Je reviens , dans ce blog, sur LA RESISTANCE SOCIALE dans notre pays pendant la guerre 1914-1918.
Sur la résistance des travailleurs
contre l'insupportable vie chère , la faim et la misère.
En fait , j'ai le sentiment que cette
résistance a été permanente, et souvent radicale ; on l'a vu
lors de la grève du pain dans la région liégeoise en mai 1915 .Mais qu'on n' en a pas écrit l'histoire...- (en Wallonie du moins)
voir http://rouges-flammes.blogspot.be/2015/11/1914-1918-mai-1915-la-greve-du-pain-des.html
voir http://rouges-flammes.blogspot.be/2015/11/1914-1918-mai-1915-la-greve-du-pain-des.html
Il suffit de fouiller un tout petit peu dans les journaux qu'ils aient paru en exil à Londres, Amsterdam ou en pays occupé sous la censure allemande, et on trouve en permanence ,en page intérieure, parmi les faits divers, de petits billets de correspondants locaux qui ne parlent que d'alimentation, de disette et de prix, de troubles sur les marchés.(voir par exemple sur le site http://het archief.be)
C'est ainsi qu'on apprend que en
juin1916, ça bouillonne aussi bien à Gand qu' à Liège ou à
Anvers.
( voir aussi sur la lutte des ménagères de Gand:
http://rouges-flammes.blogspot.be/2016/06/1914-1918-juin-1916-nous-voulons-du.html)
http://rouges-flammes.blogspot.be/2016/06/1914-1918-juin-1916-nous-voulons-du.html)
LE PRIX DES PRODUITS LAITIERS
La cause , dans la
région de Liège, c'est le prix des produits de grande valeur nutritive ,
le beurre, le lait, les oeufs– absolument nécessaires à
l'alimentation des enfants et bien sûr aussi des ouvriers mineurs
astreints à un travail lourd.
BRUXELLES 1914 : LA QUEUE POUR LE BEURRE |
En particulier, la matière grasse
comme le beurre , le lard, la viande de porc qui avait dans les
années avant guerre gagné une place de choix dans l'alimentation
des ouvriers, preuve aussi d'un certain mieux être social.
Avec le déclenchement de la guerre,
les quantités disponibles se sont effondrées,et les prix se sont
emballés ; la consommation de lait a chuté de 40% ( entre août
14 et le printemps 1915).
Le beurre est devenu dés lors un
produit de luxe rare, mais un produit de première nécessité.
La consommation des oeufs à chuté de
50%, due à la rareté et au prix; les importations ont été
stoppées par la guerre.
Voici, à propos du
prix des denrées, un tableau comparatif des prix des 1914 et de
1916 :
- 1 kilo de viande ………………… fr 3.00 fr 9.00
- 1 kilo de lard …………………… fr 2.00 fr 16.00
- 1 kilo de graisse ………………... fr 1,60 fr 12.00
- 1 kilo de beurre ……………….... fr 3.00 fr 8,50
- 10 litres de pétrole …………….... fr 1,50 fr 75.00
- 1 kilo de café …………………... fr 2,40 fr 16.00
- 10 œufs …………………………. fr 1,50 fr 5,50
- 10 kilos de farine ……………...... fr 2,80 fr 32.00
- 10 kilos de pommes de terre ......... fr 1.00 fr 8,50
- 1 kilo de sucre ………………...... fr 0,60 fr 6.00
- 1 kilo de riz …………………….. fr 0,40 fr 12.00
En ce qui concerne
le beurre, on signale qu'on le vend dans certaines crèmeries jusqu'à
7,75f/kg, et au marché d' Aubel à 6,5f/kg.
Malgré tous les
règlements édictés par l'autorité occupante, le beurre faisait
défaut et fera défaut toute la guerre, sur les marchés, et quand
il y en avait , il était vendu parcimonieusement (60 ou
100g/personne) et le plus souvent, sur la vitrine, était affiché :
« PAS DE BEURRE »
Bien sûr, on
pouvait en trouver, mais à des prix exorbitants , 16 f/kg au début
1917 et jusqu'à 40f/kg en 1918 !!
« NOUS VOULONS LE
BEURRE A 3 FRANCS.. »
A Liège, c'est dans la banlieue Est
cette fois , du côté de JUPILLE, BELLAIRE, QUEUE DU BOIS
et RETINNE que les mineurs toujours à la pointe du combat social et les femmes de mineurs entreprennent les premières actions : les 26 et 27 juin 1916, « indignés de se voir refuser du lait dans les fermes , ils se postèrent sur les routes et renversèrent sur la route le contenu des cruches , » de même que des cargaisons entières d'oeufs.
et RETINNE que les mineurs toujours à la pointe du combat social et les femmes de mineurs entreprennent les premières actions : les 26 et 27 juin 1916, « indignés de se voir refuser du lait dans les fermes , ils se postèrent sur les routes et renversèrent sur la route le contenu des cruches , » de même que des cargaisons entières d'oeufs.
Certains charbonnages , d'autre part
étaient en grève ( grève démarrée à Batterie sur un problème
de licenciement, et qui s'était étendue, en solidarité
à d'autres puits)
Le 2 juillet , c'est à BEYNE HEUSAY :
dés 3h du matin, des groupes d'hommes et de femmes se mobilisent par
le porte à porte .Ils arrêtent un transport de lait, et le
renversent sur la chaussée.
Dans la matinée, c'est au centre de
LIEGE , au MARCHE DE LA BATTE que ça bouge.
Une centaine de personnes sont
descendues d'abord Place Cockerill exigeant le pain à 0,55f/kg.
Refus des marchands, les pains et les étalages furent jetés à La
Meuse! De même sur la Batte.
La police intervient et arrête une
quinzaine de manifestants.
Un groupe de femmes marcha alors vers
les commissariats rue Soeur des Hasques, et rue Hullos qui furent
caillassés à coups de pierres.Une patrouille allemande arrive et
disperse la foule.
A SAINT NICOLAS, des groupes de
manifestants pénètrent dans les magasins , et imposent le prix de
3f/ kg de beurre.
ACTIONS POUR LE PRIX DU BEURRE(juin-juil1916-provLIEGE) |
A HERVE , une centaine de mineurs se
rassemblent.
Le bourgmestre de Herve Mr Cayot,
avait lancé un appel aux paysans pour s'en tenir au prix maximum :
tous les agriculteurs sont appelés à signer une déclaration
respectant le prix demandé : 3f/kg de beurre.
Des délégués ouvriers sont présents.
De même à Vaux sous Chèvremont,
Grâce Berleur , Huy plus tard, les fermiers signent une
déclaration sous l'autorité du bourgmestre, se conformant aux
desiderata de la population : vendre le beurre à 3f et le lait
à 0,18-0,20 ct/litre .
A NAMUR même, « les 3 journées de marché furent troublées ; une bande assez nombreuse attendait les marchands à la descente du tram, obligeant la vente du beurre et des oeufs à leur prix ». La police fut huée, arrestation du meneur . Le bourgmestre interdit toute manifestation, et le conseil communal vota une réglementation des prix.
On le voit, la colère ouvrière, des
plus justifiées, dirigée au départ contre les marchands et les
agriculteurs , conduisit à des négociations structurées et
victorieuses dans un rapport de force basé sur la mobilisation et
l'action radicale.
Les travailleurs imposaient le respect
de prix qui leur permette au moins de survivre.
Les agriculteurs l'acceptaient. Les
autorités communales patronnaient les accords.
« FEMMES EN FUREUR, BANDE DE CITADINS », OU TRAVAILLEURS EN LUTTE ?
« Il faut dire que « des
émeutes s'étaient produites dans un grand nombre de villes du pays,
les jours de marché.
Des femmes en fureur forcèrent les
marchands à céder leur marchandise à un prix raisonnable et ceux
qui refusaient voyaient renverser leur étalage, piétiner leur
marchandise, et souvent ils reçurent des coups !
Au pays de Liège, des bandes
d'ouvriers se rendirent dans les fermes à plusieurs lieues à la
ronde, réclamer des fermiers la livraison de leur beurre à 3 otu
4f/kg.
Ces clients indésirables visitaient
les coins et recoins de la ferme pour y découvrir le beurre et ils
le prenaient de force en payant le prix indiqué.
On nous a cité que ces bandes de
citadins, rencontrant sur leur route des gens porteurs de paquets de
beurre demandaient à quel prix ils l'avaient payé ; Et si le
prix était trop élevé, ils se rendaient chez le fermier, et lui
faisaient rembourser la différence. »
« femmes en
fureur, bandes de citadins, clients indésirables », ce n'est
pas une manière très socialiste de raconter l'histoire d'une
juste colère populaire pour un député du POB.
Mais il y a pire.
Régalons nous avec
l'article suivant : « La Belgique « du 8 juillet
1916
« Nos
houilleurs »
"LA BELGIQUE" du 8 juillet 1916 |
Ils se sont mis en grève, mardi,
nos houilleurs, histoire de se dégourdir les jambes.
Rester sur le dos ou sur le ventre
entre deux pierres, depuis 6 heures du matin, jusqu'à 3 h de l'après
midi n'est guère amusant.
Les promenades à la campagne, sous
le soleil plutôt tiède de ces jours derniers offraient
incomparablement plus de charme.
C'est pourquoi, profitant de
l'émotion causée par la vie chère, ils ont décidé de faire une
randonnée dans nos campagnes afin de rendre une petite visite aux
fermiers pour leur demander s'ils n'avaient pas du beurre à vendre à
3f/kg , et des oeufs à 2,6 f le quarteron....
Naturellement, les femmes étaient
de la partie : dans les choses importantes, un houilleur ne part
jamais sans femme ;[...]
Nos braves fermiers signèrent de la
meilleure grâce du monde l'engagement de vendre désormais leur
beurre, leur lait, et leurs oeufs aux prix fixés par Messieurs les
houilleurs »[...]
Quand
le professeur PAUWELS (*)vous disait que c'était une guerre de
classes ! Quel mépris pour les "houilleurs" suinte de chaque
ligne de cet entrefilet perdu en page intérieure dans la rubrique
« TOUT LIEGE "
* voir Jacques PAUWELS: "La Grande Guerre des classes -EPO 1914
* voir Jacques PAUWELS: "La Grande Guerre des classes -EPO 1914
CREER UNE INTERCOMMUNALE ...
Manifestement
inquiets de poussées ouvrières révolutionnaires , les partis de
l'Union Sacrée ( catholiques, libéraux et socialistes )
s'associeront pour créer une nouvelle structure qui dépassera le
seul CNSA , consacré aux chômeurs et indigents et ouvriront les "
Magasins communaux de l'arrondissement de Liège ", La
première priorité de la société est de s'occuper du
ravitaillement en beurre, lait et œufs . Ces denrées
sont achetées aux producteurs de l'arrondissement en leur laissant
un bénéfice équitable. La deuxième vise à procurer aux fermiers
les produits nécessaires à l'alimentation du bétail. »
Le 30
octobre 1916, les Magasins communaux sont remplacés par la
« Société intercommunale de Ravitaillement de la Province de
Liège » (société coopérative, gérée par un
conseil d'administration, composé de membres appartenant aux trois
grandes familles politiques).
La
révolte du beurre aura eu ce résultat : une victoire
institutionnelle des travailleurs dont les revendications ont été
prises en compte.
Reste à étudier (par les historiens
du peuple) comment cette nouvelle institution du type « union
nationale » aura pu sur le long terme ( 1917-1918) juguler la
vie chère.
VERVIERS 4 et 5
JUILLET : JUSTICE POPULAIRE CONTRE LES TRAFIQUANTS,
Un autre article "ROUGEs FLAMMEs" détaillera particulièrement ce qui fut le sommet des actions contre les prix exorbitants du beurre et des produits laitiers : les manifestations des 4 et 5 juillet 1916 à Verviers.
ROUGEs FLAMMEs :"1914-1918 -VERVIERS, 4 et 5 JUILLET 1916 : LA REVOLTE POPULAIRE CONTRE LES AFFAMEURS ET LES « PUDDINGS"
http://rouges-flammes.blogspot.be/2016/07/1914-1918-verviers4-5-juillet-1916-la.html
La
flambée brutale des prix ne plaît pas à la population qui
s'inspire des échauffourées survenues la veille à Liège pour
exprimer sa révolte.ROUGEs FLAMMEs :"1914-1918 -VERVIERS, 4 et 5 JUILLET 1916 : LA REVOLTE POPULAIRE CONTRE LES AFFAMEURS ET LES « PUDDINGS"
http://rouges-flammes.blogspot.be/2016/07/1914-1918-verviers4-5-juillet-1916-la.html
La colère ouvrière se dirigeait aussi contre les trafiquants, gros producteurs et négociants, profiteurs de guerre qui traditionnellement dans cette région, vendaient aussi en Allemagne.
Dés le 3 au soir s'étaient formés à SOUMAGNE, FLERON et MICHEROUX, , tous villages de mineurs, un cortège qui se rendit de nuit vers VERVIERS..
C'EST DANS LA RUE QU'ON GAGNE
Quelle belle page d'histoire écrite par les travailleurs et les femmes de la région liégeoise, dans des ,ô combien, conditions difficiles, de 1916 : l'effacement des organisations syndicales, la dictature militaire et l' état de guerre.
Femmes, mineurs , simples citadins ont osé se dresser contre la vie chère, ont imposé leur prix , acté dans de nombreuses conventions avec les agriculteurs et les autorités communales, ont puni les fraudeurs et trafiquants.
Ils ont gagné dans la rue. Belle leçon de lutte, encore aujourd'hui.Et insistons tout particulièrement sur le rôle des femmes .
Mais , il n' y avait à l'époque, à ma connaissance du moins , aucune force politique à gauche capable de relayer dans un combat politique cette énergique résistance populaire, et d'unir autour des travailleurs toutes les couches du peuple.
Le POB donnait , lui, systématiquement à toute question du monde du travail, une réponse basée sur l' Union Sacrée et la collaboration avec les partis bourgeois.
L' ENJEU ALIMENTAIRE
ETAIT DEVENU UNE QUESTION POLITIQUE
On sait que la lutte pour le pain et les vivres indispensables furent des éléments
déterminants dans l' émergence des révolutions russe en 1917 et
allemande en 1918, et donc dans la fin de la guerre.
EN
RUSSIE,
L'événement déclencheur de la
révolution de février à PETROGRAD, en Russie a été le
rationnement du pain ( la ville n'ayant plus de farine que pour
quelques jours), combiné avec le chômage dans les grandes usines.
Le 8 mars (23 février) 1917, proclamée en 1910, "Journée Internationale des Femmes pour l'égalité des droits" , plusieurs cortèges de femmes
(étudiantes, employées, ouvrières du textile des faubourgs )
manifestent dans le centre-ville de Petrograd pour réclamer du pain.
« Du travail et du pain » étaient les premiers mots d'ordre de cette révolte populaire . Appuyée immédiatement par les ouvriers des grandes usines, cette révolte du pain se transforme en grève générale , et le passage des soldats dans le camp du peuple, exigeant la paix , emportera le tsar .
« Du travail et du pain » étaient les premiers mots d'ordre de cette révolte populaire . Appuyée immédiatement par les ouvriers des grandes usines, cette révolte du pain se transforme en grève générale , et le passage des soldats dans le camp du peuple, exigeant la paix , emportera le tsar .
En ALLEMAGNE,
Le 15 octobre 1915, dans le quartier
berlinois de Lichtenberg, quelques femmes protestent contre le prix
du beurre. Le soir, ce sont 5 à 6000 personnes qui se sont
rassemblées, protestant, lançant des pavés, poussant des slogans
hostiles à la guerre, obligeant la police à intervenir.
ALLEMAGNE 1917: la queue pour la nourriture |
sur la vie à liège en 1916 :blog ma nouvelle vie à Lidge http://catinus.blogspot.be/2014/09/liege-en-1916.html
La presse :voir infos dans Le Bruxellois de juin juillet 1916: https://hetarchief.be/nl/media/le-bruxellois-journal-quotidien-independant/z2hOAYUbnXpWNTLOEUhPRZyj
(très intéressant en nl) :Antoon Vrints : « Sociaal protest in een bezet land -Voedseloproer in Belgiê tijdens de Eerste Wereldoorlog » Tijdschrift voor Geschiedenis- 124e jaargang, nummer1 pp30- 47
http://www.ingentaconnect.com/content/aup/tg/2011/00000124/00000001/art00003?crawler=true
sur Verviers "L’insurrection des affamés saccage le centre de Verviers"
http://lesresistantsdelamemoire.be/forum/topic-869+l-insurrection-des-affames-saccage-le-centre-de-verviers.php
et http://www.lavenir.net/cnt/355251
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