C'est quand une dimension nouvelle a
fait irruption dans mes réflexions d' ado de 16 ans: elle a
d'abord eu comme nom « Algérie ».
A 16-17 ans , alors qu'étaient
distribués à la maison les deux quotidiens auxquels étaient
abonnés et mon père et ma mère, « Le Drapeau Rouge »
pour l'un, « Le Soir » pour l'autre , j'achetais chaque
semaine « L'Express » à la librairie, et j'y découvrais
, à travers le bloc notes de François Mauriac , les dénonciations
de la torture, à travers aussi les interdits de la censure et des
saisies du journal, la Guerre d'Algérie.
Et puis, j'ai découvert Francis Janson
et le manifeste des 121 pour le droit à l'insoumission , Henri Alleg
et son livre sur la torture « La Question »,
Jean Paul Sartre et sa revue « Les Temps Modernes » .
En rhéto, j'étais pour le FLN
algérien.
Et je n'avais que sympathie (purement
intellectuelle à l'époque) pour les combattants algériens et tous
ces militants Français ou Belges, avocats, porteurs de valises,
qui affrontaient de front le régime colonial : Pierre Legrève,
le professeur Laperche, assassiné par un colis piègé à Liège , tous ceux des réseaux
Janson.
Sans me douter que parmi eux et elles, il
y avait , des camarades, qui comme Cécile Draps et Suzy Rosendor,
seraient toujours là , 60 ans plus tard , fidèles au poste et
surtout à leurs convictions, pour en témoigner.
A l'été 60 , ce sont les événements
du Congo et en premier lieu ce discours de Lumumba le 30 juin 1960
,devant le descendant de Léopold II médusé, magnifique et
puissante profession de foi anticolonialiste, dont les phrases
résonnent encore dans ma mémoire :
«Nous
avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions
subir matin, midi et soir, parce que nous étions nègres... Nous
avons connu que nos terres furent spoliées... Nous avons connu
que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un
Blanc ou d’un Noir .Nous avons connu... » (1)
30 juin 1960: PATRICE LUMUMBA, Premier Ministre du CONGO à la tribune |
En 1961 , étudiant en première candi,
j'ai en mémoire deux manif parties du Solbosch
l' une pour l'indépendance de l'
Algérie contre les attentats de l'OAS, l'autre en solidarité avec
Cuba au lendemain de la tentative d'agression par des mercemaires
anticastristes entraînés par la CIA de Playa Gijon (La Baie des
Cochons)
La lutte des peuples colonisés
s'invitait , pressante , radicale, incontournable, à l'Université
et n'allait pas la quitter tout au long de ces années 60.
« Rien à voir ! »
direz vous .
Tout à voir, au contraire !
L' explosion des universités en 1968
dans toute l'Europe a bien sûr eu ses causes internes :
l'accession aux études supérieures de larges couches d'enfants de
la petite bourgeoisie , nés dans l'après guerre et la
contradiction ( de classe) entre cette relative « démocratisation »
de la population estudiantine avec ses besoins de liberté et de
démocratie et le caractère « grand bourgeois »
élitiste, mandarinal, autoritaire et anti démocratique des
autorités académiques liées par mille et un liens à la finance ,
au grand capital et à l'establishment politique , surtout
libéral, des partis au pouvoir.
Il n'empêche : la radicalité de
Mai a parmi ses sources, incontestablement, le combat anti colonial
et anti impérialiste des années 60, des peuples de la zone des
tempêtes.
Combat radical, sans compromissions feutrées , loin des « compromis historiques » qui
anesthésieront peu à peu la gauche européenne.
« Hasta la victoria siempre »
était le message cubain. Il s'agissait là de « guerre
populaire », de « pouvoir au bout du fusil » , de
guerilla et de guerilleros , et aussi ne l'oublions jamais-, du
massacre en 1965 de plus d'un million de communistes indonésiens
suite au coup d'état militaire du général Suharto, appuyé par la
CIA .
Il s'agissait aussi d' assassinats
ciblés de dirigeants populaires prestigieux – Moumié et Ofana
au Cameroun , Lumumba au Congo , Ben Barka à Paris , Aïdit en
Indonésie, Che Guevara en Bolivie, Malcom X et Martin Luther
King aux States et tant d'autres ...
Mai 68 fut dans toute l'Europe un
combat radical , non pas du fait d' idéologues maoïstes,
anarchistes , guevaristes ou trotskistes, non pas du fait d'une sorte
de tonnerre imprévisible et incongru dans le ciel bleu des golden
sixties, non pas tant à cause d'une crise générationnelle et anti
autoritaire de jeunes frustrés.
Mais bien aussi, surtout, du fait de
la nature de la période historique, celle des luttes de
libération nationale , période d'essor radical des forces
révolutionnaires et progressistes à l'échelle mondiale.
Mai 68 fut radical, car le monde
entier était largement radical.(2)
LA "ZONE DES TEMPETES"
Ce combat anti colonialiste ne
s'imposait pas à nous , seulement par les textes ,les photos, ou les
reportages que nous découvrions dans « Le Monde » ,dans
« l' Huma » ou pour les plus assidus dans les revues
« Partisans » « Révolution » , « Les
Temps Modernes » ou aux toutes naissantes éditions Maspero.
Il s'imposait aussi à travers
l'affrontement extrêmement radical, presque toujours violent , avec
les groupes fascistes, d'extrême droite ,défenseurs jusqu'au
boutistes de l'ordre colonial, toujours présents à l'Université.(3)
Il ne s'agissait plus seulement
d'engagement intellectuel, mais bien ancré dans nos tripes de par
les coups reçus venant ou des fascistes ou de la police.
Le MAC ( Mouvement d'Action Civique) se
voulait défenseur de « l'Algérie française » et le
relais de l'OAS (Organisation Armée Secrète) en Belgique ;
Et aussi le défenseur acharné de la
colonisation au Congo et de sa prolongation sous la forme de la
sécession du Katanga.
Le Premier ministre du Congo
indépendant , Patrice Lumumba , était assassiné au Katanga ,le 17
janvier 1961 , information révélée au monde seulement le 13
février .
Des manifestations radicales ont lieu
dans le monde entier jusque dans les couloirs des Nations Unies .
Au Caire, l'ambassade belge est attaquée par des milliers
d'étudiants égyptiens et africains.
Des manifestants d'extrême droite
mobilisés notamment par le MAC s'attaquent eux, à l'ambassade de la
République Arabe Unie (brève union de l'Egypte et de la Syrie) à
Bruxelles, juste en face de l'Université.
Et le 16 février au soir
, un
commando d’extrême droite - les mêmes , qui avaient attaqué
l'ambassade – ils diffusaient ouvertement un journal nommé «
Réac » , tout un programme- assaillent le « Petit Bal Rouge » des
Etudiants Communistes et interrompent la fête.
Parmi
ce commando, aussi, des comitards bien marqués à droite, de cercles
facultaires dont mon cercle , le CP (Cercle Polytechnique ):
c'est ainsi qu'en été 1961, je découvrirai, par hasard, et avec
stupéfaction, que ma fiche de membre du CP était notée d'une
remarque au crayon : « dangereux coco ; à
surveiller » J'avais pourtant été un bon « bleu »,
retrouvé ivre sur la voie publique par un chauffeur de taxi après
le « pré baptême », comportement certes très mal vu
par mon père , mais bien apprécié dans le monde des "poils guindailleurs";
j'avais aussi été bien « baptisé » suivant les
bonnes traditions un brin moyenâgeuses de « l'énhaurme » CP , mon nom m'avait d'ailleurs valu d'échapper à la tonte !
Las! Bon "bleu" , il ne m'était pas pardonné d'être un "rouge".
Ce
fut ma première confrontation avec l'extrême droite,...et avec la
droite extrême.
La
vigilance anti fasciste allait dés lors faire partie de notre vie de
militant : quand le Comité Universitaire Anticolonialiste
(CUAC), créé pour élargir et rassembler les forces - étudiants,
enseignants solidaires du peuple algérien- recevait à la grande
salle de la Cité Universitaire, Jacques Vergès , avocat du FLN,
menacé de mort par l'OAS, nous patrouillions autour de la salle pour
repérer tout mouvement suspect .
En
février 1962, nous descendions en ville au lendemain de la
manifestation à Paris du métro Charonne, où 8 manifestants
avaient été tués par la police.(4)
Quelques
jours plus tard, le 22 février nous manifestions à Saint Josse
contre la tenue d'un meeting du MAC , pourtant interdit au préalable
par la Ville
de Bruxelles.
Et
le 16 mars 1962 , à la veille de la signature , le 18 , des accords
d' Evian entre le gouvernement français et le gouvernement
provisoire de la République Algérienne, prélude à l'indépendance
de l'Algérie, à la veille de la victoire donc , 6000 personnes se
pressaient an centre Rogier – salle Léonard de Vinci – pour
écouter Jean Paul Sartre dans une immense conférence organisée par
le Comité pour la Paix en Algérie, le CUAC et le cercle du Libre
Examen , présidée par Jacques Nagels – dirigeant militant des EC
. Dans la salle, Raoul
Baligand , ancien commandant de l'Armée Belge des Partisans., assurait le service d'ordre.(5)
Signes
de l'indissociable lien tout au long de ces années 60, entre la
lutte pour la libération des peuples colonisés et la mobilisation
antifasciste.
Signes
aussi de l'indiscutable caractère de masse pris par la solidarité
avec le peuple algérien.
Cet
engagement aux côtés de Cuba , de l'Algérie ou du Congo de Lumumba
devait aussi nous entraîner dans des discussions de fond , de type
idéologique, sur le communisme.
Je
me souviens en 1962 de ces discussions à la Cité Universitaire où
nous nous posions la question fondamentale : « comment
se fait il que ce ne sont pas les partis communistes, qui en Algérie
ou à Cuba sont à la tête de la lutte de libération »?
La
plupart des Partis Communistes en Europe , dont le PCB, étaient
surtout préoccupés, par la problématique de la guerre froide ,le
risque de guerre nucléaire, l'opposition au réarmement allemand,
la coexistence pacifique américano - soviétique et par toute les
questions posées par la déstalinisation et l'annonce de l'instauration finale du communisme
en Union Soviétique prévu pour 20 ans plus tard.
Nous
avions eu un week - end de formation avec Ernest Burnelle, président
du PC sur le XXIIème congrès du PCUS . En Avant , la revue des
E C, organisait en ses colonnes, un débat « Spécial XXIIème
congrès » sur ce sujet.
Mais
inévitablement, l'intrusion de la « zone des tempêtes »
dans notre engagement politique nous portait à la rencontre des
thèses « chinoises », qui, dés 1962, étaient diffusées
en français par « Pékin Information », au travers d'une
dizaines d'articles d'un haut niveau, argumentés idéologiquement ,
qui allaient avoir une influence déterminante sur mes (nos)
conceptions politiques.
Encore
aujourd'hui, plus de 50 ans après, je pense en relisant l'un ou
l'autre de ces textes comme « Les divergences entre le
camarade Togliatti et nous », ou « Encore une fois sur
les divergences... » que, pour l'essentiel , les thèses
chinoises visaient juste, mettaient le doigt sur le courant droitier
au sein du mouvement communiste, particulièrement en Europe, sur
ce lent enfantement de l' « euro - communisme », qui
allait,,quelques années plus tard, désagréger durablement la
gauche révolutionnaire, à travers les positions du grand PC
Italien de Palmiro Togliatti.
Toutes
les grandes orientations idéologiques et stratégiques étaient
abordées et principalement la nature de l'impérialisme, la
question de la guerre et de la paix et des armes nucléaires, les
voies de passage au socialisme, la place des luttes de libération
nationale.
« La
population de ces régions d’Asie, d’Afrique et d’Amérique
latine représente plus des deux tiers de la population du monde
capitaliste. La montée constante de la marée révolutionnaire dans
ces régions, la lutte entre les pays impérialistes, et entre les
colonialistes et les néocolonialistes pour la possession de ces
régions font ressortir avec force que là se trouve le point de
convergence de toutes les contradictions du monde capitaliste, et
l’on peut dire également que le foyer des contradictions mondiales
est là. Ces régions constituent le maillon le plus faible de
l’impérialisme, la source principale de la révolution mondiale
actuelle qui bat en tempête. »(6)
Aux
Etudiants Communistes, très majoritairement, nous nous retrouvions
dans ces thèses chinoises, et tous les arguments des dirigeants du
Parti, délégués à la cellule « Etudiants », qui se
réunissait au 26 rue Saint Christophe, et regroupait une trentaine
de membres, - et nous avions à faire à des dirigeants chevronnés,
d'abord Jean Blume, puis Louis Van Geyt - ne pouvaient venir à bout
de nos convictions si brillamment exposées par un Michel
Graindorge, un Jacky Nagels, un Jacques Boutemy. (7)
C'est
ainsi que je devins « pro chinois ».
1964 :
MULELE, STANLEYVILLE , LE CONGO.
Première biographie de PIERRE MULELE par LUDO MARTENS - fondateur du PTB |
Le
24 novembre 1964, les parachutistes belge sautaient sur Stanleyville
,qui avait été proclamée , le 5 août 1964 capitale de la
« République Populaire du Congo » , suite à sa
libération par les « Simbas » (ainsi appelait on les
résistants dits « mulelistes » de l'Armée Populaire de
Libération du Congo, les rebelles)
En
fait,dés juillet 1963, Pierre Mulele, compagnon de combat de
Patrice Lumumba, et ancien ministre de l ' Education
nationale de son gouvernement, avait formé dans la région du Kwilu,
des cadres révolutionnaires ; et dans la nuit du 31/12 au
1/1/1964 , ils déclenchèrent la lutte armée, qui devait conduire
en quelques semaines à la libération d'une grande partie de la
région et à son extension à l'Est et au Nord du pays.
Le
Conseil National de Libération du Congo (Léo), qui regroupait les
forces politiques opposées à la mainmise sur le Congo par l 'alliance
des colonialistes belges et des Américains avait proclamé
le 3 octobre 1964 les objectifs de « restauration de la
souveraineté des masses populaire, la reconquête de l'indépendance
nationale, la restitution du patrimoine et des richesses nationales
au peuple souverain et travailleur, la formation d'un gouvernement
révolutionnaire, national et populaire »
Le
24 novembre fut une véritable opération de guerre, dans la plus
pure tradition des guerres coloniales, camouflée comme il se doit en
opération « humanitaire » pour sauver les « Européens
pris en otages par des rebelles sanguinaires ».
Et
ce, en coordination avec les troupes gouvernementales de Mobutu,
appuyées par des mercenaires au service de l'ancien ordre colonial,
dont l'objectif était de reprendre Stanleyville d'abord, tout le
Congo ensuite.
C'est
Spaak, ministre des Affaires Etrangères et homme fort du Parti
Socialiste, qui est à la manoeuvre, appuyé par le président
américain Johnson.C'est Moïse Tschombe, l'assassin de Lumumba, marionnette commune pour un temps des Américains et des Belges , qui est "Premier ministre" du gouvernement de Léopoldville!
Le
jeudi 26 , tous les cercles politiques étudiants de gauche de l'ULB,
(fait assez rare pour le souligner , et preuve que des accords sur
des actions précises étaient possibles) se mobilisent et partent en
cortège depuis le Solbosch vers la place Flagey, lieu de
rassemblement d'une manifestation .
Manifestation
courageuse tant le déferlement de propagande à la gloire des paras
était puissant , et tant aussi la mobilisation d'extrême droite des
nostalgiques du Congo de papa était forte.
La
place Flagey était occupée par les fachos, hurlant « à
mort les cocos… les cocos à Moscou » et déjà, ça
se castagnait dur ! Des camarades étaient blessés. Il nous
fallut nous replier ...
Mais
ce n'était pas fini !
A
quelques centaines peut être, mais, en janvier 1965, à l'issue d'un
courageux meeting syndical CGSP Enseignement et Gazelco, nous
manifestions quand même, en ville, contre l'intervention militaire
au Congo. Certains scandaient : « Mulele, Mulele »
Et
tenaces, nous organisions du 8 au 12 mars 1965, à la Cité
Universitaire une « Semaine Congo », avec exposition,
conférences et spectacle.
Et
puis , quelle fierté de lire la rubrique Congo dans le journal « La
Voix du Peuple », loin d'être pourtant une perfection
journalistique, mais rare voix en Belgique , à soutenir Pierre
Mulele et les combattants du Kwilu ; son rédac - chef, Arnold
Hauwaert, allait aussi interviewer aux frontières du Tanganika,
Laurent Kabila, alors dirigeant des maquis révolutionnaires du
Front de l'Est, ceux là même auxquels Che Guevara – on
l'apprendra plus tard - s'était joint.
Congo 1964- zones libérées |
Quelle
fierté le 17 janvier 1966, de rendre hommage, dans la salle
Claridge à St Josse, à Patrice Lumumba, 5 ans après son
assassinat, avec en prime un tour d'horizon par un révolutionnaire
congolais, de la lutte de guérilla menée là bas sur les différents
fronts.
Et
un spectacle du Théâtre Populaire de Bruxelles , qui chantait
une chanson de là bas: « Terre de mes ancêtres, Congo bien
aimé, je courberai, oui je courberai, je courberai toujours devant
toi ...»
Quelle
émotion, fondée sans doute aussi sur tellement d'illusions, en
voyant ces images de combattants dans la brousse, et ces cartes du
« Congo libéré ».
Je
nous vois encore faire barrage à la sortie pour aider à exfiltrer
le camarade et empêcher son interpellation par les BSR ; je
les vois, dans leur gabardine, courir en vain sur le trottoir, alors
que les voitures s'égaillaient. Leur seul butin fut mon numéro de
plaque, ce qui me valut une visite domiciliaire quelques semaine plus
tard.
VIETNAM :
« FNL VAINCRA »
Mais
c'est la guerre révolutionnaire du peuple vietnamien qui allait
éveiller la jeunesse du monde entier , la mobiliser, non plus
seulement en mode « minorité agissante », mais bien par
de larges mouvements et des manifestations massives.
Ce
sera un des ferments des plus tenaces des mouvements de 67-68 -69
dans les écoles et les universités.
Le soutien sans réserve au FNL du Sud
Vietnam matérialisé par « l'appel du 20 juillet » en
1964 est au départ un des points forts .
Cet appel avait été soutenu par de
« grandes » signatures : Baron Allard, Camille
Huysmans, le professeur Brien, Germaine Hannevart, le peintre Roger
Somville, le sculpteur Frans Masereel, l'écrivain David Scheinert,
Georges Dobbeleer ( dirigeant JGS) ,le syndicaliste Jacques Yerna
etc.
Preuve qu'il était possible de
rassembler largement sur le programme des Vietnamiens eux – mêmes:
« le respect des Accords de Genève du 20 juillet 1954, la
cessation de l'agression US et le retrait de toutes les troupes
américaines du Sud-Vietnam, la réalisation de l'indépendance, de
la démocratie, de la paix et de la neutralité du Sud Vietnam, la
réunification pacifique du Vietnam. » (8)
En
Belgique, comme dans de très nombreux pays, et ,en premier lieu les
Etats - Unis eux mêmes, le mouvement contre la guerre du Vietnam se
développe . Beaucoup de gens sont choqués des images qu'ils
voient à la télé : bombardements sur le Nord, napalm sur les
villages du sud, défoliants sur les cultures et forêts.
Autre
fait non négligeable dans l' évolution hostile à la guerre de
l'opinion publique, les prises de position de la France et du
président De Gaulle:
« il
n'y a, d'autre part, aucune chance pour que les peuples de l'Asie se
soumettent à la loi de l'étranger venu de l'autre côté du
Pacifique, quelles que puissent être ses intentions et si puissantes
que soient ses armes."
La solidarité Vietnam deviendra peu à
peu centrale , portée avant tout par le combat des Vietnamiens eux
mêmes et par l'hostilité croissante dans la population à la sale
guerre américaine.
Elle deviendra centrale dans les
marches anti atomiques , par delà le manifeste officiel des
organisations traditionnelles, dés celle du 28 mars 1965, qui se
termina par une montée en masse jusqu'à l'ambassade US.
De
plus en plus aussi, surtout dans la jeunesse, la simple exigence de
paix évolue vers un soutien politique au programme des combattants
vietnamiens, organisés dans le Front National de Libération du Sud
Vietnam.(FNLSV).
Nous
chantions leur hymne : « Libérons le sud , camarades »
nous diffusions leur journal : « Le Courrier du
Vietnam » ; célébrions leurs héros – Nguyen Van Troy
- fusillé à Saïgon en 1964; nous nous engagions à partir là bas-
en « brigades internationales » - s'ils nous le
demandaient.
Au
mot d'ordre de « Paix au Vietnam » se substituait de plus
en plus celui de « US Go Home » et « FNL vaincra »
J'ai
inventorié, rien que pour le 1er semestre 1967, les manifestations,
certaines minoritaires et radicales, visant directement
les représentants de l'ambassade ou du gouvernement US ..
- le 27 janvier 1967, à l'ULB, un auditoire plein à craquer - plus d' un millier d'étudiants- empêche Kaplan sous secrétaire d' Etat américain , invité par un Cercle du Libre Examen pusillanime de défendre sa politique. Le drapeau du FNL est brandi.Pendant une semaine nous avions mobilisé toute la communauté universitaire, à travers des discussions acharnées, où au « Kaplan ne parlera pas », nous était opposée la sacro - sainte liberté d'expression, dans la « maison du Libre Examen ».Les positions se clivaient entre une gauche radicale et les « libre exaministes » de gauche ou de droite, mais, le jour dit, le représentant US a dû s'esquiver, et la réponse classique est alors venue de l'extrême droite ( dont des étudiants sud vietnamiens pro - yankee) : mise à sac des locaux, autodafé des livres et brochures « communistes , passage à tabac de militants»Mais Kaplan n'avait pas parlé !
- À Bruxelles, le 9 février, le secrétaire d'ambassade Floyd est conspué à l'occasion d'une conférence « contradictoire » place Rogier, organisée toujours par un coriace cercle du « Libre Examen ».A la tribune, pour dialoguer avec Foyd, une présence incongrue : Pierre Joye , renommé dirigeant du PC. La police intervient, et expulse les perturbateurs. J'en étais, faut-il le dire ?
- A Haine Saint Pierre, un mardi soir de mars, le même Floyd se heurte à une manifestation de plus de 800 personnes mobilisés derrière le drapeau du FNL sud vietnamien. Ce « débat » organisé à l'initiative du CLEO socialiste ( Cercle local d'éducation ouvrière) devait opposer Floyd à Ernest Glinne (député PSB, réputé « de gauche ».)« En 1 heure de temps, la place de Haine Saint Pierre était noire de monde ; on devait être autour de 800 personnes, qui tapaient sur des casseroles pour se faire entendre.La place était bouclée par la police et des fourgons de gendarmerie.A l'intérieur de la salle, l'ambiance est chaude : quand Floyd est arrivé, il est couvert de huées et de cris. La police sort les matraques . Coups et résistance s'ensuivent, presse et TV avaient déjà depuis longtemps replié leur matériel, par peur de la casse !Le débat est annulé par le bourgmestre d' Haine Saint Pierre ! Floyd n'a pas parlé. » (9)
- Le 9 avril , le vice président américain Humphrey lui même - Johnson étant le président- fut accueilli lors d'une cérémonie au Soldat Inconnu par des centaines de projectiles de tout genre (oeufs, tomates, oranges,farine, légumes pourris)
- les 6 et 13 mai, dans les magasins « l'Innovation », des jeunes militants des Comités d'Action distribuent des tracts , lancent des papillons et défilent dans le magasin, parmi les rayons, en tee shirt marqués « US GO HOME » « FNL vaincra ». Ils protestent contre une « Quinzaine américaine » commerciale sponsorisée par l 'Ambassade. Le 22 mai un violent incendie embrasait le magasin faisant 235 victimes dont 67 membres du personnel. Une provocation policière visant à criminaliser les militants anti impérialistes ( perquisitions et arrestations ) s' effondra en quelques jours comme un château de cartes.(10)
ULB : Exposition Vietnam des Etudiants Communistes ( pro chinois) |
Toutes
ces actions étaient des actions politiques , s'inscrivant dans un
mouvement mondial d'opposition radicale à la guerre américaine au
Vietnam.
Elles
étaient radicales , et rompaient en effet, avec un certain consensus
mou de dialogue bien poli et bien convenable avec les représentants
américains.
Elles
s'affrontaient, bien sûr, aux interventions policières, sans que
jamais la violence ne fut de notre côté; à ma connaissance, aucun
militant, en cette année 1967, ne fut poursuivi et condamné devant
les tribunaux pour violence contre agent, ou pour tout autre acte de
violence contre des personnes.
Par
contre, nous étions nombreux à avoir passé quelques heures à
l' Amigo (commissariat central de Bruxelles) pour arrestation
administrative.
Elles
s'opposaient aussi, à l'époque, à l'atlantisme toujours présent
au sein du Parti Socialiste Belge , et aussi à une certaine
conception du « dialogue Est - Ouest », de la
coexistence pacifique et de la priorité absolue aux négociations de
certains dirigeants du Parti communiste.
Cette
opposition radicale était sans doute marquée de notre côté par
beaucoup de sectarisme, d'injures et d'anathèmes.
Mais
, d'autre part, ces actions récoltaient encore et encore, l'adhésion
des jeunes , dans les écoles, qui créaient des Comités d'Action
Anti impérialistes de Jeunes., patronnés par l' APIP ( Action pour
la Paix et l'Indépendance des Peuples) (11)
Personnellement,
cet engagement militant aux côtés du Vietnam combattant , 50 ans
après, je le revendique toujours et j'en suis toujours fier.
Ajoutons y, pour être complet et coller à l'actualité de 2018, les premières actions de solidarité avec le peuple palestinien et les premiers affrontements avec l'extrême droite ( toujours elle, sous diverses formes, et dans ce cas ci, l'extrême droite sioniste).
Lors de la guerre des 6 jours, en juin 1967, attaque israëlienne contre ses voisins arabes, lors d' un meeting à l'ULB, organisé en commun avec des étudiants arabes, lorsque le communiste R. Raindorf, rescapé d'Auschwitz, exhiba son numéro de déporté tatoué sur son bras , sous les cris et les insultes de "traître", chaises et projectiles divers lancés vers les orateurs traversèrent la grande salle de la Cité!
Dans
la même période, de puissantes manifestations avaient lieu à
Bruxelles , regroupant toutes les tendances de la solidarité avec le
Vietnam, du pacifisme à l'anti - impérialisme:
le
4 mars et le 23 avril 1967, lors de la Marche anti- atomique ( et anti- impérialiste ) , rassemblant 20000 jeunes et moins jeunes .
La
solidarité avec le Vietnam, et la rupture avec l'OTAN, qui
s'installe cette année là à Evere et Casteau sont au centre des
mots d'ordre de ce qui aura été une des marches les plus
combatives, conclue par un meeting anti impérialiste autonome dans
une salle de la Madeleine pleine.
Et
c'est en mars 1968, au lendemain de l'offensive du Têt au Vietnam,
qu'une de plus grandes manifestations ( 20000, 30000?) se déploie
dans les rues de Bruxelles
2 MARS 1968: une des plus grandes manif VIETNAM :nous sommes montés à l'Ambasssade US |
"Le Soir" du 5 mars 1968 écrivait:
"Huit mille manifestants, selon la police, le double selon nous, vingt milles selon les organisateurs. Quel que soit le chiffre exact, la « Marche pour le Vietnam » qui a parcouru, samedi après-midi les artères centrales de Bruxelles est l’une des plus imposantes manifestations qu’ait vues notre capitale.
Deux heures de défilé interminable sur les boulevards Lemonnier et Adolphe Max. Des milliers de calicots, pancartes, affichettes, non seulement en français et en flamand mais aussi en espagnol, en allemand et grec.
Des centaines de drapeaux non seulement vietnamiens mais aussi portant le nom de lycées, athénées où des « comités-Vietnam » ont été constitués par les élèves. En tête du cortège, derrière les membres du Bureau et de la Commission politique du Comité national Vietnam, personnalités politiques ou autres représentants toutes les tendances de l’opinion, deux drapeaux belges tenus par d’anciens combattants.
Des ballons rouges portant l’inscription « Pax Vietnam », un extraordinaire «orchestre de gongs ».
Des milliers de femmes, d’hommes jeunes, moins jeunes, venus de tous les coins du pays marchant en silence ou bien criant des slogans, chantant, vendant des journaux, distribuant des tracts, mangeant des tartines ou des frites"
En
fin de cortège le groupe de percussion marquait le tempo, et à la
place de replier les calicots, nous avons continué par le Botanique
jusqu'à l'ambassade.
La police a été complètement prise au dépourvu: ce dimanche là, j'ai vu des policiers prendre le tram pour rejoindre leurs collègues.
La police a été complètement prise au dépourvu: ce dimanche là, j'ai vu des policiers prendre le tram pour rejoindre leurs collègues.
C'était
2 mois avant Mai 68, c'était déjà Mai 68 !
A suivre MON LONG MAI (2) : LE CAMP DES TRAVAILLEURS
CALICOT ROGER SOMVILLE - MAI 1968 |
NOTES
1
http://www.jeuneafrique.com/242104/politique/rdc-55-ans-apres-le-discours-de-patrice-emery-lumumba- pour-lindependance/.
2.
Années 60 : pays et régions en lutte politique et armée contre
l'impérialisme et les gouvernements à leur service : Cuba,
Algérie, Congo( Léo), Angola, Mozambique, Guinée Bissau et Cap
vert, Cameroun, Afrique du Sud , Vietnam, Laos, Birmanie, Bolivie,
Perou, Brésil, Venezuela, Colombie , Guatemala, Rép. Dominicaine,
Palestine, USA ( mvt des Noirs américains) ...et bien d'autres
3.Sur
ces années à l'ULB voir José Gotovitch: Chronique des années
ULB : Le Cercle des Etudiants communistes 1956-1961. Liber
Amicorum Daniel
Rochette Annales du Cercle d’Histoire, d’Archéologie et de
Folklore du Comté de Jette et de la Région – a. s. b. l.
4.
Charonne :
http://www.letempsdescerises.net/?product=un-crime-detat-metro-charonne-8-fevrier-1962
5.Jacky Nagels s'était engagé aux côtés du
FLN algérien et avait été arrêté à la frontière française ,
transportant le journal clandestin « Vérités pour » du réseau
Janson. Et ce malgré l'interdiction de pareil engagement par le
Parti Communiste, dont il était membre.
voir sur cet épisode "algérien" des EC :José
Gotovitch Chronique
des années ULB...op cité
6."Encore une fois sur les divergences entre le camarade Togliatti et nous" Hongqi" n° 3-4 1963 Editions en langues étrangères
-Pékin- 1963
7.
Jacky Nagels (1939-2014) était alors secrétaire politique des
Etudiants Communistes de Bruxelles. Sous son impulsion, nous avions
organisé en décembre 1962 une exposition à l'ULB: "La Chine,
un pays qui n'existe pas" Il fut un des plus avisés critiques
des positions "kroutchéviennes" dans la cellule
Etudiants, se basant sur une solide formation marxiste. Il refusa néanmoins en
juin 1963 de se rallier à la dissidence de Jacques Grippa .
Jacques
Boutemy: avait rédigé, avec la cellule "Etudiants" des
contre thèses sur la coexistence pacifique. Membre du Comité
central du PC prochinois jusqu'en 1966. Victime rebelle d'une des
vagues d'exclusion successives qui menèrent ce parti à sa
désagrégation.
Michel
Graindorge : voir
https://rouges-flammes.blogspot.be/2015/04/les-annees-graindorge-1960-1970-une.html
8.
Appel du 20 juillet : APIP n°1 – 1ère année Mars 1965
9.Témoignage
de Damire Deschreyer 2017
10
Incendie de l'Innovation : voir
https://rouges-flammes.blogspot.be/2017/05/le-22-mai-1967-le-grand-magasin-rue.html
11.APIP
"Action pour la Paix et l'Indépendance des Peuples"
1964-1968
Organisation
fondée en mars 1965 , par des personnalités militant pour la paix,
comme Antoine Allard, l'abbé Carette , Germaine Hannevart, Yvonne
Jospa, Emile Cavenaille et des militants du Parti communiste pro
chinois ( tendance Grippa.)
Active
au départ surtout au niveau international dans des conférences
internationales, ( Gensuikio pour l'interdiction des armes
atomiques , conférence de Djakarta,) elle connaîtra un essor
certain, avec les premières actions contre la présence de bases
de l'OTAN en Belgique -Florennes 1965 , puis la solidarité avec le
Vietnam.
Sous
l'impulsion de sa secrétaire Jeanne Vervoort, elle se développa
dans la jeunesse en impulsant dans les écoles et les quartiers des
Comités d'action anti impérialistes .Très active dans la
préparation des Marches anti atomiques;Sa désagrégation en
1967-1968 accompagnera la désagrégation du parti communiste pro
chinois dirigé par Jacques Grippa.
Que de souvenirs : on était vraiment très actifs, tu fais bien de le rappeler
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