Chaque année, des cars venant du Nord- Pas de Calais déposent au pied du Fort de Huy des dizaines de jeunes et moins jeunes, à l’appel de la CGT FNME, (Fédération Nationale Mines Énergie) ou de la municipalité de Grenay, située au cœur de l’ancien bassin minier, avec laquelle la Ville de Huy est maintenant jumelée.
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La maire de Grenay, Christelle Buissette au Fort de Huy le 23 juillet 2024 |
C’est le premier convoi de
déportés politiques ; ils « inaugureront » en quelque sorte le
bagne nazi de Huy, bagne de la faim, des coups et des travaux forcés, antichambre de la mort. Ils
furent rejoints le 2 juillet par un 2e convoi de 47 mineurs.
Entretemps, entre le 22 et
le 26 juin, après l’attaque de l’Allemagne hitlérienne contre l’Union
Soviétique, 200 militants communistes et antifascistes belges (dont 9 femmes) ;
étaient enfermés à Huy : c’est l’opération « Sonnewende » (Solstice
d’été).
Le Nord de la France
occupé par les Allemands ayant été rattaché dès juin 1940 au commandement
militaire de Bruxelles de Von Falkenhausen, nombre de combattants de la Résistance
française arrêtés seront dirigés vers les prisons de Saint Gilles, Louvain,
Hertogenbosch, ou vers le Fort de Huy, avant d’être envoyés dans les camps de
la mort nazis.
Le 23 juillet 1941, 244
prisonniers français de Huy seront déportés en wagons à bestiaux depuis la gare
de Liège vers le camp nazi de Sachsenhausen, au Nord de Berlin. 136 d’entre eux,
déjà durement affaiblis par leur incarcération à Huy, y trouveront la mort.
On comptera de 1941 à
1944, au Fort de Huy, parmi les 7000 prisonniers qui s'y sont succédés , 1240
déportés depuis les prisons françaises (Lille, Loos, Arras, Valenciennes, etc.) ;
le régime fasciste de Pétain leur ayant refusé toute incarcération dans les
prisons françaises, ils furent directement enchaînés au système
concentrationnaire nazi.
Aujourd’hui, 80 ans après
l’écrasement complet, en mai 1945, de la bête immonde, les murs lugubres de la
forteresse de Huy nous renvoient les visages ineffaçables de ces centaines de courageux
travailleurs de la mine, « grandes figures de chez nous ».
A nous, citoyens et militants de notre région, gardiens en quelque sorte de leur mémoire gravée en nos murs, de nous inspirer de leur courage, d’honorer leur combat, et d’exercer notre DROIT A LA MÉMOIRE; c'est à dire le droit à ce que dans nos écoles, dans nos médias, dans nos maisons de jeunes, leur histoire , bien méconnue, nous soit enseignée.
Sur le Fort de Huy : voir https://rouges-flammes.blogspot.com/2025/04/le-fort-de-huy-1941-1944-le-paillasse.html
PRÉMISSES D’UNE GREVE
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Affiche du documentaire sur les grèves de mai-juin 1941 en France et Belgique |
Le Parti Communiste Français, depuis sa dissolution par le gouvernement Daladier en septembre 1939, se réorganise dans la clandestinité, sous l’impulsion notamment de Martha Desrumaux (1), puis également de Auguste Lecoeur. (2)
Un comité central de grève
clandestin est constitué ; un cahier de revendications des mineurs est
établi, centré sur le ravitaillement en vivres, savon et …charbon, la sécurité
au travail et les salaires.
Alors que les grèves sont
interdites à la fois par le gouvernement de Vichy et par l’occupant nazi, alors
que les centrales syndicales ont été dissoutes dès novembre 1940 par Vichy, des
CUSA (Comité d’Unité Syndicale et d’Action), germes d’un syndicat clandestin,
sont créés à l’initiative le plus souvent des militants du PCF.
Les débrayages se multiplient
dans tout le bassin. Les premières arrestations pleuvent : 200
mineurs, fichés sur une « liste des rouges » établie, après le Front Populaire,
par les directions des mines et par la police française sont arrêtés par les
Allemands.
En février 1941, Michel Brûlé,
jeune mineur, dirigeant des Jeunesses communistes, dénoncé par la direction est
arrêté par la Gestapo après avoir appelé les mineurs au combat.
Devant la menace de grève générale, le général Niehoff, qui préside le Conseil de guerre allemand est obligé de le relâcher et de lâcher du lest.
Les Allemands ont un
impérieux besoin de charbon !
Le 1er mai 1941, drapeaux
rouges et tricolores pavoisent terrils et belles -fleurs ; faucilles et
marteaux et croix de Lorraine ornent les murs ; des milliers de tracts
sont distribués.
Les partisans de l’Organisation spéciale (4),
eux, mettent le feu au parc à bois d’un charbonnage, arrêtant ainsi pendant
plusieurs jours la production de charbon.
VICTOIRE POUR LES
« 100 000 » DE FLANDRE ET WALLONIE !
Ce mouvement social extraordinaire a été préparé par la grève des métallos et mineurs belges du 10 au 18 mai 1941, elle aussi dite « grève des 100 000 ».
Liées par la succession des dates, du 10 au 22 mai pour l'une, du 27 mai au 10 juin pour l'autre, et par des revendications semblables, un symbole fort les réunit aussi : la forteresse de Huy précisément où des grévistes venus de Liège et d'ailleurs, et leur leader Julien Lahaut, fraterniseront avec leurs camarades mineurs français. Arrêtés dans l'opération Sonnewende (Solstice d'été), après l'agression nazie contre l'Union Soviétique, ils seront, eux aussi, déportés dans les camps de la mort du IIIe Reich.
Le 13 mai, 20 000 mineurs et
11 000 métallos sont en grève, et à l’apogée du mouvement, le 17 mai, 27 000
mineurs, y compris dans les mines de Campine, et 33 000 métallos sont à l’arrêt.
2 000 tonnes d’acier sont perdues chaque jour, et Hitler en personne se serait inquiété de la situation. Cela s’agite au plus haut niveau, du côté de l’occupant et du patronat, où le baron de Launoit, président de Ougrée Marihaye, est obligé d’intervenir.
Fait extraordinaire dans les circonstances de l’occupation militaire nazie et de l’interdiction des grèves, c’est le collège échevinal de Seraing qui prendra la main et sera à l’initiative de négociations – oui, une bonne vieille concertation comme avant-guerre - avec des délégués ouvriers, un représentant patronal et…Julien Lahaut, député communiste et échevin de Seraing. Il est en fait l’animateur de la grève ; le comité de grève ( la grève étant en principe interdite !) siège à l’Hôtel de Ville et le collège soutient ses revendications.
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Portrait de Julien LAHAUTpar Paul RENOTTE |
Partout présent, Julien Lahaut harangue à la passerelle de Seraing, une foule immense
menacée par la feldgendarmerie, baïonnette au canon, alors qu'un avion de la Luftwaffe survole la ville. Il conclut, allant de groupe en groupe ;"Ne cédez pas à la provocation, dispersez vous, mais, nom di dju, la lutte continue"
Enfin, alors que le travail reprend peu à peu, dans les jours suivants, une hausse des salaires de 8% est annoncée, ainsi que la hausse des rations alimentaires, et des allocations de vacances.
Quel plus bel exemple du rapport de force que la classe travailleuse, celle qui produit et crée les richesses, est capable d’imposer, même dans les conditions les plus improbables de l’occupation militaire, jusqu'à faire trembler Adolf Hitler en personne !
« PAS DE CARBON POUR LES BOCHES ! »
C’est le 27 mai 1941 que ce
qui deviendra, dans le Nord- Pas de Calais la grève générale des 100 000 démarre,
au puits n°7 dit « Dahomey » à Dourges.
C’est la modification du mode de calcul de la paie, avec comme conséquence une perte de salaire des abatteurs, qui met le feu aux poudres.
C’est Michel Brulé, encore lui, qui coupe les vannes des compresseurs à l’étage 330, ce qui paralyse les marteaux piqueurs. En une ½ heure, tout le puits se met en grève, et « l’Internationale » retentit dans les galeries ! Harangué dans les lavabos, le poste d’après-midi ne descend pas.
Une délégation des grévistes présente à la direction son cahier de revendications en 10 points, dont l’essentiel est la libération de leurs camarades arrêtés et la levée des poursuites et sanctions, l’augmentation des salaires, l’amélioration du ravitaillement (viande, margarine, savon), et…les allocations familiales pour les étrangers.
Avertis par le réseau
clandestin de militants mis en place par le parti communiste, les gueules
noires des localités voisines se joignent au mouvement, suivies en quelques
jours par l’ensemble du bassin.
Le 5 juin, qui est l’apogée
du mouvement, plus de 80% des 137 000 mineurs du Nord – Pas de Calais sont en grève.
Plus de 500 000 tonnes de charbon n’ont pas été produites, ce qui entraîne la chute de la production électrique, voire de la consommation en gaz jusque dans la région parisienne, et met de nombreuses entreprises à l’arrêt.
Devant le risque d’un
embrasement généralisé, l’occupant fait patrouiller ses auto-mitrailleuses dans
les corons et survoler le basin par la Luftwaffe. Il ordonne aux compagnies de
ne pas payer la quinzaine, et aux préfets de distribuer les rations
alimentaires aux seuls non – grévistes.
Dès lors, les dirigeants de
la grève donnent le mot d’ordre de la reprise ordonnée du travail, qui est
générale dès le 9 juin.
Après la reprise du travail, l’occupant qui avait érigé en principe de ne rien lâcher sous la pression ouvrière, est obligé de lâcher du lest : les rations de pain sont augmentées, et un service de ravitaillement des Houillères est créé qui distribue des suppléments alimentaires, du savon, des vêtements de travail etc.
Ce fut sans doute, selon
beaucoup d’historiens, le mouvement social le plus important dans les
conditions de l’Europe occupée.
Et si la grève était, au
départ, avant tout revendicative, elle prit immédiatement, en bravant les
interdits de l’occupant, en s’affrontant à ses feldgendarmes, et en subissant la
répression et la terreur nazies, un caractère politique, patriotique, anti nazi
évident.
Elle a ouvert, en fait, la
voie à la Résistance armée contre l’occupant. Nombre de dirigeants de la grève,
entrés dans la clandestinité, deviendront cadres et combattants des FTP ( Francs Tireurs et Partisans)
LES FEMMES :
« LES CORONS SONT LEUR MAQUIS. »
« A la
fosse 1 des mines de Liévin, 500 femmes et enfants ont été dispersées avec
difficulté… Elles se sont regroupées pour aller à la Kommandantur réclamer la
libération des mineurs arrêtés… ».
Le mouvement s’étendra par ailleurs
aux filatures de la région, suscité par les filles des mines.
Quel courage !
SŒURS D’ESPÉRANCE Paul Éluard - Poèmes politiques 1948
Sœurs d’espérance, ô femmes courageusesContre la mort, vous avez fait un pacteCelui d’unir les vertus de l’amitié.
Ô mes sœurs survivantes
Vous jouez votre vie
Pour que la vie triomphe.
Le jour est proche, ô mes sœurs de grandeur
Où nous rirons des mots guerre et misère.
Rien ne tiendra de ce qui fut douleur
Chaque visage aura droit aux caresses.
FRANÇAIS – POLONAIS TOUS GRÉVISTES.
Les travailleurs immigrés ont toujours fait
partie du travail à la mine.
Venus en France après la 1ère
guerre mondiale, 200 000 polonais vivaient dans le Nord- Pas de Calais. Après
la grande boucherie de 1914-1918 qui avait saigné à mort la classe travailleuse,
leur embauche avait été déterminante dans la relance de l’industrie charbonnière.
Dans certaines communes, ils dépassaient en nombre la population française. A
la mine, les travailleurs polonais représentaient 1/3 de tout le personnel et
2/3 des mineurs de fond.
Parmi eux des ouvriers
qualifiés et instruits, ayant déjà l’expérience du combat syndical, venus des
mines de Westphalie.
Soumis à la xénophobie et
aux discriminations, pauvres et mal logés, expulsés par milliers, lors de l’explosion
du chômage en 1934-1935, les mineurs polonais se sont organisés dans différentes
associations culturelles, religieuses et politiques.
Dès l’invasion allemande, en
juin 1940, deux tendances politiques se précisent : l’alignement sur le
gouvernement de Londres (POWN) et la MOI (Main d’œuvre immigrée) animée par les
communistes polonais. Nombreux étaient ceux qui avaient l’expérience des
Brigades Internationales en Espagne. Organisés en huit groupes clandestins, dirigés
par des directions en triangle, ils éditent des journaux clandestins en polonais,
et participent en nombre aux comités de grève.
Très actives dans la grève,
on verra même des femmes polonaises, venues de Westphalie, haranguer les
soldats allemands dans leur langue !
ARRESTATIONS, DÉPORTATION, EXÉCUTIONS :
LA RÉPRESSION
NAZIE.
Si en Belgique, le mouvement fut victorieux,
avec une répression contenue, la réponse nazie dans le Nord et le Pas de Calais
fut sauvage et impitoyable.
Ayant bien identifié son ennemi, la police allemande, renseignée par les directions des mines vise avant tout les meneurs communistes, qui rentrent dès lors dans la clandestinité.
Émilienne Mopty, femme de
mineur, militante communiste, qui
était à la tête des manifestantes du 4 juin
1941, fut finalement arrêtée en septembre 1942, condamnée à mort par la cour
militaire nazie et décapitée à la hache, à Cologne le 18 janvier 1943.
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Plaque apposée au pied du Fort de Huy , sur le monument aux prisonniers |