mardi 7 juillet 2020

VIE ET MORT DU LIEUTENANT TONDEUR DANS LE CONGO DE LEOPOLD II (1)




Mon père, Arthur Tondeur, né à Boma (République Démocratique du Congo) en 1908 avait été baptisé de ce prénom en hommage à son oncle, Arthur (Charles), le frère aîné de son père (Félix) Georges Tondeur et d’une fratrie de 7 frères et sœurs.
Engagé en 1900, dans la Force Publique de « l’Etat Indépendant du Congo » (EIC), propriété de Léopold II, l'oncle Arthur y est mort, à 31 ans, dans un affrontement armé avec des « rebelles indigènes » dans la région du Kivu en juin 1902.
Que s’est - il donc passé en ce jour de 1902, quand le lieutenant Tondeur s’écroula dans un village quelque part à Kabare, transpercé de coups de lance ? Que se passait-il alors au Congo pour en arriver là ?

Mon grand'oncle Arthur (Charles) Tondeur
Marchienne au Pont 1871- Kabare 1902
 Me voilà donc plongé dans sa correspondance, les lettres échangées avec ses parents à Verviers et son frère (Felix) Georges, arrivé à Léopoldville, ainsi que la correspondance de ce dernier.
Je fouine sans relâche sur le net et dans les catalogues de bibliothèques J’y trouve la trace du lieutenant Arthur Tondeur à de multiples reprises, et particulièrement dans un document récent de Pierre Dubois.
Il concluait son très intéressant mémo par :
Si ce modeste article arrivait à des personnes, tant du côté des descendants d’Arthur Tondeur que des soldats et victimes congolais de cette affaire, je leur demande de me faire parvenir leurs documents ou témoignages, afin que nous puissions ensemble écrire plus complètement cette histoire et ainsi contribuer à une amitié entre nos peuples que le destin commun, fut-il tragique ou seulement épisodique, nous rapprocherait incontournablement.[1]
Puisse mon modeste travail, apporter sa pierre à ce noble objectif.

La colonisation fait partie intégrante de notre histoire familiale : outre le destin tragique de l’oncle Arthur, les 10 années de mission de mon grand- père (Felix) Georges comme fonctionnaire des postes de l’Etat Indépendant du Congo, ensuite du Congo Belge, (1900-1910)[2] prolongées par une carrière au ministère des Colonies, en témoignent.
Mon père, Arthur Tondeur; né à Boma (EIC) en 1908 
 décédé en 1999.  [en ligne]:
 https://rouges-flammes.blogspot.com/2014/05/
arthur-tondeur-boma-1908-menton-1999.html

Arthur, mon père pourtant né à Boma capitale de "l’EIC", en 1908, promis par son père, lui aussi, à une carrière coloniale (soit militaire, comme son oncle disparu, soit comme ingénieur dans les mines) a suivi un autre chemin.[3]

Personnellement, dès mes 16 ans, j'étais solidaire des combats de libération nationale des peuples colonisés : sympathisant du combat du Front de Libération Nationale algérien et admirateur de Patrice Lumumba, dont le discours du 30 juin 1960, courageuse profession de foi anticolonialiste, réponse à l’éloge de la colonisation et de Léopold II par le roi Baudouin, résonne encore dans mes oreilles.[4]

 Aujourd’hui, l’ancien colonialisme des XIXème et XXème siècles, fondé sur l’occupation et l’exploitation directes de continents entiers, au nom de la supériorité de la civilisation apportée par les Européens de race blanche, est presque unanimement condamné, et en particulier, l’épisode de la mainmise sur le Congo par Léopold II.
Par contre, à la fin du XIXème siècle, combien étaient-ils, en Europe, les opposants à la colonisation ?
Même si Marx avait écrit qu’un « peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre », même si l’Internationale Socialiste proclamera en 1907 que « la politique coloniale capitaliste, par son essence même, mène nécessairement à l’asservissement, au travail forcé ou à la destruction des populations indigènes »,[5] on était loin dans l’opinion catholique ou libérale, mais aussi socialiste d’une quelconque prise de conscience de la nature du fait colonial, à part peut- être la position isolée au sein du POB du seul Louis De Brouckère. [6]

Bien sûr, les exactions, le travail forcé, les mutilations et les massacres de masse commis dans le Congo de Léopold II ont soulevé dans de nombreux milieux la réprobation internationale : les noms de Robert Casement, E.D. Morel, des hommes de lettre Joseph Conrad, Conan Doyle, Mark Twain y resteront à jamais attachés.
Lanceurs d'alerte, ils ont obligé Léopold à instaurer une commission d’enquête, dont les conclusions, pourtant édulcorées, se sont retournées contre lui, et  ont ouvert la voie de la cession du Congo à la Belgique. La nature même du système colonial n’était cependant pas remise en cause ; le règne des grandes sociétés capitalistes coloniales et de leurs profits fabuleux pouvait se substituer à celui du Roi Souverain du caoutchouc : Union Minière, CFL (Chemins de fer du Congo aux Grands Lacs) du groupe Empain, Forminière, Lever (futur Unilever) etc. sous la houlette de la Société Générale et des autres groupes financiers. 

Alger : statue de l'émir Abd el Kader
Pourtant, les conquêtes coloniales ont dès leur début affronté la résistance des peuples colonisés, la révolte des Cipayes en Inde, la résistance d’Abdelkader en Algérie, la guerre du Tonkin, la prise de Khartoum au Soudan, la guerre de Java, la révolte des Herreros en Namibie, etc.
Cela fut le cas au Congo aussi.
Ce sont ces résistances qui écrivirent les premières pages, teintées de sang, du combat contre le colonialisme.

J’ai très longtemps ignoré l’existence d’un oncle Arthur.
Il était le frère de mon grand- père, Bon Papa Tondeur, que, gamin, j’ai bien connu et aimé, qui nous adorait, nous, ses petits- enfants. Il m’a souvent fait rire avec son caractère enjoué et ses chansons grivoises, et je l’ai vu pleurer à la mort de ma Mamy. Il nous réunissait parfois dans son bureau, mes frères et moi, pour nous offrir quelques timbres rares pour notre collection.
Sans doute fut il toute sa vie un fervent défenseur de l’Etat Indépendant du Congo et  du système colonial en général.
Mais je respecte sa mémoire, et celle de son frère.
Il n'empêche: j'arrive sans doute  à un âge où on désire éclaircir les zones d'ombre  et ce travail de mémoire familiale me semble particulièrement important.


1900 : LES DEUX FRERES TONDEUR EMBARQUENT POUR LE CONGO.
(Felix) Georges et Arthur (Charles), mes grand -père et grand- oncle paternels, que je nomme par leurs deux premiers prénoms pour les distinguer de Georges, mon oncle et d’Arthur, mon père, se sont embarqués à Anvers, pour le Congo, respectivement les 16 juin et 3 juillet 1900.
Mon grand père (Felix )Georges Tondeur 
(Hoegaarden 1879-Schaerbeek 1962)
lors de son départ pour le Congo le 16 juin 1900
L’aîné, Arthur avait 29 ans, son cadet (Felix) Georges, 21 ans.
Ils n’étaient pas nés dans une riche famille de la bourgeoisie. Leur père, né à Mons, fils d’artisan menuisier, installé rue de Havré à Mons, était employé des chemins de fer.
Promu chef de gare, il avait exercé son métier, au fil de ses mutations, à Marchienne au Pont, Bruges, Gand, Hoegaarden, Stavelot et Verviers.
Aux origines de notre famille Tondeur, entre les XVIIIème et XIXème siècles, on trouve d’une part des « ménagers »[7] parfois illettrés de la région de Havré (Mons), d’autre part, du côté de la mère, née Pariset, d’Arthur (Charles) et de (Felix) Georges des petits- commerçants, boutiquiers de la région de Lierre.[8]

C’est à la fois une volonté d’échapper à une condition sociale jugée médiocre et un désir d’évasion qui ont poussé les deux frères dans l’aventure coloniale.
Felix Georges, après des études à l’école moyenne de Stavelot, était employé des Postes ; il avait passé l’examen pour le grade de commis
« Je n'envisageais pas un avenir brillant dans l'administration et, malgré la bonne camaraderie entre collègues, mon désir d'évasion allait grandissant. [9]»
C’est son départ pour l’Afrique qui interrompra la longue attente de sa nomination, qui ne viendra jamais.
A Léopoldville, il sera percepteur après quelques mois, puis receveur, et enfin contrôleur suppléant des Postes à Boma !
Confronté, au retour au pays en 1903, après son premier terme, à la réalité du travail d’un petit fonctionnaire sans grade et probablement mal payé, il se réengageait illico pour un nouveau terme :
« … astreint au bureau de Bruxelles Centre à des services très durs (service de nuit ou service commençant à 4h1/2 du matin) je ne tardai pas à regretter la vie d'Afrique et je me rengageai au bout de six mois. »[10]
Les deux frères avaient aussi, en doublant leur paie, la volonté d’aider la nombreuse famille installée à Verviers, et on peut le supposer, de permettre ainsi à Marguerite[11], notre « tante Rita », leur sœur cadette, d’entamer des études.
 Ni l’un, ni l’autre ne cherchait la vie facile ou confortable ; (Felix) Georges décrit ainsi son installation à Léopoldville, avenue du Roi Souverain :
« Me voilà entre 4 parois de carton, sans aucun objet mobilier, pas même un lit. J'y trouve en tout et pour tout un bassin et une aiguière émaillés. La caissette qui m'a servi de chop-box pendant le voyage fera office de lavabo J'attendrai plusieurs semaines pour recevoir un lit avec ressorts à boudin(..). Le lendemain, il m'est fourni une petite table et 2 chaises en bois pour compléter mon installation »[12]
Bien sûr, ce modeste équipement style « La Ruée vers l’or » ne peut faire oublier que  là-bas, ils faisaient partie de la race des maîtres  qu’ils avaient à leur service boys et serviteurs.
N’est pas à exclure non plus, dans leur engagement, la conviction de participer à la « mission civilisatrice » de l’Occident, dont la supériorité raciale était présentée il y a 125 ans, comme évidente et indiscutable à la grande majorité des jeunes européens.
 Cette idéologie était par ailleurs distillée par tous les canaux (journaux, écoles, église, armée, expositions).
A titre d’exemple, mon grand- père (Felix) Georges expliquera ainsi, les raisons de son choix :
« Lorsque je fréquentais l'école moyenne de Stavelot, notre professeur de français, préparait pour la distribution des prix une petite pièce de théâtre qui était interprétée par les élèves. C’'était peu après la proclamation de l'Etat Indépendant du Congo, il avait donné pour titre à sa pièce ''Stanley''. Il relatait la lutte contre l'esclavagisme, montrait les razzias des Arabes.
… je figurais parmi une bande de jeunes Noirs, figure et mains noircies ; nous étions enchaînés et traversions lamentablement la scène sous la conduite de nos féroces ravisseurs qui, le fouet à la main, nous menaient durement.
Nous chantions tristement une complainte …''Le vent de la forêt gémit sur nos douleurs ; à nos cris les roseaux, en soupirant, répondent…"La pièce se terminait par un refrain patriotique : ''Fiers de notre grand Roi, d'un roi si magnanime, Belges écrions-nous, d'une voix unanime, vive, vive Léopold II, vive Léopold II''.
Et c'est ainsi, je pense, que naquit ma vocation coloniale. »[13]
 
On le voit, la plupart des institutions de la société belge, publiques et privées, étaient mobilisées au service de la promotion de la colonisation. Ce qui relativise la soi- disant indépendance de l’EIC par rapport à la Belgique. 

Carte postale de l'Exposition Universelle de Bruxelles - 1897
C’est bien le gouvernement belge qui fait deux prêts au roi pour financer sa colonie; ce sont bien des sociétés belges qui se voient accorder des domaines réservés basés sur la spoliation des terres dites « vacantes » et qui y pratiqueront le travail forcé ; c’est bien le port d’Anvers qui prospère du « commerce » teinté de sang de l’ivoire et du caoutchouc, etc.

Kinshasa : Stèle d'hommage aux 7 morts de Tervuren en 1897
[en ligne]https://www.youtube.com/watch?v=TkMOi_L2mVw

     C’est ainsi aussi qu’en 1897 se tint l’Exposition Universelle de Bruxelles, et en particulier la section coloniale à Tervuren fréquentée par 1.800.000 visiteurs, dont plus d’un million rien que dans les mois d’été.
Le but était, au-delà du développement des affaires et du commerce, de favoriser l’embauche de Belges pour le développement économique et administratif de l’EIC.

Deux villages africains reconstitués et clôturés pour que le public n'y ait pas accès, « exhibaient », dans les « villages nègres », sortes de zoo humains, des indigènes de différentes régions. Un détachement de la Force publique avec fanfare donnait des concerts ou paradait à heure fixe.[14] 






Quoi qu'il en soit, au début de 1900, (Felix) Georges fut engagé en répondant, à un ordre spécial circulant dans les bureaux de poste annonçant le recrutement par l'Etat Indépendant du Congo de trois agents pour le service postal.
Arthur (Charles), lui, après avoir suivi la formation militaire de l’école régimentaire de Philippeville avait obtenu le grade de sous – lieutenant, au XIIème de ligne en 1896 ; il avait ensuite, en 1900 intégré la « Force Publique » de l’EIC.
La plupart des officiers belges recrutés dans l’armée étaient « détachés » à l’Institut cartographique militaire, qui les mettait alors à la disposition du roi, auquel ils avaient prêté serment, et donc de la Force Publique.
Lui aussi, en s’engageant pour le Congo, espérait « arriver à une belle situation en Afrique. » « …Georges et moi ne tirerons que profits de l’entreprise dans laquelle nous nous lançons. Nous sommes tous deux en excellente santé, et notre caractère n’était pas fait pour nous contenter de l’avenir mesquinement limité que nous pouvions entrevoir ici. [15]»
Et il aura la même appréciation que son frère sur les lenteurs des procédures pour sa nomination au grade de lieutenant des Forces Armées Belges : » (...) je ne compte donc être nommé qu’en septembre (…) Je serai donc capitaine au Congo, avant d’être lieutenant en Belgique… »[16] 
Il sera effectivement élevé au grade de capitaine, en 1902, mais à titre posthume…

La "longue marche " des nouveaux maîtres blancs
Arthur (Charles) Tondeur décrit longuement son long voyage de 4 mois et demi, qui le mènera de découvertes en émerveillements: escale aux  Canaries, séjour de 10 jours à Cape Town, puis à Durban en Afrique du Sud,  remontée de la côte de l’Océan Indien vers le  Mozambique (colonisé par les Portugais), remontée du Zambèze puis de son affluent le Chiré, traversée du lac Nyassa (aujourd’hui Malawi), longue « marche » de plus de 15 jours, vers le lac Tanganika,  « porté dans un hamac suspendu à une perche de bambou que deux noirs portent sur leurs épaules », traversée en bateau du Sud au Nord  jusqu’à Uvira, à la pointe Nord du lac.
Il y arrive le 12 novembre 1900.

photo: "KIVU 1912" - album de Pierre. Dubois
à partir de "Panorama du Congo"  TCB
A son arrivée à Uvira, puis, lors de son premier transfert à Shangugu (aujourd’hui Cyangugu, au Ruanda), il décrit la région comme une région magnifique au climat favorable, et comme une région pacifique, avec l’agriculture et l’artisanat développés.
« (…) ce sont aussi de bons cultivateurs ; de la plaine, (à Uvira), on distingue parfaitement leurs plantations jusqu’aux plus hauts sommets des montagnes.
photo: "KIVU 1912" - album de Pierre. Dubois
à partir de "Panorama du Congo " TCB
« (...) les vallées sont très bien cultivées, les bananeraies surtout sont très nombreuses et très bien entretenues ; il y a encore de grandes plantations de haricots nains, de patates douces, tout cela aussi bien arrangé que par des paysans d’Europe. »
photo: "KIVU 1912" - album de Pierre. Dubois
à partir de "Panorama du Congo"  TCB
  La langue indigène, le kiswahili est une fort belle langue, très riche, dont la grammaire tient dans un bouquin d’un bon doigt d’épaisseur ; cette perfection de la langue prouve que les indigènes sont arrivés à un certain niveau de civilisation 
… Les indigènes d’ici sont des gens fort paisibles qui passent leur temps dans leurs cultures, 



    qui sont fort belles et soignent        leurs troupeaux.
  Bref, dit-il avec  le  paternalisme        de l'époque, c’est une belle et           bonne population, pas du tout          sauvage. »[17]









A de nombreuses reprises, dans sa correspondance, on comprend que le but de l’expédition pour laquelle il a été recruté, ordonnée par Léopold II et commandée par le capitaine Milz, n’est pas clair.
Officiellement, il s’agissait de la délimitation des « frontières », dans la région du Kivu, disputée entre « l'État Indépendant » et l'Allemagne.
Avant son départ d’Anvers, après avoir rencontré son chef, le capitaine Milz, il écrit, de façon assez surprenante (veut il rassurer ses parents ?) :
 « Il parait que nous allons étudier le Katanga [18] du point de vue climat et ressources en tout genre pour voir s’il n’y aurait pas moyen d’en faire une colonie de peuplement. On examinera aussi la question des communications pour savoir s’il ne serait pas plus économique… de rentrer dans le territoire de l’EIC par la côte orientale pour atteindre tout le district des Stanley Falls. »
Il ajoute : « Le capitaine Milz m’a confié des instruments de topographie, que je serai chargé de manier là- bas. Je suis obligé de passer chez le fabricant pour me faire donner les renseignements sur leur maniement, réglage, etc. [19]»
Mission d’étude scientifique, toute pacifique en apparence, et attirante à tout point de vue, semble- t- il.
Plus tard, de Cape Town, il écrit à son frère : « Je ne sais pas encore exactement quel est mon lieu de destination, ni même le but exact de ma mission. Ce sera toujours au Nord du Tanganika, fort probablement au Kivu ; le centre des opérations sera Uvira. » 
Comme la rumeur des opérations militaires contre les révoltés de la Force Publique s’était répandue en Belgique, et pouvait inquiéter ses parents, il s’empressera de les rassurer : « D'après ce qu’ont publié certains journaux belges, il paraîtrait que notre expédition aurait un but de guerre. Ce sont là des racontars de folliculaires à court de copie…Je connais les instructions qu’a reçues notre chef. Nous devons occuper la région du Kivu, voilà tout !
La nouvelle a sans doute été apportée en Belgique que les révoltés ont attaqué Albertville.(…) Il y a eu tout simplement un petit mécontentement dans quelques villages des environs ; On a foutu une petite pile aux moricauds (*), et tout est rentré dans le calme. » (* moricaud :terme péjoratif et raciste pour désigner les noirs)
« Nous n’avons non plus rien à voir avec la répression de cet acte d’hostilité ; le règlement dit que les officiers chargés d’une mission spéciale ne peuvent en être détournés sous aucun prétexte ; Vous pouvez donc être parfaitement tranquilles à ce sujet. »[20]



« Mission spéciale" , "but de guerre", "attaque des révoltés", "une pile aux "moricauds", derrière le flou entretenu par les autorités , la réalité de l'action de la Force Publique apparaît et elle a une odeur de poudre et de sang.

"tous nos hommes ont fait campagne pendant longtemps contre les révoltés et contre des chefs indigènes insoumis " 

Plus tard, en charge du commandement du poste de Shangugu (Cyangugu), il parle à plusieurs reprises de la « soi- disant expédition ».
Veut- il dire par là qu’il n’est lui-même, ainsi que d’autres compagnons de voyage, aucunement associé à la « mission spéciale géographique » de l’expédition Milz » ?
Qu’il n’est pas informé du but réel de sa mission ? Qu’il ne sent pas non plus reconnu comme officier ?
Il écrit ainsi à son frère :
« Dans le poste que je vais occuper, je n’aurai rien pour ainsi dire rien à faire, je dois faire acte d’occupation, c’est tout. Il m’est même défendu d’acheter des vivres aux indigènes ; je ne puis avoir avec eux aucune espèce de rapport ; occuper le terrain, c’est tout !
1901: à droite Arthur (Charles)  Tondeur  à Shangugu
( Cyangugu ,aujourd'hui au Ruanda) 
 Et à ses parents le 04/01/1901, il écrit, alors qu’il avait reçu ordre de préparer un potager pour un séjour de la commission de délimitation des frontières : « Je ne fais guère la besogne d’un officier ici, et je serais assez honteux, de devoir dire, à ma rentrée en Europe que je n’ai fait en Afrique que planter des choux et semer des navets. »
Il écrira d‘ailleurs, avec lucidité le 9 janvier 1901, dans une lettre à son frère : « A vrai dire,  il n’y a pas d’expédition puisque nous sommes tous maintenant distribués dans les postes » !

Le lieutenant Arthur TONDEUR a t' il été, sous couvert d’une expédition de délimitation des frontières avec les colonies allemandes, engagé pour renforcer en fait  le cadre militaire de la Force Publique, armée en guerre contre sa propre population, fortement mis à mal, à la fois par les mutineries en masse des troupes africaines, et par l’insoumission des populations  du Kivu, qui résistent à  la colonisation ?  
Il le confirme en tout cas en avril 1901, depuis le poste d’Uvira, où il vient d’être désigné chef de poste, et où il est noyé dans les paperasseries : « L’administration est dans un gâchis épouvantable. C’est assez compréhensible :  tous nos hommes ont fait campagne pendant longtemps contre les révoltés et contre des chefs indigènes insoumis ; pendant tout ce temps, on n’a guère songé à mettre les paperasses en ordre. »[21]

La zone de la Ruzizi Kivu- 1900
 Tracé de la frontière avec la Deutsch Ostafrika
tel que revendiqué par l’EIC
En fait, Léopold II a eu constamment les deux fers au feu :

      ·   Conquérir la gigantesque colonie pour l’exploiter au maximum, en soutirer par le travail forcé des Africains, le maximum de richesses, dont le caoutchouc et l’ivoire, mater par les armes toute révolte, soumettre au pouvoir colonial, incarné par les officiers de la Force Publique, la population et les rois et chefs locaux.

       ·       Etendre son empire vers l’Est, le Ruanda, voire la côte orientale, et vers  le Nord Est, le Nil, le Soudan, Khartoum, voire plus loin., et ce, en se préparant à tout conflit avec ses concurrents impérialistes allemands, britanniques, et français, pour le partage du gâteau africain.
Et je découvre en cours de rédaction de cet article la réalité de l’expédition Milz :
« En qualité de commissaire du Gouvernement, Milz est désigné pour assurer le commandant-supérieur de la Ruzizi-Kivu. Sa mission est d’assurer seul la responsabilité politique dans la région et d’organiser le territoire pour défendre au mieux les droits de l’Etat selon les instructions reçues. (…) Milz est accompagné dans son voyage par 7 cadres européens »[22]

 Le 17 avril 1901, d’ailleurs, avec les deux fers au feu (préparation à un affrontement éventuel avec l’Allemagne et soumission des populations locales), le Gouvernement général place le territoire Ruzizi-Kivu sous « régime militaire spécial », un conseil de guerre siégeant à Uvira.
On  est là loin de la mission « scientifique » du départ, mais bien dans une opération de conquête militaire.

Le court séjour du lieutenant Tondeur est à lui seul un résumé - tragique- de cette double politique.
  • De la fin novembre 1900 à mars 1901, il fera acte d’occupation à Shangugu sur la côte Est    du lac Kivu, territoire revendiqué à la fois par Léopold II et par l’Allemagne.
  •  Il sera ensuite, pendant près d’un an, de mars 1901 à février 1902, chef de poste à Uvira, avec la mission de remettre de l’ordre dans la gestion administrative du poste, quelques mois à peine après que les révoltés de la Force Publique, s’en soient retirés.
  • Et, dès février 1902, il sera muté chef de poste à Nya Lukemba (aujourd’hui Bukavu). Il tombera, dans un village voisin, Nyanda, sous les coups de lance des guerriers du royaume Bushi du Mwami Kabare, insoumis.

La tragique vérité, n’est-elle pas que le lieutenant Tondeur a été recruté, comme officier d’une armée de conquête coloniale, en guerre permanente depuis sa création en 1886 ?

A suivre ...

VIE ET MORT  DU LIEUTENANT TONDEUR DANS LE CONGO  DE LEOPOLD II  (2) :
UNE LONGUE GUERRE DE CONQUETE COLONIALE.

VIE ET MORT  DU LIEUTENANT TONDEUR DANS LE CONGO  DE LEOPOLD II  (3): KABARE 18 JUIN 1902,  MORT DU LIEUTENANT TONDEUR , REPRESAILLES ET RESISTANCE .


[1] Pierre Dubois/ « L’histoire du lieutenant Tondeur »
[2]TONDEUR Felix Georges 1879-1962 :  MEMOIRES - Dix années au Congo 1900-1910  http://www.urome.be/fr2/ouvrag/1900Tondeur.pdf
[3] Voir ROUGEs FLAMMEs : ARTHUR TONDEUR (1908 - 1999) TEMOIN DE « L'AGE DES EXTREMES » [en ligne] https://rouges-flammes.blogspot.com/2014/05/arthur-tondeur-boma-1908-menton-1999.html
[4] Voir Annexes de la partie (3)
[5] Résolution relative à la question coloniale - Congrès de Stuttgart (1907). [en ligne] https://www.marxists.org/francais/inter_soc/stuttgart_1907/19070800_inter_soc_stuttgart_a.htm
[6]: Marcel Liebman, Les socialistes belges 1885-1914, Vie Ouvrière Bruxelles 1977 pp 218-225
[7] Le ménager était dans les régions du Nord, un « petit paysan qui produisait de quoi vivre pour lui et sa famille, cultivant possédant entre cinq et quarante hectares, éventuellement une paire de bœufs.
[8] FRANCOIS TONDEUR :» LE DRAGON, LE GROGNARD ET LES BOUTIQUIERS » Petite recherche généalogique de l’ascendance de Félix Georges Tondeur (non publié) 2014
[9]   TONDEUR Felix Georges :  MEMOIRES - Dix années au Congo 1900-1910 p3
[10]  ibid p31
[11] Marguerite TONDEUR : sœur cadette de (Felix) Georges et d’Arthur (Charles) née le 06/04/1886, décédée le 10/03/1955. Professeur de littérature française, elle a épousé Serge Chlepner, professeur à l’ULB.
[12] TONDEUR Felix Georges :  MEMOIRES – p12
[13] ibid-  p2
[14] 267 congolais avaient été amenés en Belgique, dont 100 soldats de la Force Publique. Deux périrent durant le voyage et sept   moururent de grippe ou de pneumonie ; ils furent, dans un premier temps, enterrés à la sauvette dans une fosse commune., puis enfin ils reçurent  une sépulture digne.voir le film BOMA -TERVUREN LE VOYAGE  [en ligne]   https://www.youtube.com/watch?v=TkMOi_L2mVw
[15] TONDEUR Arthur (Charles) Correspondance p5
[16] Dans son témoignage (voir infra ), Ginette Tondeur Permanne explique qu’il était amoureux de la fille d’un officier supérieur qui ne voulait pas d’un sous- lieutenant comme gendre ; c’était aussi une raison de son départ pour le Congo d'où il espérait revenir capitaine après son terme de 3 ans..
[17] TONDEUR Arthur (Charles) Correspondance p 51 16/11/1900
[18]  ?? Référence au Katanga incompréhensible, puisque il sera toujours question du Kivu ou de la région du lac Tanganika.
[19] TONDEUR Arthur (Charles) Correspondance p.2 lettre 24/06/1900
[20] ibid p.38 lettre 13/10/1900
[21] ibid p.51 29/04/1901
[22] LECOQ HANS JOACHIM Le conflit frontalier germano-congolais de la Ruzizi-Kivu (1895-1910) : disputée par l’Etat indépendant du Congo, héritée par la Belgique, gagnée par l’Allemagne. P79 Faculté de philosophie, arts et lettres, Université catholique de Louvain,2018.[en ligne]. https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/object/thesis:14229 








                                                   




1 commentaire:

  1. Bonjour, je suis tombé sur votre blog en faisant des recherches généalogiques sur la famille de mon compagnon qui descend de Elmire Julie, soeur de Arthur Charles et Félix Georges. J'aimerai en savoir plus sur la famille Tondeur. Pourriez-vous, svp, me contacter par mail : sarah.zeippen@gmail.com
    Merci
    Zeippen Sarah

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