Je
continue ici ma découverte des « HOMMES CONTRE » , de
ceux qui d'une manière ou d'une autre ont protesté contre la guerre
impérialiste de 1914-1918, l'ont dit, et bien souvent l'ont payé
par
la répression nationaliste et patriotarde qui a frappé
indistinctement ,en 1918,les opposants à la guerre : simples
pacifistes, internationalistes socialistes, anarchistes , ou aussi,
bien sûr, les « activistes » flamingants.
A
l'école primaire, mon anthologie de français était émaillée de
textes de JEAN TOUSSEUL , qui servaient d'ailleurs souvent de
sujets de dictée.
J'en
garde l'image qu'on a voulu nous en donner : un écrivain
régionaliste, qui comme HUBERT KRAYNS , a ancré ses romans dans le
tissus régional de WALLONIE.
En
l' occurrence pour JEAN TOUSSEUL, dans la douceur des bords de MEUSE
autour de SEILLES et d' ANDENNE.
Il
fait partie des « CENT WALLONS DU SIECLE » de l' INSITUT
JULES DESTREE.
Et
aussi de nos écrivains oubliés ; d' ailleurs il n'y a plus
dans nos écoles d'anthologie de français...
Pour la biographie de JEAN TOUSSUL, voir
http://www.servicedulivre.be/sll/fiches_auteurs/t/tousseul-jean.html
http://www.wallonie-en-ligne.net/1995_Cent_Wallons/Tousseul_Jean.htm
http://www.wallonie-en-ligne.net/1995_Cent_Wallons/Tousseul_Jean.htm
Mais
, en ce centenaire de 1914-1918, il nous faut célébrer un autre
JEAN TOUSSEUL : le « prolétaire écrivain »
pacifiste, arrêté pour « propos défaitistes » en
décembre 1918.
En
1990, l'IHOES (INSTITUT D'HISTOIRE OUVRIERE ECONOMIQUE ET SOCIALE) a monté , à l'occasion du centenaire de JEAN TOUSSEUL, une exposition « JEAN TOUSSEUL ET LE MOUVEMENT SOCIAL DE SON
TEMPS »
Et
ce sont les panneaux de cette belle exposition ,heureusement
conservés qui m'ont guidé pour la rédaction de ce blog.
Et
j'y ai découvert, au delà de la description des coteaux de MEUSE,
un ouvrier des carrières, fils d'ouvrier des fours à zinc de
SCLAIGNEAUX, OLIVIER DEGEE . Devenu écrivain autodidacte, il
prendra en 1916 le nom de plume de JEAN TOUSSEUL, et décrira la
réalité sociale de son temps.
OLIVIER
DEGEE, OUVRIER CARRIER A SEILLES, CHEZ LES COLLINET.
Nous sommes au pays des carrières de calcaire,
des mines d'oligiste, des fosses à terre plastique, des fours à
chaux, des moulins de minerai, des usines de produits réfractaires :
SCLAYN, SCLAIGNEAUX, ANTON, SEILLES, ANDENNE.
Des
fonderies sont venues s'installer aussi sur les berges, mais la vie
des chantiers où l'on abat les roches de calcaire, anime toute la
région
« Mon
père qui n'avait jamais vécu à la campagne eut à choisir entre un
champ qui nous eût nourris et l'usine ; Il choisit celle ci :
deux fois par semaine, il allait se faire cuire24 h devant les fours
à zinc de la vallée.
C'est
ainsi que je ne le vis guère durant mon enfance. »
JEAN TOUSSEUL : « La route incertaine »
Lui
même , en 1908 ,à 18 ans , est engagé comme ouvrier carrier aux
CARRIERES
ET FOURS A CHAUX DE LA MEUSE
à SEILLES.
«Allez!carriers
arrachez par le fer et la dynamite, le calcaire à la terre , le
danger permanent, mais oublié sur la tête – avez-vous le temps
d'y songer ? - chargez votre caisse, poussez la jusqu'aux taques
où l'on vous donnera un « vide », chargez le encore,
donnez cent mille coups de maquette, détachez ce bloc qu'il faut
fuir,dépecer et charger, par cent livres d'un coup.
Allez
carriers, jusqu'au soleil couchant, jusqu'au soir de la vie, jusqu'à
la destruction complète de l'être, qui très tôt , « n'en
voudra plus ».
Luttez,
comme des bêtes âpres au gain, pour nourrir de vos sueurs de galère
et de sang, le cabaretier obèse qui est en train de devenir maïeur
en cultivant ses salades et sa flemme»
Extrait
de « Les carriers »(1913) publié dans « La
mort de petite Blanche » - Huy 1918
Dans L'ADOLESCENT ( février 1918), il
décrit aussi avec beaucoup de vérité, et de manière largement
autobiographique, le travail des carriers et des chaufourniers :
« On l'occupa sur les gueulards.
Il travailla sous les ordres d'un brave homme de chaufournier, très
grand, très mince , très asthmatique.
Pierre apportait de l'eau dans les
fosses et remuait le charbon avec une houe.
L'eau gelait dans ses sabots. L'homme
par gestes rythmés et larges de sa pelle couvrait le lit de moellons
avec la houille humide .
Parfois une pierre s'en échappait dans
une détonation.., Les gaz montaient des gueulards. Le gamin était
ivre.Il avait les jambes molles, le fond du palais sec, la langue
dure comme un caillou. »
...
Extrait de « La mort de petite Blanche
(Biographie d'un traîne-misère) » - Huy 1918
GEORGES EEKHOUD écrira une préface
élogieuse pour « LA MORT DE PETITE BLANCHE » et y
retranscrit une lettre de TOUSSEUL.
J'ai 27 ans. Mon père – il est mort
le cher homme - travaillait aux fours à zinc de SCLAIGNEAUX. Je
fréquentai l'école primaire de SEILLES et , pendant 2 ans l' Ecole
Moyenne d' ANDENNE.
J'étais un mauvais élève.
Je lisais les hommes de chez nous :
EEKHOUD, LEMONNIER, PICARD et les autres.
Je tombai malade et, sur les conseils
du médecin, je me promenai dans les bois de mon village.
C'est ainsi que je fis des vers. Je
publiai LE MUET à 16 ans et MAR-JO à 18ans. (Toutes les pages
que vous avez lues ont été écrites
avant mes 20 ans)
A 18 ans, j'entrai comme ouvrier aux
carrières de SEILLES. : Le travail de la pierre me tuait ;je
dus m'en aller.
Je vécus misérablement de ma plume.
Personne ne m'encouragea.
Désespéré, je retournai casser des
pierres . J'y suis resté . Un peu avant la guerre,
j'entrai dans les bureaux de l'administration.... »
JEAN TOUSSEUL écrira aussi à GEORGES
EEKHOUD :
« Lorsque
je griffonnais cette page au crayon – il n' y avait ni encre, ni
plume là bas- dans une baraque des carrières de mon pays, je ne
soupçonnais guère qu 'elle serait commentée un jour par le grand
EEKHOUD à l' UNIVERSITE NOUVELLE.
J'y
défends les pauvres, les ouvriers, les infirmes, les ivrognes, les
parias, les prostituées.
J'y
maudis les mauvais riches, les cabaretiers, les ... ?.
J'y
parle surtout de mes frères d'ergastule (*), les ouvriers."
(*ergastule, mot d'origine latine= prison pour esclaves)
(*ergastule, mot d'origine latine= prison pour esclaves)
Lettre
à G. EEKHOUD 8 février 1918
Il
dira aussi : « J'avais vu depuis ma plus tendre
enfance ce qu'on appelle les inégalités sociales. Je devins
évidemment un écrivain militant. »
Jean
TOUSSEUL interrogé par un journaliste 1930
100
ANS PLUS TARD , LA DYNASTIE COLLINET PLUS FLORISSANTE QUE
JAMAIS
Et
l'histoire ,là nous ramène au présent !
« Le
groupe CARMEUSE a trouvé son
origine dans une société fondée en 1860.
Devenue par la suite la
SA des Carrières et Fours à Chaux de la
Meuse, en 1912, elle était entièrement
consacrée aux oxydes, hydroxydes de calcium, carbonates et à la
dolomie »
« L’aventure
CARMEUSE débute en 1860 dans une carrière d’AMPSIN, en bord de la
Meuse. Elle tombera plus tard dans l’escarcelle de l’avocat
et homme politique catholique , réactionnaire d' ancien régime,
LEON
COLLINET
.
Il
sera maïeur d' HUCCORGNE .
Lui
et ses descendants vont racheter les carriers indépendants de la
région pour constituer le groupe. Jusqu’à la seconde guerre
mondiale, le métier évolue peu. Les pierres sont cassées au
maillet «
Aujourd'hui,
la dynastie COLLINET, est toujours là , plus florissante que
jamais .
Comme
le titrait « L'ECHO » du 12 juin 2010 ,
« Chez
les COLLINET, on casse des cailloux depuis 150 ans. Une histoire de
famille » !!!
Sauf
que les cailloux , ce sont les milliers d' OLIVIER DEGEE qui les ont
cassés.
C'est
l' arrière petit fils du patron de OLIVIER DEGEE, LEON COLLINET fils
, le baron RODOLPHE COLLINET qui est l'actuel CEO de CARMEUSE,
devenue une multinationale de la chaux.
Le
journal « LA MEUSE » du 17/07/2014 a publié un tableau
des fortunes en BELGIQUE où la famille COLLINET est à la 20ème
place avec une fortune de 660 millions d' € , en hausse de 185
millions d' € par rapport à l'année précédente !
Son
père , tout aussi baron et précédent CEO , DOMINIQUE COLLINET
avait déjà attiré l'attention :
Fortune 2007 : 489 millions € (+219% depuis 2000)
Fortune 2007 : 489 millions € (+219% depuis 2000)
extrait de MARCO VAN HEES:L'homme-qui-parle-à-loreille-des-riches |
« CARMEUSE est aujourd'hui le deuxième producteur mondial de chaux. Son centre de coordination (0,8% d'impôts en 2005) a été naguère dirigé par Didier Reynders qui, devenu ministre des Finances, a tout fait pour défendre les centres de coordination condamnés par l’Union européenne. Pour maintenir leurs avantages fiscaux, REYNDERS a inventé les «intérêts notionnels» ».
Comme
quoi, l'austérité ou même la rigueur n'est pas pour tout le
monde , et le blocage des revenus, nécessaire à la
compétitivité des entreprises , ne concerne manifestement pas
Messieurs les barons !
Ceci
dit, JEAN TOUSSEUL est célébré dans l'ouvrage commémoratif des
150 ans de CARMEUSE : « PAR L'EFFORT ET PAR LE FEU »
Histoire d'un groupe chaufournier – FONDS MERCATOR 2010 comme
« témoin privilégié de l'industrie chaufournière avant
1914 »
JEAN
TOUSSEUL ,CONTRE LA GUERRE : CELLULE 158 A LA PRISON SAINT
LEONARD
Août
1914 : l'armée impériale du KAYSER déferle sur la BELGIQUE,
avec la bénédiction de la social démocratie allemande , qui en
l'espace d'une nuit s'est rangée derrière sa propre bourgeoisie.
La
région d'ANDENNE – SEILLES est le théâtre d'un des plus grands
massacres de populations civiles les 20 et 21 août 1914.
Jean
TOUSSEUL était présent et tous les hommes de la famille de sa jeune
femme , MAGDELEINE HUBAUX, sont massacrés.
Il
écrira plus tard:
Quatre
cents de mes concitoyens ont été tués ou carbonisés autour de
moi.
J'ai
eu assez de sang froid pour échapper à six tueurs ivres .
La
guerre est une stupidité sans bornes . Et je crois que les
hommes portent la guerre en eux comme un mauvais levain. »
15/10/1938
«Je
fais la guerre aux voleurs et aux jusqu' auboutistes.
Voilà
quatre ans que je crie le mot de JESUS CHRIST : « AIMEZ
VOUS LES UNS LES AUTRES »
On
me hait ici. Qu'importe ! »
Lettre à G. EEKHOUD 22 juin 1918
En
août 1918,( le 28) il écrit , sous le pseudo FIGULUS ,dans le
journal namurois « L'ECHO DE SAMBRE ET MEUSE » un
article ironique sur les mensonges de la propagande de guerre de la
presse .
« D'ailleurs
de nos jours, on martyrise odieusement l'histoire
Combien
de fois le KRONPRINZ a t' il été fait prisonnier ?
Les
troupes qui passaient sur telle ou telle ligne de chemin de fer,
faisaient 2 ou 3 fois le tour de la BELGIQUE pour nous faire
accroire que l'armée allemande était nombreuse.
L'armée
du général X a été encerclée sept fois, et celle du général Z
décimées complètement quatre fois ., plus ou moins, comme à
confesse...
Il
y a belle lurette que les statisticiens ententophiles savent qu'il
n'y a plus un seul allemand !.
Les
DARDANELLES ont été franchies huit fois , METZ est tombée cinq
fois et les RUSSES sont venus jusqu'aux portes de BUDAPEST !!!
En
janvier 1915, on niait encore la chute d' ANVERS !!!
Est
ce que PAQUES est passé ? Dommage. Alors ce sera à la TRINITE
comme dans MALBOROUGH, ou à la NOEL que sonneront les cloches de la
Paix
Vous
m' allez dire ; « Vous avez tort de ridiculiser
ainsi vos compatriotes. Tous les belligérants font comme nous. La
Presse ment partout ! » etc.
Je
le crois aisément, lecteur, mais si je tiens à rappeler ces
« canards », c'est parce que les stratèges qui les ont
pondus et couvés – des tripoteurs de carte et des rabâcheurs de
lieux communs - sont presque tous aujourd'hui de fervents jusqu'au
boutistes, des magots qui prennent le nom d'un port pour un nom d'
homme...
Bellicistes
aveugles et obèses, qui n'avez jamais vu les tranchées que dans
les illustrés de foire, étudiez la géographie, et l'histoire ,
surtout ! »
Et le voilà le
« crime » de OLIVIER DEGEE !
Cette satire de
la presse sera considérée après l' ARMISTICE en 1918 comme
« propos défaitistes » .
ET deuxième
crime : leur publication dans un journal paraissant sous
contrôle allemand : « l'ECHO DE SAMBRE
ET MEUSE »
TOUSSEUL a aussi
publié dans la « petite gazette de « LA BELGIQUE »
des 20-21 mai 1918 une satire du CNSA ( Comité National de Secours
et d'Alimentation), et de ses ventes de vêtements à bon marché.
Journal paraissant aussi sous contrôle de l'occupant allemand ,
comme d'ailleurs toute la presse « légale » en BELGIQUE
occupée.
JEAN TOUSSEUL est
arrêté le 10 décembre 1918 , et incarcéré à la prison SAINT
LEONARD, où il occupera la cellule 158.
Il sera transféré
par la suite à la prison de SAINT GILLES.
La démarche du
pouvoir est toujours la même : assimiler les opposants à la guerre à des traîtres à la patrie, au service de l'occupant.
Mais, sous l'effet
d'une campagne internationale pour sa libération, il bénéficiera
d'un non lieu le 10 avril 1919, après 4 mois de prison.
Nous l'avons vu ,
la guerre 14 - 18 a généré une onde de chauvinisme et de
patriotisme ultra nationaliste, alimentée par les nationalistes « belgicains »
, mais aussi par les sociaux démocrates ( notamment JULES DESTREE, mais aussi le POB dans son ensemble
), qu'on a appelé le « jusqu'au boutisme. »
Et à l'
ARMISTICE, ils s'en donnent à coeur joie : arrestations,
campagnes de presse, interdictions professionnelles, condamnations,
interdictions de séjour etc.
Cette guerre,
présentée comme une guerre pour la démocratie, a ,en fait, été
un étouffoir de la démocratie et de la liberté d'expression , qui
a perduré peu ou prou jusque dans les années 30, jusqu'au
développement du mouvement démocratique antifasciste.
ROMAIN
ROLLAND et HENRI BARBUSSE : SOUTIEN A JEAN TOUSSEUL
« J'ai
appris que JEAN TOUSSEUL venait d'être emprisonné à LIEGE sous
l'inculpation de pacifisme ou d'humanisme...
PORTRAIT DE ROMAIN ROLLAND |
J'ai
tout lieu de craindre qu'une recommandation de moi , à l'heure
actuelle ne soit un grief de plus à sa charge.
Mais
je crois utile de m'adresser à vous dont la largeur d'esprit m'est
connue.
Et
comme je crois que l'auteur de « La mort de Petite Blanche »
pourra être plus tard un honneur littéraire pour la BELGIQUE, je
tiens à mettre en garde contre le triste effet que pourrait avoir sa
condamnation – en des temps plus sereins.
Lettre
de ROMAIN ROLLAND (prix NOBEL 1915) à EMILE VANDERVELDE
« ... il
crut juste de ne pas acquiescer aux excès du militarisme et à la
prolongation inutile de la guerre, et il crut de plus que son devoir
était de dire tout haut ce qu'il pensait à ce sujet.
La
hideuse et ignoble accusation de défaitisme...fit une noble victime
de plus »
Préface de HENRI BARBUSSE à « LA MELANCOLIQUE AVENTURE »
Après sa
libération , JEAN TOUSSEUL s'activera à développer à LIEGE le
mouvement CLARTE , qui a grandi autour d' HENRI BARBUSSE
"La
section liégeoise du groupe « CLARTE » ... informe les
intellectuels que le groupe ne s'occupe ni de politique, ni de
religion.
Toutes les
convictions lui plaisent. Elle n'en exige qu'une de ses membres :
le souci de la fraternité humaine. Il ne sera pas toujours dit
qu'on livrera des millions d'hommes aux seuls monarques et hommes
politiques
Pour les
adhésions, s'adresser à JEAN TOUSSEUL, 50 place des VENNES à
LIEGE."
Le mouvement
CLARTE qui se développera aussi en FLANDRE est le porteur de ce
bouillonnement d'idées , à la fois riche et confus, de l'immédiat
après guerre, qui regroupe, pacifisme, anarchisme,
internationalisme, communisme , soutien à la révolution russe.
Par la suite , à
travers une vie personnelle torturée, JEAN TOUSSEUL se ralliera
plutôt au POB, redevenu après 1921, antimilitariste par la magie
d'un retournement de veste dont lui seul a le secret...
Il sera
journaliste à « EN WALLONIE », employé au syndicat des
cheminots, candidat sur les listes POB à BRUXELLES.
Pour enfin, se
consacrer entièrement à partir de 1926 à son métier d'écrivain.
Il aura en 1937 le
prix triennal de littérature, une des principales distinctions de la
littérature belge d'expression française.
Il sera considéré
comme un écrivain prolétarien et restera proche,notamment de
HENRI BARBUSSE à travers la revue MONDE, qui parait de 1928 à 1935.
Toujours,
son refus de la guerre 14-18 et du jusqu'au boutisme restera dans
ses écrits
En voici 2 larges extraits.
LA
VIGIE
« En ces
temps là, le petit village de MEUSE n'avait pas bonne mine : on
ne reconstruisait pas les maisons incendiées , et dans les champs,
il y avait des croix en bois.
La guerre avait
passé sur les deux rives du fleuve, et tout autour du village,
s'affaissaient d'autres maisons brûlées, et vacillaient d'autres
croix de bois à l'abandon.
Figurez vous dans
ce décor, un jeune paysan que l'enseignement de TOLSTOI avait
touché, qui ignorait tout de la politique, qui vivait dans
l'adoration de sa petite fille et qui avait vu venir la guerre.
Et quelle guerre !
Près de 500
civils désarmés, lâchement assassinés : tous gens qu'on
connaissait par leur nom et qu'on aimait et qui étaient
morts sans comprendre.
Dans l'esprit du
jeune paysan, TOLSTOI était mort, lui aussi , et DIEU, qui eut sa
croix dans la campagne.Toute croyance s'écroule, on est traqué par
les puissances du doute, on est très malheureux.
Or un jour, le
jeune paysan trouva un Belge qui hait la guerre.
Il s'accroche à
lui.
Un autre arrive.
Que c'est bon et comme on va se recueillir ensemble !
Un troisième lui
aussi !
On fait 15 et 25
km pour se voir. Est on toujours d'accord ?
Joie ! On est
toujours d'accord !
Qu'on excuse le
paysan : il ne connaissait pas ROMAIN ROLLAND.
Mais
l'annonciateur dit : « c'est l'auteur de JEAN
CHRISTOPHE », le plus grand roman de l'époque . »
Nous ne l'avions
pas lu. Mais de savoir que un écrivain français avait osé se
dresser contre la mêlée, le ciel riait au dessus de notre tête :
nous n'étions plus seuls au monde.
L'horizon rebondit
jusqu'aux océans. »
JEAN
TOUSSEUL - LA VIGIE septembre 1925
Pour un numéro
d' « EUROPE » consacré à ROMAIN ROLLAND pour son 60ème
anniversaire
LA
RAFALE
(Quatrième
roman de la série des Jean
Clarambaux
: Le village gris - Le retour – L'éclaircie – La rafale – Le
testament.)
La
misère régnait sur tout le pays. Chassés par la famine des cités
industrielles du pays de Liège, des mendiants squelettiques allaient
de porte en porte pour quémander une pomme de terre, un rutabaga,
une croûte de pain, une poignée de froment, une betterave ou un
navet. Tout vint à manquer et les Allemands avaient supprimé les
distributions de soupe aux affamés du village. Tous les chevaux
furent réquisitionnés.
Comme
si cette situation n'était pas suffisamment alarmante, les Allemands
se mirent à déporter un grand nombre d'hommes valides pour
travailler en Allemagne.
(.....)
(.....)
La
guerre était vraiment trop longue, les gens n'en pouvaient plus. Les
mauvaises nouvelles se multipliaient : le front des alliés
s'ébranlait et se déchirait, l'avance allemande roulait jusqu'à
soixante kilomètres de Paris. En Flandre, les Britanniques se
repliaient sur Ypres. Les trains de blessés allemands se succédaient
sans interruption, et on avait transformé les temples de Mons en
hôpitaux. La boucherie était horrible.
(....)
On
se mit à se disputer entre voisins pour des idées à propos de la
guerre. Les uns, jusqu'au boutistes", voulaient qu'elle continue
pour écraser les Allemands jusqu'au dernier mais d'autres,
pacifistes, dont Jean se fit le porte-parole, pensaient que la
prolongation de la guerre était odieuse puisque l'Allemagne était
battue et qu'on allait encore sacrifier en vain des dizaines de
milliers d'hommes par "dignité militaire". "Il ne
faut plus qu'on tue", répétait-il.
Le
maître d'école s'était assuré ainsi de nombreux ennemis. Mais il
continuait sa campagne. Il parlait vraiment au nom de la muette
misère et de la peureuse torture des faibles. Il était
indiciblement fort dans sa solitude.
(....)
Alors
qu'on était sans nouvelles fiables sur le déroulement de la guerre,
un avion allemand taub
fit des figures acrobatiques au-dessus de la région, puis les
cloches se mirent à sonner dans tout le pays. Pleurant
silencieusement, M. Nalonsart finit par dire : "—Enfin, on ne
tue plus. Est-ce possible?". Le village redevint bruyant comme
aux jours des frairies passées : des gens couraient sur les routes,
on s'embrassait. Le drapeau belge flottait sur le toit pointu de
l'église et un drapeau rouge bougeait sur la tour de la
kommandantur. Un train passa, bondé d'Allemands qui agitaient des
drapeaux pourpres pour saluer les paysans qui regardaient passer la
révolution. Une grande partie de l'armée allemande désertait.
(....)
M.
Nalonsart réfutait l'argument de ceux qui disaient que les Allemands
étaient punis, en rétorquant que les punis étaient les morts, des
innocents, et les enfants débilités, et les ménages ruinés,
matériellement et moralement. Il ajoutait que les coupables
allemands n'étaient pas tués parce que des états-majors alliés
ont épargné les états-majors germaniques. Le capitaine Jungklaus
le lui avait avoué. Et à ceux qui prétendaient faire justice en
allant tuer eux-mêmes les bourreaux d'Andenne, de Rossignol ou
d'ailleurs, il répondait que le droit de punir appartenait aux
grands de ce monde et qu'ils ne punissent jamais les grands. Il
prévoyait qu'on célébrerait la victoire sur les cadavres de 30 ou
40.000 pauvres petits soldats belges. A ceux qui prétendaient qu'on
n'oserait plus faire la guerre, il répondait qu'il y aurait des
guerres aussi longtemps que les hommes n'oseraient pas désobéir et
qu'ils conserveraient leur âme d'esclaves.
Les
voisins étaient peu convaincus par les propos de M. Nalonsart. Il
disait des choses que personne ne pensait et, de plus, il les disait
dans une autre langue que la leur. Il parlait très mal le wallon et,
lorsqu'il avait besoin de plus de trois mots pour exprimer sa pensée,
il se servait aussitôt du langage des écoles. Il n'était pas des
leurs.
(.....)
Resté
seul avec Jean alors que tous les villageois étaient partis à la
rencontre des alliés canadiens dont on annonçait l'arrivée, M.
Nalonsart lui dit :
"—Clarambaux,
il faut se garder, ferme comme un roc, malgré les marées de
sottises et de mensonges.
Convaincre
son entourage serait le principal, mais, crois-moi, Clarambaux,
l'homme peut se consoler de n'y avoir pas réussi en constatant que
quatre années d'ignominies ont déferlé autour de ses idées sans
avoir d'influence sur elles.
Voilà,
lorsqu'on est vaincu, comme les meilleures des consciences le furent
depuis 1914, voilà l'unique beauté de la vie, Clarambaux".
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire