dimanche 18 février 2024

MERCI JOSÉ


 

José Gotovitch, lors du Festival Films et Fascisme- Saint Gilles 2005 
 Photo Résistances Manuel Abramowicz


Samedi 17 février 2024.

Incrédule, je découvre ce matin, la bien triste nouvelle : José Gotovitch nous a quitté … Si vite !

Nous l’avions rencontré, pour la dernière fois, en  mai dernier chez mon frère Michel, qui avait, avec notre regrettée belle-sœur, organisé une rencontre entre amis pour échanger sur son dernier livre consacré à l‘histoire des Jeunesses et Étudiants communistes.



Il y mettait notamment en évidence le rôle de notre père Arthur Tondeur dans la création du premier groupe d’étudiants marxistes à l’ULB en 1930.

De notre côté, nous avions, mon frère François et moi, mobilisé notre passion pour l’histoire, lui en retraçant la vie de nos parents et de leur engagement politique, moi-même en rassemblant les principaux articles de politique étrangère de notre père dans « La Voix du Peuple » d’avant-guerre.

Quel bel après-midi passé ensemble, dans la bonne humeur, l’écoute de chacun, sans oublier le délice des pâtisseries – maison !

Grand moment aussi quand, à quelques-uns ils entonnent la chanson des « Petits-fils des Vétérans du Roi Albert », sorte de confrérie folklorico-guindailleuse qu’ils avaient maintenu en vie pendant plus de 60 ans.


Pour Anne, mon épouse, et moi, José était une vieille connaissance.

Je l’avais rencontré pour la première fois en janvier 1961, lors des grandes manifestations contre la loi unique, auxquelles participaient un solide groupe étudiant, et aux piquets de grève que nous installions sur le campus.


Janvier 1961- Bruxelles: les étudiants sur les marches de la Bourse.

Souvenir particulier aussi d’un soir de février 1961, alors que nous venions d’apprendre l’assassinat de Patrice Lumumba : nous nous sommes retrouvés dans une 2CV, Jean- Pierre Olivier, Michel Graindorge, José et moi pour patrouiller autour de l’ambassade du Congo, rue Marie de Bourgogne. Sans doute, ce repérage devait-il préparer un futur chaulage percutant ?

 

Par la suite, j’avais près de 18 ans et j’ai rejoint l’UNEC (Union Nationale des Étudiants Communistes) dont José était secrétaire national.

Il était aussi directeur de la revue de bonne facture des Étudiants Communistes, « En Avant ».


Ces années 61-62 à l’UNEC ont été riches en rencontres, en débats, en actions.

J'y revois José, à la conférence nationale de l’UNEC, en février 1962, à un week end de formation sur le  « XXIIème Congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique » avec Ernest Burnelle, à un stage de vacances des EC à l’été 1962 à Rochehaut, dans la vallée de la Semois, à la nuit de Nouvel An 62 à Athis et  à une folle nuit au « Petit Lénine » petit café de la rue des Chapeliers, le 14 avril 1961 pour fêter le vol de Gagarine dans l’espace.



Les meetings, les manifs aussi : Cuba, l'Algérie...
.
Sans doute faisait-il aussi partie du groupe des EC participant à la Semaine de la Pensée Marxiste à Paris….



Par la suite, nos chemins se sont séparés : nous nous sommes engagés, Anne Wildemeersch et moi, dans le courant dit « prochinois » animé par Jacques Grippa, alors que José, fidèle au Parti Communiste « officiel », entamait un brillant parcours universitaire d’historien du communisme, en particulier pendant la IIe guerre mondiale.

Je le rencontrerai alors par livre interposé, en découvrant avec grande curiosité « L’an 40 » ou « Du Rouge au tricolore », pour lequel il avait par ailleurs   interviewé mon père.

 

J’ai retrouvé José 50 ans plus tard. Nous organisions à Liège, à La Braise, avec Hubert Hedebouw, un cycle de conférences et de débats sur la « Grande Guerre » (« Un autre regard sur la guerre 14-18 »)

 José y avait naturellement sa place   comme conférencier, et il a accepté   bien volontiers de nous parler du   Conseil révolutionnaire de soldats   dans  l’armée allemande d’occupation   en novembre 1918 à Bruxelles.

 Comme toujours, exposé clair,   passionnant, rigoureux, pas du tout   académique : il savait faire aimer   l’histoire à son public.



La Braise - Liège- 15 avril 2015 : 

Depuis, nous sommes restés en contacts réguliers ; et au fil de mes lectures, j’ai découvert de multiples ouvrages et articles de José : ici, sur la Guerre d’Espagne, là  les biographies du Maîtron ou du CArcob, là encore un docu sur la grève des mineurs liégeois en mai 1941.

Je (re)découvrirai ainsi un  José, pourtant professeur honoraire de réputation mondiale, à l’autorité scientifique reconnue, non seulement  homme jovial et passionné, ouvert, toujours à l’écoute, respectueux de chacun, mais aussi comme un camarade, historien militant, prêt à donner de lui-même quand cela pouvait faire avancer à la base l’incontournable connaissance de l’histoire.

Alors qu'il avait décidé mordicus d'arrêter les conférences, il me confiait après une rencontre dont il n'était pas au courant : « Tu sais que je suis toujours dispo pour ce genre de choses ». 

Fait remarquable: il ne s'est pas laisser enfermer dans les soubresauts idéologiques mortifères du déclin du parti communiste. Au contraire, il a fait du CArcob, (centre des Archives communistes), un centre d'archives reconnu et s'est imposé comme historien, par belles et par laides,  de tout son passé... y compris de ses moments glorieux.



Son œuvre est considérable.
 Elle est aussi fondamentale.

A l’heure du révisionnisme historique tous azimuts, quand jusque sur les bancs du Parlement européen, le communisme est assimilé au nazisme, l’œuvre de José Gotovitch, comme un roc scientifique et inattaquable, rétablit la vérité historique : la Résistance à l’axe Berlin-Rome-Tokyo, faite de multiples obédiences politiques dans lesquelles les combattants animés par "l’idéologie communiste » et l’amour de leur patrie, a  joué un rôle important, voire décisif et fait partie, à tout jamais, de la mémoire des peuples d’Europe et du monde.

Gotovitch était signataire de ce manifeste (2/10/2019) d'intellectuels et professeurs 
belges, paru dans « La Libre » en réponse à la résolution du Parlement Européen (19/09/2019)





Son oeuvre nous interpelle aussi sur l’importance de la connaissance historique : on ne peut pas comprendre le monde d’aujourd’hui, pour pouvoir  le transformer, sans bien connaître et en analyser le passé.

C’est pourquoi, bien plus qu’une œuvre académique, c’est un outil de combat qu’il nous laisse.

Aux jeunes camarades de le faire vivre, de s’en servir comme éclairage pour les combats futurs.

Et à nous tous de lui dire :

« MERCI JOSE »

mercredi 25 mai 2022

CHRONIQUES D'UNE GUERRE ANNONCÉE (4) E.PARISET - 1936-1939 : ESPAGNE ( NON - INTERVENTION, NEUTRALITÉ BELGE), CHINE, ÉTHIOPIE.


Ce quatrième et dernier fascicule des Chroniques d'une guerre annoncée de E. PARISET, nom de plume de mon père Arthur Tondeur (1908 - 1999), regroupe les articles, écrits pour le quotidien La Voix du Peuple, traitant  essentiellement de la Guerre d'Espagne entre juillet 1936 et avril 1939. 
Devant l'abondance d'articles couvrant une actualité quotidienne  de près de trois ans,     j'ai choisi de me focaliser sur l'aspect international du conflit, particulièrement maîtrisé par Pariset :  la politique de "non-intervention", pratiquée dès juillet 1936 par la France de Léon Blum et l'Angleterre, d'une part, et d'autre part, l'intervention massive en hommes et en matériel, sur terre, dans les airs et en mer, des puissances fascistes de l'Axe Rome-Berlin, la mise en veilleuse de la SDN.
Le blocus sur les livraisons d'armes, fondé sur un contrôle aléatoire des frontières et des ports, asphyxiait la République du Frente Popular, tandis que les CTV (Corpo di Truppe "Volontarie") italiens et la Légion Condor nazie, surarmés en chars, mitrailleuses et avions renforçaient les troupes franquistes des "Regulares" du Maroc espagnol et des légionnaires du Tercio.
Cette politique de "non-intervention" largement commentée dans les articles de Pariset s'inscrit dans la politique "d'apaisement", en fait de capitulation des capitales occidentales, ( Londres et Paris  donnent le tempo), face au bloc agressif italo-allemand, politique dont la dénonciation est au centre des fascicules précédents (fascicule  1&2 sur l'Autriche, la Tchécoslovaquie et Munich ; fascicule 3 consacré à l'année 1939).
Si elle est loin d'être la seule cause de la défaite républicaine, les causes internes étant toujours déterminantes, elle y a, incontestablement,  joué un rôle fondamental.
A la non intervention, répondait le combat héroïque du peuple espagnol, appuyé par l'engagement internationaliste des Brigades internationales, le mouvement mondial de solidarité, livraisons de vivres, de charbon, mais aussi d'armes clandestines, l'appui en tant qu' États des seuls Mexique et Union soviétique. 

L'intérêt particulier de cette sélection réside aussi dans les analyses par Pariset de la
politique étrangère  belge, menée de concert par le ministre- Premier ministre Spaak, et par le roi Léopold III, aussi bien  vis à vis de l' Espagne, que  plus généralement sur le positionnement "neutre", "indépendant" de la Belgique dans le concert des nations européennes, à la veille de IIe guerre mondiale.
Toutes les organisations, politiques ou syndicales, ont été secouées par ces années  d'Espagne  et,  le POB particulièrement, a vu en son sein l'affrontement entre sa  droite gouvernementale voire syndicale, et le mouvement venu d'en bas, antifasciste, internationaliste, de la solidarité  et du large soutien à l'Espagne républicaine.
Ces "Chroniques" abordent également, à travers quelques  articles, hélas trop rares, les agressions du militarisme japonais en Chine, et de l'Italie fasciste en Éthiopie,  permettant ainsi d'échapper à une approche européocentriste : la seconde guerre mondiale a d'abord germé en Asie (Mandchourie 1931), puis  en Afrique (Éthiopie 1935), avant de frapper aux portes de l'Europe, de Madrid à Vienne, à Prague et Varsovie, pour ensuite, de 1939 à 1945 enflammer le monde entier. 
Bonne lecture.

Texte intégral en pdf -200 pages

CHRONIQUES D'UNE GUERRE ANNONCÉE  - FASCICULE 4 -  E. PARISET (1933-1939. ESPAGNE ( NON - INTERVENTION, NEUTRALITÉ BELGE), SPAAK et le POB
CHINE, ÉTHIOPIE.



Version papier 
Comme les autres numéros, le fascicule 4 peut être commandé en version papier en cliquant sur ce lien et en remplissant le formulaire.
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Extrait
 PARISET 26/09/1936 VduP

"Nous ne de­mandons pas que le gouvernement belge envoie au gouvernement espa­gnol ses escadrilles et ses pilotes comme conti­nuent à le faire l’Italie, l’Allemagne et le Portugal. Nous demandons simple­ment la liberté pour l’Espagne démocratique de se procurer dans le com­merce les armes, les munitions, les engins dont elle a besoin".

« Dans les premiers jours de la guerre civile, nous possédions plus d'avions que les rebelles. Aujourd'hui, après deux mois de « neutralité », ils ont une aviation supé­rieure à la nôtre dans la proportion de 12 à 1 ». Rien ne souligne mieux que cette déclaration du ministre de l'Air du nouveau gouvernement espagnol, le socialiste Prieto,[1] l'effroyable duperie que constitue la po­litique de « neutralité » dont le Gouvernement Léon Blum a pris l'initiative à l’instigation des « "Die-Hards2]" britanniques. Cette politique a été chaleureusement accueillie, au nom de la paix internationale, par tout ce que notre pays compte de réactionnaires et de fauteurs d'aventures.

Notre gouvernement d'Union Na­tionale qui prête trop souvent une oreille complaisante à leurs injonc­tions s'est empressé de s'y rallier sans réserve. Lorsque, par des faits évidents, nous montrons qu'elle revient à un blocus unilatéral du gou­vernement régulier d'une nation amie on nous répond que nous prê­chons l’intervention et la guerre. Non, non et non ! Nous ne de­mandons pas que le gouvernement belge envoie au gouvernement espa­gnol ses escadrilles et ses pilotes mi­litaires comme l’ont fait et conti­nuent à le faire l’Italie, l’Allemagne et le Portugal. En dépit de leur « adhé­sion » au principe de neutralité, ni Hitler, ni Mussolini n'ont rappelé les officiers italiens et allemands qui participent à la guerre dans les ar­mées du rebelle Franco. En fait, les gouvernements de Rome et de Berlin font au gouvernement constitu­tionnel de Madrid une guerre non déclarée.

Nous ne demandons pas qu'on les imite, nous ne demandons pas l’intervention de la Belgique démocratique en faveur de l’Espagne démo­cratique. Nous demandons simple­ment la liberté pour celle-ci de se procurer normalement dans le com­merce les armes, les munitions, les engins dont elle a besoin pour ma­ter une minorité de factieux que hait l’immense majorité du peuple espagnol. Et nous ne pouvons que nous étonner de l’étrange « neutralité » qui consiste à suspendre la con­vention commerciale entre l’Espagne et la Belgique, en invitant indus­triels et commerçants à refuser tout crédit dans leurs transactions avec l’Espagne démocratique.

Il y a aus­si des choses que nous trouvons étranges. Lorsqu’à Anvers la vigi­lance ouvrière empêche l’expédition de trains entiers d’armes destinées aux

rebelles, que les services de douane n’avaient pas « remarqués », le gouvernement se borne à retour­ner ces envois à leur expéditeur, en l’invitant sans doute à les réexpé­dier plus discrètement par d’autres voies ; c'est tout juste si on ne lui fait pas des excuses.  Mais lorsque quelques caisses de fusils et de cartouches sont embar­quées à Ostende et paraissent desti­nées aux gouvernementaux, la doua­ne devient soudain très perspicace ; le gouvernement fait saisir ces ar­mes et ordonne une enquête à grand spectacle pour châtier les coupa­bles.

Alors les travailleurs, les démo­crates commencent à trouver que cette neutralité ressemble étrange­ment à celle de M. Salazar. Les uns et les autres commencent à trouver que cette mauvaise plaisanterie n’a que trop duré. Et le citoyen Delattre aura beau les renvoyer à Moscou, ils sont citoyens belges et c’est au gouvernement belge qu’ils ont à de­mander des comptes. Avec la CGT française, avec le Rassemblement populaire fran­çais unanime, avec tous les antifas­cistes du monde, ils réclament la le­vée du blocus et la liberté des transactions commerciales réguliè­res avec le gouvernement de Madrid.

Ils ne permettront pas qu’Hitler et Mussolini assassinent tranquillement la démocratie en Espagne pour se retourner ensuite contre la démo­cratie française et contre nous !

 PARISET  26/09/1936


[1] Indalecio Preto (1883 – 1962) : dirigeant du Parti Socialiste Ouvrier d’Espagne (PSOE). Ministre de l »’Air et de la Marine, puis de la Défense nationale) (1936 -1938)  dans  les gouvernements de Front Populaire.

[2] Die Hards : expression désignant les ultra- conservateurs.




lundi 13 décembre 2021

HOMMAGE Á CÉCILE DRAPS - ADIEU, CÉCILE, NOTRE CAMARADE ET MERCI!

 

Avec les résidents de sa Maison de repos, elle participe aux Olympiade des seniors,
 et ...passe au JT du  23/05/2018


Une des dernières fois que, avec Annie mon épouse, nous avons rencontré Cécile, c’était le 5 juillet dernier, à l’occasion de son anniversaire. Elle nous attendait et avons bavardé, dans le jardin ensoleillé de Sainte Monique, autour d’une coupe.
Elle était, il est vrai, un peu énervée par notre habituel retard : « Je sors ce soir, nous confie-t-elle, et je dois encore me préparer ». En effet, elle était, dernière actrice des réseaux de soutien au FLN algérien encore en vie, invitée à la réception de l’Ambassade d’Algérie pour la fête de l’Indépendance.
Tout un symbole : les astres s’étaient alignés pour que l’Algérie, pour l‘indépendance de laquelle elle avait donné le meilleur d’elle-même, proclame sa victoire le jour de ses 30 ans !

 L’ALGÉRIE, UNE DES PLUS BELLES PAGES DE LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALISTE

Diplômée en Droit de l’ULB en 1954, elle réalisera au fil des mois que, à 100km de Bruxelles, la France dans sa guerre contre le peuple algérien, torturait et exécutait, comme les nazis pendant la guerre.
Son mari Lucien Pary et elles rejoignent, fin des années 50, les réseaux de soutien au Front de Libération Nationale algérien, ce Front du Nord regroupant des dizaines de militants de l’ombre, écrivant ainsi, après les Brigades Internationales en Espagne, une des plus belles pages de solidarité internationaliste de l’histoire contemporaine en Belgique.
« Cécile avait mis le pied à l’étrier dans les causes politiques grâce à son confrère belge André Merchie. Par son intermédiaire, elle avait intégré le Collectif des avocats du FLN placé sous la res­ponsabilité de Ali Haroun, qui est alors membre du Comité fédéral du FLN », précise l’historien Paul-Em­manuel Babin qui a étudié en profondeur cette période.
Le Collectif des avocats belges du FLN, dont le chef de file était Maître Serge Moureaux décédé le 25 avril 2019, comptait, dans ses rangs les avocats Marc de Kock
Avec l'avocat Serge Moureaux, à l'époque du collectif de défense des
militants algériens.
                                                                            
commémoration du 60e anniversaire de l'assassinat
de Akli Aïssiou- ULB mars 2020
avec PE Babin et Ali Haroun)
 André Merchie et Cécile Draps.
Elle plaide en France et même à 2 reprises en Algérie.

 Période déterminante pour elle,  d'engagement intense quotidien,  non dénué de risques, qu’elle relativisait, avec sa constante modestie, en faisant remarquer que « les inculpés algériens, détenus en France ou en Algérie, eux, risquaient souvent la peine capitale" ».

En 1963, l’indépendance de l’Algérie ayant été proclamée, ils décident avec Lucien de partir en Chine où lui travaillera à l’agence de presse « Chine nouvelle » et elle, pendant un an, à Radio- Pékin.
Une personnalité forte et entière, l’engagement total dans le collectif d’avocats de défense des militants algériens, l’immersion d’un an dans la Chine de Mao et dans les grands débats idéologiques des années 60 - elle les a en effet suivis de près, puisqu’elle en lisait les textes en français à Radio Pékin – voilà les deux sources qui allaient forger l’inébranlable engagement politique de Cécile pour le restant de ces jours. Toute sa vie, à travers tous les retournements de l’histoire, elle se réclamera des principes du communisme.

Je l’ai personnellement rencontrée, pour la première fois un soir de 1964. Á son retour de Chine, elle avait rejoint le Parti communiste, prochinois, 
fondé par Jacques Grippa.
Elle y jouera, alors un rôle de discrète pionnière dans le développement de la solidarité avec le Vietnam, grâce aux contacts vietnamiens qu’elle nouera dans des réunions internationales à Budapest et à Tokyo.
Manifestation à Florennes contre la présence d'une base américaine
A l’origine d’un appel de soutien aux combattants du Front National de Libération du Sud Vietnam, regroupant des personnalités aussi diverses que, le syndicaliste Jacques Yerna, le dirigeant JGS, Georges Dobbeleer, le communiste Henri Glineur, le sculpteur Frans Masereel, le peintre Roger Somville et Camille Huysmans, elle sera aussi la cheville ouvrière, à la base, d’un Comité liégeois de solidarité avec le peuple vietnamien, dont, assez fière, elle me parlera encore 50 ans plus tard :  "C’étaient de vrais membres, 
qui payaient une cotisation, avec des « vrais » militants ouvriers et intellectuels, avec de  « vraies » alliances politiques, notamment avec le Parti Wallon des Travailleurs ". Elle brocardait ainsi les organisations dites de masse, qui n’étaient qu’une façade du parti grippiste.

Cela lui vaudra d’être sévèrement critiquée par son Bureau Politique, pour avoir osé faire alliance avec des « trotskistes ».
Cette anecdote illustre une de ses plus grandes qualités : son indépendance d’esprit.
Chargée de défendre les militants du parti, parfois dans des affaires des plus difficiles, elle ne supportait pas qu’on lui impose à la dernière minute des oukases dans sa ligne de défense décidée.
La militante Cécile Draps, si elle était disciplinée, n’a jamais été ni un petit soldat ni un béni oui-oui ; elle a toujours voulu penser avec son propre cerveau et rechercher la vérité dans les faits.
C’est ainsi qu’elle fut exclue de son parti fin 1966 pour avoir, seule contre tous dans le groupe liégeois, refusé d’avaliser les charretées d’exclusion (Herz et Yvonne Jospa ,  Sam Herssens, Elena Hasard, Jacques Boutemy, Annie Thonon, Achille Van Turnhout, Susy Rosendor), qui pleuvaient dans son parti, sans avoir entendu les camarades mis en cause, notamment Maurice Delogne et Fons Moerenhout.

 

LA GREVE DES OUVRIÈRES DE LA FN 

« Nous les avons aidées à prendre possession de la rue »

 1966, avec la grève des ouvrières de de la FN, sera une autre année-charnière. Cécile s’était, en 1965, installée à Liège, y ouvrant son cabinet d’avocat, boulevard de Laveleye. Elle était militante du Parti Communiste Wallon (« aile » wallonne du PC-Grippa)


Les bons yeux discerneront, au 1er rang, Cécile, souriante au milieu des ouvrières
 de la FN en grève,( un paquet de journaux à la main)

« Nous n'étions qu'une poignée, mais nous avons été aux portes de l'usine tout au début de la grève des ouvrières » dit-elle en 2016, à l’occasion du 50e anniversaire de la grève.
Nous avons rencontré alors Germaine et ses camarades. Par la suite, nous nous sommes vues pour ainsi dire tous les jours.




Nous nous rencontrions chez Germaine à Saint Nicolas, rue des Bons Buveurs, avec ses camarades et c'est elles qui parlaient pour rédiger le texte des tracts du Comité d'Action, que nous imprimions. Nous les accompagnions aussi aux autres usines pour les diffuser, au nom du Comité d'Action.
J 'ai eu l'idée de faire une affiche, et c'est un ami, graphiste professionnel, Julien Dawlat qui l'a dessinée.
Il se fait que cette affiche – simple, belle, accrocheuse, - correspondait parfaitement à la revendication des femmes, qui s'en sont emparées.
Nous les avions collées sur des dizaines de panneaux et les avons amenées pour les manifestations. Et 3000 femmes dans la rue avec plein de panneaux avec la même affiche accrocheuse, ça impressionne !
Cela correspondait parfaitement aux besoins des femmes en grève de s'exprimer, et c'est ce qui en a fait l'affiche - symbole, restée dans l'histoire. »
« Je les ai accompagnées aussi à Charleroi, aux ACEC, je pense que c'était le jour du démarrage de la grève là-bas.

C'était vraiment ce noyau du Comité d'Action – une petite dizaine d'ouvrières - qui était l'âme militante de cette grève. C’étaient-elles qui étaient en tête des rassemblements et qui étaient reconnues par l'ensemble des ouvrières comme les leaders naturelles.
La rencontre entre les femmes du Comité d’Action et la poignée de militant(e)s du PCW -  Union des femmes, s'est faite, parce que nous étions là, militant(e)s engagé(e)s, enthousiastes et mobilisé(e)s 24h sur 24, et que nous avons répondu tout de suite et vite, au besoin qu'elles avaient d'exprimer leurs revendications , de les faire connaître , de les crier dans la rue , au besoin aussi d'étendre leur mouvement aux autres usines, alors que ceux- la mêmes qui auraient dû être à leurs côtés, freinaient des 4 fers.
En fait, nous les avons aidées à prendre possession de la rue (manifs répétées de l'usine à « La Ruche » pour les assemblées), qui était de fait le lieu de rassemblement et de mobilisation, puisqu'il n’y avait pas de piquets ».
voir sur la grève de la FN:

et  https://rouges-flammes.blogspot.com/2016/02/fn-herstal-le-9-fevrier-1966-la-lutte.html

LE SECOURS ROUGE ET LES PROCÈS OUVRIERS



« Il est évident que l’occupation est un élément de la grève, un fait de grève. Et si la grève est un droit des travailleurs, l’occupation en est un également »

« Á partir du moment où il existait une grève, les travailleurs

 n’avaient pas à obéir aux ordres de la direction »

Plaidoirie de Me Draps du 19/06/1972, en appel, au nom d’un travailleur licencié des Forges de Clabecq

En 1969-1971, les luttes ouvrières explosent en Belgique, avec comme événement-phare, la grève de six semaines des mineurs du Limbourg en janvier 1970. Des grèves ont lieu notamment à Caterpillar – Gosselies (décembre 1969, juin 1970), Leffe – Dinant et, dans la région bruxelloise aussi, à Citroën-Forest (novembre 1969, novembre 1970), Michelin à Leeuw-Saint-Pierre (février et juin 1970), Nestor Martin à Ganshoren (février 1970) et aux Forges de Clabecq (juin 1970).
Beaucoup de ces grèves connaissent une répression patronale particulièrement féroce et massive : 48 travailleurs sont licenciés à Michelin, 22 à Clabecq, 25 à Caterpillar, 66 à Citroën : plus de 150 en tout, la plupart pour « faute grave », donc sans indemnité de préavis ni allocation de chômage pendant plusieurs semaines ; la majorité d’entre eux sont des travailleurs immigrés.
Une riposte juridique de grande ampleur est dès lors nécessaire
   porter plainte devant les tribunaux du Travail, pour licenciement abusif, au nom des dizaines de travailleurs licenciés.
A      assurer la défense au pénal des travailleurs poursuivis pour rébellion lors d’interventions de la gendarmerie (Caterpillar)           
              porter plainte au pénal contre les nervis des milices patronales qui, armés,  ont agressé les grévistes ou les militants. ( Citroën, Michelin)
Autour de Cécile, de nombreux avocats sont dès lors mobilisés et, d’autre part, une structure politique militante est mise sur pied pour organiser la solidarité, l’information et la mobilisation : ce sera le Secours Rouge (1970—1973).
Cécile, avec Maurice Beerblock, Robert Fuss, Jacques Boutemy et d’autres en prennent l’initiative.

La ligne de défense est fondamentalement politique.
C’est une ligne de rupture avec l’ordre établi, basé sur la paix sociale, le droit de propriété des patrons, et les obligations hiérarchiques.
C’est la défense intégrale du droit fondamental et universel de grève, quelles que soient les accords de « paix sociale » Et, dans ce cadre, du droit pour les travailleurs de mener les actions inhérentes au droit de grève, occupation d’usine, piquets de grève, meetings, manifestation, affichage, etc. Le droit aussi, en temps de grève, de ne plus obéir aux ordres de la hiérarchie.

 Extrait de plaidoirie de Me Draps - 19/06/1972 – action en appel intentée par R. C. à la direction des Forges de Clabecq pour licenciement abusif.

« L’employeur ne peut prendre aucune sanction à l’encontre au grévis­te pour fait de grève. La jurisprudence établit que, dans l’applica­tion constitutionnelle du droit de grève, le travailleur doit être provisoirement tenu « hors discipline ».
« Messieurs, dans la mesure où ils sont « hors discipline », les ouvriers n’ont pas à obéir. Á partir du moment où il existait une grève, les ouvriers n’avaient pas à obéir aux ordres venant de la direction. Si les ou­vriers occupent les bâtiments et reçoivent l’ordre de les évacuer - alors qu’en fonction même du fait qu’ils sont en grève, ils ont le droit de le faire - ils n’ont pas à obéir, ils n’ont pas à évacuer, les lieux. »


Mais Cécile ne fait pas que plaider : elle s’empare aussi de la communication autour de ces procès, et la militante passe des prétoires aux salles de meeting pour expliquer, expliquer, encore expliquer.

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SECOURS R0UGE CHARLEROI.
                                    ATTENTION                                 ATTENTION
 
A TOUS LES TRAVAILLEURS DE LA REGION
6 JEUNES OUVRIERS DE CATERPILLAR PASSERONT EN CORRECTIONNELLE LE 15 JUIN 1971 A 9 H.  
Le S.R. organise une conférence le 14 juin à 19 H. au Café du Square, 36, Boulevard P. Janson à Charleroi.

La camarade Cécile DRAPS, avocat à la Cour d’Appel, prendra la parole sur
« Le Secours Rouge et le déroulement des procès en cours »

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Elle a sans conteste été la cheville ouvrière de la bataille politique et juridique contre la répression patronale et policière du « Mai ouvrier » belge.

Et aujourd’hui encore 50 ans plus tard, nombreux sont les militants, comme Hubert Hedebouw, Kris Hertogen, qui rendent hommage à son engagement politique à leurs côtés, devant le tribunal, étroitement lié à son très grand professionnalisme.

Moi-même, dans ces années 70, j’ai été défendu 3 fois, par Cécile devant les tribunaux correctionnels à Bruxelles et à Liège pour avoir résisté à l’arrestation policière, lors d’actions antiracistes ou antifascistes. J’ai été acquitté, ou, au pire, il y a eu suspension du prononcé.

ADIEU CÉCILE, NOTRE CAMARADE, ET MERCI …Dans les années 1970-1972, dans l’après mai 68, le bouillonnement des idées propre à toute période d’essor des luttes populaires, a conduit à une reconfiguration complète du paysage politique de la gauche radicale.

Échaudés par l’expérience négative du PC – Grippa, nous étions quelques- uns, dont Cécile, à refuser, au nom de la nécessaire implantation dans les masses, l’adhésion à une organisation autoproclamée avant-garde « marxiste -léniniste ».
En 1972, alors qu’en Flandre naissait AMADA, et qu’en Belgique francophone, une myriade de groupes plus marxistes-léninistes les uns que les autres se constituaient ou se perpétuaient, nous avons fondé, avec quelques dizaines de camarades, enfants de mai 68 et de la Révolution culturelle chinoise, un groupe « maoïste » autour du journal « La Parole au Peuple ».
Cécile, bien que surchargée de travail à son cabinet en était l’antenne liégeoise jusqu’à ce que, à quelques-uns, nous l’ayons rejointe pour former un groupe liégeois.
Jusqu’en 1977, quand la PAP cessa son activité, Cécile en était une militante assidue
Présente tôt matin aux portes de la FN pour distribuer un tract ou vendre le journal, elle trouvait le temps, aussi, malgré la fatigue de la journée, de plonger dans sa voiture, le soir, pour assister à l’une ou l’autre réunion.

 

J’ai de nombreuses années plus tard, en 2016, retrouvé Cécile à l’occasion du 50e anniversaire de la grève des ouvrières de la FN.
Elle avait en 2014 signé l’appel de nombreuses personnalités à soutenir les listes électorales PTB Go !
Que du bonheur ! Á chaque rencontre , non seulement, nous retrouvions une Cécile chaleureuse et bienveillante, pleine d'empathie, mais aussi une camarade, curieuse de tout et, avec son esprit vif et intelligent, avide d’échanges politiques.
L’activité du PTB était passée au crible avec une bienveillance parfois très critique…
Elle suivait sur son ordinateur portable, qu’elle avait réussi à plus ou moins domestiquer, les campagnes de Mélenchon ou les interventions de Raoul.
Nous nous échangions tel ou tel texte sur la Chine à laquelle elle était restée très attachée. « Mon point de vue est en train d’évoluer » disait-elle.
Nous avons aussi, avant le confinement, à quelques-uns, trié ses archives, qu’elle a confiées à l’Institut d’Histoire Ouvrière Économique et Sociale.
Fons Moerenhout et Suzy Rosendor nous rejoignaient alors, pour parler élections ou Venezuela ou d’autres choses.
Cécile adorait la politique, échanger sur la  politique, mais aussi faire de la politique !
Je dois avouer qu’elle a été, ces cinq dernières années, la personne avec laquelle je me suis trouvé le plus en symbiose au niveau des idées. Sa disparition va laisser un grand vide.
Je l’ai vue, après une période difficile faite de multiples hospitalisations, rassérénée et bien soignée dans sa maison de retraite Sainte Monique,  établissant tel ou tel lien culinaire avec des résidents, ou préparant une réunion sur les activités de la maison.
Je l’ai rarement vue se plaindre, alors que le corps souffrait et que le confinement en chambre avait cassé le moral.
Elle avait la modestie et la discrétion d’une grande dame, qui n’a pas besoin de parler d’elle pour rayonner.
Adieu Cécile, ma camarade, et merci pour tout ce que tu nous a apporté…

 mars 2020 :inauguration d'une plaque commémorative à Akli Aïssiou,
étudiant algérien assassiné à Bruxelles par les services français
avec Cécile Draps, Suzy Rosendor, P.E. Babin et des membres de la famille de serge Moureaux