mercredi 22 mars 2017

GRANDES FIGURES DE CHEZ NOUS : L'ABBE JEAN SILVESTRE DE LAVOIR (1899- 1945) – SOLDAT DE LA RESISTANCE


(...)Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas

Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas(
...)

                                                                          Louis ARAGON La rose et le réséda

Le 25 mars prochain, je participe à LAVOIR à la ballade familiale guidée par Annie WILDEMEERSCH, ma compagne, par laides et par belles, de toute une vie.


Village charmant aux portes de la HESBAYE, en bord de FOSSEROULE , affluent de la
MEHAIGNE, LAVOIR est connu aujourd'hui pour sa quiétude bucolique, son moulin à grain et ses fermes d' élevage .
Peu de gens savent que Lavoir , Heron, Wanze et toute la région de HUY furent le siège d'une intense activité de résistance à l'occupant nazi de 1940 à 1944.
Et pourtant sur la façade de la très belle EGLISE SAINT HUBERT une stèle nous rappelle l'héroïsme d'un martyr de la résistance,l'abbé JEAN SILVESTRE ,arrêté par les Allemands dans sa sacristie le 19 août 1944 , et mort le 18 janvier 1945 au camp de concentration nazi de NEUENGAMME.




Jean Silvestre est né à Ferrières (Condroz) en avril 1889.Lors de la première Guerre mondiale, il est vicaire à Hollogne aux Pierres, puis à Soumagne et Celles. Il est désigné comme curé  de Lavoir en 1936.


AUMONIER DES MILICES PATRIOTIQUES
 Son rôle dans la Résistance est détaillé dans le  
discours prononcé à sa mémoire le 8 octobre 1945 à LAVOIR par un représentant de l' Etat Major des Milices Patriotiques .


« Quoique peu fortuné, il fut un des premiers de la région à soutenir « Solidarité » ( 1) au profit des familles des déportés et fusillés de la Résistance.
Puis son presbytère abrita des réfractaires, des chefs de la résistance ; on y tint des réunions secrètes ; la brigade du secteur F y complota des raids contre l'occupant ; des milliers de journaux, de tracts y furent entreposés ainsi que d'autre matériel de la résistance et notamment des munitions.

Il connaissait les risques, les tortures qu'il affrontait, mais lorsque nous lui faisions remarquer, il nous répondait avec un calme imperturbable : " Notre Seigneur Jésus-Christ l'a fait avant moi ".
    Nous ne pouvons énumérer tous les services qu'il a rendus pour secourir et aider les " illégaux " ; il s'offrit même à héberger des soldats russes (2) ; mais sa situation étant très compromise, nous ne pûmes accepter, il les aida quand même en leur envoyant des vivres et des dictionnaires russes.
En mai 1944, un nouveau groupement de combat naquit, les Milices Patriotiques (3) qui devaient participer à la libération nationale.
Pour récompenser l'abbé Silvestre de ses services, sur proposition du commandant du 2e régiment, nous le nommâmes aumônier de ce régiment.
Le Presbytère
Le commandant s'établit en son presbytère, celui-ci fut alors connu comme assise de l' Etat - Major du secteur et Monsieur le Curé transmettait fidèlement les ordres au commandant du régiment.
C'était à nouveau de son domicile que se dispersaient dans les sections environnantes, les ordres de sabotage, les milliers de directives de journaux, de tracts et le matériel clandestin. Un aviateur américain destiné à être hébergé dans le secteur passa chez lui : il ne voulut pas d'en séparer. L'aviateur y demeurât une quinzaine de jours et dut être expédié ailleurs, à la suite de l'arrestation d'un employé d'état-major séjournant au presbytère.
  Il fut stupéfié de cette arrestation et craignit dès lors pour sa sécurité.

L'EMBUSCADE DU 19 AOUT 1944

LAVOIR: PLACE FAYAT, "AUX TRAVAUX" ,L'EGLISE
Après le débarquement des troupes anglo -américaines le 6 juin 1944 en Normandie , les opérations de résistance s'intensifient dans la région .
C'est ainsi que le 19 août 1944, un commando de l'Armée Secrète (4) « prépare une attaque contre un convoi de plus ou moins cinquante camions, chargés de carburant et stationnés à Lavoir.
Un groupe de Résistants  prend position aux alentours de la Place Fayat. Des hommes se postent entre le pont et le talus de la maison d'Arthur Marique , d'autres s'embusquent " Aux Travaux " (lieu-dit). Ils attendent des renforts qui doivent venir de Couthuin » 
Deux soldats allemands se dirigent en se promenant vers « Les Travaux », alors que d'autres se reposent se lavent ou se restaurent .
EGLISE SAINT HUBERT
lieutenant d'active de l'Armée Secrète, Théo Sevrin habitant de Lavoir ouvre le feu sur les Allemands qui ripostent. Fauché par une balle, il est transporté par sa femme , dans une charrette, jusqu'à , l'église où l'abbé SILVESTRE le recueille dans la sacristie. Malgré la mise en garde du docteur Beaujean, appelé sur les lieux, qui veut le transférer dans l'église, car il va mourir, le curé continue à cacher le blessé dans la sacristie, et lui accorde les derniers sacrements.
Les Allemands boutent le feu à la maison de Sevrin et puis, à l'Eglise, ils arrêtent le curé Jean Sylvestre pour complicité.
Selon un rapport de de l'AS, « les Allemands ont eu sept tués dont un officier, douze blessés et perdu un chargement d'essence. »

HAUPTLAGER   KZ   NEUENGAMME : MATRICULE 45459

Jean SILVESTRE est transféré dans un premier temps à la prison Saint Léonard à Liège , puis déporté à BUCHENWALD, puis NEUENGAMME.
«  Au camp de concentration de Neuengamme, les galériens qui travaillent avec vous prenaient votre pic ou votre pelle pour que vous puissiez souffler un peu. Mais le mal multiple - lassitude, faim, froid, dysenterie - vous ruina de plus en plus rapidement.
Bon vieux curé SILVESTRE, souvenez-vous. Un jour, nous étions au travail au Kommando SCHINLER. Vous, à cause de vos crampes d'estomac et d'intestins, vous fûtes obligé de vous asseoir, puis de vous laisser écrouler à terre, abrité un peu sous une énorme cuve renversée de fer rouillé.
Il neigeait. Une neige allemande, pesante, mêlée de pluie forte, de gros flocons grisâtres qui évoluaient peu dans l'air et s'empressaient de faire de la boue sous nos pieds. L'air était humide et glacé. On est venu vous rouer de coups et vous traîner au travail. Vous gémissiez sourdement.
NEUENGAMME - L'"INFIRMERIE" où sans doute est mort JEAN SILVESTRE
Un autre jour, non loin de moi, vous avez remué la lourde terre allemande au bord des bois pour creuser, avec d'autres forçats par centaines, d'inutiles fossés anti-chars. Et je vous ai vu, entre deux coups de pioche dans la glaise, donner des bouts de pain sec - ces trésors - à des compagnons. Ce geste, là-bas, c'était de l'héroïsme »
voir : ALZIN " Le calvaire et la mort de 80 prêtres belges et luxembourgeois " :


Notes

  1. « SOLIDARITE » et le FRONT DE L'INDEPENDANCE (F I)
Dans la région HUY WAREMME, comme dans la plupart des autres régions, la plus importante des organisations civiles de Résistance est le FRONT DE L'INDEPENDANCE.
En août 1941 avait été fondé à LIEGE, à la taverne Piette, rue des Guillemins, le « FRONT WALLON POUR LA LIBERATION DU PAYS » sur l'initiative de communistes (Theo Dejace) de membres de « WALLONIE LIBRE » et d'anglophiles .
Ils créent le journal « LA MEUSE » (aucune paternité avec le quotidien actuel) et appellent à Verviers, Huy, Visé, Arlon et Charleroi au regroupement des patriotes autour du Front Wallon.
Parallèlement, en mars 1942, est convoquée à Bruxelles une « Première Conférence Nationale du FRONT DE L'INDEPENDANCE », front créé initialement à l'initiative du Parti Communiste.
Le Front Wallon représenté à cette conférence, fusionnera en septembre 1942 avec ce qu'on nommera par ses initiales , le FI.

« SOLIDARITE »sera , dans la mouvance du FI, l'organisation qui organisera la solidarité , une sorte de « Croix Rouge » de la Résistance.
Collecte pour les illégaux, , Saint Nicolas pour les enfants des victimes des nazis, vêtements chauds pour l'hiver, tombolas, aide de subsistance aux réfractaires etc.
A la veille de la Libération, "SOLIDARITE" était devenue un véritable service social avec assistantes sociales de métier et aussi un service sanitaire pour les Milices Patriotiques.
 
(2) LES SOLDATS RUSSES

En octobre 1943, une vingtaine de prisonniers soviétiques s'évadent d'un train entre Ampsin et Seilles.
Ils finissent par se retrouver,ne parlant pas un mot de français et habillés en prisonniers , dans la région de HUCCORGNE.
Le groupe FI d' Adolphe Ruisseau ( Alfred) en récupère 11 et les héberge, les habille et les nourrit.
Certains logent dans des grottes, ou dans des trous creusés dans le bois de Marneffe, camouflés avec des branches, ne sortant que la nuit.
Libérés et hébergés chez l'habitant à l'arrivée des Américains, ils seront quand même dans un premier temps , vers le 15 septembre ,arrêtés , détenus , au même titre que les prisonniers allemands , et parqués comme des bêtes dans une prairie par la gendarmerie , sur ordre du lieutenant de l'Armée Secrète Henri Collinet .
Ce sont Marie GUISSE, Wanzoise du FI , communiste et officier de l'Armée Belge des Partisans – (organisation armée  rattachée au FI)
et Jules LINSMEAU dit « Mario », le commandant du secteur Nord-Ouest (Région de Huy-Waremme), du Front de l’Indépendance (F.I.) , qui ordonneront leur libération !
 JAMART J :"RESISTANCE HERON - WANZE" p 62
Les soldats soviétiques écriront une lettre de remerciements à leurs compagnons du maquis :
« Chers camarades
le groupe de camarades russes- ex prisonniers de guerre obligés de se cacher et de vivre longtemps dans le maquis de la province de Liège, rayon de Huy, vous adresse des remerciements chaleureux et fraternels, à vous et vos familles, pour tout ce que vous avez fait pour eux d'une façon aussi spontanée et dans le vrai esprit des bolchéviks.(...) »

  1. LES MILICES PATRIOTIQUES

Les MP (Milices Patriotiques) sont créées en mai – juin 1944, juste avant le Débarquement, pour élargir la lutte armée en vue du soulèvement national, à l'initiative du Front de l'Indépendance.
« La lutte armée contre l'envahisseur ne doit plus être le monopole de quelques spécialistes, elle est devenue la tâche de la Résistance tout entière
Il est donc grand temps de grouper, d'encadrer , d'armer les patriotes afin qu'ils soient à même , dés à présent de résister par la force aussi bien à la ville qu'au village aux mesures de répression, de pillage, de déportation que l'ennemi tenterai de mettre à exécution.
De ce qui précède, il résulte que des Milices Patriotiques doivent être constituées immédiatement dans chaque village, commune ou quartier. » (note du secrétariat national FI sur les Milices Patriotiques - voir José GOTOVITCH – Du Rouge au Tricolore p239)
A la Libération, les MP représenteront une « armée » de environ 25- 30000 hommes ( et femmes) à laquelle s'ajoutent les 15000 partisans  de l'Armée Belge des Partisans.



Renaud PARMENTIER (FI) présente le drapeau des PA de HUCCORGNE confectionné en toile de parachute et brodé (JAMART op cité p329)          
  1. L'ARMEE SECRETE
Composée à l'origine surtout de militaires de l'Armée belge, cette organisation de résistance militaire s'était d'abord appelée LEGION BELGE , puis ARMEE DE BELGIQUE ( reconstituée)
Le 1er juin 1944 elle prit le nom d'Armée Secrète.
L'Armée Secrète avait la confiance absolue du gouvernement belge de Londres, et opéra toujours sur ordre de celui-ci.
En vertu de l'instruction intitulée "Cheval de Troie" le gouvernement de Londres lui avait conféré un statut militaire officiel qui différenciait ainsi l'AS des autres mouvements de Résistance. Ce qui lui vaudra aussi d'être alimentée en armes par des parachutages anglais et d'être mieux armée par exemple que les Partisans Armés et les Milices Patriotiques.
Commandée par le Général Pire, elle est répartie en 5 zones sous les ordres d'un général, elles mêmes divisée en secteurs, commandés par un colonel , fractionnés en « refuges » commandés par un major.
« Dés les premiers mois d'occupation, il y eut de grandes tensions entre les différents groupes de résistance . La Légion Belge composée d'anciens militaires ,future AS entretenait avec le Front de l'Indépendance où les communistes étaient très actifs des rapports conflictuels. »(N.  PARENT pp 90-92)
Rapports conflictuels parfois idéologiques sans doute, mais aussi liés – on peut le supposer - à l'approvisionnement en armes. 
Tout au plus, selon J. GOTOVITCH, les relations entre entre FI et AS ont abouti à "un code de bonne conduite sur le terrain, mais la méfiance ne désarme pas." 
En septembre 1944, il y eut même un affrontement armé dans la campagne de Huccorgne. où Jules Linsmeau ,commandant du secteur Nord-Ouest (Région de Huy-Waremme), du Front de l’Indépendance (F.I.) , fut blessé  (voir N PARENT op cité)
L'abbé SILVESTRE et le lieutenant SEVRIN au contraire, symboliseraient ils la rencontre dans la détresse face à l'ennemi de deux résistants , le lieutenant mourant  de l'AS et le prêtre , aumônier des  MP ?
Leur nom sont en tout cas unis dans le Martyrologue du Livre d'Or de la Résistance.



Stèle sur l'église SAINT HUBERT




Sources 

Sur l'abbé SILVESTRE :











                                                                                  
Sur la résistance dans la région :
Tout d'abord 2 précieux petits livres bourrés de récits et de témoignages :
* "La Résistance dans la région de HERON - WANZE" Jean Jamart -  PAC HERON 1998
* "L'entité de WANZE durant la seconde guerre mondiale" Nicolas Parent - Commune de  Wanze







Aussi sur le net:
 *   l'Armée secrète : http://www.bibliotheca-andana.be/wp-content/uploads/2013/06/Secteur-Huy-Waremme.pdf

Sur le FI et les milices patriotiques 
* José GOTOVITCH "Du Rouge au Tricolore" Editions LABOR1992

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