de terre. »





Comme ses prédécesseurs, Roosens était  très lié à l’évêché et au prélat de Belgique, le cardinal Van Roey, avec qui il négocia la création à Brasschaat d’un réseau d’écoles secondaires catholiques.

Sous ses mandats, ont été fondées la Sint-Jozefskliniek (clinique Saint-Joseph), et à l'occasion du centenaire de la municipalité, le Sint-Michielscollege (collège Saint-Michel), ainsi qu'un internat pour jeunes filles à Maria-ter-Heide.

Il répondait ainsi à la demande de la grande bourgeoisie d'Anvers, qui fuyait de plus en plus la ville et s'installait au vert, entre Merksem et la frontière hollandaise. Leur plus gros souci était l’éducation de leurs enfants qui devaient toujours se rendre à Anvers pour étudier.

Savourons leurs arguments pour implanter des écoles à Brasschaat : « les jeunes sont exposés à tous les dangers physiques et moraux dans les tramways, trains et autobus ; ils peuvent aussi voir   des images obscènes pendant la pause- déjeuner en ville. »

 Signe des temps aussi, suite à la pression exercée par une « Union des écoles catholiques flamandes », le collège Saint Michel, inauguré en 1931, sera une école entièrement flamande avec quelques concessions pour les francophones, et ce, malgré la résistance de la noblesse et de la bourgeoisie francophones de Brasschaat ainsi que des officiers francophones du camp militaire.

Sans doute, le Docteur Roosens, bourgmestre roturier et forcément bilingue, après des décennies de règne des comtes et barons fransquillons, fut-il aussi le symbole de cette évolution. Populaire, il l'était sans aucun doute, atteignant des sommets dans les voix  de préférence aux élections communales de 1938. Mais le courant dominant dans le parti catholique était dirigé contre la gauche, socialistes et communistes.  Cela les a conduits, à former une « Vlaamse concentratie », en fait une coalition des catholiques avec les nationalistes d’extrême droite du VNV (1) - et même dans certaines communes avec Rex(2) de Léon Degrelle - ouvrant ainsi les portes du collège échevinal, pour la première fois, à un échevin VNV.

Le journal du VNV : "Volk en staat" du 18/10/1938 
"le VNV rentre dans les collèges de ...Brasschaat"

LES "OORLOGSBURGEMEESTERS", BOURGMESTRES DE LA COLLABORATION : UN COUP D’ÉTAT MUNICIPAL.

Le 10 mai 1940, l’Allemagne nazie attaque en même temps, les Pays Bas, la Belgique, le Grand- Duché de Luxembourg et la France.
D’emblée, sa situation stratégique, à proximité du port d’Anvers et sur la route de la Hollande, plonge Brasschaat dans la guerre, avec les va et vient des troupes françaises, suivies par les envahisseurs allemands. Elle est aussi la cible de bombardements de la Luftwaffe.
Après la capitulation de Léopold III, le 28 mai, Brasschaat est occupée par les troupes allemandes, qui s’installent notamment dans une partie du collège et transforment le camp militaire en camp de détention pour les prisonniers de guerre et les résistants. 85 personnes y seront fusillées par les nazis de février 1943 à août 1944.

À Anvers, dès le mois d'août 1940, suite au sabotage de lignes téléphoniques, la Feldkommandatur menace de placer en détention le bourgmestre et 20 citoyens en cas de récidive et de leur infliger de lourdes peines.
Roosens est interrogé par la Gestapo.
Le 27 janvier 1941, la feldkommandatur lui retire tout droit à exercer sa fonction de bourgmestre, interdiction confirmée en février 1941 par le gouverneur d'Anvers (de la collaboration).
Suite à cet acharnement de l'occupant, la commune, dorénavant sans bourgmestre, est gérée par le collège échevinal.
Le 11 janvier 1942, le Moniteur publie l'arrêté de destitution de Jozef Roosens, 
Lui, qui avait, aux élections de 1938, ouvert la « liste du Bourgmestre » à l’extrême droite nationaliste du VNV, en fut ainsi singulièrement remercié !
Ce n’est que le 18 février 1942 que le bourgmestre légalement désigné a pris congé de la population, par écrit dans la feuille locale « Polder en Kempen ».
"... Ma démission m'a été officiellement communiqué, mais je n'y ai pas donné suite. Je ne pensais pas, dans ces circonstances particulièrement difficiles, avoir le droit de  de me soustraire, par ma seule volonté, aux devoirs que m'imposent le mandat que vous m'avez confié depuis près de 18 ans .. "
Seules quelques personnes savaient alors qu'il était commandant du groupe Nord de l'Armée secrète.

Le 1er février 1942, le « bourgmestre de guerre », comme on aime encore aujourd’hui à les appeler (3), en fait l’usurpateur au service de l’occupant, Hyppoliet  Paelinckx s’installe à la maison communale.
C’est un véritable coup d’État institutionnel orchestré par l’occupant nazi et mis en œuvre par Gerard Romsée, dirigeant du parti fasciste VNV et nommé par l’occupant, secrétaire général de l'Intérieur et de la Santé. Cela faisait de lui l'un des acteurs majeurs de la prise de pouvoir dans les villes et les communes par Rex et le VNV.

A Vilvorde, le "bourgmestre" VNV Borrey
prend ses fonctions le 21 juin 1942. 
De 1941 à 1911, 1452 « bourgmestres », la plupart VNV ou Rex ont été nommés par Romsée, en remplacement des bourgmestres destitués, qu’ils aient été révoqués ou « démissionnaires ». Les  usurpateurs VNV (56% de l’ensemble des bourgmestres en Flandre) contrôlent ainsi 70 % de la population flamande, notamment dans les grandes villes, Anvers, Gand et Bruges, dont le périmètre a été élargi (de même qu’à Bruxelles, Liège, La Louvière et Charleroi).
Cette mesure s’accompagne en général de la dissolution des conseils communaux élus en 1938. Ce « pouvoir local » n’avait donc plus aucune légitimité démocratique.
Le rôle de ces usurpateurs est déterminant dans l’application de l’Ordre Nouveau et de la répression nazie : ils dénoncent les patriotes, ils répertorient les réfractaires au travail obligatoire, ils distribuent les sinistres étoiles jaunes et, si nécessaire, comme à Anvers, la police sous leurs ordres participe aux rafles des Juifs. C’est eux aussi qui sont censés organiser le ravitaillement, à travers la très bureaucratique et détestée structure du CNAA.(4)


Extrait de la liste des bourgmestres de la collaboration
(Wikipedia)


 RÉSISTANCE CONTRE COLLABORATION, A  BRASSCHAAT AUSSI !

Hyppoliet Paelinckx (1894 – 1963) était un instituteur actif dans la vie culturelle de la commune. Politiquement, il avait rejoint le « Frontpartij »(5) après la 1e guerre mondiale, pour ensuite adhérer au VNV, dont il était le dirigeant local.
Nommé le 1er février, il tient le 29 juillet 1942, une réunion publique dans le parc communal sous le slogan " De l'ordre ! L'Ordre nouveau !".
Trois résistants Louis Reintjens, Henri Van den Broeck et Léon Lommaert répondirent en septembre 1943 par une brochure intitulée « L'ordre nouveau, c'est le désordre », tirée à 500 exemplaires, et distribuées, le soir, dans les boîtes aux lettres de Brasschaat.
Ils étaient le noyau d’un groupe de résistance, et étaient en contact avec un commissaire de police de Brasschaat. Plusieurs officiers et agents de la police communale ont participé à ce groupe, rattaché au Front de l’Indépendance. 

Dans la nuit du 29 au 30 octobre 1943, au moins une trentaine de personnes sont arrêtées à leur domicile. Pour cette opération, la quasi-totalité de la Dienststelle de la Gestapo d'Anvers aurait été impliquée, avec le renfort d'une quarantaine de feldgendarmes.
Deux personnes seulement, directement impliquées ont échappé à l'action, dont le propriétaire de l'immeuble où les « avis officiels » avaient été imprimés, qui a pu s'échapper.

Les prisonniers seront séparés les uns des autres, mis à l’isolement jusqu'au 18 janvier 1944. Vingt quatre personnes de ce réseau du Front de l’Indépendance ont par la suite été condamnées. Douze ne sont pas revenues des camps de concentration..
 Dans les jours qui ont suivi, huit autres personnes ont été arrêtées, et 6 autres  – qui avaient peu de liens avec les « Ambtelijke Berichten », ont été transférés au département IV. D3 de la Gestapo (6)
On suppose que ces six détenus étaient soupçonnés d'être  membres de l'Armée secrète. 
Plusieurs seront emmenés à Saint Gilles et transférés à Huy. 
Parmi eux, le docteur Roosens, qui  séjournera à la prison de Saint-Gilles, et sera transféré à Huy le 3/3/1944 (matricule 5325). (7) 

Un de ces compagnons de prison , Théodor Mengal a témoigné des derniers jours de son bourgmestre :

"Quand le courage vous abandonne,  alors c’en est fini de la vie. Nous en avons ici un exemple vivant je comprends pleinement que le cas du Dr ROOSENS a fait forte impression sur tous. Mais il n’a plus de force; il en état de dépression morale, déjà depuis la détention à la Begijnenstraat"

Sa fille, avertie de l'état de son père était à ses cotés pour ses derniers moments:  

"Nous avons été amenées  vers une petite cellule sans lumière. A la lueur des bougies, nous avons pu voir papa allongé, mal soigné, sans voix , une demi jambe pendant du lit. 

C’était une image terrible.  Les deux sœurs l’ont alors  soigné et lavé. 

Nous avons pu encore l’embrasser et prononcer son nom. Il a du nous entendre, car de grosses larmes ont coulé sur ses joues émiacées. Un quart d’heure plus tard, il est mort Maman lui tenait la main. 

Nous étions alors déjà le 31 mars 1944.

Il a été ramené à Brasschaat le dimanche des Rameaux, 2 avril 1944. Sa dépouille a été exposée à son domicile. Les gens sont  venus 

nombreux le saluer et lui rendre un dernier hommage. Il a été enterré le 4 avril. La Gestapo et la  SiPO   surveillaient les environs"

 
Les funérailles à Brasschaat du docteur ROOSENS 


LA LIBÉRATION ET APRES
En septembre 1944,
les gens attendent avec espoir les premières troupes alliées. Dans les rues, on voyait les Allemands battre en retraite en masse vers Breda, qui réquisitionnaient voitures, chevaux, charrettes et vélos.

Ceux qui avaient collaboré ont fui avec les Allemands.

Le 3 septembre, Bruxelles est libérée, et le 4 septembre, les chars alliés entrent dans Anvers.

À Brasschaat, Paelinckx tient une dernière réunion à la maison communale. Il remet les clefs du conseil au secrétaire Louis De Winter et prend la fuite.

Rien n’est publié, semble-t-il, sur les conditions de son arrestation et de sa détention.

Son procès s’ouvrira, le 6 juillet 1947 devant le Conseil de guerre d’Anvers. Il est accusé d’avoir prêté aide à l’ennemi, et de dénonciations.

Selon plusieurs témoignages, il avait fourni aux Allemands une liste des « mauvais » éléments de la commune, qui avaient été alors soumis à des travaux forcés à Schoten, puis au littoral.  C’est sur ces ordres que la police avait été obligée de dresser cette liste, et de procéder aux arrestations. Les personnes arrêtées étaient conduites à Anvers dans une voiture de la commune.

Paelinckx était, sur ces dossiers, en contact direct avec un agent de la Gestapo.

Des témoignages à décharge viennent à son secours, le dépeignant comme un homme mesuré, incapable de dénoncer quiconque, soucieux du ravitaillement de la population, prêt aussi à intervenir auprès de l’occupant, ici pour empêcher un départ pour le Front de l’Est, là pour sauver un enfant juif.

Condamné à trois ans et trois mois de prison, ( la durée de la préventive ?),et à la privation pour 10 ans de ses droits civils et politiques, il sera libéré après son procès !

« On n’avait pas grand-chose, voire rien, à lui reprocher » écrira le rédacteur de sa biographie, un certain Bart de Wever !  (8)

En 1957, il  retrouvera ses droits .

Quoi qu’il en soit, il se présente aux élections communales de 1958 sur une liste soutenue par la Volksunie (9). Il est largement élu, et voilà le bourgmestre de la collaboration réhabilité et nommé 1er échevin de la commune de Brasschaat ! Élu conseiller provincial Volksunie en 1961, il disparait en 1963, avant d’être retrouvé, mort par noyade, dans le canal Albert. Suicide, accident .. ?


Est-ce à lui que pensait son successeur actuel à la maison communale de Brasschaat, quand il a déclaré que « Les gens qui ont collaboré avec les Allemands avaient leurs raisons » ? 

Place Dr Roosens à Brasschaat, en face de l'ancien
hôtel de ville
Monument aux morts ( dont le Dr Roosens).

La vie du Dr Roosens nous a plongé, on le voit, dans l’histoire de notre pays pendant la première moitié du XXe siècle. Même s’il était politiquement rattaché au vieux parti catholique réactionnaire et plutôt moyenâgeux, même s’il a lui-même, en 1938, tendu la main à l’extrême droite fasciste du VNV, espérant ainsi faire barrage à la gauche socialiste et communiste, il a, au moment décisif de l’occupation nazie, choisi le camp de la résistance.

Patriote, cela lui a coûté la vie. 
N’avait-il pas, lui aussi, ses raisons, et de bonnes raisons ?
C’est de notre devoir dorénavant d’honorer sa mémoire.
Quant à Hyppoliet Plaetinckx, l’usurpateur, collaborateur des nazis, chantre de l’Ordre Nouveau et dénonciateur des patriotes, ne porte-t-il pas, selon vous, amis lecteurs, sa part de responsabilités dans le mort dans les camps des patriotes et résistants qui se sont levés contre l’occupant et ses collaborateurs ?

Le camp de Gross Rosen en  Pologne :
 "Arbeit macht frei".
Citons le Dr Jozef Roosens bien sûr, décédé au Fort de Huy, et aussi ces courageux résistants du réseau du Front de l’Indépendance qui ont publié les «  Verplichte berichten », parmi lesquels Alfons Andries, commissaire de police, Fernand Doms, agent de police, et Théodore Mengal, employé communal, tous trois de Brasschaat, décédés au camp de Gross Rosen. (10)


UNE CERTAINE POROSITÉ
La clémence dont Paelinckx a bénéficié lors de son procès et la bienveillance à son égard dans sa carrière politique ultérieure ne sont-ils tout simplement pas le reflet de la porosité qui a persisté jusqu’à nos jours, entre l’ancienne collaboration de 40-45 et les élites du nationalisme flamand d’après - guerre ?
II n’y a pas si longtemps que les chefs nazis du VNV, Staf De Clerck et Hendrik Elias étaient honorés, en présence, voire à l’initiative, de responsables du Vlaams Blok,  de la NVA , voire du CD&V,  à l’occasion des cérémonies nationalistes en lien avec la bataille de l’Yser à Dixmude ou Ypres.
Photo 1 : pèlerinage de l'Yser 1973 à Dixmude: hommage au chef VNV, Hendrik ELIAS
 Photo 2 : Veillée de l'Yser 2002 à Ypres  - sous la direction du député NVA Luk LEMMENS :
 portraits de collaborateurs Staf  De Clerck et Irma Laplasse


Symbole de cette porosité aussi, Bob Maes (1924 - 2025) décédé à 100 ans ce 12 août, membre en 1943-1944 de la Jeunesse national-socialiste flamande et du VNV, fondateur en 1950 de la milice nationaliste VMO, puis sénateur Volksunie et dans les années 2000 membre d’honneur de la NVA - Zaventem. C’est en 2014 que des ministres NVA en exercice ont célébré son 90e anniversaire.

Rappelons ici la démission forcée en 2001 de Johann Sauwens, ministre Volksunie du gouvernement flamand pour sa participation à une célébration des combattants du Front de l'Est. Cela ne l'empêchera pas de poursuivre une carrière comme député CD &V.

Citons aussi Oswald van Ooteghem (1924-2022),  combattant SS de la Légion flamande, ( Waffen SS - division Langemarck), qui, après un an de prison,  refera une carrière politique comme sénateur et conseiller communal de la Volksunie ; ou  Victor Leemans (1901 - 1971) dirigeant de l'Arbeidsorde, organisation sociale du VNV, nommé en août 1940, sous pression de l'occupant, secrétaire général des Affaires économiques. En 1948, son dossier pénal est classé sans suite ; il sera sénateur PSC-CVP et, en 1965, président du Parlement européen.

Cette porosité se manifeste aussi par la carrière des fils, filles et petits enfants d’ex VNV dans les partis nationalistes : on ne compte pas les incidents (hommage aux combattants du Front de l’Est, déclarations antisémites,  etc.,) qui ont émaillé l’actualité des 20 dernières années (11)

2021 : Sous l'égide de Elizabeth Homans NVA - Numéro spécial de Newsweek
pour les 50 ans du Parlement flamand.
Deux dirigeants VNV collaborateurs, Borms et De Clercq sont mis à l'honneur..,
(en même temps que Camille Huysmans, qui a du se retourner dans sa tombe !!)

 Aujourd’hui, les dirigeants de la   NVA, qui occupent les sommets   de   l’État, reconnaissent la  collaboration comme une « erreur », alors qu’elle fut un crime et une trahison, mais la dénazification  en profondeur du nationalisme flamand, reste à faire, de toute évidence. 

Le racisme, dans l’ADN de ces mouvements fascistes et nazis du XXe siècle, doit lui aussi être combattu et éradiqué, alors qu’il se perpétue, aujourd’hui, sous la forme principale de la haine des arabes et des musulmans, voire des "étrangers" ou des migrants.
C’est à cela que travaillent les rassemblements anti fascistes et la coalition 8 mai qui rassemble chaque année des milliers de personnes à Breendonk, réponse massive, et démocratique au pèlerinage et autre « veille  de l’Yser" nationalistes.



NOTES 

(1) VNV :Vlaams Nationaal Verbond (Ligue Nationale flamande); Parti nationaliste flamand d'extrême droite, fondé en 1933 par Staf De Clerck. Aux élections de 1936, obtient d'emblée 16 sièges en Flandre et se range comme 5e parti du pays, derrière Rex (21 sièges). En 1940, s'aligne totalement sur l'occupant nazi, recrute pour le Front de l'Est, participe aux rafles contre les Juifs.
(2) Rex, fondé par Léon Degrelle en 1935, était un parti politique d'extrême droitenationaliste et antibolchévique.   Il était proche du fascisme italien,du phalangisme en Espagne.et du nazisme.   Aux élections de 1936, il obtient d'emblée 21 sièges, pour décliner jusqu'en 1940.  S'est aligné totalement sur l'occupant nazi, crée une légion SS "Wallonie", massacre des  résistants, persécute les Juifs.
(3) L'expression "Bourgmestre de guerre" occulte le fait que la plupart d'entre les maïeurs, de 1940 à 1944, ont été désignés par l'ennemi, et que l'organe élu, le conseil communal a été dissous. Ce fut  un véritable coup d'État institutionnel, au bénéfice des partis fascistes de la collaboration. Il serait plus correct de  parler de "bourgmestres de l'occupation", voire pour les usurpateurs "bourgmestres de la collaboration".
(4) CNAA :Corporation nationale de l'Alimentation et de l'Agriculture  organisme parastatal a
créé pour organiser et  contrôler toute la chaîne alimentaire (production, distribution et transformation) et le rationnement des vivres. La CNAA se base sur le corporatisme et est une émanation de l'Ordre nouveau
(5) Frontpartij: parti politique flamand issu du "Frontbeweging", mouvement des soldats pour l'égalité des droits sur le Front de l'Yser en 1914-1918.  Fondé en 1919, le parti , fédéraliste se présenta aux élections pour atteindre 11 sièges en 1929. Miné par les dissidences d'extrême droite , Verdinaso et VNV, le Frontpartij est dissous en 1933.
(6) Le chef d’enquête adjoint de la Gestapo, Frankenstein , était chargé de combattre la « Résistance nationale » (département IV.D), plus précisément la Brigade Blanche (IV.D1) et le Mouvement royaliste (IV.D2). La section IV.D3 était chargée de lutter contre les autres groupes.
(7) Jean Pierre Evers :  Martyrs du Fort de Huy - juillet 2025.
(8) Encyclopédie du mouvement flamand : biographie de Hyppoliet Paelinkx par Bart de Wever (1998) et Sam Clemen (2023)  on line, (en néerlandais): https://encyclopedievlaamsebeweging.be/nl/paelinckx-hippoliet 
(9) Volksunie : parti fondé en 1954, qui veut incarner les revendications démocratiques  du mouvement flamand. Connait une croissance électorale dans les années 70 et 80 et devient parti de gouvernement . Déchirée entre les courants nationalistes extrêmes et une aile plutôt centriste, elle disparait en 2001. La NVA reprendra alors le drapeau du nationalisme flamand.
(10) Gross Rosen: camp de concentration nazi allemand, construit en 1940 en tant que satellite de SachsenhausenIl fut libéré le  par l'Armée rougeUn total de 125 000 prisonniers a été interné dans ce camp et 40 000 d'entre eux y sont morts.  Parmi eux, trois résistants de Brasschaat dont le nom est repris dans "Le Livre d'Or de la Résistance " pp 369-372.
(11) Citons entre autres , Jan Tollenaere,  Karlijn Deene,  Marie Pierre Romsee.

SOURCES