mercredi 8 juillet 2020

VIE ET MORT DU LIEUTENANT TONDEUR DANS LE CONGO DE LEOPOLD II (2)




UNE LONGUE GUERRE DE CONQUETE COLONIALE

La Force Publique fut  le bras armé de la conquête coloniale du Congo par Léopold II continuée par le gouvernement belge après 1908, de la soumission de son peuple, en écrasant par les armes toute forme de résistance.  Et elle le resta jusque au lendemain du 30 juin 1960.

Elle fut aussi en 1914-18 le relais militaire de la Belgique en Afrique, dans la guerre entre puissances coloniales pour le partage du gâteau africain.

Mon grand oncle Arthur (Charles) Tondeur ( Marchienne au Pont 1871 -  Kabare 1902) y était  lieutenant  de 1900 à 1902.
L'engagement dans la Force Publique répondait certes, de la part des officiers de l’armée belge, à un désir de sécurité pécuniaire et d’avancement : beaucoup d’entre eux étaient détachés à l’Institut Cartographique Militaire et mis à la disposition du Roi, gardant ainsi leur traitement de l’Armée, tout en touchant le supplément annuel de l’EIC. Ils se voyaient aussi gratifiés d’un avancement d’un grade. Leur engagement répondait également à un besoin d’évasion, d’action par rapport au caractère insipide de la vie de garnison en Belgique.
Tous les militaires ne souhaitaient probablement pas rester tranquillement planqués à la caserne jusqu’à la fin de leur carrière ; certains, sans aucun doute, apprenaient- ils le métier militaire pour le pratiquer vraiment.
C’était, on peut le supposer le cas de l’oncle Arthur, qui semblait avoir un caractère assez casse coup, entraîné aussi, comme son frère vraisemblablement par le goût de l’aventure, et par l’auréole entourant à l'époque, « l’œuvre civilisatrice européenne » en Afrique.

Quant aux troupes de la Force Publique, elles étaient recrutées sur place ; la chair à canon serait « congolaise » ; cela évitait l’envoi de corps expéditionnaires de la métropole, contesté par l’opinion, et dispendieux pour les finances publiques, et permettait de diviser le peuple en dressant des Congolais contre des Congolais.
Car la Force Publique, sous commandement essentiellement belge, sema la mort et la désolation autour d’elle : exactions et massacres pour rentabiliser la récolte du caoutchouc, réquisitions de vivres, expéditions punitives contre les insoumis, répression féroce de toute mutinerie, etc.
La FP comptera aux moments cruciaux de la guerre coloniale jusque 14000 hommes issus, de toutes les régions du Congo. (à part les mercenaires recrutés sur les côtes Ouest et Est de l’Afrique (Sierra Leone, Nigeria, Zanzibar)[1]. Souvent désignés par les chefs coutumiers qui devaient livrer des quotas de recrues, ils quittaient leur village, avec femmes et enfants, qui les accompagnaient dans toutes les expéditions.

Mais Léopold II et le haut commandement militaire, en créant ainsi une nombreuse armée africaine, soulevait une pierre qui leur retomba sur les pieds : c'est au sein même de la FP que , dans les années 1890, les principales révoltes contre les colonisateurs eurent lieu, réduisant d'ailleurs à néant leurs  visées d'expansion vers le Soudan. 

LES GUERRES DE LA FORCE PUBLIQUE (1)

·      LA CAMPAGNE « ARABE »

La première guerre menée par le Force publique fut « la campagne arabe » de 1888 à 1894[2]
L’est du Congo avait été touché, dès la moitié du XIXème siècle par la pénétration, à partir de la côte Est de l’Afrique (Zanzibar) de la civilisation islamisée, influencée par la culture et la langue arabe originaires de la péninsule arabique. (Oman)
Comme cela avait été le cas, dès les années 1500, pour l’esclavagisme européen, à partir de la côte atlantique, elle s’accompagnait de chasse aux esclaves, destinés à transporter vers la côte de l’Océan Indien l’ivoire et autres matériaux précieux, et à être là, vendus pour les plantations ou pour l’exportation vers les féodalités arabes du Golfe ou en Inde.
Des cités de l’Est du Congo, comme Uvira, étaient, dès 1870, de véritables plaques tournantes de ce trafic, et des régions entières étaient administrées, sous leur influence, ralliant des chefs locaux, s’appuyant sur des troupes chargées des razzias.
On les appela à l’époque les « Arabes », ou les arabo-swahilis ou aujourd’hui les « arabisés » ou encore les « Ngwanas »[3]
Léopold II entrait directement en concurrence avec eux : il voulait s’emparer du même ivoire et avait besoin de la même force de travail, et encore bien plus, pour récolter le caoutchouc !

Les chefs de l’EIC firent du tout puissant maitre des esclavagistes, Tippo tip, leur vassal, en lui confiant le gouvernorat de la province des Stanley Falls !  Après de multiples et sanglants combats, qui firent quand même 70000 morts dans la population congolaise, fin 1894, l’affaire était entendue.

Les stocks du pillage de l’ivoire   iraient vers l’Ouest, l’esclavage   serait remplacé, et ce sur une bien   plus grande échelle, par le travail   forcé pour la récolte du   caoutchouc, et ce au nom  de   « la lutte contre l’esclavagisme » !

Stock d'ivoire à Léopoldville. Destination Matadi et Anvers

(Felix) Georges Tondeur évoquera les révoltes congolaises liées à cette situation :

« Un soir, je rencontrai à la factorerie de Mompeza quelques agents de la S.C.A. (Société Commerciale Anversoise)[4] qui avait une grande concession dans la Mongala. Son activité consistait essentiellement à acheter ivoire et caoutchouc de cueillette.Chaque village était tenu de fournir tous les mois une quantité déterminée de caoutchouc. Cela imposait de lourdes corvées aux indigènes qui devaient se rendre dans la forêt pendant de longs jours pour récolter le latex de lianes. Le mécontentement avait déjà provoqué plus d'un drame ; des Blancs avaient été massacrés et mangés. »[5]

La Force Publique assurera l’ordre de la récolte menant des opérations de guerre  pour mater les populations et assurer les quotas de production fixés.[6]

C’est ainsi que le roi Léopold II est devenu le plus grand marchand de caoutchouc et d’ivoire et le plus grand propriétaire foncier qui ait jamais existé.

 LES GUERRES DE LA FORCE PUBLIQUE  (2)  

LES "BAONIS"  

«         En 1895, éclate à Luluabourg la première mutinerie des soldats de la Force Publique qu’on appellera dans l’histoire officielle la « révolte des Batetele », lui donnant ainsi l’étiquette tribale de la population d’une région « arabisée » de la cuvette centrale du Congo. L’amalgame « mutins = UNE tribu = arabes esclavagistes » pouvait ainsi s’imposer, alors que, de toute évidence ce furent des révoltes interethniques de mécontentement de soldats congolais, contre les abus et les mauvais traitements infligés par les officiers blancs. Ils voulaient s’affranchir du pouvoir absolu, humiliant, supérieur et raciste. 

Ils portaient des éléments de solidarité et de conscience nationale. Même si eux-mêmes exercèrent aussi des formes de terreur pour s’emparer de vivres, notamment contre les populations ralliées à l’EIC.
 Guy De Boeck les a appelé « les Baonis » ceux qui sont « hors la loi », en rupture de ban, dans le sens où « ils ont voulu sortir de la loi imposée par l’occupant »[7]

"Nous nous sommes révoltés parce que nous étions traités comme des esclaves."

En 1896, sous pression de Léopold II, les troupes de la Force Publique, recrutées à la hâte se mettent en marche vers le Nord Est, sous le commandement du vice -gouverneur général de l’EIC, le commandant Francis Dhanis.  

Leur mission ? Occuper militairement au plus vite le « Lado » enclave aux confins du Soudan et, ainsi être politiquement en position de force pour participer au repartage colonial du Soudan, occupé par les rebelles « mahdistes ».
Mais la marche infernale de plusieurs mois dans la forêt tropicale, le portage de lourdes charges (caisses de munition, bagages des blancs, vivres, marchandises à échanger), la chaleur accablante, l’hostilité de la population locale, et surtout la pénurie de vivres et la famine mêlée à une discipline sévère punitive exercée par les officiers Blancs contre les soldats,[8] provoqueront la deuxième révolte des « Baonis ».

Le 14 février  1897, lors de l'appel du soir, à Ndirfi, les soldats se ruent sur leurs officiers et les massacrent. La révolte s’étend rapidement.[9]Une longue guerre entre les soldats révoltés armés (près de 6000 soldats) et plus ou moins formés au combat et des troupes fraîches de la Force Publique, recrutées à la hâte, commandées par de multiples officiers blancs, s’engage alors.

Ce fut une guerre cruelle, sans quartier, qui fit des milliers de victimes, non seulement parmi les révoltés, mais aussi parmi les populations civiles réquisitionnées.  Des dizaines d’officiers belges et européens y laissèrent la vie.

Elle durera 4 ans de 1897 à 1901, de victoires en défaites, d’affrontements frontaux en   combats d’embuscades, et s’étendra sur près de 2000 km des confins nord - est du pays jusqu' à la région du Kivu et du lac Tanganika, où les « Baoni » occupèrent un temps Uvira.[10]  


              

 "Au Kivu, une troupe de quelque 2 500 révoltés, commandés par Changuvu, (parfois écrit
Drapeau des Baonis
Cungufu)
se réfugia dans les montagnes proches de Fizi..Ils furent finalement vaincus, en octobre 1898, par le capitaine  C. Heck (de l'armée de Dhanis) à Bakara et Kaboge (rive Ouest du lac Tanganika), où Changuvu trouva la mort."[11]

 « Des bandes assez mal organisées de Baoni hantèrent les parages du lac Kivu. Ils furent attaqués et battus le 31 juillet 1900 par le capitaine Poortmans qui fit 75 prisonniers. Un groupe se rendit au commandant Anderson au début de 1901. Ils possédaient encore une centaine de fusils. Mais la partie la plus importante des révoltés se réfugia an Afrique Orientale allemande. »[12] 


 La Force Publique réoccupa ses différents points d’appui dans la région des Grands Lacs (Uvira, Lubirizi, Cyangugu, Nyakagunda) à la fin de 1899 et au début de 1900.


 Nous sommes là à peine quelques mois avant l’arrivée du lieutenant Tondeur dans la région ; il évoque dans sa correspondance ces événements.
Il écrit le 4 mars 1901, depuis Shangugu (Cyangugu) : 
« Le Congo Belge », écrit que l’Etat est enfin débarrassé du cauchemar des Batetela révoltés ; à l’époque où cela a été imprimé, c’était inexact.
A l’heure actuelle, c’est devenu vrai :  la dernière bande s’était réfugiée au Nord du Kivu ; elle s’est rendue il y a quelques jours aux Allemands, qui les ont envoyés à Usumbura, en face d’Uvira.
Le soldat allemand qui m’a apporté cette nouvelle m’a dit qu’ils étaient encore 1000 hommes avec 100 fusils et des cartouches. Je crois qu’il y a là de l’exagération… [13]»


 La troisième révolte de la Force Publique, de bien moindre ampleur, et rapidement réprimée, se déroula le 17 avril 1900 dans la capitale de l’EIC, Boma, ce qui lui donna un retentissement international.

La cause de leur mutinerie au fort de Shinkakasa en 1900 est évoquée par G. De Boeck. : "La garnison comprenait 200 soldats réguliers et autant de soldats travailleurs : beaucoup étaient des relégués, exilés là parce que « rebelles », révoltés ou originaires d’ethnies suspectes (les Tetela par exemple). Cest le refus de libérer nombre d’entre eux de la vie militaire au terme de leur temps de service de 7 ans, en violation de la loi coloniale elle-même, qui fut à l’origine leur révolte."[14]
 (Félix) Georges Tondeur, le frère d’Arthur, en porte témoignage :
« Au début de 1900, une révolte avait éclaté au fort de Shinkakasa. Des soldats Batetela s'étant emparés du magasin d'armes, les Blancs ne durent leur salut qu'à la fuite et se réfugièrent à Boma. Un seul d'entre eux, un charpentier, fut tué sur place. Les révoltés, maîtres du fort, tentèrent de bombarder la capitale mais, comme ils ignoraient l'art de pointer un canon, aucun obus ne porta sauf un seul tombé dans le parc du Gouverneur Général, sans faire de victime.
On organisa l'attaque du fort par la garnison de Boma qui réussit à entrer dans la place. Des révoltés furent capturés, passèrent en Conseil de guerre et furent fusillés.
Le palais du gouverneur général à Boma
(photo familleTondeur)

D'autres, emportant des fusils Albini et des munitions, avaient pris la fuite.
C'est à ce moment que, craignant une attaque des révoltés, on organisa à Léopoldville des rondes de nuit, pour le contrôle des sentinelles postées autour de la station. En juillet, quand j'arrivai à Léo, les rondes de nuit continuaient bien qu'aucune sorte d'attaque ne fut plus à craindre et il en était encore ainsi à ma rentrée en Europe, en 1903. »[15]


 LES GUERRES DE LA FORCE PUBLIQUE (3)    

AU KIVU

La région de Nya Lukemba, (presqu’île dans l’actuelle Bukavu), où le lieutenant Tondeur est nommé chef de poste au début 1902, faisait partie du royaume Bushi, un petit royaume parmi la myriade de royaumes aux cultures aristocratiques, pastorales et guerrières de la région des Grands Lacs de l’Est Africain (Buganda, Ruanda, Burundi, Bushi, etc.)

Royaumes de la région des Grands Lacs
(extrait de E. Mworoha "Monarchie plantes et rituels agraires dans l'Afrique des Grands Lacs")

Elle était habitée par les Bashi, ou le peuple Shi(*) avec une langue, des coutumes religieuses, des échange économiques communs.
(*) Le mot Shi désigne un habitant du Bushi. Ce territoire du Bushi est habité par les Bashi au pluriel.  La langue des habitants du Bushi est le mashi.
Le royaume avait une superficie de 4000 km2, supérieure à celle, par exemple en Europe, du Grand- Duché de Luxembourg ; la population, au regard des chiffres africains de l’époque y était nombreuse et dense (200000 habitants en 1923). 

C’était parmi les régions les plus peuplées de l’Afrique centrale.  

Le royaume Bushi[16] daterait de 1380, et la dynastie des « Nabushi Kabare » remonterait aux années 1600 ; le Mwami Nabushi Kabare Rutaganda (1889-1919), qui est au centre de ce récit en était le XXIVème descendant.
Au fil des siècles, ils avaient dépassé la structure sociale clanique, pour se doter de structures étatiques, de type féodal.
A la tête de cette organisation le roi (le Mwami) » tient non seulement la place la plus éminente, mais aussi il concentre, entre ses mains, tout le pouvoir social, économique, juridique et politique ». Il régnait, entouré d’un conseil de sages, « notables d'origines ethniques diverses, auxquels il délègue une partie de son pouvoir, et qu’il nomme et destitue selon sa libre volonté. » [17]
Il est ainsi au sommet d’une pyramide s’étendant dans chaque village. Il y possédait la terre qu’il cédait en culture : chaque ménage disposait d'un terrain sur lequel il établissait sa résidence et pratiquait les cultures nécessaires pour sa subsistance.
Comme tribut, le paysan devait effectuer des travaux pour le Mwami ou les princes, et leur livrer annuellement un certain nombre de vaches.
« Il y avait dans ces rapports inégalitaires, déjà bien affirmés, une exploitation de la masse paysanne par ses gouvernants. »[18]

La relative prospérité matérielle des Bashi facilitait leur résistance en les rendant économiquement indépendants.
Profitant d’un sol volcanique très fertile et d’un climat favorable, au Bushi, on récolte deux fois l'an les cultures de base : haricot, le maïs, le sorgho, les patates (pommes de terre et patates douces). La culture des bananes y était très dominante.
En élevage, la possession de vaches constitue une richesse pour la famille (leur nombre est le signe visible du statut social.)
A travers de multiples guerres intestines, au sein de la dynastie elle -même, le royaume s’était au XIXème siècle, affaibli et divisé en plusieurs royaumes.[19]
Ils avaient en outre, à travers une répétition de défaites et de victoires repoussé des invasions extérieures essentiellement venues du Ruanda, les razzias des « arabisés » engagés dans le trafic d’esclaves et d’ivoire vers la côte Est. Ils avaient aussi connu la guerre entre la Force Publique, commandée par les officiers blancs contre les Baonis, rassemblés dans la région et vaincus partiellement, en plein Bushi à Ngweshe en juin 1898.    
Ils avaient néanmoins su maintenir, malgré leurs divisions, la souveraineté de leurs royaumes (Kabare, Ngweshe, etc.)
Cette expérience guerrière séculaire en avait fait un peuple d’excellents combattants et de résistants aux invasions.

photo: "KIVU 1912" - album de Pierre. Dubois

à partir de "Panorama du Congo"  TCB

Arrivèrent alors les Blancs…

« (…) L’arrivée des agents de l’administration à partir du poste d’Uvira fut une mauvaise nouvelle : le blanc venait installer des nouveaux postes sur les rives de la Ruzizi.
« De colline en colline, une étrange nouvelle courait : dans le fond de la Ruzizi, des hommes à peau blanche venaient d’arriver. (…) Ils étaient armés de lances crachant le feu et terrorisaient la population en prenant leurs biens et en tirant sur eux ; Les sorciers prédisaient les pires des calamités si ces hommes venaient à fouler les terres du Bushi. »
(…) Des procédures existaient néanmoins pour l’intégration d’un étranger : normalement, quand un étranger arrive, le minimum qu’il puisse faire, c’est de se présenter au Mwami avant de s’installer, d’exposer son identité et ses intentions …
Au contraire, les nouveaux administrateurs venus d’Uvira… exigent collaboration et dictent désormais le nouvel ordre devant régir le quotidien. Ils excellent en arrogance et se moquent des coutumes traditionnelles incarnées par le Mwami dont le pouvoir émanant des ancêtres est reconnu par tous. » (…)[20]

"dans le fond de la Ruzizi, des hommes à peau blanche venaient d’arriver. (…) Ils étaient armés de lances crachant le feu et terrorisaient la population en prenant leurs biens et en tirant sur eux. "

Le fort d'UVira   (après 1908)

La soumission des indigènes est inhérente au renforcement des postes installés au Kivu à la frontière avec l’Ost Afrika :

: « La soumission des indigènes est une nécessité au maintien des postes et à l’entretien de la Force publique à la frontière. Ils doivent contribuer au ravitaillement en vivres et fournitures des postes en participant aux marchés. Ils fournissent également la main-d’œuvre nécessaire soit aux portages soit à la construction et à l’entretien des fortifications, des bâtiments et des routes. »[21]

Je découvre aussi que la guerre de « soumission » du peuple Shi avait commencé avant l’arrivée du lieutenant Tondeur, et s’inscrivait dans la foulée immédiate de la guerre contre les révoltés de la Force Publique, les Baonis.

"Après avoir procédé au rétablissement des postes dans le territoire contesté (entre l’Allemagne et l’EIC), le commandant Eloy et le lieutenant Olsen se mettent en marche avec une colonne de 387 hommes vers le sud-ouest du Kivu durant la deuxième quinzaine de juillet (1900)".
 Ils mènent d’abord des opérations de répression contre les révoltés.
 La colonne commandée par Olsen provoque la fuite des bandes de Batetela dans la grande forêt où elles se dispersent, rendant toute poursuite impossible. Finalement, les dernières bandes de révoltés fuiront en territoire allemand.
Ensuite, la colonne entame une opération de soumission à l’égard du chef (des) Bashi Gwessé (ou Ngweshe). Eloy procède à l’attaque du village principal mettant en fuite les habitants et causant « des pertes sérieuses ».[22]

«D' autres chefferies se montrent hostiles à l’autorité de l’État indépendant du Congo, particulièrement les chefferies Bashi à l’ouest du lac Kivu.
 Le commandant Eloy mène plusieurs opérations durant l’été (1900) pour les soumettre, sans y parvenir complètement.
 Le poste de Nya-Lukemba est alors chargé de pacifier la région. La stratégie consiste en une occupation permanente du pays et des villages ce qui, d’une part, prive de subsistances les chefs et les indigènes en fuite et, d’autre part, exerce une pression sur les ressources du pays car les soldats vivent sur celui-ci. Les chefs en fuite sont amenés à se soumettre en quelques semaines.
Mais l’hostilité des populations reste très forte.  En 1902, elle aboutit au massacre du lieutenant Tondeur [23]… »

En essayant de comprendre, j’identifie, à la lecture, trois causes immédiates principales, dans le contexte bien sûr  d'une occupation militaire généralisée et  du refus par les insoumis du Kivu   du pouvoir des nouveaux maîtres.


·        Le portage fut un véritable enfer : les Blancs réquisitionnaient des hommes, dont
l’activité était l’élevage et le travail des champs, pour porter de lourdes charges sur de longues distances, et les forcer ainsi à un travail d’une intensité inhabituelle.
Il en était ainsi aussi des matériaux de construction pour la construction des postes et des camps de la Force Publique :
« L’érection de tous ces camps avait occasionné des corvées très lourdes…Les Blancs ne construisaient pas avec le matériel ordinairement utilisé par les Bashi. Ils avaient besoin de grosses poutres qu’on devait aller traîner de très loin dans la forêt. Ils avaient aussi besoin de sticks de bambou, qu’on ne trouvait que dans la montagne à la lisière de la forêt »[24]
·       La réquisition de vivres : « Et dire qu’il revenait aux paysans de nourrir ce troupeau étranger de guerriers. Chaque village devait rivaliser en cotisation et acheminer ses vivres en nature et en espèces…. Voici un témoignage d’un pauvre paysan à ce sujet :« la fourniture de vivres avait appauvri les gens ; des poules, des œufs, des chèvres, des taureaux, des bananes, de la farine, des haricots, tout, tout. Et quand le chef retardait un peu, les soldats se lançaient sur les troupeaux de vaches et en emmenaient une dizaine. (…)[25]
·       La non - reconnaissance de l’autorité établie du Mwami sur son royaume est sans doute la plus décisive.
Selon l’auteur de « La naissance de l’Eglise au Bushi », le Mwami Kabare Rutaganda n’avait pas été reconnu par l’autorité militaire de la Force Publique, comme souverain du royaume Bashi de Kabare. Elle aurait privilégié les contacts avec un vassal, un grand prince du royaume, frère ou oncle (?) du Mwami, le muluzi Nyalukemba, sur les terres duquel elle avait installé son poste, et qui « jeta au diable le respect des institutions et se livra au nouveau venu »

C’est confirmé, en sous -entendu, par la notice biographique consacrée au lieutenant Tondeur par la Biographie coloniale belge :
« En 1902, il fut nommé chef de poste à Nya Lukemba. Les Bashis de Ngweshe et de Kabare étaient en pleine turbulence. Déjà rivaux coutumiers, ils étaient, en plus, mécontents des récentes nominations des chefs et de notables, désignés par l’administration. »[26]
 
« Blessé dans son amour propre, humilié aux yeux de ses sujets, à l’unanimité avec son peuple, le mwami décide la résistance et l’insoumission générale. Plus question de ravitailler les postes de l’Etat, ni de leur fournir tous les services gratuits des indigènes pour leur installation et leur mission.
C’est probablement au cours de ces mois qu’arrive un nouveau chef de poste, le lieutenant Tondeur, surnommé Kabungulu par les indigènes, c’est-à-dire « l’infortuné ».


"Il fut la goutte d’eau qui éclaboussa le vase "[27]



[1]  En 1897 : 8 000 autochtones provenant des levées annuelles, 4 000 engagés volontaires congolais et 2 000 volontaires africains étrangers
[2] Guy DE BOECK « Les Baonis » Les révoltes de la Force Publique sous Léopold II 1895-1908 pp63-82     EPO 1987
[3] Ngwana = les « hommes libres » ou arabisés par rapport aux esclaves (watumwa) Guy DE BOECK « Les Baonis » Les révoltes de la Force Publique sous Léopold II 1895-1908   p 71 EPO 1987
[4] La SCA et l’ABIR (Anglo Belgian Indian Rubber Company) étaient les principaux producteurs de caoutchouc voir : Guy De Boeck « L’édifiante saga de « l’Anversoise » ou le « système léopoldien », [on line]  http://cadtm.org/IMG/pdf/050604-Guy_de_Boeck-Anversoise.pdf
[5] TONDEUR Felix Georges :  MEMOIRES - Dix années au Congo 1900-1910 p19
Selon de Boeck, « L'anthropophagie existait durant la période pré-coloniale dans certains villages ou agglomérations dans l'Ubangi, l'Uele et la Mongala, non comme anthropophagie rituelle mais en ce sens que l'on mangeait l'ennemi tué ou un esclave. »
[6] Voir Jules Marchal – « E.D. Morel contre Léopold II ». Vol 2 pp 45-49-l’Harmattan, 1996
[7] Guy DE BOECK « Les Baonis » Les révoltes de la Force Publique sous Léopold II 1895-1908 p6     EPO 1987
[8] Guy DE BOECK « Les Baonis » op cité :« Pas plus devant la faim que devant la maladie, il n’y avait d’égalité entre Noirs et Blancs. Ces derniers punissaient de mort le fait de toucher à leurs réserves, alors que les soldats mourraient littéralement de faim » p 175
[9]  PIERRE SALMON « La révolte des Batetela de l’expédition du Haut Ituri » p 60
 Kandolo un des chefs Baoni déclara :
« Nous nous sommes révoltés parce que nous étions traités comme des esclaves.
1.      Défense de manger du bœuf, de la chèvre et même des poules ; nous devions nous contenter des racines du bush ;
2.      La sévérité excessive des officiers qui dirigeaient l’avant-garde : on nous donnait du bâton en masse pour rien. On nous faisait travailler dur, et sous tous les prétextes ; pour le moindre retard ou la plus légère peccadille de nous ou de nos femmes, on nous faisait porter de lourdes charges, nous étions roués de coups et ne recevions pour manger que les produits de la forêt. Pour un rien nos camarades étaient amarrés et fusillés. »(…)
[10] Biographie coloniale belge : « Hennebert Georges » tome V 1958 p 410
« Le 16 octobre 1899, Uvira était définitivement repris et l'on y commença immédiatement la construction d'un ouvrage fortifié. De ce qui avait été le poste, il ne restait que quelques tas de briques écroulées. « Il n'importe, écrivit Hennebert, nous hissons le drapeau de l'État au bout d'une perche, nous campons parmi les pierres et voilà Uvira réoccupé ! »
[11] Biographie coloniale belge : « Célestin Hecq » tome II 1951 p 460
[12] Guy De Boeck : les Baonis pp 338- 340
[13] TONDEUR Arthur (Charles) Correspondance p66 lettre 4 mars 1901
[14] Guy De Boeck : les Baonis p 34
[15]  TONDEUR Felix Georges :  MEMOIRES - Dix années au Congo 1900-1910 pp 24-25
[16] RDC : Ethnie Shi de Kivu (Bashi) qui sont-ils https://www.congo-autrement.com/page/groupe-ethnique-de-rd-congo/bashi.html
[17] Christophe Munzihirwa (1926-1966) « Pouvoir royal et idéologie : rôle du mythe, des rites et des proverbes dans la monarchie précoloniale du royaume de Kabaré » Journal des Africanistes p. 245 72-1, 2002 :https://www.persee.fr/doc/jafr_0399-0346_2002_num_72_1_1297
[18] Christophe Munzihirwa ibid 
[19] Chubaka Bishikwabo « Le Bushi au XIXe siècle : un peuple, sept royaumes »
 https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1980_num_67_246_2238
[20]  NKUNZI BACIYUNJUSE JUSTIN « La naissance de l’Eglise au Bushi » p 72 Editrice Pontificia Rome 2005
[21]  LECOQ HANS JOACHIM Le conflit frontalier germano-congolais de la Ruzizi-Kivu (1895-1910) : disputée par l’Etat indépendant du Congo, héritée par la Belgique, gagnée par l’Allemagne.  p 99  Faculté de philosophie,arts et lettres, Université
catholique de Louvain,2018
[22] LECOQ HANS JOACHIM ibid p 78
[23] LECOQ HANS JOACHIM ibid p 100
[24] NKUNZI BACIYUNJUSE JUSTIN « La naissance de l’Eglise… p74. Même si cette citation concerne les années de guerre contre l’Allemagne en 1914-1915, elle ne peut qu’interpeller sur la construction des nouveaux postes en 1900-1902.
[25] Ibid  p76
[26] Biographie coloniale belge B.C.B.T.III, col 851-853 cité par P DUBOIS op cité p3, à partir de Xavier Dierckx « 45 ans au KIVU » p320
[27] NKUNZI BACIYUNJUSE JUSTIN « La naissance de l’Eglise…op cité p 80


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