Mon père, Arthur Tondeur, né à Boma
(République Démocratique du Congo) en 1908 avait été baptisé de ce prénom en hommage à son oncle,
Arthur (Charles), le frère aîné de son père (Félix) Georges Tondeur et d’une
fratrie de 7 frères et sœurs.
Engagé en 1900, dans la Force Publique de « l’Etat
Indépendant du Congo » (EIC), propriété de Léopold II, l'oncle Arthur y est mort, à 31
ans, dans un affrontement armé avec des « rebelles indigènes » dans
la région du Kivu en juin 1902.
Que s’est - il donc passé en ce jour de 1902,
quand le lieutenant Tondeur s’écroula dans un village quelque part à Kabare,
transpercé de coups de lance ? Que se passait-il alors au Congo pour en
arriver là ?
Mon grand'oncle Arthur (Charles) Tondeur Marchienne au Pont 1871- Kabare 1902 |
Je fouine sans relâche sur le
net et dans les catalogues de bibliothèques J’y trouve la trace du lieutenant
Arthur Tondeur à de multiples reprises, et particulièrement dans un document
récent de Pierre Dubois.
Il concluait son très
intéressant mémo par :
Si ce modeste article
arrivait à des personnes, tant du côté des descendants d’Arthur Tondeur que des
soldats et victimes congolais de cette affaire, je leur demande de me faire
parvenir leurs documents ou témoignages, afin que nous puissions ensemble
écrire plus complètement cette histoire et ainsi contribuer à une amitié entre
nos peuples que le destin commun, fut-il tragique ou seulement épisodique, nous
rapprocherait incontournablement.[1]
Puisse mon modeste travail, apporter sa
pierre à ce noble objectif.
La colonisation fait partie intégrante de
notre histoire familiale : outre le destin tragique de l’oncle Arthur, les
10 années de mission de mon grand- père (Felix) Georges comme fonctionnaire des
postes de l’Etat Indépendant du Congo, ensuite du Congo Belge, (1900-1910)[2] prolongées par une carrière
au ministère des Colonies, en témoignent.
Mon père, Arthur Tondeur; né à Boma (EIC) en 1908 décédé en 1999. [en ligne]: https://rouges-flammes.blogspot.com/2014/05/ arthur-tondeur-boma-1908-menton-1999.html |
Personnellement, dès mes 16 ans, j'étais solidaire
des combats de libération nationale des peuples colonisés : sympathisant
du combat du Front de Libération Nationale algérien et admirateur de Patrice
Lumumba, dont le discours du 30 juin 1960, courageuse profession de foi
anticolonialiste, réponse à l’éloge de la colonisation et de Léopold II par le roi
Baudouin, résonne encore dans mes oreilles.[4]
Aujourd’hui,
l’ancien colonialisme des XIXème et XXème siècles, fondé sur l’occupation et
l’exploitation directes de continents entiers, au nom de la supériorité de la
civilisation apportée par les Européens de race blanche, est presque unanimement
condamné, et en particulier, l’épisode de la mainmise sur le Congo par Léopold
II.
Par contre, à la fin du XIXème siècle, combien
étaient-ils, en Europe, les opposants à la colonisation ?
Même si Marx avait écrit qu’un
« peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre »,
même si l’Internationale Socialiste proclamera en 1907 que « la politique
coloniale capitaliste, par son essence même, mène nécessairement à
l’asservissement, au travail forcé ou à la destruction des populations indigènes »,[5] on était
loin dans l’opinion catholique ou libérale, mais aussi socialiste d’une quelconque
prise de conscience de la nature du fait colonial, à part peut- être la
position isolée au sein du POB du seul Louis De Brouckère. [6]
Bien
sûr, les exactions, le travail forcé, les mutilations et les massacres de masse
commis dans le Congo de Léopold II ont soulevé dans de nombreux milieux la réprobation internationale : les noms de Robert Casement, E.D. Morel, des hommes de lettre Joseph Conrad,
Conan Doyle, Mark Twain y resteront à jamais attachés.
Lanceurs d'alerte, ils ont obligé Léopold à instaurer une
commission d’enquête, dont les conclusions, pourtant édulcorées, se sont retournées contre lui, et ont ouvert la
voie de la cession du Congo à la Belgique. La nature même du système
colonial n’était cependant pas remise en cause ; le règne des grandes sociétés capitalistes coloniales et de leurs profits fabuleux pouvait se substituer à celui du Roi Souverain du caoutchouc : Union Minière, CFL (Chemins de fer du Congo
aux Grands Lacs) du groupe Empain, Forminière, Lever (futur Unilever) etc. sous la
houlette de la Société Générale et des autres groupes financiers.
Alger : statue de l'émir Abd el Kader |
Cela fut le cas au Congo aussi.
Ce sont ces résistances qui écrivirent
les premières pages, teintées de sang, du combat contre le colonialisme.
J’ai très longtemps ignoré l’existence d’un oncle Arthur.
Il était le frère de mon grand- père, Bon
Papa Tondeur, que, gamin, j’ai bien connu et aimé, qui nous adorait, nous, ses
petits- enfants. Il m’a souvent fait rire avec son caractère enjoué et ses
chansons grivoises, et je l’ai vu pleurer à la mort de ma Mamy. Il nous réunissait
parfois dans son bureau, mes frères et moi, pour nous offrir quelques timbres
rares pour notre collection.
Sans doute fut il toute sa vie un fervent
défenseur de l’Etat Indépendant du Congo et du système colonial en général.
Mais je respecte sa mémoire, et celle de son frère.
Il n'empêche: j'arrive sans doute à un âge où on désire éclaircir les zones d'ombre et ce travail de mémoire familiale me semble particulièrement important.
Mais je respecte sa mémoire, et celle de son frère.
Il n'empêche: j'arrive sans doute à un âge où on désire éclaircir les zones d'ombre et ce travail de mémoire familiale me semble particulièrement important.
1900 : LES DEUX FRERES TONDEUR EMBARQUENT
POUR LE CONGO.
(Felix) Georges et Arthur (Charles), mes
grand -père et grand- oncle paternels, que je nomme par leurs deux premiers
prénoms pour les distinguer de Georges, mon oncle et d’Arthur, mon père, se
sont embarqués à Anvers, pour le Congo, respectivement les 16 juin et 3 juillet
1900.
Mon grand père (Felix )Georges Tondeur (Hoegaarden 1879-Schaerbeek 1962) lors de son départ pour le Congo le 16 juin 1900 |
Ils n’étaient pas nés dans une riche
famille de la bourgeoisie. Leur père, né à Mons, fils d’artisan
menuisier, installé rue de Havré à Mons, était employé des chemins de fer.
Promu chef de gare, il avait exercé son
métier, au fil de ses mutations, à Marchienne au Pont, Bruges, Gand,
Hoegaarden, Stavelot et Verviers.
Aux origines de notre famille Tondeur, entre
les XVIIIème et XIXème siècles, on trouve d’une part des « ménagers »[7] parfois illettrés
de la région de Havré (Mons), d’autre part, du côté de la mère, née Pariset, d’Arthur
(Charles) et de (Felix) Georges des petits- commerçants, boutiquiers de la
région de Lierre.[8]
C’est
à la fois une volonté d’échapper à une condition sociale jugée médiocre et un
désir d’évasion qui ont poussé les deux frères dans l’aventure coloniale.
Felix Georges, après des études à l’école
moyenne de Stavelot, était employé des Postes ; il avait passé l’examen
pour le grade de commis
« Je n'envisageais pas un avenir brillant
dans l'administration et, malgré la bonne camaraderie entre collègues, mon
désir d'évasion allait grandissant. [9]»
C’est son départ pour l’Afrique qui
interrompra la longue attente de sa nomination, qui ne viendra jamais.
A
Léopoldville, il sera percepteur après quelques mois, puis receveur, et enfin
contrôleur suppléant des Postes à Boma !
Confronté, au retour au pays en 1903,
après son premier terme, à la réalité du travail d’un petit fonctionnaire sans
grade et probablement mal payé, il se réengageait illico pour un nouveau
terme :
« … astreint au bureau de Bruxelles
Centre à des services très durs (service de nuit ou service commençant à 4h1/2
du matin) je ne tardai pas à regretter la vie d'Afrique et je me rengageai au
bout de six mois. »[10]
Les deux frères avaient aussi, en doublant
leur paie, la volonté d’aider la nombreuse famille installée à Verviers, et on
peut le supposer, de permettre ainsi à Marguerite[11], notre « tante
Rita », leur sœur cadette, d’entamer des études.
Ni l’un, ni l’autre ne cherchait la vie facile ou
confortable ; (Felix) Georges décrit ainsi son installation à
Léopoldville, avenue du Roi Souverain :
« Me voilà
entre 4 parois de carton, sans aucun objet mobilier, pas même un lit. J'y
trouve en tout et pour tout un bassin et une aiguière émaillés. La caissette
qui m'a servi de chop-box pendant le voyage fera office de lavabo J'attendrai
plusieurs semaines pour recevoir un lit avec ressorts à boudin(..). Le lendemain, il
m'est fourni une petite table et 2 chaises en bois pour compléter mon
installation »[12]
Bien sûr, ce modeste équipement style
« La Ruée vers l’or » ne peut faire oublier que là-bas, ils faisaient
partie de la race des maîtres qu’ils
avaient à leur service boys et serviteurs.
N’est pas à exclure non plus, dans leur
engagement, la conviction de participer à la « mission
civilisatrice » de l’Occident, dont la supériorité raciale était présentée
il y a 125 ans, comme évidente et indiscutable à la grande majorité des jeunes européens.
Cette idéologie était par ailleurs distillée
par tous les canaux (journaux, écoles, église, armée, expositions).
A titre d’exemple, mon grand- père (Felix)
Georges expliquera ainsi, les raisons de son choix :
« Lorsque je
fréquentais l'école moyenne de Stavelot, notre professeur de français,
préparait pour la distribution des prix une petite pièce de théâtre qui était
interprétée par les élèves. C’'était peu après la proclamation de l'Etat
Indépendant du Congo, il avait donné pour titre à sa pièce ''Stanley''. Il
relatait la lutte contre l'esclavagisme, montrait les razzias des Arabes.
… je figurais
parmi une bande de jeunes Noirs, figure et mains noircies ; nous étions
enchaînés et traversions lamentablement la scène sous la conduite de nos
féroces ravisseurs qui, le fouet à la main, nous menaient durement.
Nous chantions
tristement une complainte …''Le vent de la forêt gémit sur nos douleurs ; à nos
cris les roseaux, en soupirant, répondent…"La pièce se terminait par un
refrain patriotique : ''Fiers de notre grand Roi, d'un roi si magnanime,
Belges écrions-nous, d'une voix unanime, vive, vive Léopold II, vive Léopold
II''.
Et c'est ainsi, je
pense, que naquit ma vocation coloniale. »[13]
On le voit, la
plupart des institutions de la société belge, publiques et privées, étaient
mobilisées au service de la promotion de la colonisation. Ce qui relativise la
soi- disant indépendance de l’EIC par rapport à la Belgique.
Carte postale de l'Exposition Universelle de Bruxelles - 1897 |
Kinshasa : Stèle d'hommage aux 7 morts de Tervuren en 1897 [en ligne]https://www.youtube.com/watch?v=TkMOi_L2mVw |
C’est ainsi aussi qu’en 1897 se
tint l’Exposition Universelle de Bruxelles, et en particulier la section
coloniale à Tervuren fréquentée par 1.800.000 visiteurs, dont plus d’un million
rien que dans les mois d’été.
Le but était, au-delà du
développement des affaires et du commerce, de favoriser l’embauche de Belges
pour le développement économique et administratif de l’EIC.
Deux villages africains
reconstitués et clôturés pour que le public n'y ait pas accès, « exhibaient
», dans les « villages nègres », sortes de zoo humains, des indigènes de différentes régions.
Un détachement de la Force publique avec fanfare donnait des concerts ou
paradait à heure fixe.[14]
Quoi qu'il en soit, au début de 1900, (Felix) Georges fut engagé en répondant, à un ordre spécial circulant dans les bureaux de poste annonçant le recrutement par l'Etat Indépendant du Congo de trois agents pour le service postal.
Arthur (Charles), lui, après avoir suivi la
formation militaire de l’école régimentaire de Philippeville avait obtenu le
grade de sous – lieutenant, au XIIème de ligne en 1896 ; il avait ensuite, en
1900 intégré la « Force Publique » de l’EIC.
La plupart des officiers belges recrutés
dans l’armée étaient « détachés » à l’Institut cartographique militaire,
qui les mettait alors à la disposition du roi, auquel ils avaient prêté serment,
et donc de la Force Publique.
Lui aussi, en s’engageant pour le Congo,
espérait « arriver à une belle situation en Afrique. » « …Georges
et moi ne tirerons que profits de l’entreprise dans laquelle nous nous lançons.
Nous sommes tous deux en excellente santé, et notre caractère n’était pas fait
pour nous contenter de l’avenir mesquinement limité que nous pouvions entrevoir
ici. [15]»
Et il aura la même appréciation que
son frère sur les lenteurs des procédures pour sa nomination au grade de
lieutenant des Forces Armées Belges : » (...) je ne compte donc être
nommé qu’en septembre (…) Je serai donc capitaine au Congo, avant d’être
lieutenant en Belgique… » [16]
Il sera effectivement élevé au grade de
capitaine, en 1902, mais à titre posthume…
La "longue marche " des nouveaux maîtres blancs |
Il y arrive le 12 novembre 1900.
photo: "KIVU 1912" - album de Pierre. Dubois à partir de "Panorama du Congo" TCB |
« (…) ce sont
aussi de bons cultivateurs ; de la plaine, (à Uvira), on
distingue parfaitement leurs plantations jusqu’aux plus hauts sommets des
montagnes.
photo: "KIVU 1912" - album de Pierre. Dubois à partir de "Panorama du Congo " TCB |
photo: "KIVU 1912" - album de Pierre. Dubois à partir de "Panorama du Congo" TCB |
… Les indigènes d’ici sont des gens fort paisibles qui passent leur temps dans leurs cultures,
qui
sont fort belles et soignent leurs troupeaux.
Bref, dit-il avec le paternalisme de l'époque,
c’est une belle et bonne population, pas du tout sauvage. »[17]
A de nombreuses reprises, dans sa correspondance, on comprend que le but de l’expédition pour laquelle il a été recruté, ordonnée par Léopold II et commandée par le capitaine Milz, n’est pas clair.
Officiellement, il s’agissait de la
délimitation des « frontières », dans la région du Kivu, disputée
entre « l'État Indépendant » et l'Allemagne.
Avant son départ d’Anvers, après
avoir rencontré son chef, le capitaine Milz, il écrit, de façon assez surprenante
(veut il rassurer ses parents ?) :
« Il parait que nous
allons étudier le Katanga [18] du point de vue climat et ressources en tout genre pour voir s’il n’y aurait
pas moyen d’en faire une colonie de peuplement. On examinera aussi la question
des communications pour savoir s’il ne serait pas plus économique… de rentrer
dans le territoire de l’EIC par la côte orientale pour atteindre tout le
district des Stanley Falls. »
Il ajoute : « Le capitaine
Milz m’a confié des instruments de topographie, que je serai chargé de manier
là- bas. Je suis obligé de passer chez le fabricant pour me faire donner les
renseignements sur leur maniement, réglage, etc. [19]»
Mission d’étude scientifique, toute
pacifique en apparence, et attirante à tout point de vue, semble- t- il.
Plus tard, de Cape Town, il écrit à
son frère : « Je ne sais pas encore exactement quel est mon
lieu de destination, ni même le but exact de ma mission. Ce sera toujours au
Nord du Tanganika, fort probablement au Kivu ; le centre des opérations sera
Uvira. »
Comme la rumeur des opérations
militaires contre les révoltés de la Force Publique s’était répandue en
Belgique, et pouvait inquiéter ses parents, il s’empressera de les rassurer : « D'après ce
qu’ont publié certains journaux belges, il paraîtrait que notre expédition
aurait un but de guerre. Ce sont là des racontars de folliculaires à court de
copie…Je connais les instructions qu’a reçues notre chef. Nous devons occuper la
région du Kivu, voilà tout !
La nouvelle
a sans doute été apportée en Belgique que les révoltés ont attaqué Albertville.(…) Il
y a eu tout simplement un petit mécontentement dans quelques villages des
environs ; On a foutu une petite pile aux moricauds (*), et tout est rentré
dans le calme. » (* moricaud :terme péjoratif et raciste pour désigner les noirs)
« Nous
n’avons non plus rien à voir avec la répression de cet acte d’hostilité ;
le règlement dit que les officiers chargés d’une mission spéciale ne peuvent en
être détournés sous aucun prétexte ; Vous pouvez donc être parfaitement
tranquilles à ce sujet. »[20]
« Mission
spéciale" , "but de guerre", "attaque des révoltés", "une pile aux "moricauds", derrière le flou entretenu par les autorités , la réalité de l'action de la Force Publique apparaît et elle a une odeur de poudre et de sang.
"tous nos hommes ont fait campagne pendant longtemps contre les révoltés et contre des chefs indigènes insoumis "
Plus tard, en charge du commandement du poste de Shangugu (Cyangugu), il parle à plusieurs reprises de la « soi- disant expédition ».
"tous nos hommes ont fait campagne pendant longtemps contre les révoltés et contre des chefs indigènes insoumis "
Plus tard, en charge du commandement du poste de Shangugu (Cyangugu), il parle à plusieurs reprises de la « soi- disant expédition ».
Veut-
il dire par là qu’il n’est lui-même, ainsi que d’autres compagnons de voyage,
aucunement associé à la « mission spéciale géographique » de
l’expédition Milz » ?
Qu’il
n’est pas informé du but réel de sa mission ? Qu’il ne sent pas non plus reconnu
comme officier ?
Il écrit ainsi à son frère :
Il écrit ainsi à son frère :
« Dans
le poste que je vais occuper, je n’aurai rien pour ainsi dire rien à faire, je
dois faire acte d’occupation, c’est tout. Il m’est même défendu d’acheter des
vivres aux indigènes ; je ne puis avoir avec eux aucune espèce de rapport ;
occuper le terrain, c’est tout !
1901: à droite Arthur (Charles) Tondeur à Shangugu ( Cyangugu ,aujourd'hui au Ruanda) |
Il
écrira d‘ailleurs, avec lucidité le 9 janvier 1901, dans une lettre à son
frère : « A vrai dire, il n’y a pas d’expédition puisque nous
sommes tous maintenant distribués dans les postes » !
Le
lieutenant Arthur TONDEUR a t' il été, sous couvert d’une expédition de
délimitation des frontières avec les colonies allemandes, engagé pour renforcer en fait le cadre militaire de la Force Publique, armée en guerre contre sa propre population, fortement mis à mal, à la fois par les
mutineries en masse des troupes africaines, et par l’insoumission des populations du Kivu, qui résistent à la colonisation ?
Il le
confirme en tout cas en avril 1901, depuis le poste d’Uvira, où il vient d’être
désigné chef de poste, et où il est noyé dans les paperasseries : « L’administration
est dans un gâchis épouvantable. C’est assez compréhensible : tous
nos hommes ont fait campagne pendant longtemps contre les révoltés et contre
des chefs indigènes insoumis ; pendant tout ce temps, on n’a guère songé à
mettre les paperasses en ordre. »[21]
La zone de la Ruzizi Kivu- 1900
Tracé de la frontière
avec la Deutsch Ostafrika tel que revendiqué par l’EIC |
· Conquérir
la gigantesque colonie pour l’exploiter au maximum, en soutirer par le travail
forcé des Africains, le maximum de richesses, dont le caoutchouc et l’ivoire,
mater par les armes toute révolte, soumettre au pouvoir colonial, incarné par
les officiers de la Force Publique, la population et les rois et chefs locaux.
·
Etendre
son empire vers l’Est, le Ruanda, voire la côte orientale, et vers le Nord Est,
le Nil, le Soudan, Khartoum, voire plus loin., et ce, en se préparant à tout
conflit avec ses concurrents impérialistes allemands, britanniques, et français, pour le
partage du gâteau africain.
Et je découvre en cours de
rédaction de cet article la réalité de l’expédition Milz :
« En qualité
de commissaire du Gouvernement, Milz est désigné pour assurer le
commandant-supérieur de la Ruzizi-Kivu. Sa mission est d’assurer seul la
responsabilité politique dans la région et d’organiser le territoire pour
défendre au mieux les droits de l’Etat selon les instructions reçues. (…) Milz
est accompagné dans son voyage par 7 cadres européens »[22]
Le 17 avril 1901, d’ailleurs, avec les
deux fers au feu (préparation à un affrontement éventuel avec l’Allemagne et soumission
des populations locales), le Gouvernement général place le territoire Ruzizi-Kivu
sous « régime militaire spécial », un conseil de guerre siégeant à Uvira.
On est là loin de la
mission « scientifique » du départ, mais bien dans une opération de
conquête militaire.
Le court séjour du lieutenant
Tondeur est à lui seul un résumé - tragique- de cette double politique.
- De la fin novembre 1900 à mars 1901, il fera acte d’occupation à Shangugu sur la côte Est du lac Kivu, territoire revendiqué à la fois par Léopold II et par l’Allemagne.
- Il sera ensuite, pendant près d’un an, de mars 1901 à février 1902, chef de poste à Uvira, avec la mission de remettre de l’ordre dans la gestion administrative du poste, quelques mois à peine après que les révoltés de la Force Publique, s’en soient retirés.
- Et, dès février 1902, il sera muté chef de poste à Nya Lukemba (aujourd’hui Bukavu). Il tombera, dans un village voisin, Nyanda, sous les coups de lance des guerriers du royaume Bushi du Mwami Kabare, insoumis.
La tragique
vérité, n’est-elle pas que le lieutenant Tondeur a été recruté, comme officier
d’une armée de conquête coloniale, en guerre permanente depuis sa création en
1886 ?
A suivre ...
VIE ET MORT DU LIEUTENANT TONDEUR DANS LE CONGO DE LEOPOLD II (2) :
UNE LONGUE GUERRE DE CONQUETE COLONIALE.
VIE ET MORT DU LIEUTENANT TONDEUR DANS LE CONGO DE LEOPOLD II (3): KABARE 18 JUIN 1902, MORT DU LIEUTENANT TONDEUR , REPRESAILLES ET RESISTANCE .
[1]
Pierre Dubois/ « L’histoire du lieutenant
Tondeur »
[2]TONDEUR Felix
Georges 1879-1962 : MEMOIRES - Dix années au Congo 1900-1910 http://www.urome.be/fr2/ouvrag/1900Tondeur.pdf
[3]
Voir ROUGEs FLAMMEs : ARTHUR
TONDEUR (1908 - 1999) TEMOIN DE « L'AGE DES EXTREMES » [en
ligne] https://rouges-flammes.blogspot.com/2014/05/arthur-tondeur-boma-1908-menton-1999.html
[4] Voir Annexes de la partie (3)
[5] Résolution relative à la question
coloniale - Congrès de Stuttgart (1907). [en ligne] https://www.marxists.org/francais/inter_soc/stuttgart_1907/19070800_inter_soc_stuttgart_a.htm
[6]:
Marcel Liebman, Les socialistes belges 1885-1914, Vie Ouvrière
Bruxelles 1977 pp 218-225
[7] Le
ménager était dans les régions du Nord, un « petit paysan qui
produisait de quoi vivre pour lui et sa famille, cultivant possédant entre cinq
et quarante hectares, éventuellement une paire de bœufs.
[8] FRANCOIS TONDEUR :» LE
DRAGON, LE GROGNARD ET LES BOUTIQUIERS » Petite recherche généalogique de
l’ascendance de Félix Georges Tondeur (non publié) 2014
[9] TONDEUR Felix Georges : MEMOIRES - Dix
années au Congo 1900-1910 p3
[10] ibid p31
[11] Marguerite TONDEUR :
sœur cadette de (Felix) Georges et d’Arthur (Charles) née le 06/04/1886,
décédée le 10/03/1955. Professeur de littérature française, elle a épousé Serge
Chlepner, professeur à l’ULB.
[12] TONDEUR Felix
Georges : MEMOIRES – p12
[13] ibid- p2
[14] 267 congolais avaient été amenés en
Belgique, dont 100 soldats de la Force Publique. Deux périrent durant le voyage
et sept moururent de grippe ou de
pneumonie ; ils furent, dans un premier temps, enterrés à la sauvette dans
une fosse commune., puis enfin ils reçurent une sépulture digne.voir le film BOMA -TERVUREN LE VOYAGE [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=TkMOi_L2mVw
[15] TONDEUR Arthur
(Charles) Correspondance p5
[16] Dans son
témoignage (voir infra ), Ginette Tondeur Permanne explique qu’il était
amoureux de la fille d’un officier supérieur qui ne voulait pas d’un sous-
lieutenant comme gendre ; c’était aussi une raison de son départ pour le
Congo d'où il espérait revenir capitaine après son terme de 3 ans..
[17] TONDEUR Arthur
(Charles) Correspondance p 51 16/11/1900
[18] ?? Référence
au Katanga incompréhensible, puisque il sera toujours question du Kivu ou de la
région du lac Tanganika.
[19] TONDEUR Arthur
(Charles) Correspondance p.2 lettre 24/06/1900
[20] ibid p.38 lettre 13/10/1900
[21] ibid p.51 29/04/1901
Bonjour, je suis tombé sur votre blog en faisant des recherches généalogiques sur la famille de mon compagnon qui descend de Elmire Julie, soeur de Arthur Charles et Félix Georges. J'aimerai en savoir plus sur la famille Tondeur. Pourriez-vous, svp, me contacter par mail : sarah.zeippen@gmail.com
RépondreSupprimerMerci
Zeippen Sarah