vendredi 2 février 2018

GRANDES FIGURES DE CHEZ NOUS :A HUY, SUR LES TRACES DE JOSEPH THONET (2ème partie)



Nous sommes, dans le blog précédent, partis sur les traces de Joseph Thonet, dans la « bonne ville » de Huy, au tournant des années 1900 (1 https://rouges-flammes.blogspot.be/2018/01/grandes-figures-de-chez-nous-huy-sur.html)
Pionnier du socialisme à Huy , militant dés 14 ans aux Jeunes Gardes Socialistes puis au POB , gérant de la coopérative « Les Campagnards de Tihange » , nous le retrouvons aujourd'hui, en juillet 1914, à Bruxelles . Nous sommes à quelques jours de la grande conflagration mondiale, qu'on appellera « La Grande Guerre » ; il a 31 ans .

A BAS LA GUERRE  !

JUILLET 1914
Le 29 juillet 1914, Joseph Thonet assiste au fameux meeting socialiste international contre la guerre au Cirque Royal à Bruxelles  avec la présence de Jean Jaurès.
Meeting du 29 juillet 1914 Cirque Royal Bruxelles
photo :http://history.2014-18brussels.be/fr/non-a-la-guerre
« Le Cirque était bondé ; Dans la rue, autant de monde qu'à l'intérieur.... De nombreux orateurs des partis belge, français, hollandais, italien prenaient la parole.
Jean Jaurès était là ! Son discours a été acclamé par toute la salle.
Quel orateur! Un tribun !Une voix chantante, Une péroraison qui emballe dans un enthousiasme indescriptible !
Quand nous sommes sortis du Cirque, , une manifestation s'organisa., et aux cris de « A bas la guerre ! », nous défilâmes dans les rues de Bruxelles . Nous étions encore pleins d'illusions. »
Le surlendemain , (31 juillet 1914) Jaurès était assassiné à Paris ...(2)

HUY: Le pont de fer  détruit pour retarder l'armée du Kayzer
Le 4 août les troupes du Kayzer entraient en Belgique.
A Huy, les premiers « uhlans »arrivèrent le 15 août .
C'est la nuit précédente que le détachement belge fit sauter le grand pont( le Pontia) puis celui de la Neuve Voie (le pont de fer) pour retarder la marche allemande.
Dés son arrivée, l'armée allemande prend possession du Fort et ce sans aucun combat. Elle y établit un camp de discipline pour les réfractaires et les déserteurs de ses propres troupes. Les Allemands établissent leur Kommandantur au café de la gare du Nord.
15 août 1914 :les troupes allemandes entrent dans Huy
photo:"La guerre 14-18 vécue au Collège Saint-Quirin."
L 'Hôtel « L'Aigle Noir » sera le centre de comptabilité des troupes d'occupation et le guichet où demander passeports et laissez passer pour quitter la ville.
Dans la nuit du 23 au 24 août, des soldats, ivres suite au pillage de quelques bonnes caves à vin, provoquent une fusillade qu'ils cherchent ensuite à faire passer pour un acte de rébellion des habitants .Des soldats allemands mirent alors le feu à 28 maisons, rue des Jardins.(3)

Ce n'est pas pour autant que Joseph Thonet sombra dans la haine du Boche et le social-chauvinisme , comme le firent la plupart de ses camarades du POB et tant de socialistes à travers toute l'Europe qui oublièrent en une nuit des années d'éducation internationaliste . »
« L'Internationale sera le genre humain » chantaient ils dans les rues de Bruxelles. Dans ses « Souvenirs et mémoires » Thonet rend hommage à son grand camarade allemand , le socialiste Karl Liebknecht , député au Reichstag, et rappelle qu'il vint en Belgique début septembre 1914 pour constater par lui même , à Liège, à Andenne les crimes de l'impérialisme allemand.
A la tribune du Reichstag le 2 décembre 1914, il refusera, seul, de voter les crédits de guerre en condamnant explicitement « la violation de la neutralité de la BELGIQUE et du LUXEMBOURG, violation de traités solennels, l'invasion d'un peuple pacifique, le traitement cruel infligé à la population civile des territoires occupés ,la dévastation de localités entières, l'arrestation et l'exécution d'innocents pris comme otages, le massacre d'individus désarmés.
La suite est connue : exclu du groupe socialiste, arrêté et mis en forteresse le 1er mai 1916, libéré par la révolution à Berlin, en octobre 1918, Karl Liebknecht sera assassiné , avec Rosa Luxemburg le 15 janvier 1919, par des détachements des  « Corps francs » , secteurs les plus extrêmes du militarisme allemand, avec la complicité active du ministre social démocrate de la Guerre , Gustav Noske .(4)
En 1923, en prison, Thonet , l'internationaliste, affichera au mur de sa cellule les portraits de Karl et Rosa.

PRISONNIER EN ALLEMAGNE
Joseph Thonet , continua son travail pour la coopérative « Les campagnards de Tihange ». Muni d'un passeport délivré par l'autorité allemande, il franchissait chaque semaine la frontière hollandaise pour acheter des graines et semences à Maastricht. Il profitait de ces voyages autorisés pour porter illégalement des lettres de familles de la région de Huy destinées à leurs soldats et pour rapporter les réponses via la poste restante.
Il assurait ainsi , par solidarité, un service régulier de correspondance entre les soldats de la région et leurs familles.
« J'ai porté et rapporté des milliers de lettres . Il en était de dangereuses , notamment celles relatant les atrocités commises par les soldats du Kayzer en Belgique et destinées à des journaux de Paris et de Londres . Je devais chaque fois modifier ma façon de passer ces lettres, une fois dans les poches extérieures de mon pardessus, une fois dissimulée dans un pot de miel, quelques fois roulée en paquet au milieu de quelques kilos de savon mou » .
Arrêté en février 1915 sur dénonciation, il fut d'abord emprisonné à Liège, puis transféré dans un camp de prisonniers en Allemagne , et enfin détenu au secret en prison pendant 31 jours où il connaîtra l'isolement et la faim. Aucun échange de lettres avec sa famille n'était autorisé et la nourriture tout à fait insuffisante :  « J' ai eu une faim terrible. Pour l'apaiser, j'ai volé 2 pommes de terre crues ; j'ai été malade comme un chien. Le gardien m'a sorti de mon lit et j'ai dû rester debout toute la journée.. »
Après 3 mois de privation de liberté, il rejoindra finalement Huy et sa famille fin avril 1915.


LA FAIM , LE FROID ,LA MISERE
Mais la guerre, qui est en général présentée exclusivement comme un combat patriotique sur le champ de bataille , pour la démocratie et la civilisation, a représenté pour les masses travailleuse un combat pour survivre dans l'océan de misère, face au recul incommensurable de leurs conditions d'existence.
Le peuple a connu la faim, le froid, la misère.
« Sur la Belgique pendant la 1ère guerre mondiale, il y a le cliché d'une nation unie qui a
substitué à toutes ses contradictions internes la résistance à l'envahisseur détesté.
Mais en réalité, le pays , occupé, restait sous haute tension, du fait de la pénurie de vivres »écrit le professeur Vrints de l'Université de Gand

Joseph Thonet évoque la misère régnant dans le pays : les secours en 1916 étaient de 7fr/semaine pour les adultes, 6 fr pour les enfants de 10 à 16 ans et 5fr pour les enfants de moins de 10 ans.
Reprenant un memorandum du parti ouvrier, à l'autorité allemande , il rappelle que l'industrie est à l'arrêt, que tout commerce est devenu impossible, que pour la classe des travailleurs, c'est la misère la plus noire.
« Dans l'arrondissement de Liège, la mortalité générale a augmenté entre 1913 et 1917 de 58%. Dans celui de Charleroi, le nombre de morts nés est en augmentation de 57% pour la même période.
Partout, le rachitisme des nourrissons est un véritable désastre. »
Pour l'alimentation, alors que la production de pommes de terres suffit pour donner à chacun 600g par jour, on a distribué à Bruxelles, en 1916-1917, 60 g/jour, et à Seraing 25g !
Sans oublier la question du charbon, puisque « aux affres de la faim, s 'ajoutent les souffrances du froid : à la veille de l'hiver, les ménages sont sans charbon »
Au sein de chaque commune, on retrouve un comité d’alimentation (chargé de la gestion du magasin communal de ravitaillement qui vend des denrées), un comité de secours (chargé de la distribution des secours) et un comité de chômage (chargé de la distribution de secours aux chômeurs)

Joseph Thonet, est un des 4 représentants du POB au sein du comité local de Huy du Comité National
de Secours et d'Alimentation, qui est composé de représentants des partis  parlementaire : 6 libéraux, 4 catholiques et 4 socialistes.
Et là où il est , il se bat :il proteste quand le CNSA prend des décisions injustes :par exemple, la règle du comité de secours était de priver les chômeurs propriétaires de leur maison de l'allocation de 0,50 fr ( Oui 50 centimes!!!) par jour - si leur maison valait plus de 5000fr.
« Les grands manitous qui étaient à la tête de cet organisme disaient littéralement : « mangez vos briques, avant de venir solliciter un secours de 0,50 fr !! ... Le parti catholique était représenté par un prêtre, le curé de Saint Rémy,un brave homme ... et nous évaluions - Dieu lui aura pardonné ses pêchés - la maison du chômeur à un taux moindre pour qu'il touche ses misérables 50 centimes !..
Il sera arbitrairement exclu, en mars1918, avec 2 de ses camarades, du comité local par le Comité National, pour ses prises de position anticapitalistes sur le caractère impérialiste de la guerre . Et ce malgré le soutien des organisations du POB de Huy ! Une seule pensée était admise, celle du chauvinisme et de la guerre jusqu'au bout .

NOVEMBRE 1918
Le 10 novembre 1918 était un lundi : malgré la présence de troupes allemandes encore stationnées chez nous, un cortège se forma en ville . Il y avait là des gens de toute opinion avec une majorité de travailleurs ; On chantait la Brabançonne, puis l'Internationale et la Marseillaise.Nous lancions aussi des mots d'ordre  surtout à destination des soldats allemands: « A bas le gouvernement impérialiste allemand ! Vive la république allemande »
C'est alors que je fus agressé par un groupe de jeunes catholiques , qui me jetèrent à terre et me piétinèrent. »  
Mais le lendemain 11 novembre 1918, c'est Joseph Thonet qui, convoqué au commissariat fut arrêté et mis au cachot pour attitude « non patriotique ».
Il est vrai que il avait dénoncé publiquement devant la population stupéfaite, en passant rue Hors Château , l'ancien bourgmestre Louis Chainaye , qui comme administrateur et actionnaire de la société Rhenania d'Aix la Chapelle , aurait eu une responsabilité dans la collaboration économique avec l'occupant. (5)

« L' ERE NOUVELLE » : UNE GAUCHE RADICALE A HUY

Joseph Thonet , avant la fin de la guerre, rassembla autour de lui un cercle de réflexion politique d'une vingtaine de membres , « L'ère nouvelle » orienté à la gauche du POB, qui dans un premier temps en octobre 1918 rédigea un programme d'action :
Fonds Thonet  - CArCoB
  • Programme minimum  de l'après guerre : le suffrage universel immédiat, la journée des 8 heures,les pensions ouvrières, un salaire minimum et un impôt progressif sur le revenu.
    Il dénie au gouvernement du Havre toute légitimité pour réaliser ce programme et avec lucidité décrit ce qui allait se passer  (avec la participation de 4 ministres socialistes , Vandervelde , Anseele ,Wauters et Destrée , )
    « Le gouvernement du Havre ne manquera pas de battre monnaie sur le terrain patriotique:discours grandiloquents, manifestations flamboyantes, tout y passera . Et toute cette ferblanterie n'aura qu'un but : amener les partis d'opposition à une prétendue collaboration de reconstruction. Pendant ce temps, on s'efforcera à nouveau de ligoter la classe ouvrière... »
  • Pour un régime républicain
  • « le groupe rejette toute participation socialiste dans les ministères bourgeois »
    Il rappelle les résolutions du congrès d'Amsterdam de l'Internationale en 1904 qui avait condamné la participation des socialistes français au gouvernement bourgeois et précise que « la collaboration de Vandervelde et Brunet au cabinet belge ne relève d'aucune décision du parti »
  • « le groupe se prononce pour « la reprise des relations internationales « - c'est à dire des relations avec les socialistes des pays en guerre , ou ...en révolution ( socialistes allemands autrichiens ,mais aussi bolchéviks russes,spartakistes allemands ) refusées obstinément par la direction du POB en rappelant simplement « Prolétaires de tous les pays , unissez vous »
  • Au sujet de la paix, « l'Ere Nouvelle » , présageant ce qui allait se passer au traité de Versailles s'oppose à « tout esprit de conquête et toute visée impérialiste et se prononce pour le droit des peuples à disposer d'eux mêmes. »
Ces positions ,peu connues ,de la gauche socialiste de Huy, rejoignaient de fait le combat de la gauche du POB regroupées autour de Joseph Jacquemotte et du journal « L'Exploité ». Au congrès de décembre 1918, alors que la majorité du parti votait – pour la première fois, et ce fut loin d'être la dernière ! - la participation du POB au gouvernement bourgeois , la minorité , proclamait :
« C'est au moment où les trônes croulent que nous irions nous associer à la bourgeoisie, pour lui permettre de nous exploiter ? Non citoyens !»
« Le parti s'est constitué, non pour consolider la société capitaliste, mais pour la renverser et lui substituer une société nouvelle ; Il y a antinomie entre la collaboration et la lutte des classes »
Fonds Thonet  - CArCoB
De 1919 à 1921, L' Ere Nouvelle organisa de nombreuses conférences avec des orateurs de la gauche :: Fernand Massart, Joseph Jacquemotte, le député liégeois Célestin Demblon, des syndicalistes etc..En mars 1921, le cercle d'études se transforma en groupe hutois des « Amis de l'Exploité »
Joseph Thonet lui même renouant avec la tradition des Jeunes Gardes Socialistes de sa jeunesse, animait une conférence tous les samedis soir à 19h. Encore, et toujours, l'éducation idéologique au centre de ses préoccupations.



1919 -1921 : LE CLASH HUBIN -THONET 
LUTTE DE CLASSE ou COLLABORATON ?

C'est en septembre 1919, qu'au sein du POB de Huy, le conflit entre la droite et la gauche s'exacerba.
Georges Hubin , député , exigea avec violence , dans un article public du journal « Le Travailleur » l'exclusion du parti ouvrier de Joseph Thonet sous le titre « Il faut en finir »
Fonds Thonet  - CArCoB
Georges Hubin fut une figure contrastée du socialisme belge, qui nécessiterait à lui seul plusieurs articles. Ouvrier carrier, syndicaliste, (nous l'avons vu en tête des manifestations de 1902 et condamné à 6 mois de prison) puis appelé à gérer une carrière coopérative, sculpteur sur pierre, échevin de Vierset Barse pendant 36 ans , député à la Chambre de 1896 à 1946 (50 ans!), c'était en quelque sorte le pape du POB à Huy .(6)
Il pouvait difficilement tolérer une opposition sur sa gauche. Il avait épousé politiquement les thèse jusqu'au boutistes ( de mener la guerre jusqu'au bout) et chauvines , opposé à toute conférence de paix à Stockholm en 1917, et farouchement opposé, en 1919 à tout reprise de contact avec les socialistes allemands , quels qu'ils soient.(7)
 Georges Hubin
Partisan fervent de la participation socialiste au gouvernement et partisan aussi de listes de cartel avec les libéraux, Hubin  entra en fureur avec article de presse, insultes, voire bagarre avec son adversaire politique.
Thonet ne fut pas exclu- la discussion fut postposée.Mais ,en décembre 1920, c'est lui qui rédigea sa lettre de démission , après 23 ans de militantisme au sein des JGS et du Parti Ouvrier.
Le Congrès du POB avait en effet décidé l'incompatibilité entre l'appartenance au POB et à la gauche regroupée dans « Les Amis de l'Exploité », les contraignant à se dissoudre ou à démissionner. 
Cette rupture, souvent célébrée avec emphase comme une grande victoire, l'était certes, au niveau de la fidélité aux principes de lutte de classe, au milieu d'un océan d'idéologie réformiste et de collaboration avec la bourgeoisie. Mais , c'est presque seul que Joseph Thonet, rejoignit le Parti Communiste, la plupart de ses amis et camarades de combat faisant défection .
« Nous perdîmes momentanément la première bataille, nous allions nous organiser pour en gagner d'autres »
« Est ce à dire que les camarades qui ont quitté le POB ont eu tort ? Non, mille fois non !
Nous devions quitter le POB qui ne nous permettait plus de défendre le socialisme de lutte de classe . Nous devions quitter le POB qui voulait étouffer en nous la confiance dans le socialisme marxiste.Nous étions forts de caractère... »
Nouvel engagement politique :il sera membre du 1er Comité Directeur du Parti Communiste , et il militera activement dans le Comité de secours à la Russie où il côtoie Célestin Demblon et son ami l'écrivain Jean Tousseul.
Nouveau travail , nouveau logement ,il avait quitté , après plus de 15 ans de travail « Les campagnards de Tihange » à la rue des Jardins et le logement y attenant; il trouva du boulot dans le privé  et déménagea rue des Trois Ponts à Huy.
Une nouvelle étape de sa vie, un nouveau combat commençait. Il avait 38 ans.

« MES PRISONS » : 1923, 1930, 1932, 1933 - 1934 
Emprisonné à 4 reprises en 11 ans , jugé 2 fois en Cour d'Assises ! On pourrait prendre Joseph Thonet pour un dangereux criminel récidiviste !Et encore,  ne sont pas comptées là les 6-7 comparutions et condamnations au tribunal correctionnel ou de simple police de 1930 à 1946 !
En fait c'est le parcours d'un militant communiste ,tête dure, au parler franc, courageux , à une époque où la peur du rouge et la répression qui l'accompagne étaient quotidiennes.
Belle leçon encore aujourd'hui sur la caractère très relatif des notions de « démocratie » et de « justice » proclamées par la classe au pouvoir.

« LE GRAND COMPLOT »  1923 - LA COUR D'ASSISES
Très édifiant, de se plonger dans ce rocambolesque procès de la Cour d'Assises de Bruxelles , véritable complot monté de toutes pièces contre 18 dirigeants du tout jeune Parti Communiste de Belgique accusés eux mêmes de « complot contre le sûreté de l'état ! » .
 Parmi eux (les plus connus), Joseph Jacquemotte, War van Overstraeten, Oscar van den Sompel , Felix Coenen, Julien Lahaut (qui sera libéré parce que non membre du PC) Henri Glineur , Léon Lesoil , et aussi Joseph Thonet de Huy.
Arrêté à son domicile le 8 mars 1923, après une perquisition où sont confisqués des documents professionnels ou du ménage, des livres et cahiers des enfants, il est incarcéré à la prison de Forest à Bruxelles. C'est 4 mois plus tard, 4 mois de prison, que s'ouvre le procès du « Grand Complot »
Assises de Bruxelles 1923  Les 15 accusés et les avocats
L'acte d'accusation cite chaque accusé : « Thonet est peut être , de tous les accusés, celui dont la vérité révolutionnaire fut la plus trempée.Non content d'avoir fondé avec Jacquemotte le groupe des Amis de l'Exploité, il s'efforcera avec acharnement d'amener Jacquemotte à fonder un parti communiste intégral.
 Déjà à la fin de l'année 1920, Thonet décidait le groupe de Huy dont il était l'âme, à quitter le parti socialiste et à former un groupe à caractère vraiment révolutionnaire. Propagandiste fougueux, Thonet est l'un des soutiens les plus solides de l'organisation communiste »
Acte d'accusation qui en fait est un fameux éloge du militant !
« En conséquence, les accusés sont accusés d'avoir arrêté entre plusieurs personnes la résolution d'agir pour soit détruire, soit changer la forme du gouvernement, soit  faire prendre les armes aux citoyens contre l'autorité royale,les Chambres législatives ou l'une d'elles , avec la circonstance qu'un ou plusieurs actes ont été commis pour en préparer l ' exécution. »
Devant le vide de preuves de l'accusation, après de flamboyantes plaidoiries de la défense, avec Mes Jules Destrée (« c'est un artiste qui parle ») et Me Henri Rolin (« il a fait pleurer le jury et même des avocats ; l'acquittement était certain après ce plaidoyer ») le jury en son âme et conscience, vota l'acquittement général !
Victoire totale, après quand même 5 mois de prison !

Jacquemotte a brillamment exposé , dans une brochure "Le grand complot", la contre accusation mettant en évidence le contexte politique de cette provocation: le réveil prolétarien et l'action du Parti Communiste, l'action contre la guerre et l'occupation de la Ruhr., la grève générale des mineurs du Borinage de 1923.
« L’on ne saurait, avec plus de netteté, déclarer que les poursuites engagées contre les inculpés visent exclusivement à mettre le communisme hors la loi. Mieux encore : à mettre hors la loi toute la doctrine du socialisme de lutte de classe, ...(8)


LIEGE 1er MAI 1930 
la police provoque des incidents en interdisant des prises de parole, chargeant sabre au clair des militants. Poursuivis pour rébellion et insultes, 7 militants sont condamnés à plusieurs mois de prison ferme ( 2mois 1/2 pour Thonet, qui sera libéré le 15 juillet)
LA GREVE DE 1932 :
Début juillet 1932, une grève est déclenchée par les mineurs au Borinage contre les baisses de salaires- oui vous avez bien lu le patronat minier , en raison de la grande crise appliquait des baisses de salaire jusqu'à 30%!-.
La grève prit de l'extension dans le Centre et à Charleroi. et le Parquet procéda à des arrestations pour empêcher les militants communistes de rester en contact avec les mineurs de la province de Liège.
« 10 juillet , c'est dimanche ; le soir, deux gendarmes frappent à la porte et exhibent à ma femme un mandat d'amener ...ils me conduiront à la prison Saint Léonard . Le lendemain, puisqu'il n' y a aucun motif d'arrestation le juge nous inculpe – à 18 ! - de crime contre la Sûreté de l'Etat !!"  
Rions un instant ,ami lecteur, à cet extrait d'une lettre du prisonnier Thonet au ministre de la Justice
« Monsieur le Ministre
.Je vous ai demandé il y a quelques semaines des faveurs résultant de notre régime politique... j'ai demandé au directeur de la prison de pouvoir lire les oeuvres de Maxime Gorki,Romain Rolland et Henri Barbusse. Il m'a répondu que Gorki était russe.
J'ai demandé a pouvoir recevoir des revues telles que « Monde », « Vu » et « Lu », il m'a répondu que Vu publiait des articles de l'Humanité, qui était un journal subversif »
« Aujourd'hui, on m'a refusé un bloc notes!
Le 17 septembre  1932, après la reprise du travail par les mineurs, les 18 de Liège furent libérés- 2 mois et une semaine de prison ferme sans motif !
« LE JOURNAL PARLE » A SAINT GERMAIN 
Chaque samedi, au carrefour Saint Germain, à Huy, le camarade Joseph prend la parole à 5 heures, à
la sortie des usines Nestor Martin et Vandenkieboom, pour informer les travailleurs sur les problèmes du moment .Le public nombreux était passé de quelques dizaines à quelques centaines , et les flics étaient toujours là.
« Après avoir fait une remarque qui comparait l'indemnité d'un chômeur à la liste civile du Roi je fus interrompu par par un fils de châtelain . « Oh toi ,espèce de fainéant et parasite, tu n'as jamais travaillé », Quelques jours plus tard , convoqué par un juge d'instruction, je fus accusé d' insulte au Roi !»
Appelé à comparaître- libre- devant la Cour d'assises de Liège en décembre 1933, il fit une déclaration toujours d'actualité 84 ans plus tard, ne trouvez vous pas ?
« Mon crime ? Avoir dit qu'en Belgique, c'est un scandale de voir le Roi toucher 9500000 par an, les ministres 125000 , les députés 40000, les hauts fonctionnaires des traitements de 80 à 80000, alors que il y a des milliers de chômeurs qui ont faim et froid, que les invalides ont subi des sacrifices, que les vieux pensionnés touchent toujours moins , que les classes moyennes sont chargées de taxes et d'impôts et menacés de misère par la haute finance, que des ingénieurs, malgré leurs études sont insultés par un patronat rapace.
Cela, je l'ai dit. Est ce cela insulter le Roi ? La personne du Roi m'est indifférente. Nous ne luttons pas contre des personnes, nous luttons contre un régime. »
Verdict:16 mois de prison ferme et 500 francs d'amende !
C'est en mars 1934 qu'il fut arrêté comme un criminel , en pleine rue , à la sortie de la Gare du Nord à Huy ,et transféré à la prison de Namur pour y purger sa peine. En octobre 1934, après 6 mois 1/2 de prison, il bénéficia d'une libération conditionnelle.

1936 : GREVE GENERALE
Année des grandes grèves pour les salaires, la semaine de congés payés et les 40 heures .
Commencée par les dockers d'Anvers, elle se répandit dans tout le pays.
A Liège, le 12 juin, les ouvriers mineurs occupèrent les charbonnages. A la FN, les femmes entrèrent dans les ateliers , appelant les hommes à entrer en grève  ; l'usine fut occupée au chant de l'Internationale . Toute la métallurgie était à l'arrêt !
Et à Huy, dont l'histoire ouvrière est tellement occultée ? Joseph Thonet nous livre quelques détails de « Juin  36 à HUY »
« Dans la région hutoise, la grève des métallos fut générale.
J'accompagnais une colonne d'ouvriers allant débaucher certaines usines qui continuaient le travail ; les usines Preudhomme- Prion se mirent en grève. Chaussée des Forges, les ouvriers de chez Thiry étaient déjà dans la rue.
Puis, ce fut l'arrivée aux Usines Godin aux Forges:les portes étaient fermées, mais les ouvriers poussèrent sur la porte qui céda. ...On entra dans les ateliers ( après avoir éteint -dans une papeterie- cigarettes et pipes) et on demanda aux ouvriers et ouvrières de cesser le travail ; chacun et chacune abandonnèrent leur vêtement de travail...
Quand nous sommes sortis, les gendarmes à cheval , étaient arrivés par le Pré de la Fontaine dans la cour de l'usine .Aucun incident ne se produisit.
Les autre jours de la semaine, des manifestations semblables eurent lieu vers Amay et Ampsin. A la Centrale électrique, les démarches n'aboutirent pas , mais un nombre limité d'ouvriers y fut maintenu.
On peut dire que le mouvement gréviste dans la région hutoise fut général.
Les grévistes se retrouvaient tous les jours en fin de journée au Vélodrome de Tihange, où plusieurs milliers de travailleurs se rassemblaient.Malgré la présence de militants socialistes et syndicalistes, les ouvriers exigèrent que je prenne la parole. ; je leur demandais d'être ferme , et maintenais chez eux un moral d'acier »
Quelques jours plus tard la victoire était acquise et la première loi accordant des congés payés par le patron fut votée au Parlement.

« UNE  PROVINCE ROUGE »
Aux élections provinciales du 7 juin 1936, Joseph Thonet fut élu comme conseiller provincial pour le district de Huy.( 1 PCB,1 libéral, 1 catholique, 2 rexistes et 4 socialistes )
Au conseil provincial de Liège, avec 10 élus communistes et 34 élus socialistes,, le POB et le Parti Communiste avaient la majorité. Ils décidèrent donc une coalition de gauche , et Joseph Thonet devint ainsi le premier député permanent communiste (avec un autre militant du PC Grognard).
C'était aussi, à 53 ans, son premier mandat électif !
Il eut en charge tout ce qui concernait l'agriculture, y compris l'enseignement agricole, la formation professionnelle ,le tourisme.
A noter que la députation permanente fit voter en date du 12 octobre 1936 la pension pour tous les fonctionnaires nommés au 1er janvier 1937 à l'âge de 60 ans à la place de 65 ! Décision cassée par le
Centre de vacances de Wégimont
gouvernement belge en 1937.
De même , l'interdiction pour tout fonctionnaire de tout cumul d'emplois rémunérés .ainsi qu'une révision des barèmes des traitements.
Cela fait rêver, non ? Plus de 82 ans plus tard ! 
A l'heure de Publifin!
Au crédit du camarade Député permanent, la création du Centre de repos et de vacances de Wégimont. Il s'imposait, au lendemain de la conquête des congés payés, d'offrir aux travailleurs une structure accessible à tous  avec auberge de jeunesse, camping, hébergement pour 200 personnes, à prix modique, avec piscine, plaine de jeux.
En mai 1940, dans la Belgique envahie , en plein chaos ,Joseph Thonet,, après une arrestation et 3 jours d' incarcération à Namur , rejoint Liège et refonde avec des députés anti nazis, restés au pays, une « Députation Permanente patriotique » qu'il tente de mettre au service du ravitaillement de la population et de l'aide aux chômeurs.
 En vain ! Appuyée par les rexistes , l'autorité sur ordre des nazis, interdit aux 2 députés communistes toute activité.... Jusqu'en septembre 1944 et la Libération. (9)


Mais commence ici une autre page d'histoire, la grande, glorieuse et aussi tragique page d'histoire de la Résistance, de la presse clandestine, « L'Espoir » édité  dés le début de l'occupation, du parti clandestin, des Partisans Armés, l'histoire de Joseph Thonet, et de sa famille son fils Victor,commandant du Corps 024 des Partisans Armés, exécuté par les nazis, Mariette,l'épouse de Victor,résistante, déportée à Ravensbrück, sa fille Micheline , résistante, incarcérée à Huy et libérée par la Résistance, et aussi son épouse Célinie ,emprisonnée 6 mois à la citadelle ; même son fils aîné, Joseph , fut arrêté comme otage pendant 1 mois.









NOTES
 Sur la biographie de Joseph Thonet :voir:
* GOTOVITCH, José : "VictorThonet (1883-1973)", Bruxelles CArCOB 2016
http://www.carcob.eu/IMG/pdf/biographie_victor_thonet.pdf

* Joseph Thonet :Mémoires et souvenirs, Bruxelles, s.d. 
1. Mon enfance ; 2. Mon adolescence; 3. Ma jeunesse; 4. Jeune Garde socialiste; 5.Les débuts du mouvement ouvrier dans la région hutoise; 6.  Mon activité au sein du POB; 7/ Souvenirs de propagande socialiste;     8. Souvenirs d'autrefois; 9. 1914-1918;10. 1914- 1918 suite; 11. 1919; 12. Les  Amis de l'Exploité; 13. 1921; 14. Le premier appel du P.C.B.; 15. Mes prisons: à Forest en 1923; 16. En Cour d'Assises du Brabant du 9 au 26 juillet 1923; 17. Mes prisons: à Liège en 1930; 18. Mes prisons: à Liège en 1932; 19. La Cour d'Assises de Liège des 13 et 14 décembre 1933; 20. Mes prisons: à Namur en 1934; 21. La grève générale pour les   congés payés en 1936; 22.Députation permanente de Liège; 23. La guerre de 1940-1945; 

(1)https://rouges-flammes.blogspot.be/2018/01/grandes-figures-de-chez-nous-huy-sur.html

    (2) Ce meeting du Cirque Royal a été magnifiquement décrit dans « Les Thibault » - (L'été 1914) de Roger Martin du Gard (1936) , prix Nobel de littérature. C'est un roman , et les événements historiques ,le meeting et la manifestation ,sont, selon les historiens, aussi romancés. Il n'empêche, c'est à lire, c'est tellement beau ! (Chap LII, LIII)

    (3) Incendie de la rue des Jardins http://www.st-quirin.be/pdf/La%20guerre%2014%20SQ.pdf
    Remarquons ici les 2 versions historiques:
     « Qui a sauvé la ville de Huy du massacre? » le directeur de Saint Quirin, l'abbé Thibaut , ou le bourgmestre Louis Chainaye.?http://lesresistantsdelamemoire.be/forum/topic-1315+1914-comment-le-bourgmestre- chainaye-sauva-sa-vie-et-huy.php
(4)Sur le voyage de Liebknecht en Belgique, relaté par C. Fabry dans « Liebknecht en Belgique pendant la guerre » lire ROUGEs FLAMMEs :https://rouges- flammes.blogspot.be/2014/10/1914-1918-uomini-contro-cest-alors-que.html

(5) L'affaire « Godin -Rhenania » : une instruction avait été ouverte par le parquet militaire contre des notables et industriels de Huy dont l'ancien bourgmestre Mr Chainaye , liés aux Papeteries Godin ou à la société Rhenania.(société de produits chimiques fondée en 1852 par des industriels allemands et Eugène Godin de Huy dont , en 1914, le tiers des actionnaires était belge)
Jugés en Cour d'Assises, en 1921 ils furent acquitté. Un des inculpés, administrateur délégué des papeteries Godin s'était, lui, suicidé en prison.
« Justice large pour les gros, sévère pour les petits » dira Thonet
Louis Chainaye ,figure de la bourgeoisie hutoise, sera glorifié par un nom d'avenue dans les beaux quartiers.
(6) Georges Hubin :http://www.si-valleeduhoyoux.be/images/Monographies/PDF/GeorgesHubin.pdf
(7) 1917 Déclaration jusqu'auboutiste de Georges Hubin  dans : »La Russie de mars 1917 à mars 1918: Entre deux révolutions»André Damany .p104

(8) Sur le grand complot lire la contre accusation de Joseph Jacquemotte .
 Le Pic « Le grand complot communiste, une machine de guerre de la bourgeoisie »
http://www.centremlm.be/Parti-Communiste-de-Belgique-Le-grand-complot-communiste-contre-la-surete-de-l
Jean Flinker « Le grand complot » angles d' attac - octobre2017   http://bxl.attac.be/spip/IMG/pdf/angles_d_attac_octobre_2017_journal_electro_.pdf





(9) voir JosephThonet : "Une province rouge"Editions                                                        Germinal,Bruxelles 1938



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