jeudi 24 avril 2025

LE FORT DE HUY (1941-1944), « PAILLASSE HOTEL " OU BAGNE NAZI DE LA FAIM, DES COUPS ET DE LA MORT ?



 1945-2025 . Il y aura  80 ans le 8 mai, que, sous les coups de l'Armée Rouge à l'Est, des Forces Alliées à l'Ouest,  et des forces de  résistance dans toute l'Europe, l'Allemagne nazie, qui voulait asservir le monde pour 1000 ans, a capitulé sans conditions.

La forteresse de Huy  toujours présente et imposante est là pour nous rappeler de ne jamais oublier et d'exercer notre DROIT A LA MEMOIRE, le droit à connaître tous les aspects de l'histoire, y compris ceux qui sont aujourd'hui largement occultés.

Le Fort de Huy a-t-il été un Breendonk wallon ? « Non ! » répondent la plupart des  spécialistes de la question

Breendonk était sous la coupe des SS allemands et flamands et de la Gestapo ; Huy était  administré par la Wehrmacht, mais son commandant, Herr Frimberger, était un nazi fanatique, qui menait souvent lui-même les interrogatoires, avec grand renfort de coups de poing, de coups de pied et de coups de crosse.
A Breendonk, on torturait et on exécutait sur une grande échelle. A Huy, pas de torture organisée, pas de poteau d’exécution, mais les « otages » désignés pour la mort, étaient transférés à Liège ( ou en France) pour y être exécutés.
C’est le cas des frères Cardol, tous deux ouvriers liégeois,  et de 8 de leurs camarades, dont les 2 frères Roland, ouvriers, cheminot, mineur, résistants, partisans,  extraits de leur chambrée un soir à 23 h, transférés, enchaînés, à la Citadelle de Liège pour y être fusillés, en représailles à une action de la Résistance contre des soldats allemands. Qui, aujourd'hui, les connait encore ? (1)

C’était le 4 janvier 1943 à 8 h du matin. On les appellera  « otages de représailles ». 


Honneur aux 10 "otages" fusillés par les nazis le 4 janvier 1943 à Liège.
Ils combattaient pour que nous soyons libres.

De même, 5 résistants furent fusillés au pied du Fort, en avril 1944.

 A Huy, on mourrait de faim, à Huy on était tabassé et jeté au cachot, à Huy on était soumis à des brimades humiliantes, à des travaux forcés punitifs. 

La citadelle de Huy était une antichambre de la mort ;  elle faisait incontestablement partie du dispositif concentrationnaire et criminel des camps de la mort nazis..
Ce qui est vrai, c’est qu’il y avait, à Huy, deux régimes de détention pour deux types « d’otages » : il y avait un grand nombre de notables, juges, procureurs, professeurs d'université, écrivains et même  sénateurs, arrêtés arbitrairement comme otages 
pour impressionner l’opinion, après des actions de la Résistance  contre l’occupant.

Citons les sénateurs Robert Catteau, Joseph Pholien, futur Premier ministre, le juge Walter Delsat, le commissaire De Gryse, de nombreux professeurs de Liège et Bruxelles (Brien, Charlier, Goche), l'écrivain André Masson etc.




Paillasse Hotel dessin du juge Delsat 
(Fort et mémorial de Huy-Les témoins racontent -p 41)


Ces  otages  n’ont pas de corvées, et meublent leur journée par la promenade obligatoire du matin, suivie de lecture ou d’une leçon de gymnastique ; l’après-midi, la sieste ou des parties de carte et un vaste programme de conférences le soir (tous les 2-3 jours, y compris les « conférences – paillasse » pour trouver le sommeil.) 

La plupart de ces  otages  étaient  libérés après quelques semaines, jusqu'à ce que d'autres les remplacent. Ce régime de « faveur » a pu entretenir la rumeur que la citadelle de Huy était une « House of Lords », une sorte de « Palais des seigneurs » !

 Les « otages de représailles », eux, désignés parmi les prisonniers politiques, communistes ou résistants  sont bien tombés, sous le feu des pelotons d’exécution , à 30 km de là à Liège ou à la prison de Loos dans le Nord.

Ce double standard correspondait à la politique  des Von Falkenhausen et Reeder (2).

Lors de son procès à Bruxelles en octobre 1950, von Falkenhausen déclara que tous les détenus étaient considérés comme otages. Mais, Reeder et lui ne voulant pas tuer des innocents (!!), il avait fait prendre les otages à fusiller dans les milieux communistes, sur la base de 5 fusillés pour 1 soldat allemand tué." (3)


LA PAROLE AUX DÉTENUS


 

Il n' y a pas eu, après guerre, de procès mettant à nu, à travers les témoignages des rescapés et les interrogatoires  des bourreaux, les crimes de guerre commis par les nazis et leurs complices, à la forteresse de Huy de 1940 à 1944. 

Contrairement à ce qui s'est passé pour Breendonk, au procès de Malines en 1946. Le tribunal militaire y prononça des peines  sévères à l'encontre des vingt-trois accusés, dont seize se virent infliger la peine capitale.  


Cependant, trois ouvrages principaux permettent de cerner ce que furent les conditions de détention à la forteresse de Huy. Les auteurs y ont tous trois été incarcérés.

"Zone interdite" de Jean Marie Fossier (4) est sans doute l'ouvrage le plus précieux. Il ne transmet pas seulement son témoignage personnel, notamment ses rapports avec le commandant, sa tentative d'évasion, dénoncée par un  mouchard de service et son "séjour" au cachot. Mais il a recueilli systématiquement, parmi les ex - détenus du Nord - Pas-de-Calais, principalement des ouvriers mineurs, des dizaines de   témoignages sur tous les aspects de la vie concentrationnaire à Huy. 

Militant communiste du Pas-de-Calais, licencié en Philosophie, enseignant, Jean Marie FOSSIER ( 1909 - 1997) était un ancien des Brigades Internationales. Commandant des Francs-Tireurs et Partisans (FTP), il est arrêté en mai 1942 et condamné à 15 ans de Travaux forcés. Catalogué comme "otage", il est transféré à la forteresse de Huy début 1943, puis, retransféré dans le Nord. Après plus d'un an à la prison de Loos, il est  déporté en septembre 1944 avec le "dernier train de Loos"   à Sachsenhausen  puis à  Buchenwakd.


"Ami si tu tombes" de Roger Pannequin est précieux comme témoignage personnel de la dure vie des prisonniers politiques, avec le bataillon disciplinaire, le cachot, une première tentative d'évasion., contrariée par un mouchard. Le témoignage de son évasion réussie, le 17 juillet 1943, est particulièrement précieux, avec ses préparatifs et ses suites, notamment une rencontre étonnante avec des gendarmes patriotes dans le Condroz à  Havelange.            

Roger PANNEQUIN (5) (1920-2001), instituteur à Liévin, dans le Pas-de-Calais , semble avoir été un champion  de l'évasion, puisqu'il réussit trois fois , de 1940 à 1944, à échapper aux geôles nazies,  chaque fois pour reprendre le combat. Résistant de la première heure dès octobre 1940, il rejoint le Parti Communiste clandestin en octobre 1941 et s'engage dans la lutte armée Ayant échappé aux camps de la mort, il terminera la guerre, en tant que commandant Marc des FTP. 


"Toine dans la tourmente" de Arthur Masson est dans un tout autre registre. Il s'intègre dans la série des "Toine Culot", romans du terroir wallon, pleins d'humour et de couleur locale, parus en 1938-1939. Le mérite de l'auteur est d'y avoir témoigné de son passage à la forteresse de Huy. et de nous avoir transmis ainsi une part de vérité. 
Arthur MASSON (1896-1970), docteur en philologie romane, professeur de français à l'Athénée Royal de Nivelles . Le 16 décembre 1942, Arthur Masson est arrêté comme otage par les Allemands à la suite de l’assassinat d’un rexiste. Il est incarcéré à la Citadelle de Huy et libéré le 17 février 1943. 

Les témoignages qui suivent relatent, soit l'expérience vécue par les trois auteurs,  soit celle de multiples témoins rescapés des camps interviewés ( essentiellement par Fossier) après la guerre.

1) Antichambre de la mort

  • « Il suffira parfois d’un séjour relativement court à Huy pour que soit atteint
    profondément l’état de santé des prisonniers et que soient provoquées des séquelles irrémédiables
     »
  • «Nous étions 20 de Somain à la citadelle. 3 ont été rapatriés pour être fusillés à Loos. Sur les 17 autres, 5 ont survécu."
  • "Pour quelques localités (du Nord – Pas de Calais), sur 35 prisonniers,19 sont décédés dans les années qui suivirent leur libération ; de Billy Montigny, sur 25 patriotes déportés à Huy,8 survivants ; pour Wattrelos, 2 sur 20 ».
  • « En mars 1942, nous étions dans un état indescriptible ; je pesais à peine 40 kilos ; j’en avais 78 au départ. J’étais tout boursouflé. Je marchais à peine...Sur les 16 hommes de Leforest faisant partie de ce transport, je suis le seul encore vivant. Certains sont morts très peu de temps après leur retour, ne pouvant vaincre cette faiblesse. » (Fossier pp 458-459)

René Halin, imprimeur résistant de Huy,
mort au Fort des suites de ses blessures

2) Des squelettes ambulants

  • « En colonnes, par deux, nous avons monté la pente conduisant à la forteresse. C’était très difficile d’avancer. Les alentours du fort étaient envahis par les herbes et les branches d’arbre. Une véritable jungle ! Nous allions dans un lieu qui depuis longtemps avait été abandonnée par les êtres humains. Après cette marche épuisante, nous arrivons au pied d’un escalier de fer raide et moussu. Déjà, les tiraillements de la faim se font sentir. Depuis Valenciennes, aucune boisson, aucune nourriture ne nous avaient été distribuée. (Fossier p.446)
  • " La nourriture était infecte ; une soupe où nageait une vague feuille de chou, un morceau de carotte ou de rutabaga, une soupe aux feuilles d’orties sans sel. Pour le pain, parfois 150g, parfois 125. » (Fossier p.450)
  • « Le manque de nourriture fit de nous des squelettes ambulants, beaucoup de nos camarades maigrirent de plusieurs dizaines de kilos. A mon départ, je ne pesais plus que 33 kilos au lieu de 72 ». (Fossier p.450)
  • «Au bout d’une quinzaine de jours, une bonne partie des détenus mangeaient les pissenlits qu’ils trouvaient. Certains broutaient même l’herbe comme des lapins ». (Fossier p.451)
  • « De nombreux camarades étaient incapables de se tenir debout. Quelques jeunes camarades sont tombés en syncope à cause du manque de nourriture. Pour nous tous, la faim est devenue  lancinante. Nous avons faim le matin, faim  toute la journée, faim la nuit, faim à ne plus pouvoir dormir ; Elle provoque les hallucinations, elle meuble les rêves ou l’on se voit en train d’avaler comme des gloutons. Une miette provoque parfois des disputes violentes … » (Fossier p.452)
  • "L'aile du bâtiment opposé à celle où il ( Toine Ndlr) gîtait était occupée par environ 200  ouvriers du Nord de la France et quelques Belges, tous étiquetés comme communistes ou mal notés par le régime nazi. (..) Pauvres, squelettiques, à charge de leur famille, qui, pour leur envoyer le colis mensuel de 5kg, linge compris, toléré par le commandant, devaient se saigner aux quatre veines." ( Masson tome II p 58)
 3)  la corvée des tinettes 
  •         « La vidange se faisait avec épandage sur les jardins autour du Fort ; Avec des seaux tenus à, bout de bras, il fallait remonter des marches, puis descendre le long escalier ferré, emprunter un long couloir souterrain, carrelé de briques rouges moussues. Puis, venaient d’autres marches et enfin les sentiers serpentant sur les pentes. Combien de détenus ont trébuché, sont tombés er recevaient alors taloches et coups de bottes. » (Fossier p.453)

 4)  les coups, les brimades

  •  « Le secrétaire général du Parti communiste belge, Julien Lahaut, avait raté une tentative d’évasion par la cave d’arrivée du monte-charge. Les Allemands l’avaient ramené devant toutes les chambrées réunies à l’appel, l’avaient frappé sauvagement à coups de bâton et l’avaient laissé inanimé au milieu de la cour, en interdisant qu’on l’approche. Il y était resté toute la nuit sans pouvoir se relever. Et l’interprète tout puissant, l’homme de confiance des Allemands dans le camp n’était autre que le secrétaire du Parti socialiste belge, Delvigne. » Lahaut fut ensuite jeté au cachot pendant 8 jours. (Ndlr)                                                          (Pannequin p. 197) 
  •                                                            

    Militants et militantes communistes incarcérés à Huy
    De g à dr. Jean Terfve (6) , Julien Lahaut (7), Paul Renotte (8), Félicie Mertens (9),
    Fernand Jacquemotte (10,) Célinie Thonet -Lecharlier  (11)


  • « Vers la fin d’octobre, je subis au Fort les questions de la Gestapo, pendant 2 jours. Je reçus des coups de poing et de bottes sur tout le corps ; J’étais comme une loque. D’ailleurs, durant tout mon séjour à Huy, j’ai reçu des coups pour un oui ou pour un non. » (Fossier p.454) 
  • « Un jour, un camarade fut surpris à prendre un os dans la poubelle. Après avoir été rossé, il fut attaché à une chaise, à quelques mètres des     poubelles sans pouvoir se relever, comme un chien dans sa niche. Ce fut une grande distraction pour les sentinelles qui prolongèrent le spectacle pendant 48 heures ». (Fossier p.454) 
  •  « Nos paillasses étaient infectées de vermine, poux et puces. Nous étions tous atteints de gale purulente. Nous avons décidé de nous  adresser au commandant (…) C’était en plein hiver. La cour était recouverte d’un pied de neige. Le commandant n’a rien trouvé de mieux     que de nous faire sortir en nous faisant mettre tout nus. Nous sommes restés ainsi toute la journée. A la nuit tombée, toujours nus, nous sommes allés dormir sans manger dans une grande salle (…) »(Fossier p.455)

5)  Le « strafkommando »

Roger Pannequin
  •  « Chaque matin, le grand rouquin appelait 6 noms, parmi   les hommes de notre convoi. Ils allaient au magasin   empoigner des « Kastentragen », des espèces de grandes   caisses sur lesquelles on avait cloué des chevrons en guise   de manches de civières. Le matin, les trois caisses   servaient  à monter sur les terrasses au-dessus de la   forteresse des grosses pierres qu’on allait charger à   l’extérieur, aux rochers du bas. Il fallait emprunter (...) un   escalier étroit, raide et obscur, qui accédait aux plate –   formes. Les « mehr schnell » des hitlériens ne lassaient   pas   de répit. Mais l’après- midi, descendre par le même     chemin, et avec le même moyen, les pierres montées le   matin et les remettre en place en bas pour le « straf » du   lendemain était tout aussi fatigant. » (Pannequin p. 199)
6)  Le cachot   
  •  (...) Puis ce fut la descente vers les souterrains. Plus on descendait ces marches, parfois très larges, parfois très étroites, plus l’impression de froid, d’humidité s’aggravait (...) Au bout du couloir, une porte énorme avec une serrure énorme est ouverte. Je suis bousculé, poussé dans le fond. Et c’est l’obscurité . C’est du bout du doigt et avec le bout du pied qu’il faut palper pour l’exploration de cette cellule. Elle est très profonde, six ou sept mètres ; large à l’entrée de 4 mètres, mais moins de 2 mètres près du soupirail. Au mur est fixé une petite tablette, dans un coin un vieux seau qu’un homme de corvée videra tous les 2 ou 3 jours, quand ce n’est pas     oublié. 
  •    

     
    Il y a encore la mince paillasse de sciure sans couverture. La solution, c’est de dormir à même le bois, en étendant la paillasse sur le corps. Tous les jours, au matin, c’est la visite. On entend résonner dans le couloir le bruit des énormes serrures ; Une sentinelle s’installe devant la porte, mitrailleuse dirigée vers le détenu, qui doit se tenir au garde à vous au fond de la cellule. Un sous-officier pénètre et éclaire de sa lampe les différents coins, inspecte la cellule ; Entre alors un détenu, le « Kalfactor ». Il apporte la gamelle de breuvage appelé café. Et ce sera tout. Car, là, on n’a droit qu’à une gamelle de soupe avec 2 tartines QUE TOUS LES 4 JOURS.   Les trois premiers jours, le sous-officier m’a tendu lui-même le café Au moment où j’avançais la main, il m’a lancé le tout à la figure, avec des hurlements, des jurons. « Schwein Kommunist ! Terrorist ! ». 
  • Cette soupe, il faut la boire ; ensuite avec les doigts, ramasser les carrés de rutabagas, les 2 ou 3 morceaux de pommes de terre pas plus lourds que des frites. Quelques heures plus tard, le besoin devient atroce. La faim tenaille toute la journée et toute la nuit. Puis, les jours suivants, s’installe une sorte de torpeur.  Les pieds deviennent des boulets pour les quelques pas dans l’obscurité quasi totale. Le 3e jour, comme je ne tendais pas la main, il a lentement vidé le récipient à mes pieds. Le 4e jour, le Kalfaktor a déposé la gamelle de soupe, avec les 2 tartines sur la tablette.
Jean Marie FOSSIER
Le 16e jour de cette vie souterraine dans l’humidité, le froid, l’obscurité, avec quelques heures de sommeil sur la planche, il fallut reprendre la paillasse, monter les escaliers glissants qui n’en finissaient pas. La lumière du jour était insupportable, les yeux se refermaient, refusant la clarté. Pourtant, il fallait avancer, rejoindre en titubant les rangs, se tenir au garde à vous pendant l’appel.
Ensuite, dans la chambrée, il y eut toutes les gâteries des camarades, avec même quelques morceaux de vrai sucre à sucer en buvant du « caféol ». Et arrivaient par les voies de l’organisation, une double ration de pain, une 2e gamelle, plus épaisse que toutes les autres. (Fossier p.464)
  • Un matin, la porte (du cachot) avait été ouverte comme dans un accès de fureur. Le coup de botte lancé contre le bas flanc avait été encore plus bruyant. La visite avait été plus rapide, sans gifle. Puis, comme un coup de tonnerre, la porte fut claquée. Il me sembla alors voir du blanc sur la tablette. Bien enveloppé dans du papier blanc, un œuf cuit dur et quelques morceaux de sucre avaient été déposés. Qui était-il ? Comment le reconnaître ? Jamais ce ne fut possible. Cette manifestation de solidarité de la part d’un soldat allemand antinazi n’est pas un fait unique ; c’est un soldat allemand aussi qui expédiait les lettres que quelques jeunes pouvaient ains faire parvenir à leurs parents. (Fossier p.465)

7) « Ne pas courber la tête »

  •  "Le responsable de la chambrée, clandestin, choisi par les détenus, avait pour fonction de substituer à l’arbitraire brutal des gardiens, un ordre conforme aux intérêts des détenus. Une organisation des « services de santé » avec des moyens extrêmement limités, mais avec pourtant une certaine efficacité. Il n’y avait aucun médecin dans le contingent français, mais il y en avait du côté des Belges, qui parvenaient, par leurs relations, à obtenir quelques médicaments, quelques pansements.  
  • Les responsables avaient aussi comme tâche d’animer une vie culturelle et politique. (...) Chaque chambrée ressemblait à une petite université populaire, avec des cours de français, avec dictée et rédaction, des cours d’histoire, avec une place prépondérante à la Révolution française, à la Commune, à la Révolution d’Octobre, à la Guerre d’Espagne., des cours de philosophie. 
  • Certains s’essayaient au dessin, beaucoup apprenaient des chants et des chansons révolutionnaires du monde entier, quelques-uns écrivaient des poèmes.                    Des cours plus secrets étaient donnés à des éléments choisis : on y parlait de « briques incendiaires », de « cocktail Molotov », de détonateurs, de sabotages. C’était la préparation à un retour, toujours envisagé, à la lutte ;Les anniversaires étaient également célébrés : 1er mai, 14 juillet, 21 juillet, 7 novembre. (Fossier p.461)

  • La corvée- Dessin de P. Daxhelet - matricule 357  été 1941
    IHOES:  Paul Daxhelet - "Au fort de Huy" été 1941-Seraing 1999

   8) Delvigne, l’interprète (12)  

  •   "De cette meurtrière au sol en pente abrupte, il y avait 3 mètres, et puis venaient des buissons, et ce serait la ville, la liaison assurée et la France. Et la lutte reprise.  Nous mettions bout à bout les quelques cordes qui devaient réduire la hauteur du saut. Brusquement, la porte s’ouvrit. C’était un prisonnier, l’interprète, un Belge, que l’on retrouvait constamment dans tous les coins, partout où on ne souhaitait pas le voir. « Que faîtes - vous ici ? Retournez tout de suite. Je ne dirai pas que je vous ai vu ». (...)Le lendemain matin à l’appel, nous avons vu arriver un commandant plus nerveux que d’habitude. Sa cravache trépignait contre sa botte. Les tics de la face jaunâtre étaient encore plus fréquents et plus accentués. Puis il avança aussi vite que son être difforme le permettait vers les rangs de notre chambrée, et il pointa sa cravache vers moi : « Herr Professor, sortez ! »
  •      (...)« Dans son bureau, sa colère éclata. Il hurla ; Ah Herr Professor, on examine le souterrain du Fort, sans doute pour trouver une issue ! Et on est avec ses amis communistes, le grand Polonais et son alter ego ! Et monsieur le chanteur ! » Nous comprenons que le mouchard n’avait pu donner que des indications incomplètes... » (Fossier pp.463).                                                                                                                                                                                                                                                           
Dessin du juge Walter Delsat "L'appel dans la cour"
(Fort et mémorial de Huy-Les témoins racontent -p 57)


  •    "Le gaillard joue sur du velours. Il se déclare "profôdémo anticommunesse". (..) "Moi très socialiste, qu'il leur dit, mais Moscou mauvais! Slecht!Slecht ! Et English capitalistes! Slecht,slecht!  A force de faire le singe, il a fini par croire à ses singeries. Toute la journée, il épluche leurs sales gazettes et il se fait des opinions à la vaseline Goebbels : "le débarquemô, qu'il dit, c'est du romô! Et Stalingrad, c'est un  épisôde sans importance. Jamais les Russes ne reprôdrô ce qu'ils ont lâché .Les Alemôs sont invincipes. Et patati et patata..."
  •    Avec  ça, il est censeur" Oui il censure les  correspondance, les lettres que nous envoyons à nos familles. Il veille à ce qu'elles soient bien gentilles, pas compromettantes, conformes, quoi! Pas question de raconter que la boîte grouille de puces. Défense aussi de raconter que t'as faim ".. ( Masson tome II p 74)

9)  Frimberger,  le "Mikado"

  • « De juin1941 à fin août 1944 ; le commandant de la forteresse fut un ancien chemisier de Bruxelles, Frimberger. Nazi fanatique, il était un des piliers de la 5e colonne installée en Belgique. Il ne pouvait pas être officier de la Wehrmacht ou des SS, car il avait la colonne vertébrale fortement arquée. Ses jambes trop courtes, toujours bottées, avaient une démarche saccadée ; sa face jaunâtre toujours agitée de tics, l’avaient fait surnommer le Mikado. Dans toute la forteresse, l’annonce de son arrivée, faisait naître l’anxiété. Quand la présence des troupes alliées fut signalée sur la Meuse, le 30 août 1944, Frimberger disparut » (Fossier p. 466)   
  • « Le commandant sortit du poste et dit, presque sans accent : « Vous êtes ici des otages condamnés   à des lourdes peines pour vos crimes contre l’armée allemande. Vous êtes un « Strafkommando » (bataillon disciplinaire). Il ne tient qu’à moi de faire de vous un « Vertigungkommando » (bataillon à exterminer).  Gompris ?        Je les « gonnais » les Français ; j’ai fait la guerre en 1914. J’étais soldat avec notre Führer. « Heil Hitler » cria -t-il, raidi soudain et le bras tendu, (..) Vous êtes des otages, et si vos bandits font des attentats graves contre l’armée allemande, on prend parmi vous pour vous fusiller ». » (Pannequin p. 195)
  • "Toine vit alors s'avancer un Boche d'assez petite taille, à casquette d'officier et de figure exceptionnelle. Bien plus qu'à un Germain, en effet, il ressemblait, avec son nez épaté, ses pommettes osseuses, ses yeux obliques et son teint bilieux à un Samouraï dégénéré. Une seule chose se lisait sur cette face violemment antipathique, c'était la cruauté, la méchanceté, à l'état de vice, avec l'orgueil du mal et le fanatisme dans la sottise. Il marchait à très petits pas, avec ses jambes raides qui faisaient penser à celles d'un automate. Il portait là dessus un buste raide, comme plâtré...C'était obligatoire de le saluer, sous peine de sévices immédiats. Les plus rapides s'esquivaient et se réfugiaient dans les toilettes.. ( Masson tome II p 58)

 En 1947, la Belgique a introduit un dossier sur Frimberger auprès de la « Commission des Nations–Unies sur les crimes de guerre » pour les délits présumés suivants : « tortures infligées à des civils », « famines organisées au préjudice de civils », « viol » et « internement de civils dans des conditions inhumaines. ». (13)
Dans ce cadre, la police judiciaire avait procédé à une enquête qui mettait en évidence les exactions de Frimberger. Elle s’insurgeait contre l’image édulcorée (« Huy, un paradis ») véhiculée par certains ex- détenus privilégiés. Elle rappelait que la faim et les brutalités étaient journalières, que les malades graves étaient voués à la mort, faute de soins. Elle précisait que le commandant s’était opposé avec énergie à la livraison par le Secours d’Hiver d’un repas chaud le soir.
Plaque à la mémoire de Henri Dewart inaugurée
à Ben Ahin ( Huy) en décembre 2014 à l
 Elle établissait aussi que le nazi Frimberger aurait participé, le 11/12/1943, à une expédition punitive terroriste de la Feldgendarmerie et de la Gestapo, assistées de commandos de bandits rexistes (Quinif et d’autres de la "brigade A", dite "la bande à Duquesne"), contre une famille de résistants à l’Hôtel des Ruines (aujourd'hui "l' Élysée Beaufort") de Ben Ahin. Après avoir assassiné le maître des lieux, Henri Dewart, tombé les armes à la main, ils avaient violemment interrogé sa veuve emmenée sans ménagement au Fort, d’où, mourante suite aux mauvais traitements, elle fut libérée en mars 1944. Trois autres personnes, liées à la Résistance, victimes de ce guet-apens, ne revinrent jamais des camps de la mort
Les chefs de la bande furent, après la guerre, jugés, condamnés à mort, et exécutés.  
Quant à Frimberger, il semble avoir disparu complètement des radars, aussi bien pour son éventuel rôle criminel dans cette affaire, que pour les crimes de guerre répétés commis en tant que commandant de la Citadelle de Huy. Une allusion est faite en 1948, dans la presse, à une arrestation par l’armée américaine à Nuremberg. (14) 
Sans suite ? 

NOTES
(1) Dans "Toine dans la tourmente", A. Masson témoigne avec beaucoup d'émotion (vol II p. 191)  de cette nuit de janvier 1943 où 6 prisonniers parmi lesquels 2 frères furent emmenés de Huy à Liège. 
Pannequin évoque uns scène semblable, où 20  détenus français sont rassemblés juste après l'appel et emmenés par les feldgendarmes, sans reprendre ni leurs affaires, ni leurs papiers.
"Ami si tu tombes" p. 205.
(2) Alexander von Falkenhausen : (1878-1966) . Général de l'armée allemande, commandant militaire pour la Belgique et le Nord de la France occupés de mai 1940 à juillet 1944.
Eggert Reeder (1894 - 1959) chef de l'administration militaire pour  la Belgique et le Nord de la France occupés . Membre du parti national socialiste NSDAP.
(3) Le Soir"- 3/10/1950 p 5. 
(4) Jean Marie FOSSIER (1909-1997) On line :https://maitron.fr/fossier-jean-marie-aime/
(5)Roger PANNEQUIN   On line : notice  par Daniel Hémeryhttps://maitron.fr/pannequin-roger/  
Il réussira à s'évader de la forteresse de Huy le 17 juillet 1943.
(6) Jean Terfve : Jean Terfve (1909 – 1978), Bruxelles, CArCoB, 2011, [en ligne],http://www.carcob.eu/IMG/pdf/jean_terfve.pdf
S'évade le 25 août 1941 de la citadelle de Huy.
(7) Julien Lahautnotice LAHAUT Julien, Victor. [Belgique] par Jules Pirlot, https://maitron.fr/lahaut-julien-victor-belgique/
Après une chute lors de sa tentative d'évasion  de Huy, il sera déporté à Neuengamme, puis Mauthausen.
(8) Paul Renottenotice RENOTTE Paul. [Belgique] par Jules  PIRLOT     https://maitron.fr/renotte-paul-belgique/ S'évade le 14  août 1941 de la citadelle de Huy.
La vie de Paul Renotte et particulièrement son action pendant la 2e guerre mondiale est au centre du film de Jean Christophe Yu :"Le rêve de Fanny
 (9) Fernand Jacquemotte: notice JACQUEMOTTE Fernand dit Fernand Jack par Robert Brécy,  https://maitron.fr/jacquemotte-fernand-dit-fernand-jack/ Après la citadelle de Huy, il sera déporté à Neuengamme, puis Mauthausen.
 (10)  Félicie Mertens: Née en 1911, elle adhère à la fédération de Thudinie du PCB dès 1933. Connue comme militante communiste, elle est arrêtée par la feldgendarmerie le matin du 22 juin 1941 lors de la rafle qui accompagne l’agression de l’Allemagne contre l’URSS. D’abord emprisonnée à Huy,  puis déportée à Ravensbrück, 
 (11)  Célinie Lecharlier - épouse Thonet :(1885 - 1967) épouse de Joseph Thonet. Arrêtée comme otage le 24 juin 1941; incarcérée au Fort de Huy et libérée le 24/10/1941.
(12)  Jean Delvigne : incarcéré au Fort de Huy le 26 juin 1941 sous le matricule 487.
 Ancien secrétaire wallon du POB, puis membre de l’exécutif et de la commission administrative de l’IOS.(Internationale Ouvrière Socialiste)
Il devient délégué IOS-FSI ( Fédération Syndicale Internationale) en Espagne jusqu’à l’été 1937.
voir aussi Institut Destrée  - notice de Paul Delforge  https://www.wallonie-enligne.net/Encyclopedie/Biographies/Notices/Delvigne-J.htm
(13) Franck Vernier :Le Fort de Huy Une citadelle hollandaise, un camp de détention. Éditions du patrimoine militaire 2021 pp 114-115
(14)La Meuse 14/06/1948 p 3. Lors d'une réception à l'Hôtel de Ville des anciens détenus, le bourgmestre de Huy , Grégoire déclara: "Il ne manque ici que Frimberger, l'ancien commandant du Fort. Je viens d'apprendre qu'il a été arrêté par l'armée américaine à Nuremberg. Je n'en sais malheureusement pas davantage."

SOURCES 
Jean Marie FOSSIER : "Nord- Pas-de-Calais, zone interdite; Mai 1940- Mai 1945.
 Éditions sociales Paris 1977. Chapitre XVI:  "Huy,  Breendonk, Hertogenbosch et autres sinistres lieux de Belgique et de Hollande". pp 445-487.
Roger PANNEQUIN :" Ami su tu tombes" Éditions du Sagittaire 1976. Chapitres 7 à 9  pp 187-244.
André MASSON : " Toine dans la tourmente"-  Librairie Vanderlinden - Bruxelles . Tome II, chapitre XVI " Cure d'altitude". pp. 41-101.
Félicie MERTENS : "Une femme parmi d'autres, récit, prose, poèmes, dessins". 1989
Jean Christophe YU : "Le rêve de Fanny" film. qui évoque la vie des grands parents du réalisateur Paul et Jeanne RENOTTE, et en particulier l' incarcération et l'évasion de Paul de la forteresse de Huy.
Bob CLAESSENS : "Julien Lahaut, une vie au service du peuple"  SPE Bruxelles 1950
Jules PIRLOT : "Julien LAHAUT vivant". éditions du Cerisier - Mons 2020.
Franck VERNIER :Le Fort de Huy Une citadelle hollandaise, un camp de détention. Éditions du patrimoine militaire 2021.
Fort et mémorial de Huy - La vie des détenus durant la Seconde Guerre mondiale. Les témoins racontent. Ville de Huy -2025.
Paul DAXHELET :"Au fort de Huy- été 1941; IHOES Seraing -  1999.
Jacques MECHELYNCK-MASSON otage à la Citadelle de Huy. : La forteresse de Huy Maison du Souvenir . On line :https://www.maisondusouvenir.be/citadelle_de_huy.php





         

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