ANTHEIT : BAIN DE
SANG SOCIAL – 525 LICENCIEMENTS SECS
FERMETURE DE L'USINE A
ZINC de CORPHALIE
31 MARS 1932
Dans
le cadre d'une exposition montée en collaboration avec le cercle
archéologique d' AMAY, présentée le 29 mars 2014, je me suis
penché sur l'histoire de la métallurgie du Zinc dans notre région et en particulier dans ma commune d' ANTHEIT.
Personne
en arrivant à HUY par la N617 ( rive gauche de la Meuse), en venant
d' AMPSIN, ne peut s'imaginer que, là où sont installés
aujourd'hui, MONSIEUR BRICOLAGE et le garage BAUDOUIN PIERRE, où
accostent les bateaux de plaisance du yacht club de HUY, il y avait,
il y a à peine 80 ans, une des plus grandes usines de métallurgie
du Zinc, l'usine de CORPHALIE, qui employait près de 1000
ouvriers et employés.
Au
XIXème siècle, l'essor de la bourgeoisie ,par l' accumulation du
capital, a été accompagné du développement impétueux de
nouvelles techniques.
Dans
la métallurgie de zinc, c'est la découverte du procédé DONY (
abbé liégeois) qui a été la base technique de son développement
.
La
calamine (carbonate de zinc) et la blende (sulfure de Zinc) sont les
principaux minerais, à la base de la transformation métallurgique
en Zinc métallique.
La
calcination de la calamine ou le grillage de la blende permettent de
produire de l'oxyde de zinc ZnO.
DONY
a mis au point un procédé basé sur la réduction de l'oxyde de
zinc, en mélange avec du charbon ,en creuset réfractaire chauffé à
1200°C, bien au dessus donc du point de vaporisation du Zinc avec
formation de Zinc à l'état gazeux, condensé par la suite en Zinc
liquide dans des condenseurs .
Je
reviendrai dans un autre post sur les aspects techniques et
environnementaux de la métallurgie du Zinc ,et sur l'utilité du
produit fini.
En
quelques années, la Belgique devient un leader mondial du Zinc , et
la région de HUY a vu en 10 ans se
créer 4 usines de production :
- CORPHALIE à ANTHEIT
- DE LAMINNE à ANTHEIT et AMPSIN ,
- GRANDE MONTAGNE (qui fusionnera avec VIEILLE MONTAGNE) à FLONE,
- NOUVELLE MONTAGNE (qui fusionnera avec PRAYON) à ENGIS .
Ajoutons
y DUMONT & FRERES à SCLAIGNEAUX, fondée plus tard en1875
et VALENTIN COQ à HOLLOGNE AUX PIERRES (acquise aussi par VIEILLE
MONTAGNE en 1853)
Ainsi,
la partie de la vallée de la Meuse de FLEMALLE à NAMUR,
représentera (par exemple en 1910) près de 50% de la production
belge.
( Les
autres principales unités étant ANGLEUR après la fermeture de
SAINT LEONARD et MORESNET ( VIEILLE MONTAGNE) et PRAYON à FORÊT
TROOZ dans la région liégeoise , OVERPELT et LOMMEL en CAMPINE)
La
Belgique, en 1913 , était le 3ème producteur mondial, derrière les
ETATS-UNIS et l' ALLEMAGNE,
La
région de HUY était riche en gisements de fer, de calamine et de
blende.
Le
charbon, nécessaire à la réduction y était aussi exploité, et
l'argile, nécessaire à la production de creusets réfractaires
était abondante dans la région voisine d' ANDENNE.
Par
la suite, le minerai sera importé notamment d' ESPAGNE , de
SARDAIGNE etc.
L'USINE DE CORPHALIE
Elle
est fondée en 1841
En
1863, elle fusionne avec la KROATISCHER GESELLSCHAFT, pour former la
SOCIETE ANONYME AUSTRO – BELGE.
Avant
la guerre 14-18, les usines à Zinc se modernisent, en substituant
l'énergie électrique aux moteurs à vapeur, et en utilisant le gaz
comme combustible pour les fours.
En
1919, elle redevient la SA de CORPHALIE, qui absorbera les usines
voisines de DE LAMINNE. ( un autre post abordera cette société)
C'est en 1928, que
l'avenir de CORPHALIE ,avant tout celui de ses travailleurs, bascule :
la SOCIETE GENERALE , holding financier qui contrôle la grande
majorité de l'économie belge, patronne (en y mettant du capital)
la fusion avec OVERPELT et LOMMEL qui avaient elles mêmes
fusionné en 1913.
Cela
devient la Compagnie d' OVERPELT – LOMMEL – CORPHALIE, 2ème
producteur belge après VIEILLE MONTAGNE.
LE ZINC : UN
PARADIS DE PROFITS FABULEUX POUR LES ACTIONNAIRES...
Durant
toutes les années , d'après guerre (14-18), la production de Zinc
sera la poule aux oeufs d'or pour les actionnaires. Les tantièmes et
dividendes les arrosent, année après année
En
particulier à CORPHALIE :
L'ensemble
OVERPELT LOMMEL CORPHALIE, de 1922 à 1929 pour un capital de 62,2
millions a fait 124,5 millions de bénéfices et a distribué 82,8
millions de dividendes et tantièmes ( 17%/ an)
.... L'ENFER POUR LES
TRAVAILLEURS
Il
est reconnu que les conditions de travail des ouvriers du zinc sont
particulièrement dures
« Rendu
pénible et même insalubre par le rayonnement des parois
incandescentes des creusets et des fours, par un dégagement abondant
de gaz, de vapeurs métalliques, et de poussières, le travail dans
les halls des fours à zinc comporte indépendamment de la conduite
des foyers ou des gazogènes, la préparation des charges, leur
introduction dans les creusets, le tirage du zinc, sa coulée en
plaques et le vidage des creusets dont on extrait des cendres ou
résidus incandescents, généralement assez riches en composés de
plomb » M. Firket,
ingénieur en chef des mines
A
la tribune de la Chambre, le député du POB, DELVIGNE, insiste :
« la plupart des
ouvriers du zinc sont des vieillards à 45 ans, et ils sont frappés
insidieusement au tréfonds d'eux-mêmes »
En
1930 et 1931, plus de 50 ouvriers ont été reconnus par le service
médical atteints de saturnisme.La plupart d'entre eux sont
indemnisés par le fonds des maladies professionnelles.
1932 : DUMPING SOCIAL
ET DELOCALISATION EN CAMPINE
En
1930, l'usine comptait 800 à 900 ouvriers, tous originaires de la
région hutoise, notamment des communes d'Antheit, de
Villers-le-Bouillet, de Vinalmont, d'Ampsin et de Huy.
Là, première
hécatombe : trois cents ouvriers furent congédiés!
La direction licencia les ouvriers qui avaient été « embauchés »
les derniers et les plus vieux, ceux qui étaient âgés de plus de
60 ans et dont le rendement était le moins grand
« En
1931, la situation s'améliore...La
société est en excellente posture ; une perte de 9 millions
sur des stocks de minerais de cette importance ne représente quasi
rien.
Pendant
le 1er semestre de 1931, nous avons marché à 68% de notre capacité
en Zinc, en faisant des
bénéfices appréciables tous les mois »
Ce
sont les paroles en décembre 31 du président de Overpelt - Lommel-
Corphalie !!!
Tiens,
on ferme une usine rentable, qui fait des bénéfices, ça ne vous
rappelle rien ,ami lecteur?
Le député DELVIGNE , POB :
« La
situation s'améliore, le cours du Zinc ne baisse plus, il a tendance
à augmenter....
La
vérité - et c'est ce qui explique le dumping social - c'est qu'on y
paie ( à
Corphalie )
des salaires un peu meilleurs, bien qu'ils soient médiocres
encore...
Mais,
dans cette industrie, il n'y a pas de commission paritaire, fixant
par exemple des barèmes et un salaire minimum.
Ce
qui donne toute liberté au patronat, au
sein d'une même société ,de
payer moins à OVERPELT qu'à CORPHALIE.
« Les
salaires gagnés à Corphalie varient entre 41 et 48 francs par jour.
Salaires modérés, si l'on pense que le travail fourni par les
ouvriers est un travail de forçat, qui les oblige, après dix
minutes d'efforts devant les fours brûlants, à tordre leur sarrau
de toile. Travail malsain, qui leur impose un régime lacté de
suralimentation particulièrement onéreux, et des précautions
hygiéniques minutieuses. »
"Ces
ouvriers atteints de saturnisme sont vieux à 50 ou 55 ans.
D'ailleurs, ces salaires, qui sont les mêmes que ceux payés dans
les usines similaires, comme à l'usine de la Vieille-Montagne à
Flône, ont toujours été accordés sans conflit entre la direction
et le personnel ouvrier!" De
RASQUINET député POB
Et voilà, la fermeture
de CORPHALIE , ce n'est pas « la faillite d'une activité non
rentable », c'est profiter de la crise pour rendre l'activité
encore plus profitable pour un petit nombre
UN BAIN DE SANG SOCIAL
POUR LES 800 FAMILLES (
300 licenciés en 1930 + les 525 de 1932) et POUR
LA REGION
Il
n'y a pas en 1932 de système d'assurance chômage, qui ne sera
instauré qu'en 1945, sous la pression populaire de la victoire
contre le nazisme et de la Résistance.La couverture chômage est
facultative, via des caisses gérées par les syndicats.
Un
Fonds national de crise créé suite à la crise de1920-21
renforcera, par une indemnité d' Etat ces caisses de chômage pour
les seuls assurés.
Les
autres n'ont qu'à aller à l'Assistance Publique.
En
aucun cas , le patronat n'intervient dans l'indemnisation de ceux
qu'il a jetés dans la misère...
Pas
de chiffres sur le montant des indemnités de 1932, , ni sur la
part d'assurés à CORPHALIE, mais l'ampleur du drame social apparaît
dans le relevé du chômage par commune.
La commune d' ANTHEIT
(aujourd'hui partie de l'entité de WANZE) compte en 1932, 3600
habitants, et parmi eux 250 ouvriers de CORPHALIE !!
c'est
comme si aujourd'hui rien qu'à Seraing, 5000
travailleurs de COCKERIL étaient
envoyés au chômage du jour au lendemain.
ANTHEIT
est avant tout rurale, CORPHALIE est la seule industrie de l'entité
La
fermeture brutale va bien sur aussi priver la commune de ses
ressources budgétaire (40% de ses ressources) et évidemment grever
le budget communal « fonds de crise et de chômage » de
300%
VILLERS LE BOUILLET
commune -
ouvrière à 80%- de 2380 habitants
devra
, après fermeture, inscrire 130 chômeurs complets de CORPHALIE, en
plus des 130 déjà inscrits suite aux licenciements de 1930 et au
chômage partiel de 1931-32.
C'est
comme si aujourd'hui , à Flémalle aussi, voisine de Seraing, 3000
travailleurs de
Cockerill s'inscrivaient aussi au chômage !!!!
VINALMONT
et AMPSIN compteront chacune 50 chômeurs en plus.
On le
voit, c'est d'une catastrophe sociale dont il s'agit, et on ne peut
que s'étonner que l'histoire de ce drame soit tant ignorée et
méconnue, surtout dans une région considérée comme
« socialiste »
WANZE
(avec ANTHEIT, MOHA et VINALMONT) n'a t' elle pas une majorité
socialiste depuis 1921 ? On doit encore s' en souvenir dans les familles...
UN GOUVERNEMENT EN
SOUTIEN DU GRAND CAPITAL :
« ON NE SAIT RIEN
FAIRE, IL N'Y A PAS D'ALTERNATIVE »
Le
gouvernement en place en 1932 est le gouvernement RENKIN (catholique
– libéral), et c'est le ministre HEYMAN, catholique, originaire de
l' ACV, député de SINT NIKLAAS qui est responsable de l'industrie
et du travail.
Aux
interpellations, et au cris d'alarme des députés POB , alors dans
dans l'opposition, il justifie la décision patronale et clame
l'impuissance du gouvernement :
«aucune
loi, ni disposition législative ne permet à un ministre, quel qu'il
soit, d'intervenir dans l'arrêt de l'activité dune usine »
Et de lire à la tribune de la Chambre, une note
patronale justifiant la fermeture , qui n'est pas sans rappeler
les discours contemporains sur l'acier liégeois:
"l'usine de
Corphalie est moins bien placée que celle d ' OVERPELT pour recevoir
les minerais et exporter les produits par Anvers...
La situation de
l'industrie du zinc dans le monde exige une restriction de la
production...
Même une forte
réduction des salaires, qui sont d'ailleurs plus élevés dans la
province de Liège qu'en Campine n'aurait pas permis de maintenir
l'usine en fonctionnement dans des conditions économiques
supportables...
Le moment de la
fermeture , prévu pour la fin du mois de mars ne peut être
retardé...
La Compagnie
estime qu'elle agit conformément à l'intérêt général en
concentrant sa production dans sa meilleure usine en vue de prolonger
le plus possible le maintien en activité"
Etc , etc.
Mêmes
arguments, mêmes pratiques gouvernementales
qu'aujourd'hui.
(on ne sait rien faire, il n'y a pas d'alternative )
« CELA SE
RESOUDRA AUTREMENT »
A la Chambre le député du POB HUBIN avait clamé, en péroraison de
son intervention de défense des travailleurs de CORPHALIE :
« ...l'industrie
est exclusivement aux mains d'individus qui , postés dans certains
bureaux de grandes banques disposent par un oui ou un non de la vie
de centaines et de milliers d'ouvriers.
Cela ne peut pas durer.
Si cela ne se résout pas par la
légalité, cela se résoudra autrement »
Belle déclaration radicale, comme savaient en faire dans
l'opposition les socialistes du POB.
Il n'avait certainement pas prévu que cet appel révolutionnaire
serait de fait pris au pied de la lettre quelques semaines plus tard.
En effet, même si CORPHALIE a été fermée définitivement le 31
mars 1932, puis rasée, puis occultée dans les mémoires, 1932
restera, l'année de la grande grève révolutionnaire , lancée
quelques semaines plus tard par les mineurs et tous les travailleurs.
Ils répondront à HEYMANS , à la diminution des salaires , aux
attaques contre les allocations de chômage du gouvernement RENKIN,
par la grève générale qui surprendra et dépassera le POB lui
même.
Et ce en pleine crise...
Joignons, dans notre mémoire, à cette grande date de juillet
1932, l'histoire du bain de sang social d' ANTHEIT, partie
intégrante du tribut payé par les classes laborieuses à la
« grande dépression » capitaliste des années 30.
Sources :Belgian Chamber of Representatives • Session of 8 March 1932 - plenum.be
Les industries extractives dans la vallée de la Meuse et en Hesbaye
René BRION : De la mine à Mars
René BRION : De la mine à Mars
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