Ma passion d'historien amateur me
pousse maintenant aussi à me rapprocher de ma région d'adoption-
où je vis (et y ai aussi travaillé ) depuis quand même 35 ans. :
le pays de Huy, de la vallée de la Meuse et des plateaux de Hesbaye
et du Condroz liégeois.
Tant je découvre chaque jour , surtout
bien sûr via le net , des personnalités d'hommes et de femmes
d'exception, mais oubliées – non seulement de moi, mais, je, le
crois très largement.
Je découvre donc aujourd'hui une
figure méconnue de la révolution liégeoise de 1789 dans notre
bonne ville de HUY : Jean Denis BOUQUETTE . Vous
connaissez ?
Il
s'agit d'un héros de la révolution liégeoise qui a payé son
engagement révolutionnaire de sa vie.
Comme
quoi, si la révolution à Liège, démarrée le 18 août 1789, sous
l'influence des événements en France , a pu être appelée la
binamée révolution, tant tout s'est passé dans le calme, sans
victimes, ni violences majeures les différentes phases qui ont
suivi n'ont pas été « un diner de gala ».
LA
REVOLUTION LIEGEOISE ( 1789-1795)
Quelques
dates :(1)
1ère
période révolutionnaire :18 août 1789- janvier 1791
1ère
restauration de l'ancien régime : janvier 1791 –
novembre1792
2ème
période révolutionnaire : nov 1792-mars 1793
2ème
restauration :mars 1793 – juillet 1794
3ème
période révolutionnaire : juillet 1794- octobre 1795
Rattachement
à la France : 1795-1815
Mais
derrière ces dates se cache un enchevêtrement complexe d'intérêts
qui dépassent de loin le seul affrontement de classe à Liège,
entre d'une part la bourgeoisie assistée du prolétariat et d'autre
part les classes dominantes de l'Ancien régime ,la noblesse et le
haut clergé dont le pouvoir est concentré entre les mains du
prince évêque Hoensbroeck et du chapitre de Saint Lambert.
Interviennent
de manière décisive et militairement dans le rapport de force
,d'une part la France révolutionnaire, proclamée République le 21
septembre 1792 , et d'autre part les multiples composantes et
organisations féodales du Saint Empire germanique, sorte de
colosse aux pieds d'argile , miné par les rivalités entre
l'Autriche des Habsbourg et la Prusse des Hohenzollern, qui toutes
deux interviendront à leur manière et en pleine rivalité, dans la
principauté.
Reportons
nous donc à la 1ère période révolutionnaire ,le 18 aout 1789. ;
Jacques-Joseph de Fabry (1722-1798) et Jean-Remy de Chestret (1739-1809) sont acclamés bourgmestres-régents. Et Gosuin manbour de la Cité.(2)
Le règlement de 1684 (3) est aboli. La garde bourgeoise est rétablie (32 compagnies - 1 par paroisse).
Ramené du château de Seraing, l'évêque HOENSBROEK , ratifie les décisions révolutionnaires .
« LOUKI
GRAND-PERE, KI COULA V'VA BIN... »
(Regardez
Grand Père comme celà vous va bien..)
![]() |
le prince évêque HOENSBROECK |
C'est
semble t'il à ce moment là que Jean Denis Bouquette , d'origine
liégeoise, entre en scène
« Bien
qu’il affichât une vive opposition à l’égard de la fonction de
prince-évêque en raison de la dimension religieuse de ce pouvoir,
J-D. Bouquette, fripier de son état, avait réussi dans les affaires
en s’imposant comme l’un des fournisseurs de la cour.
Sans
être un théoricien des Droits et Libertés, mais plutôt par
tempérament, il se mêle aux événements du 18 août 1789. Petit
bourgeois partisan d’un changement, le commerçant ne souffrait pas
le désordre provoqué par le petit peuple. Pourtant, quand le
prince-évêque Hoensbroeck est reconduit à l’hôtel de ville de
Liège, est contraint d’approuver l’abrogation du règlement de
1684 de Maximilien-Henri et apparaît symboliquement au balcon, J-D.
Bouquette saisit l’occasion pour accrocher sa propre cocarde «
révolutionnaire » sur le vêtement de l’évêque (18
août 1789).
Les
versions de l’événement varient d’un « commentateur » à
l’autre, mais chacun rapporte les mots prononcés en wallon par
Bouquette : « Louki, grand-père, ki çoulà v’va bin ! N’aï
nin paou, vo’n polé mâ » (Regardez, grand-père, comme cela vous
va bien ; n’ayez pas peur, vous ne « pouvez mal »). La portée
politique de l’acte pèsera lourd dans le jugement définitif rendu
en 1794 : crime de lèse-majesté ! » (4)
Et
leur vengeance sera un plat qui se mange froid...
LA
REVOLUTION A DINANT ; BOUQUETTE , OFFICIER MUNICIPAL
Mais
c'est au cours de la 2ème période révolutionnaire que nous
retrouverons , 3 ans plus tard, fin 1792, Jean Denis Bouquette .
« L’accueil
enthousiaste dont bénéficièrent les soldats de la République fut
suivi d’une reprise de la dynamique révolutionnaire des années
1789-1790. Celle-ci se radicalisa, par l’instauration dans la
principauté de municipalités révolutionnaires élues au suffrage
universel. A Liège, les jeunes votèrent dès dix-huit ans ; les
étrangers résidant dans la ville depuis cinq ans furent assimilés
; on supprima la nécessité de payer une certaine somme d’argent
pour être électeur (instaurée en 1790, lors de la première phase
de la révolution) ; on entreprit la mise en place d’une Convention
nationale liégeoise élue au suffrage universel. »
(5)
Le
processus se répandit dans toutes « les Bonnes Villes »
A
Dinant, les Républicains ( Les français) installèrent leur
quartier d’hiver dans la ville et ses alentours, le 8 novembre1792Le 16 décembre, les Dinantais partisans du nouvel ordre convoquèrent le peuple par voie d’affiches et par "son de caisse" en l’église du collège des Jésuites. Le peuple fut invité à se choisir une assemblée provisoire.
66 électeurs sont élus et ceux-ci désignèrent à leur tour 27 administrateurs ( oficiers municipaux , je suppose) pour la ville et 5 jurés. Le jour de l’An 1793, après avoir entonné le Chant des Marseillais aux dépens du Te Deum prévu, ils proclamèrent dans la collégiale Notre-Dame, la République.
Et
parmi les officiers municipaux, J-D. BOUQUETTE . On dirait
aujourd'hui un échevin ou un « adjoint au maire » en
France .
Mais
la Révolution voulait aussi s 'attaquer aux propriétés
démesurées de l'Eglise, le plus grand propriétaire de la
Principauté et à ses richesses considérables accumulées depuis
des siècles sur la sueur et le sang des paysans, notamment par le
prélèvement de la dime.
C'est
ainsi que le citoyen BOUQUETTE eut à intervenir semble t - il dans
l'affaire de l 'ABBAYE de LEFFE.
LE
SEIGNEUR ABBE GERARD DE LEFFE , RECELEUR DES TRESORS DE L'ABBAYE
![]() |
Le seigneur abbé de Leffe Frédéric GERARD |
La détention se poursuivit et s’avéra payante. La cachette fut révélée. L’inventaire des valeurs mobilières commenca le 13 février et se poursuivit le 26 février et le 5 mars suivants. Au total plus de 1.700 onces d’argent, évaluées à 8.554 livres furent inventoriées par Henri Nalinne, citoyen-orfèvre de Dinant. La croix processionnelle, les six grands chandeliers du maître autel, la crosse abbatiale, calices, encensoirs, jusqu’aux couverts de table et même une cuillère à ragoût, rien n’échappa au contrôle. (6)
Mais les troupes de la République
allaient devoir reculer, et le prince évêque Gustave de MEAN et
toute sa clique revenir au pouvoir dans les charrettes de l'armée
autrichienne.
Et
le 9 mars 1793, « le prince-évêque déclare nuls tous les
actes du gouvernement des patriotes et rétablit les anciennes
institutions. »
LE
CITOYEN BOUQUETTE JUGE ET EXECUTE A HUY
Lisons
maintenant un morceau d'anthologie : ces
lignes rédigées tout à la gloire de l'Eglise et des puissants sont
le fait du, Mr l'Abbé Dupierry
curé
d' Antheit de
1920 à 1943.
Ce
qui est interpellant, c'est qu' elles
sont toujours aujourd'hui, en 2017, accessibles sur le site d'une
école catholique du coin , sans la moindre note explicative.
« le
prince-évêque de Méan, rentré dans sa ville, proclama bien une
nouvelle et très large amnistie, mais il eut été de la dernière
inconséquence de ne pas sévir, et sévèrement, contre les fauteurs
de troubles. Au vrai. il en restait, croyait-on, peu.
A
Huy, la ville est sous la coupe du Citoyen Bouquette, un ouvrier
dinantais, au verbe haut; il ne craint pas de monter dans la chaire
de la collégiale et d'appeler à l'émeute le ban et l'arrière-ban
de la plèbe : on a tout à redouter de semblables meneurs.
Il
fut appréhendé par la maréchaussée, condamné à mort par les
échevins de Liège et exécuté sur la grande place de Huy, le 25
mars 1794 » (
Abbe Dupierry : Notes d'histoire)
Coupable d’avoir mis des
scellés sur des maisons religieuses, d’avoir collaboré à
l’arrestation de l’abbé-seigneur de Leffe et de s’être fait
propagandiste du « système français le fripier Jean-Denis
Bouquette est arrêté et décapité
à Huy le 24 juin 1794.
Le monument du Mont Falise |
« En
1793, à Dinant, l’épouse Coster, l’épouse
Denis Bouquette et
Marie Sibert, implorèrent l’intervention du conseil (conseil des
métiers) pour obtenir la clémence du prince-évêque en faveur de
leurs époux et père respectifs.
"Les
métiers furent consultés et celui des potiers et fondeurs soucrivit
à la supplique des malheureuses ; ce fut son dernier geste. On
sait qu’il fut vain, car Denis Bouquette fut exécuté à Liége.
Coster et Sibert ne durent la vie qu’à l’intervention des
troupes de la République française ; ils avaient subi une
année de détention (Extrait de « Histoire de la ville de Dinant » par Edouard GERARD Namur Editions de « Vers l’Avenir » 1936)
Selon
P. Deschene, la mémoire du révolutionnaire hutois fut après le
retour des troupes républicaines en juillet 1794 honorée avec
pompe : « un cortège patriotique conduit la tête de Bouquette
portée par quatre jeunes filles de blanc vêtues jusqu’à la Grand
Place où elle est enterrée à proximité de la Fontaine du Marché,
à l’endroit même où fut ensuite planté l’Arbre de la Liberté
qui sera abattu sur ordre du commandant de l’armée prussienne
d’occupation en 1815 ».
MONUMENT
AU MONT FALISE
C'est
200 ans plus tard – en 1994, que sous l'impulsion du comité
d'animation du Mont Falise et du Mouvement Wallon pour le retour à
la France, que le projet d'un monument en mémoire à Jean Denis
BOUQUETTE s'est réalisé .
Article de "WALLONIE FRANCAISE" mars 1994 |
« Le
monument se présente sous la forme d’un cube en béton dont la
partie supérieure a été tranchée en biseau ; émergent de ce cube
huit longues tiges en acier qui soutiennent à leur sommet une sphère
ajourée. Au centre de celle-ci apparaît une mitre de prince-évêque,
faite en métal. Une symbolique certaine se dégage de ce monument
inauguré le 24 juin 1994 par les autorités locales.(7)
Erigé
à l'emplacement du GIBET de FALIZE, où la tête du martyr avait été
exposée, ( coin de la rue du Mont Falise et de la chaussée de
Waremme), aujourd'hui mal entretenu , gageons que les milliers
d'automobilistes qui passent devant ne savent pas de quoi il
retourne.
Je rêve d'une école où on
apprendrait , sur le terrain ,l'histoire , la géographie, la
biologie , la géologie etc. par la découverte de sa région ;
plutôt que de ressasser sur des feuilles volantes improbables, de
vieux poncifs sur la dynastie, la grande guerre etc.
Un
jour peut être , après la prochaine révolution, liégeoise ou
autre....
Et
alors, ce jour là, les enfants sauront aussi qui était Jean Denis
BOUQUETTE,
Si
je veux dans ce blog lui rendre hommage , c'est avant tout pour
célébrer la Grande Révolution française, qui a soulevé dans le
monde entier et chez nous aussi ,un espoir de Liberté , d'Egalité
et de Fraternité.
Abattre
les privilèges des puissants , les nobles et le haut clergé, les
1% de l'époque , proclamer les Droits de l'Homme et du Citoyen,
abolir l'esclavage, établir le suffrage universel, c'est tout cela
que représente pour moi dans notre bonne ville de HUY , Jean Denis
BOUQUETTE.
Joignons
le dans notre mémoire à Grégoire Joseph CHAPUIS, chirurgien de
VERVIERS, révolutionnaire et lui aussi officier municipal, condamné
à mort.le 30 décembre 1793 ,et décapité sur la place du Sablon,
à Verviers,( devenue la place du Martyr) le 2 janvier 1794.
Et
à Augustin BEHOGNE, paysan révolutionnaire , décapité en public à
JEHAY
(1)voir
les dates sur http://perso.infonie.be/liege06/12douze0.htm
- sur Gosuin et la révolution liégeoise , le blog de mon ami Hubert Hedebouw
- 1684 : Sorte de coup d'état prince Maximilien sur la gouvernance de la principauté « Le régime communal avait subi une transformation complète. Le règne de la démocratie liégeoise était expiré. La Cité, dont la vie politique avait brillé d'une si éclatante vigueur, tombait en état de sujétion. Ses institutions étaient faussées, ses privilèges confisqués, son indépendance anéantie. L'autorité princière remplaçait la souveraineté populaire. »
- article de Eric Toussaint mai 2207 « La Gauche »http://www.lcr-lagauche.be/cm/index.php?option=com_content&view=article&Itemid=53&id=445
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